NINA ¬ Go ask Acid, I think she'll know

histoire
Elle a six ans. Les cris. L’angoisse. Son père affalé devant la télé au volume assourdissant. Bière à la main, mégot fumant aux bords des lèvres. Sa mère, à moitié nue, compte pour la quatrième fois ses médicaments s'indignant qu’il lui en manque toujours un. La vaisselle déborde dans l’évier, le parquet est jonché de vêtements sales et de paquets de nourriture entamés. Le téléphone sonne en boucle et le mari braille, en vain, sur sa femme pour qu’elle décroche. Nina est dans sa chambre et tente de s’échapper du bruit ambiant et des paroles obscènes que s’échangent ses parents. Le regard fixé sur sa poupée, elle se demande s’il existe un monde où elle pourrait s’enfouir avec elle. Un monde où elle n’aurait plus jamais peur. Existe-t-il cet endroit ? Le fracas de la bouteille lancée contre le mur la fait sursauter et lui fait fermer les yeux à s’en faire mal. Elle sait qu’elle doit rester dans sa chambre et attendre que ça passe. Attendre cette vague de calme qui vient rassurer la houle et la tempête. Elle garde les yeux clos et serre sa poupée contre sa poitrine. “Allez, emmène-moi là bas !”. La mère est hystérique et s’adonne à ses insultes salaces préférées. Des mots que Nina ne comprend pas, mais qu’elle sait détonateurs des coups de sang de son paternel. Ils en viennent à présent aux mains. Des hurlements, des bruits sourds, des objets lancés, … Et puis plus rien. Juste une porte qui claque et les sanglots d'une femme meurtrie, allongée sur le carrelage froid et crasseux.

Nina n’est pas très bavarde pour son âge. Sans doute la faute au climat familial violent. Elle se plonge souvent dans un silence tenace qui peut parfois durer des jours entiers. Toujours sa poupée à la main, elle décide de sortir de la chambre et de s’approcher lentement de sa mère. Elle s’agenouille auprès d’elle, le visage fermé à toute émotions et lui caresse tendrement la joue. Dans un élan de spontanéité, elle lui tend alors le portable, qui s'était, ironiquement, arrêté de sonner.

Elle a huit ans. Même décor, même ambiance, sauf que cette fois un nourrisson est posé dans une manne à linges. Nina n’est plus seule, même si au fond d’elle la petite fille sait déjà que son frère n’est pas né au bon endroit. Robert Walsh est assis en face de sa femme qui dresse la table péniblement, ne sachant plus si elle à posé le nombre de couverts nécessaires. Il envoie valser une dizaine d'enveloppes encore fermées dans la pièce avant de s’ouvrir nerveusement une canette de bière “Encore des putains de factures ! Et ce morveux qui nous coûte un bras en couche et en lait en poudre! J'te l’avais dit qu’il aurait mieux fallu qu'tu te fasses avorter ! T'as quoi dans la tête hein ?” Bébé Jimmy, qui s’était à peine endormi s'agite dans son berceau de fortune et commence à se plaindre de la voix rauque de son père venue troubler son sommeil. Instinctivement, Nina s'approche de Jimmy et tente de le consoler, sa mère étant trop occupée à compter inlassablement le nombre de fourchettes, sans nul doute perturbée par les effets secondaires de ses puissants anxiolitiques.  Du haut de son jeune âge, Nina se montre protectrice, elle qui a déjà été confrontée à la violence, sent qu'elle se doit de faire écran. Sans même que ses parents, ne se rendent compte de quoi que ce soit, elle emporte soigneusement le bébé dans une pièce opposée prenant le soin de bien fermer la porte. Ce soir là, Robert quitte le domicile excédé, laissant sa femme se morfondre dans la culpabilité de décevoir son mari. Le repas de Nina se résumera finalement à un bol de céréales.

Elle a quinze ans.
Elle a dix-huit ans.
Elle a Vingt-deux ans.
Elle a Vingt-cinq ans.
Elle a Vingt-huit ans.