Combien d’années ça fait déjà ? Il a arrêté de compter. Lorsque son cœur s’est brisé, l’horloge du temps s’est stoppée. La vie de Marcus n’a plus aucun sens alors à quoi bon compter. Il n’a pas besoin d’un calendrier, de croix sur ce dernier pour sentir le poids de sa culpabilité. Ce matin, assis au pied de son lit, Marcus lève les yeux au ciel - enfin au plafond. Il regarde celui qui ne lui répond jamais et il prie, comme tous les matins. Les mains serrées et cette larme qui ne coule plus depuis trop d’années. Le gamin prie pour avoir l’opportunité de se racheter, revoir sa famille, sa vie, au moins une fois. Peut-être même dire pardon, on ne sait pas. C’est une routine que l’on pourrait croire vaine et surtout vide de sens. Beaucoup s’imaginent qu’à force de répéter un acte il en perd sa saveur. Comme ceux qui disent trop je t’aime et que l’on ne croit plus assez. Pourtant, il suffisait de jeter un simple coup d'œil à Marcus Sinclair pour comprendre que l’acte n’avait jamais perdu de sa valeur. C’était sans doute le contraire, celui qui voyait le temps défiler, sa peau se rider, son souffle s’atténuer mettait d’autant plus d’énergie dans ses prières. Le temps n’était pas infini, il n’avait qu’un laps de temps imparti pour retourner parmi les siens.
Parfois, il se surprenait à espérer même pour une seconde, un regard. Les croiser dans la rue et leur offrir un sourire qui voulait tout dire. Celui qui s’était évertué à pleurer tout ce qu’il voulait leur montrer, tout ce qu’il voulait s’excuser, avait revu ses attentes à la baisse. Aujourd’hui, il voulait voler un instant, rien qu’un instant. Parce qu’avec les années les visages se floutent, les voix se mélangent. Il veut entendre ses parents et les revoir. Il ne veut pas qu’ils s’effacent dans sa mémoire. Plus que tout, il veut retrouver sa fratrie, au moins leur dire merci. Mais rien de tout ça ne se produit, qu’importe la persistance de ses prières, c’est toujours le même calvaire. Chaque jour plus dur que le précédent. Il faut dire que comme à son habitude, Marcus faisait tout pour se compliquer la tâche. Celui qui enfilait son verre de vin avant même son petit déjeuner faisait en sorte de ne jamais se trouver sur le chemin de ceux qui l’avaient aimé. Des années à les éviter, leur éviter la honte, la punition de voir celui qui avait échoué. Comment peut-on prier encore et encore pour quelque chose qu’on refuse profondément de voir arriver ?
Le brun n’en avait pas la moindre idée, pas plus qu’il n’était capable de fonctionner différemment. Alors comme tous les matins, il était allé travailler. Comme tous les midis, il était rentré manger et comme tous les soirs, il était parti se promener. Un tour bien précis, pour venir en aide aux nécessiteux et vérifier les quartiers. Ce soir-là, Marcus s’attendait à tout sauf à revoir son frère. D’ailleurs, il avait cru à une hallucination au premier abord. Il virait fou, c’en était fini de lui, voilà ce qu’il s’était dit. Mais non, bien vivant, face à lui, il y avait « Gabriel. » comme il l’avait murmuré le souffle coupé. Son frère avait changé, il avait grandi, vieilli. Il était beau et encore plus impressionnant qu’il ne l’avait jamais été. Si l’aîné ne s’était pas empressé de lui parler, l’autre aurait filé dans un trou de souris pour l’éviter. Au lieu de ça, Gabriel revenait vers lui avec l’espoir inespéré. Une deuxième chance, une mission. Une mission compliquée et délicate. Et c’était lui qu’il avait contacté. Le cœur battant à nouveau, le cadet avait pris la mission tant à cœur qu’il en aurait presque oublié de prier. Presque. Les semaines qui suivirent la prise de contact avaient un goût très particulier. Un goût d’irréel. Peut-être était-il mort dans son sommeil et était simplement venue l’heure de son jugement. Le dernier.
Qu'importe, tant qu’il est avec eux. Alors durant de longues semaines, Marcus observait la famille Blackwell, notant leurs moindres faits et gestes, du plus insignifiant au plus grand des déplacements. Il rapportait tout à Gabriel, se droguant de chaque instant de contact avec son frère adoré. Les promesses murmuraient au creux de son oreille étaient tellement alléchantes qu’elles semblaient trop belles pour être vraies. Mais ça, Marcus n’en avait rien à cirer. Tout ce qui comptait c’était ce qu’il avait là, en l’instant présent. Buvant chaque instant avec encore plus de nécessité que ses verres journaliers, le brun avait rejoint son aîné à la tombée de la nuit dans un point de rendez-vous donné. Non loin de chez la cible, les deux Sinclair se trouvaient ensemble, comme si rien ne s’était jamais passé. Le brun ne peut s’empêcher de sourire alors qu’il voit l’autre arriver. C’était vrai, c’était en train d’arriver. Le sourire vissé sur les lèvres, il regarde son frère et lui accorde un signe de tête faussement indifférent en guise de bonjour tout en articulant. « Gabriel, je suis content que tu sois venu. » Parce qu’il n’y avait pas entièrement cru. « Je t’écoute. » Qu’il lui lance tout d’abord, les mains dans les poches de sa veste sombre alors qu’ils se mettent à marcher normalement sur le chemin de promenade précédemment repéré. Ils se fondent dans le paysage, ils ont l’air d’avoir exactement leur place, là, deux frères qui parlent à la fin de journée, se retrouvent et s’en vont sans doute manger un morceau au bistrot d’à côté. Aux yeux du monde, ils ne semblaient qu’être deux hommes heureux d’être ensemble, avec des instants de vie à partager. Aux yeux de Marcus, cette normalité était un putain de signe de son Dieu tant aimé. Particulièrement attentif à la voix de son frère, le plus jeune finit par poser ses yeux dans les siens et ajouter, presque honteusement. « T’es sûr que tu veux que je vienne avec toi ? Je comprendrais, tu sais… » et dans un murmure un peu caché, d’ajouter. « J’veux juste aider, je ferai tout c’que tu voudras tu sais… »
Tant que tu restes à mes côtés.
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Enoch Sinclair
- castafiore wannabe -
damné(e) le : o06/03/2020
hurlements : o2658
cartes : oava fürelise la plus belle // sign exordium // moodboard par l'angelot
Il ne le supportait plus, le regard perçant de l'aîné. Cette lèvre inférieure trop fine, légèrement trop pincée. Un trait en arrondi, chaque pointe orientée vers le bas, pour prouver son insatisfaction chronique. Des fois, les termes revenaient s'imposer au cadet. Des mots prononcés si longtemps auparavant qu'ils semblaient venir d'une toute autre vite. Ce tu ne seras jamais mon frère qu'il n'avait jamais ressenti aussi fort que maintenant, Gabriel. Ruth morte, les parents Sinclair portés disparus. Morts, probablement, depuis le temps que la grande masure familiale était quasiment vide. Uriel restée entre les vieux murs, le manifeste antique avant l'heure d'une tradition toute aussi ancestrale. Et, coincé entre les deux témoins d'une manière de faire infiniment pénible pour le Messager, comme une impression de ne plus réussir à respirer. Le joug Sinclair, qui n'avait jamais été un problème auparavant, ne cessait de se resserrer autour de sa gorge. Ange babilleur, Gabriel. Taquin. Il n'avait plus même la force de murmurer, à présent que Michael avait serré sa poigne autour de sa gorge.
Se désolidariser de la meute. Vouloir prouver sa place aux yeux de ceux qui réfutaient l'efficacité de sa méthode. Sir et Lady Sinclair disparus, et tout à prouver de nouveau. Michael et Uriel devenus ces nouveaux juges et bourreaux d'une vie toute entière à vouloir exister, qui lui refusaient ce droit élémentaire à présent. Sous prétexte de quoi ? D'un excès d'émotivité ? Ils étaient trois à avoir perdu les pièces maîtresses de leur univers. Ils étaient deux frères à avoir perdu leur tendre épouse. Il était tout seul à contre les autres. Un tout qui était devenu un rien en si peu de temps. Une simple rixe avait suffi pour s'improviser l'étincelle qui avait fait exploser ce qu'il restait de la meute Sinclair. Il avait claqué la porte, Gabriel. Ne savait même plus pourquoi ils s'étaient disputés, en franchissant le perron. Seule restait cette amertume criante, démesurée, qui lui dévorait la poitrine. Il leur prouverait qu'il était bien plus que tout ce qu'ils supposaient. Il leur prouverait à quel point il méritait sa place, tout aussi différent qu'il soit des deux autres. Il leur prouverait qu'il était au moins aussi Sinclair qu'eux, sinon plus.
L'amertume s'était transformée en poison, et le poison s'était infiltré dans ses veines, à mesure que le temps passait. Transformant le sang, irriguant le corps et le cerveau, noyant pensées et émotions. Une progression qui avait fini par napper de vieille blessures. Les raviva, plus violentes qu'elles ne l'étaient avant. Les yeux noirs, le sourire timide s'étaient imposés au cours d'une nuit peuplée de cauchemars. Son prénom qu'on ne prononçait plus depuis des années au sein du foyer. Banni au point de l'être dans les pensées par Sir Sinclair. Une impression le long du coeur, comme une éraflure le long de la peau. On s'attendrait à ce qu'elle passe, mais la cicatrice, elle, pouvait très bien rester pendant des décennies. L'avait fait, pour Enoch. L'arrangeait, à Enoch. Parce qu'il n'avait pas besoin de rester seul s'ils étaient à deux dans cette affaire. L'envie de prononcer de nouveau ce nom l'avait déjà traversé plusieurs fois, s'était écrasée contre ses dents, contre le regard impérieux de Michael. Mais maintenant qu'il oeuvrait seul, c'était lui qui imposait ses propres règles. Et si, pour cela, il lui fallait outrepasser la plus élémentaire des Sinclair, qu'il en soit ainsi.
Ils n'avaient pas été difficiles à retrouver, ces yeux noirs. Ce sourire timide, toujours aussi enfantin. Il avait suffi de frapper à quelques portes, d'user de son sourire auprès d'anciennes collègues de boulot. De jouer la carte de la souffrance, de la miséricorde, à présent que sa vie toute entière était partie en fumée. Veuf et orphelin, avec cette rage au ventre de renouer avec tout ce qui importait, dont ce frère adoptif devenu étranger. Bien sûr que les collègues avaient été compréhensives, bien sûr qu'elles avaient aidé Enoch, avec une histoire pareille. L'assistance sociale était un bocal bien pire que les renseignements généraux. Enoch était certain qu'il trouverait le nom du paria dans ses piles proverbiales de dossiers. Fut surpris de voir que non seulement le plus jeune était passé lui aussi de l'autre côté de la barrière sociale, mais avait également conservé le nom de cette famille qui l'avait renié. Et si la collègue, pendant quelques minutes, avait refusé de communiquer l'adresse du cadet pour des raisons de secret professionnel, elle n'avait finalement pas été difficile à convaincre. Un coup de son don, un autre de reins. Le post-it entre les doigts, Gabriel avait fini par appliquer les règles qu'il souhaitait si ardemment réprouver. S'était lové dans l'ombre du frère pendant une semaine, traquant chacun de ses pas comme s'il s'agissait d'une proie comme une autre. Méconnaissable, l'enfant devenu homme. Raphael devenu Marcus. Errant comme un spectre dans une existence devenue si morne. Il n'avait suffi que de la promesse de retrouver sa famille pour le ramener à la vie.
Sous condition. L'entreprise était périlleuse et les répercussions pouvaient s'avérer terrible pour les deux hommes, si jamais ils se trompaient. Gabriel était sûr de lui, en proposant ce qui devrait être son Magnum Opus. Une famille d'impie, toute entière, à observer avant d'agir. Raphael s'occuperait d'une partie du repérage, Gabriel à tout ce qui concernait les détails techniques. S'ils s'en sortaient, ils prouveraient tous les deux leur valeur à l'aîné. Réintègreraient leur place respective comme il se devait. C'était pour cette raison qu'ils avaient convenu de se rejoindre sur ce chemin privé, en ce début de soirée. Mains dans les poches de son manteau de laine noire et la pulpe caressant le couteau papillon au fond de sa poche, Gabriel hocha silencieusement la tête. Esquissa un sourire en réponse à celui, éternellement timide, de Raphael. Bien des choses avaient changé, entre eux. Mais ce sourire ni droit ni franc était toujours le même. Haussement d'épaules, l'évidence même. Juste parce qu'ils se souriaient ne signifiaient pas encore qu'ils se faisaient confiance. Qu'Enoch lui faisait confiance. Le temps en avait fait des étrangers, malgré leurs souvenirs communs. Un soupir.
-Je pense qu'il est temps que nous passions à l'attaque. Dans les jours prochains, idéalement. Qu'ont donné tes observations de ces derniers jours ?
Il aurait pu le lui dire, qu'il était content de le voir. Après tout, c'était bien ce qu'il avait fait miroiter à Raphael quand il l'avait abordé pour la première fois depuis toutes ces années. Il n'avait pas été difficile de le lui dire, qu'il était content de savoir qu'il était encore vivant. Peut-être que maintenant que les raisons étaient avérées et assumées, il n'avait plus besoin de le dire, Enoch. Ou peut-être qu'il avait peur que dire trop souvent ces mots qui importaient un peu trop risque de leur faire perdre en intensité. A distance respectable de son frère, mais assez près pour se faire entendre même en marmonnant, il ajouta rapidement :
-Penses-tu que l'on pourrait s'y mettre ce soir ou demain ? Je ne souhaite pas te presser, mais cela fait déjà longtemps que nous traquons leurs moindres faits et gestes.
L'impatience le long des jambes, Gabriel. Toujours le même défaut, depuis toujours aussi longtemps. Ils avaient beau être devenus des adultes, l'Archange se sentait toujours aussi enfant. Peut-être l'évocation de souvenirs plus ou moins glorieux en compagnie de Raphael faisait cela. Des souvenirs qu'il n'était pas certain de vouloir ressusciter à l'instar de son cadet. L'affect rendait faible. L'un des nombreux enseignements de Sir Sinclair, vissé juste en dessous des boucles brunes. Il s'arrêta et soupira, encore. Repoussa quelques graviers du bout de la chaussure, creusant une ligne dans leur uniformité. Il n'avait pas de doutes quant à leur entreprise. Mais il n'en était pas aussi sûr de son coéquipier. Plongea ses iris verts dans les yeux noirs de Raphael, jaugeant en silence le plus jeune avant une ultime interrogation.
-Es-tu sûr de toi, Raphael ? Ce n'est pas un jeu. Si nous attaquons ce soir ou demain, nous serons responsables de la mort d'au moins six créatures. J'ai besoin de pouvoir te faire confiance. Si tu crains ne pas en être capable, je me débrouillerai autrement.
Attaquer en solo était loin d'être envisagé. Mais il avait besoin d'entendre de la bouche-même du rejeté qu'il allait tout faire pour retrouver sa meute. Quitte à souiller des mains qu'il avait peut-être réussi à purifier, avec les années. Quelque part, Enoch enviait Marcus. N'avoir plus de Sinclair que le nom, et jouir d'une liberté presque totale. Mais cette dernière était terrifiante, tant elle était inconnue. Au moins aussi terrifiante que cette pulsion qu'il éprouvait de retrouver ce qu'ils avaient auparavant, Raphael et lui. Frères fidèles et loyaux, éléments complémentaires. Le déséquilibre était devenu si net, avec son bannissement. Net et insupportable.
But as sure as God made black and white, what's down in the dark will be brought to the light