running before time took our dreams away (pia)

Donne-moi ce flingue. Entre les détonations fantômes qui vibrent encore contre ses tympans, malgré la route qui se déroule dans leur dos, c'est tout ce qui lui reste coincé dans le crâne. Donne-moi ce flingue. Les bras croisés dans l'embrasure de la fenêtre, les mèches folles virevoltent et tracent des lignes noires, brisées, qui fragmentent les paysages insipides en pièces de puzzle mal assemblées. À ça que ça ressemble, dans l'anarchie de leur fuite qui avait si bien commencé. S'en veut pour l'insouciance, pour l'euphorie, pour les rires et les conneries, pour le vert des billets éparpillés. Dans son dos, Josef peste mentalement parce que bientôt, le réservoir sera vide. Et ils ont pas besoin de se le dire parce qu'ils s'entendent, malgré la radio qui grésille et crache du Bon Jovi dans l'habitacle. Ils ne veulent pas s'arrêter. Juste rouler. Rouler encore. Que Miami n'existe plus. Plus jamais. Pas après ça.

De la chance, il n'y en a pas trop, ici. Il n'y en a déjà pas eu pour sa mère, à vrai dire, qui s'use à servir des ivrognes pour espérer garder un toit au-dessus de la tête, entre autres choses. Alors, la chance, Maritza ne sait pas vraiment à quoi ça peut ressembler, comment être certaine de ne pas la louper quand elle se présentera, et parvenir à la saisir. Lentement, ça vire à l'obsession, terreur que de louper le coche, de finir comme sa mère. Elle pense d'abord que la chance ressemble à ce type qu'elle sait être son géniteur, pour l'avoir entendu dans la tête de sa mère, puis dans celle de l'homme en question. Pasquale n'a pourtant rien d'une bonne idée, mais Mari le suit, durant des années, à lui traîner dans les pattes dès qu'elle l'entend passer en sifflotant dans la rue. Jusqu'à rencontrer le clan. Taper dans l'oeil d'un de ces types qui donne des ordres à son père. Il n'en faut pas plus pour qu'elle se désintéresse de Pasquale, et commence à en ancrer d'autres dans sa ligne de mire. Et petit à petit, elle réalise que la chance n'a pas toujours l'air d'en être une, au premier abord, qu'elle peut être créée de toute pièce, avec un brin d'intelligence et une forte volonté.

Danse. Fais-leur oublier. Qu'ils n'aient d'yeux que pour toi. Pour le balancier de tes hanches. Hypnotise-les. Démerde-toi. Mets-y du tien. Et elle danse, Mari. Carré d'ivoire vissé sur le crâne, néon accrochant les clairs et obscurs façonnant sa silhouette. Brûlure des paumes vagabondes qu'elle ne percevra bientôt plus. Traînées de lave sur sa peau gelée, faudra pas plus de quelques semaines pour se déconnecter, oublier d'y échapper. Et danser, toujours danser. Et observer, et comprendre, essayer, du moins, et s'abreuver à même les marécages de leurs pensées. Faire le job, rentrer le soir chez sa mère, et entasser les billets dans la boîte métallique.
Le bruit de la mort, elle le connaît. L'a déjà entendu ci et là, au pied de sa fenêtre une fois, quand elle avait dix ans. Jamais d'aussi près, pourtant. Nouvel instrument qui accélère la musique. Percussion en détonations frappant une, deux, trois, quatre fois. Dans ses oreilles, ça siffle. Au fond des veines, ça pulse lentement, tranquillement, pas un battement qui déraille. Plus une main pour se lever, spectateurs en carcasses inertes qu'on commence déjà à déblayer. Pendant ce temps, Maritza continue de danser.

Leurs pensées, elle les donne. Parfois. Parfois pas. Les filait toujours au début, parce que ça payait bien. Rechigne de temps à autre, à feindre la migraine, ou l'absence de trouvaille intéressante. Son larbin est très fiable, c'est lui qui est paranoïaque. Jamais il ne se retournerait contre lui. Menteuse qui improvise ses propres règles, ses propres conditions. On m'a demandé de te vendre, tu payerais combien, pour que je me taise ? L'offre a intérêt à surpasser celle du boss, pour le risque qu'elle prend. Et l'type, à s'inventer loyal, à profiter de cette chance qu'elle lui offre de s'en sortir. Bientôt, y'a plus de place dans la boîte métallique, et elle commence à se dire qu'il faudra bientôt s'adapter, parce qu'elle n'a pas envie, pas du tout envie de s'arrêter.

Tout est toujours très clair. Mais cette fois, c'est confus. Sait pas si c'est depuis qu'on l'a prélevée, parce qu'il n'y avait pas de poche de c'groupe sanguin dans les stocks. Ou depuis que Josef a reçu une balle qui devait pas lui être destinée. Pas tout à fait. Aurait pas été là, l'acolyte qu'elle s'est attribué en se moquant bien qu'il en soit gré, si elle n'avait pas suggéré l'idée d'une collaboration au haut-gradé. Pas eu le choix, Josef. Ça l'enchante pas, et elle le sait. Après tout, elle l'a suffisamment entendu maugréer en silence pour avoir compris l'idée. D'ailleurs, il lui semble ne jamais avoir perçu autre chose que des pensées bougonnes sous ses sourcils froncés. Ça a le don de lui arracher l'ombre d'un sourire, en général, sauf quand elle sent qu'il s'engouffre dans sa caboche en retour. Partenaire de choix pour alimenter le marché des pensées, ce qui lui est arrivé la contrarie. Pas seulement parce qu'elle a la tête qui tourne en cheminant dans les couloirs, en se dirigeant instinctivement vers sa voix, sa voix silencieuse qui divague un peu à quelques pièces de là, qu'elle perçoit trop clairement dans son propre crâne. Il grogne pas, cette fois. C'est même plutôt calme, plutôt décousu. Plutôt pas vraiment lui. Comme ce corps qui repose sur ce canapé, qui ressemble à Josef mais n'bouge pas assez. Elle l'a jamais vu dormir, avant. En aurait pas eu l'occasion, certainement. C'est un peu étrange, un peu intime, à croire que ça la gêne plus que de s'immiscer sous les lignes contrariées de son front. Pourtant, comme chaque chose qui ne lui appartient guère, elle se l'approprie, Mari. Se penche et s'agenouille, pour avoir tout le loisir de contempler ses traits livides, les prémices d'une barbe naissante qu'elle ne lui connaît guère, à lever sa main et ne pas se retenir d'en apprécier les aspérités sous la pulpe de ses doigts. C'est confus. Confus. Et ça l'est encore durant toute cette heure qu'elle passe à le regarder osciller entre l'inconscience et la rêverie.

La vérité. La vérité est entre les mailles des songes de Josef et des siens, dans leur dialogues inaudibles, astucieuses arnaques tissées sans avoir à mouvoir les lippes. La vérité est dans le secret derrière leur aisance à ratisser les tables et aller de coup de vice en coup de poker. Dans ces poches et ce décolleté trop fournis qui ne semblent pourtant jamais assez pleins à leur goût, quand les butins se déversent en fin de soirée. La vérité est dans ces minutes qui suivent, plantés l'un à côté de l'autre, à contempler l'oseille et partager le tout, en se disant que demain soir, ils feront encore mieux. La vérité c'est que sans doute, Mari ne s'est pas désolidarisée du groupe, comme ça se laisse entendre en rumeurs. Parce qu'elle n'y a jamais appartenu. Derrière les sourires en coin et les battements de cils. Jamais. La vérité, la vraie de vraie, c'est que même une fois acculés, une fois passés à tabac, il n'y a que la voix de Josef dans sa tête qui lui donne l'impression qu'ouais, elle fait partie d'une équipe. Une putain de belle équipe. Et quand ça s'égosille à l'unisson, hurlements cognant contre leurs tignasses ensanglantées, se répandant dans les caboches de ceux qu'on a envoyé pour les calmer, elle est là, la vérité.
Oui, elle en a voulu plus, toujours plus.
Oui, elle a sûrement entraîné Josef là-dedans, au départ.
Oui, Josef les a trahis, aussi.
Oui, c'est avec un putain de sourire flanqué aux lippes qu'ils ont élancé la chevrolet volée sur l'asphalte, et qu'ils se sont tirés avec le fric.

Il y a eu une forme d'inconscience jusqu'alors jamais expérimentée. Des éclats de rire qui lui ont échappé, même, quand il est d'ordinaire complexe de lui arracher ne serait-ce qu'un sourire. Des villes qui ont défilé, peut-être pas suffisamment vite. Pas assez prudemment. Des identités à inventer, une histoire à dessiner, à ne plus s'y retrouver entre le début des pensées de l'autre, et la fin des siennes. Des précautions à prendre, une bague glissée à l'annulaire, des rôles répétés, des apparences façonnées. Et c'était drôle, au départ. Au point qu'elle en oublie sa rigueur. Pour se remémorer, un peu tard, que la chance, une fois l'attention relâchée, pouvait à nouveau s'envoler.

Petit à petit, ça faiblit. Les impacts de son coeur contre ses côtes, à chaque coup de feu partant dans les piaules adjacentes. Le souvenir des pas lourds traînant la distance, se rapprochant de leur chambre. Les hurlements alentours. La pénombre tout autour du motel, trop extérieur à la ville pour que quiconque n'intervienne. Depuis qu'ils sont arrivés à Exeter, quelques semaines plus tôt, l'horreur de cette nuit se lisse. La culpabilité traînée dans leur sillage, à filer comme les voleurs qu'ils étaient. Les images inscrites dans sa rétine parce qu'elle n'a pu s'empêcher de regarder les scènes apparaissant au gré des portes ouvertes à la volée, malgré la fuite imminente. Ce n'est plus le même poids terrible, une fois terrés dans les entrailles de cette ville dont ils ne connaissent rien. Mais elle n'oublie rien, Pia, et surtout pas l'envie, un jour ou l'autre, de mettre la main sur le flingue de Joe.

☆ aléatoire ☆ paupières peinturlurées, paillettes débordant du bord des cils, perruque néon vissée sur le crâne, certainement était-elle méconnaissable, la maritza de miami, la maritza-fantasme, la maritza dont on rêvait de cramponner les hanches lors de ces danses enjôleuses. aura fluorescente d'un personnage monté de toute pièce, allures abandonnées au seuil de la fuite, à se fondre dans la masse pour mieux disparaître. ☆ gnôle abhorrée, drogues esquivées, lippes hermétiques et narines tenues éloignées des comptoirs saupoudrés. a eu tout le loisir d'en contempler les dégâts pour craindre l'expérience et la rejeter en bloc. perte de contrôle effrayante, feint en revanche l'ivresse avec un talent certain, après des années à faire mine d'achever les verres offerts et de disperser ses moyens. ☆ a toujours été intriguée par les armes à feu. du revolver de pacotille déniché chez elle quand elle avait huit ans, pesant lourdement au bout de ses bras, à craindre en silence qu'un jour, sa mère ne finisse par le retourner contre sa propre caboche. à ceux manipulés d'un air ingénu dans les entrailles du casino, perchée sur les genoux des sous-fifres du boss, à s'enquérir entre deux sourires charmeurs de la manière dont ils pouvaient fonctionner. meurt désormais de mettre la main sur celui de joe, obsession dévorant ses nuits. ☆ oiseau de nuit, amatrice de longues marches sans destination sous les néons ou plus récemment, les crépitations faiblardes des réverbères. a toujours eu besoin de ces déambulations nocturnes, solitaires, pour mettre de l'ordre dans ses pensées.