“i'm not a hero. i don't do good, it's not in me.” & L'écume lui monterait presque aux lèvres, chien qui enrage, presse ses molaires pour fermer sa gueule, museler les saloperies qui lui viennent.
Il perd le fil. Tâche d'analyser le moment exact où il était censé se laisser
embabouiner. Peut-être bien que la môme est déjà parvenue à ses fins, en le contraignant à s'arrêter, accident manigancé dans un certain perfectionnisme, il doit bien l'avouer. Ambrose n'a pourtant rien de la fierté paternelle, de l'appréciation méritée, celle à laquelle elle devait s'attendre, sans doute.
Carabistouilles que de le croire capable d'une telle démonstration, mais après tout, elle ne le connaît pas.
Et il ne la connaît pas. Une évidence, quand tout semble l'opposer à l'univers de la gamine qu'il juge hâtivement de candide. La robe, peut-être. La cape. La ferme. En quelques minutes, il se fait déjà un avis très tranché sur elle. Se l'imagine consigner ses états d'âme, les ressasser, quand ceux-ci ne doivent sans doute pas être plus profonds qu'un
"Cher journal, un écureuil m’a demandé mon nom ce matin. J’ai dit que c’était joe. Ce mensonge me hantera à jamais."Peut-être qu'il aurait mieux valu faire demi-tour, emprunter une autre route, seul manière d'esquiver la rencontre sans y crever ses roues, y crever un peu tout court au passage.
Tant pis alors, s'il devait se mettre en retard, d'une manière ou d'une autre. De celle qui pourtant, laisserait le moins de séquelles.
Encore, et encore, ça résonne. Battements sourds coincés sous la trachée, de ceux qu'Ambrose n'a jamais été foutu de nommer. Le corps, quant à lui, a toujours été bien plus habile pour causer. Et la carrosserie se met à ployer, doucement mais sûrement, dans un crissement qui lacère les tympans, juste à côté de la tempe de la gamine. Seul suintement troublant leur silence, violence qui tâche de se mettre en sourdine.
Fichtre, c'est pas ce qu'il aurait aimé lui montrer, s'il avait été du genre à cogiter à son propos, s'faire le film de leur rencontre, éventuellement, en corriger les fausses notes avant même qu'elle n'ait pu les intercepter. Pas de ceux-là, né Malone avant d'être transformé Rivers, encore là que ses origines encrassées ressortent le plus, sous le joli portrait que ses parents adoptifs ont pu l'encourager à arborer. Le masque se fissure, au gré du venin qu'il dissémine, incapable de tolérer l'insolence de la gamine ou pire encore, ses silences.
Nonobstant ses yeux clairs qui le perforent, il ne lâche rien, Ambrose, quand ça gronde aussi fort dans son crâne, brûle si ardemment au fond de la pupille la plus vaillante. Celle qui voit trop bien, ne perd rien du désarroi qui gagne la presque inconnue qui se tient là, recroquevillée dans l'ombre qu'il pose sur elle. Pas foutu de lui laisser le moindre rayon de soleil. Il s'imagine sans peine le regard désapprobateur que pourrait poser sa mère adoptive sur lui, à le voir rester dans les parages de l'enfant mise de côté par ses soins si longtemps. Plus de deux décennies désormais que la Rivers a découvert ce dont ils n'ont parlé qu'une seule fois, un seul soir, avant que le sujet ne soit à jamais rayé du tableau. Il les revoit encore, ses yeux noirs écarquillés, sa main posée sur son diaphragme, puis sur son ventre, comme si l'aveu venait de lui couper le souffle, puis de lui coller une
flatulence. Comme si ce qu'il venait de leur lancer en pleine gueule durant le dîner n'étaient pas que des mots, mais le plat de résistance tout entier. Certainement qu'elle en a eu le souffle coupé, avant de se mettre à qualifier la demoiselle de probable
croque-lardon dont le sort serait rapidement réglé.
Shea. C'est la première fois, aujourd'hui, qu'Ambrose s'autorise à penser son nom volontairement, sans que celui-ci ne se promène de manière autonome dans son crâne, dans les instants de doute, ou avant de se coucher. Shea, elle s'appelait. Pas un an de plus, pas un an de moins. Dix-neuf piges tout juste, comme lui. Un peu plus de vingt ans, c'est l'âge que doit avoir la gosse. Il ne sait pas trop si elle fait plus, ou moins. S'il reconnaît certains de traits de Shea sur les siens. Il ne veut pas y penser, du tout, et son poing s'enfonce un peu plus encore dans la portière. Et puis, il entend presque sa soeur, toute la déception théâtralisée dont elle ferait preuve en étant le témoin de cette rencontre qu'elle a, secrètement, déjà imaginée, et posée sur papier.
Oh mon dieu, j’ai l’impression d’apprendre que ma chanson d’amour préférée parlait d’un sandwich. Il grogne un peu, Ambrose, pour lui-même, pour sa soeur, ses espoirs faussement entretenus à son sujet. Comme si elle pouvait encore, après plus de trente-sept ans à le côtoyer, douter de son incapacité à s'exprimer correctement, dans les moments aussi délicats que celui-là.
Brutalement, il recule. La main de la gosse claque sur son poignet, et au bout de ses doigts, merde, il jurerait que ça brûle. Il les contemple un instant, décèle la rougeur évidente, et le temps se suspend. Brutalement, l'alarme stridente de sa voiture éclate dans la rue déserte, et il n'a d'autre choix que d'arquer les sourcils, en reposant les yeux sur la gamine. Ce sont ses mots qui l'interpellent, ceux qu'il a sans doute cherché, mais dont il ne sait absolument pas quoi foutre à ce moment précis.
A trop pousser les gens, un jour ou l'autre, tu ne pourras pas assumer. Sa soeur, encore. Eh, il regrette presque qu'elle ne soit pas là, à ses côtés. Sans doute saurait-elle gérer. Mieux que lui, en tout cas, qui se contente de dévisager cette fille.
Sa fille. Il soupire. Lourdement. Toujours très audible dans son agacement, Rivers. Dans son inconfort, surtout. Elle ne s'arrête pas, et il ne sait pas quoi dire. Absolument pas quoi dire. Sûrement parce que c'est lui qui a fait quelque chose de mal, à l'époque, d'après sa propre mère, ce qu'il a payé d'un mariage arrangé, à ruminer son erreur pendant dix-sept longues années.
« Cesse de t'apitoyer. » Sa voix finit par claquer dans l'air alors qu'il se redresse. Y'a trop de paroles qu'il n'arrive pas à gérer, trop d'informations qui le dépassent, en réalité. Et il tourne, Ambrose, cesse même de la regarder, à passer ses mains derrière sa nuque, l'incliner en arrière, fixer le ciel à l'en transpercer. Peut-être n'a-t'il pas prié avec assez d'intensité. Peut-être est-elle enfin arrivée, sa punition, pour avoir dissimulé tant de vérités durant les confessions. Pas foutu de faire confiance au silence promis. De faire confiance tout court, de toute évidence.
« J'te connais pas. J't'ai jamais vue. Quel sentiment attendais-tu ? De l'amour ? De l'amour inné, tombé du ciel rien qu'à te voir, devant moi ? » Acide, et pourtant, il les aligne, les vérités, à contempler la grisaille, les nuages trop chargés.
« Monstre ? Si ta mère avait peur de toi à ce point-là, elle savait où m'trouver. Faut croire que c'était plus facile d'accepter l'argent sans broncher. » Acide, Ambrose. Parce qu'il se l'est dit, une fois ou deux, par ces nuits où s'allonger aux côtés d'Emily se mettait à le révulser, au nom de cette liberté arrachée pour avoir cru profiter de sa jeunesse, ces quelques soirs aux côtés de Shea. Si elle avait refusé, qu'auraient fait les Rivers ? Le scandale aurait existé, et après ? L'aurait-on contraint à se marier, malgré tout ? Égoïste, sans doute, que d'y penser sous cet angle, bien satisfait de ne pas avoir à s'encombrer d'une môme.
« C'est pour ça, tout ça ? » Un geste vague de la main, vers le chaos ambiant.
« Parce que tu te flagelles depuis l'enfance, à te demander ce que t'aurais fait de mal pour justifier mon absence ? » Y'a quelque chose qui résonne, sous les côtes, quand il s'avère incapable de la regarder, malgré le dédain certain qui ponctue ses mots. L'impression de se revoir, petit garçon, à songer à l'absence de sa mère, son départ sans au revoir, se demander si ce n'était qu'à cause de Bobby, ou si sa soeur et lui aussi l'avaient fait fuir. Le genre de plaie qui ne cicatrise pas, et il le sait. Pour ça, peut-être, qu'il finit par lâcher :
« C'que t'as fait de mal, c'est d'être née. » Et t'y peux rien. C'est de notre faute, à ta mère et moi. Là seulement, qu'il se retourne.
Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il est soufflé. Tant par la bourrasque brûlante qui lui fait fermer les yeux un instant et lever un bras pour se protéger, que par l'image qui se grave dans ses rétines éblouies. Un instant, il songe avoir rêvé. Môme extirpée de l'Enfer pour l'y traîner. Par vieux réflexe, Ambrose pourrait presque se mettre à prier de manière machinale.
« Qu'est-ce-que t'as fait ?! » Il s'écrie, Rivers, à s'imaginer un instant que la môme vient juste de foutre le feu à ses propres vêtements alors qu'il lui tournait le dos. Qu'elle n'est pas là pour lui pourrir la vie, mais pour mettre fin à la sienne. Mouvements adroits défont la veste, et il s'élance dans sa direction. Tout n'est qu'un amas mécanique parce qu'après tout, ce n'est pas la première fois qu'il agit de la sorte, alors qu'il l'enroule dans le tissu, s'y carbonise les phalanges au passage.
« Qu'est-ce-que t'as fait ?! » Il répète, à ôter son pull dans la foulée, marteler les flammes insolentes et les emprisonner, bras qui enlacent la carcasse pour y étouffer le feu, étrange étreinte sur le pavé.
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