like a memory from a dream (elijah)

La concentration focalisée sur les traits de plus en plus épais du crayon sur le papier, Barbie semble très peu présent dans le cercle professionnel. Il n'accorde aucune attention aux âmes errant entre les murs de cette boutique pourtant sous sa responsabilité. Mais il n'a que faire des vols, de ceux venus se servir dans quelques étalages, ou briser une vitrine pour le plaisir de la blague. Il en aurait fait autant, l'enfant, s'il n'avait pas eu besoin d'une couverture pour couvrir les plus sordides de ses crimes. Il était penché depuis des heures, sur un dessin qu'il ne terminerait certainement jamais. Le goût d'inachevé qui persiste sur chacune de ses créations. Parce qu'il ne veut pas lui donner de nom, ni l'exposer à l'évaluation de chacun. Son art resté toujours en suspens, à attendre qu'il ait le courage de le montrer au reste du monde ; autrement qu'en l'étalant sur les murs de la ville, de manière complètement anonyme. Une signature que seuls les plus observateurs auront pu identifier. Il n'y avait que les créations dédiées à son fiancé qu'il terminait, parce qu'il estimait que ce dernier méritait mieux que quelques croquis mal écorchés sur la surface abîmée d'un cahier à spirales.

Lorsqu'il relève la tête, quelques instants après s'être rendu compte que le monde avait commencé à affluer dans l'échoppe, une personne est déjà à sa caisse à attendre son encaissement. Barbie adresse un hochement de tête, brèves excuses pour avoir été aussi long à repérer sa présence. Mais ce n'est pas le client qui absorbe l'intégralité de son attention. Il le sert même d'une manière automatique, regardant du coin de l'oeil le numéro de la pompe à carburant qu'il a utilisé, afin de réclamer la somme correspondante. C'est une paire d'yeux au loin qu'il ne lâche que peu du regard. Un regard sans équivoque, qui lui donna envie de se terrer derrière son comptoir. Il regarde un instant derrière lui, cherchant ce qu'il pouvait bien regarder avec une telle intensité.
Le client parti, Barbie fronce les sourcils en se demandant ce qu'il lui valait une telle attention, mêlée d'angoisse. Il pousse son carnet sur le côté, et jette un oeil aux pistes à l'alignement des pompes, avant de reporter son attention sur lui, lâchant un bonjour automatique.

Il n'est pas à l'aise face à l'intensité de son regard. Des yeux d'une couleur rarement croisée auparavant, et qui semblaient pouvoir lire en chacun. Il se sentait profondément exposé, comme si l'individu avait le pouvoir de lire en lui comme dans un livre ouvert ; et ce qu'il pouvait y voir n'avait rien d'engageant, ni de sympathique. Il ne comprend pas cet air sur son visage, ni le mouvement de recul qu'il engage lors du contact de leurs regards. Lèvres pincées, et raclement de gorge, il puise une légère dose de courage pour demander directement les détails de sa réaction, lors de sa vue. - Il y a un problème ? Il ne le connaissait pas, et n'avait pas l'impression de l'avoir croisé auparavant, il se serait souvenu de ces azurs plantés au milieu du visage. - J'ai un truc coincé entre les dents ? Il a presque envie de s'énerver, à se sentir ainsi épié d'une manière qui ne lui plaît pas.

Il détestait qu'on le regarde avec insistance. Il avait souvent l'impression que c'était pour se moquer de lui, et avait une paranoïa incontrôlable à ce sujet. Toujours un problème avec son propre corps, et pas capable de passer outre le regard des autres. Alors il ne savait que penser de cet homme qui le regardait depuis trop longtemps déjà. Il aurait pu se cacher derrière l'humour, lancer un pardon, j'suis fiancé pour désamorcer la situation. Mais non, il se la joue plus surpris. Il s'attend à ce que la personne lui dise qu'ils se sont rencontrés avant, qu'il le connaissait de quelque part. La bibliothèque, un bar, ou n'importe quel endroit qu'il fréquentait depuis toujours.
Et l'inconnu en prend la route. D'un votre visage ne m'est pas inconnu qu'il attendait. Ce n'est pas ça qui le surprend, parce qu'il savait que c'était ainsi que la conversation dévierait. Ce qui le surprend, c'est ce qui arrive ensuite. Mais l'autre devait se tromper. Barbie se serait certainement souvenu de lui, surtout d'un regard pareil. Et il lui confirme, que ce n'est rien, qu'il fait erreur. Il ne lui en faut pas plus à Barbie pour accepter la méprise. Lui aussi, il lui arrivait de confondre certains visages, de ne pas avoir assez les yeux en face des trous pour reconnaître certaines personnes. Alors il l'encaisse, comme n'importe quel autre client.

L'autre a l'air agité, mais ce n'est pas à lui de s'en inquiéter. Il n'avait pas à se faire du souci pour chaque personne qui croisait sa route, et jouait déjà trop au bon samaritain. Il garde son sourire, prêt à lui dire au revoir, quand le mot de trop tombe. Infirmier. Il fronce les sourcils un instant, pas sûr d'avoir compris. Il avait peut-être mal entendu. Il ne pouvait pas réagir si vite, au cas où son esprit lui joue des tours. Pourtant, il ne prend pas le risque, et s'élance vers lui, par-dessus le comptoir, afin de lui attraper la manche. Il ne le lâche pas, le vêtement fermement dans son poing. - Attendez ... Il le relâche et fait le tour du comptoir afin de le rejoindre. Il n'est pas doué pour aborder les gens autrement qu'avec humour, et n'est pas le roi de la délicatesse. Pourtant, il reste calme, cherchant ses mots avec grand soin afin de ne pas trop le brusquer.

Il regarde autour d'eux, s'assure que personne ne puisse les entendre. Ils ne devaient pas savoir pour le gang, il ne devait pas griller sa couverture aussi bêtement. Alors il attend que personne ne tourne près d'eux, et se lance enfin, intrigué. - Comment savez-vous ? Qui êtes vous ? Il se demande s'il s'agit d'un ennemi du gang, ou d'une personne lui voulant du mal, mais comprend bien vite qu'il ne pouvait s'agir ni de l'un, ni de l'autre. Il n'aurait pas agit ainsi, et se serait contenté de l'abattre sans attendre. Alors il attend la réponse, désireux de comprendre qui était cet homme.