ménage situation 9

Les conflits de bar elle en avait vu plus d’un, d’autant plus qu’elle aimait flâner dans ces lieux de socialisation où les discussions allaient toujours bon train, les piliers du coin toujours prêts à s’accrocher avec la nouvelle venue pour lui débiter leurs éternels récits boiteux dont personne ne se préoccupait. Ce soir-là, Rachel en avait dégoté un beau spécimen. Elle le soupçonnait d’avoir monté son récit de fantôme de bout en bout tant celui-ci était coupé par les réflexions moroses de l’homme qui se plaignait de ses déboires personnels. Il n’était qu’une pauvre âme ébréchée recherchant une oreille compatissante. Rachel hochait lentement la tête, n’écoutant qu’à demi. Une part de son esprit cherchait le moyen de se débarrasser de son interlocuteur sans le froisser. Allez savoir comment il réagirait. Certains partaient au quart de tour, vexés, et pouvaient se montrer violent.  

La soudaine explosion de violence qui anima les lieux sonna tel un échappatoire, du moins de courte durée. Si la rixe éloigna l’homme de la Française (elle le vit promptement reculer vers la sortie) elle ne manqua pas de saisir Rachel, vague de corps entremêlés qu’elle évita adroitement en quelques pas nerveux. Les conflits de bar elle en avait plus d’un mais jamais aucun d’eux n’avait eu une telle intensité. C’était comme une boule de chair fiévreuse et rugissante.

Ce n’était plus humain. Cela suintait la bestialité, la sauvagerie primaire.

Rachel sentit son dos frôler des meubles renversés tandis qu’elle avançait en crabe, un oeil sur la masse des combattants pour éviter un coup qui lui serait destiné. Hors de question d’entrer dans la fosse. Elle tenait à la vie, malgré ses travaux l’amenant à côtoyer la mort, coude à coude.

Elle ne sut comment (probablement un miracle) elle atteignit le comptoir où résidait encore quelques clients. C’était à croire que le comptoir était devenu une île de quiétude (pour combien de temps ?) où s’étaient réfugiés des naufragés, loin des requins affamés.

Du bout des phalanges, Rachel tapota le bois ciré - le son produit sonnait presque ridicule au sein du capharnaüm. Sa voix héla le propriétaire des lieux.

— Vous ne faites rien pour les calmer ?

L’absence de réaction du gérant la laissait pantoise. Au vu de sa carrure il pouvait aisément saisir quelques-uns de ses clients et les envoyer se rafraîchir les idées sur le trottoir.

Spoiler: