Caleb & Connor | MUSIC SOUNDS BETTER WITH YOU

Quand il avait écrit en noir sur écran lumineux « je compterais les jours » à son ami de toujours, Caleb était loin de se douter qu’il serait si littéral. A tirer un trait toutes les vingt-quatre heures sur le mur de la prison qu’était son esprit ces dernières semaines, il n’arrivait pas à se retirer l’arrivée de Connor et d’Ethel de la tête. Si depuis son exil à Exeter, Londres lui manquait, c’était ces deux âmes en particulier qui avaient laissé un vide immense dans la sienne. Du plus loin que l’anglais puisse se souvenir, il y avait toujours eu les jumeaux Graham dans le tableau de son existence, comme si les dix années précédentes de sa vie n’existait pas, même si les raisons de cette omission n’étaient pas liées à leur absence. Et même si Raziel, Orphé, Silas et leur amour inestimable étaient venu étouffer, endormir ce vide, il n’avait jamais été vraiment totalement comblé. Comme un manque permanent au fond, bien enfoui derrière ses grands sourires, et surtout ignoré, rangé dans un coin jusqu’à ne plus y penser. Mais il était la, et c’était au plus bas du trou, dans le creux le plus profond de la vague qu’il était revenu. Et il n’aurait jamais penser que son vœux soit exaucé, que les jumeaux atterriraient un jour dans son propre enfer personnel et pourtant, dans quelques heures, ça serait bel et bien le cas. Et s’il n’était pas si heureux à cette réalité improbable, peut être que Caleb aurait trouvé la coïncidence étrange. Mais déjà en temps normal, le brun n’avait pas le nez très fin alors avec l’excitation et l’impatience qui montait en flèche depuis le message de Connor, c’était peine perdu pour qu’un soupçon ne s’éveille en lui.

Alors il avait prit le volant de sa voiture ce jour là, un profond sourire ancré sur ses joues qui n’avaient pas été rayonnantes de la sorte depuis des lustres, depuis ce soir là. La musique à fond, la joie dans le cœur et des souvenirs d’eux plein la tête, Caleb quittait Exeter pour Boston, le bonheur dans les yeux, Caleb allait chercher Connor et Ethel. Il avait bien hésité à vendre la mèche à Orphé, ça l’avait peiné aussi, de lui cacher cette nouvelle qui avait tant réchauffé l’âme du britannique. Mais il se devait de respecter la volonté de Connor de ne rien lui dire, et que même si Reid se plaisait à donner son avis sur « leur histoire », il n’avait aucun droit de décider à leur place, même si ce n’était pas l’envie qui lui manquait. Et même s’il aurait largement préféré faire le trajet avec O, peut être même tendre un piège aux deux grands cons qu’ils étaient, il était pourtant plus sage de ne rien faire du tout et d’attendre qu’ils aient retrouvé un petit peu de bon sens. Ça avait intérêt d’arriver vite, parce qu’il n’était pas certain d’être capable de se tenir à carreau bien longtemps et n’hésiterait pas à jouer les apprentis cupidons s’il le devait. Tout seul derrière son volant, il pouffa de rire à cette idée autant saugrenue qu’attirante. Et le reste de la route s’était fait dévorer par des milliers de questions sur ce que serait sa vie américaine avec les jumeaux dedans. Connor avait croisé Raziel à Londres, tout les deux bien beurrés, est-ce qu’ils s’entendraient sobres ? Est-ce qu’Ethel se mettrait en mode full protection de ce petit frère d’adoption face à ce grand blond un peu trop beau pour le brun accroché à son bras? Ils allaient travailler tout deux avec Silas, son frère aimerait-il le passé de Caleb qui venait se loger dans son présent et son futur ? Et que dirait Orphé quand il découvrira la vérité ? Quelle sera la réaction de Sett quand il apprendra qu’une partie de sa bande l’avait rejoint ? Et des questions auxquelles il n’avait aucune putain de réponse, il en avait de quoi en faire une collection. Dans un soupir, ses doigts virent monter le volume de son autoradio, tentant de s’assourdir à ses propres interrogations en menaçant d’implosion ses propres tympans.

Et c’était sur des paroles de chansons gueulées comme s’il était dans un concert, à se dandiner au rythme du beat comme si personne ne pouvait le voir dans les voitures d'à côté, il fini par arriver sur le parking de l’aéroport de Boston avec une bonne demi heure d'avance. Le sourire s’était un peu étiolé, mais la joie demeurait. Y’avait l’appréhension qui s’était accrochée à son estomac alors qu’il quitta sa voiture. Et si Ethel ne lui pardonnait jamais, déjà pour son premier départ et ensuite, pour le second ? Et Connor, avait-il vraiment accepté son retour dans sa vie aussi facilement? Fallait dire que Caleb avait cumulé les erreurs avec ceux qu’il considérait comme sa famille, alors s'il devait ramer pour se racheter, il le ferait jusqu'à en avoir des cloques. Les mains enfoncées dans les poches de son jean, il avait bien traversé la moitié du parking avant de balancer un «  oh… god damnit » en s’arrêtant aussi sec, tapant d’un pied contre le goudron et la plat de la main s’était écrasé sur son front. D’une démarche vive, il retourna à sa voiture, allant chercher dans le coffre ce qu’il avait préparé pour l’arrivée de ses amis et reparti au pas de course vers le terminal ou ils atterriraient très bientôt. Le vert avait cherché sur les écrans leur numéro de vol et la porte ou ils allaient sortir, tirant derrière eux leurs valises, leurs souvenirs et les espoirs d’une nouvelle vie à Exeter. Et au milieu de la foule qui attendait avec lui les passagers de l’avion en provenance de Londres, Caleb attendait le regard rivé vers les portes closes. La jambe secouée par l’attente et son cœur qui s'étouffait derrière ses cotes, il s’était paré de son meilleur sourire bordée de connerie et d’un fantastique panneau qu'il tenait au dessus de sa tête.

Le voyage avait été affreusement long. On n’avait pas idée de vivre si loin, d’ailleurs, pensait Connor après avoir épuisé un énième film sur l’écran de son siège. A côté de lui, Ethel dormait paisiblement. Il se demandait bien comment elle faisait pour pioncer aussi facilement sur un siège mais il l’enviait, c’était une certitude. Il n’aurait pas réussi à somnoler, même s’il l’avait voulu, trop excité, nerveux et impatient qu’il était à l’idée de cette nouvelle vie, à l’idée de retrouver Caleb et peut-être même Orphé, si seulement il voulait bien encore de lui. Le regard fixé à travers le hublot, le jeune Graham cherche des formes dans les nuages, à la recherche d’un heureux présage peut-être, une indication quelconque. Il n’avait jamais été réellement superstitieux mais, à vivre la tête toujours dans les nuages, on finit par les écouter. Un peu, du moins. S’il y avait vraiment cru, alors il ne serait sans doute pas monté dans l’avion, en premier lieu, parce que, à leur départ, le ciel était carrément noir, comme un avertissement divin. Il n’avait pas voulu en tenir compte. Rien ne pouvait leur arriver, là-bas, s’ils étaient entourés d’amis, pas vrai ? L’appareil avait fini par amorcer une lente descente, les gratte-ciels minuscules, vus d’en haut, avaient progressivement remplacé les cieux azuréens et chaque minute qui passait les rapprochait de leur future vie américaine.

Ethel s’était réveillée au moment où les roues avaient touché le tarmac, fraîche et reposée comme un chérubin joufflu. Il la maudit intérieurement ; lui, il devait avoir une tête de déterré et, d’ici quelques heures, le jet-lag le frapperait de plein fouet. C’est pourtant le sourire aux lèvres qu’il récupère leurs deux énormes valises, épargnant à sa jumelle la peine de porter la sienne, cherchant du regard, dans le hall d’arrivée, la bouille facilement reconnaissable de Caleb. Quand il l’aperçoit enfin, il ne peut retenir un pouffement de rire qui se transforme bientôt en éclat franc en voyant cette énorme pancarte qu’il brandit au-dessus de sa tête. Si Ethel esquisse un demi sourire, elle se rappelle bien vite qu’elle est censée être fâchée et elle reprend très vite ses airs de reine des glaces mais, dans ses prunelles, brille pourtant la même lueur d’amusement que dans celles de son frère. Connor la devance de quelques mètres malgré la charge qu’il tire derrière lui, lâchant quelques minutes les valises pour enlacer Caleb en une étreinte fraternelle mais puissante. Profitant que sa sœur soit à la traîne, il se penche à l’oreille de son cadet pour lui murmurer un « Menteur. Je sais que c’est moi ton préféré ! » Au fond, ça n’avait pas de réelle importance mais ça l’amusait de mettre ça sur le tapis. Ethel arrive d’ailleurs moins d’une minute plus tard, se fendant d’un sourire moqueur en avisant la pancarte puis Caleb. « Mais tu sais écrire, finalement ! Quelle surprise ! » Reproche à peine voilé de son deuxième départ trop précipité à son goût mais elle finit tout de même par s’adoucir pour lui claquer un baiser sur la joue. « Crétin. »

L’histoire semblant désormais enterrée et oubliée, Connor se détend complètement. Il savait Ethel féroce et rancunière, lorsqu’elle le voulait et bien qu’elle n’ait jamais su rester fâchée contre Caleb très longtemps, il avait bien cru qu’elle ne lui pardonnerait pas, cette fois. Lui refourguant une valise entre les mains, après tout il fallait bien qu’il participe à l’effort commun, il se sert de son bras libre pour enlacer ses épaules. « Tu m’as manqué, vieux ! Vraiment ! »

***

Une fois passés à l’appartement gracieusement prêté par Caleb pour y déposer leurs affaires, Connor avait émis le souhait de visiter la ville et de boire une bière. Ethel, elle, avait argué qu’elle préférait une douche et ils s’étaient promis de se retrouver tous ensemble, ce soir, pour aller manger un bout. Déambulant à pied dans les rues bruyantes, Connor passe son temps le nez en l’air, à observer les immenses buildings. « Oh ! J’aimerais escalader celui-là, Cal’ ! » Le Graham ressemblait à un gosse découvrant un nouveau monde et, au fond, c’était exactement ce qu’il était. Un sourire éclatant vissé aux lèvres, il avait même fini par sauter sur le dos de son meilleur ami pour s’accrocher à son cou. « Emmène-moi au meilleur bar de la ville, celui où tu squattes avec Or… » Il interrompt sa phrase en plein vol. Jusque-là il avait soigneusement évité le sujet « Orphé » parce qu’il ne savait pas bien s’il était vraiment prêt à en parler. Sans doute pas. Pour apprendre quoi, après tout ? Que le Sykes s’était trouvé un nouveau jouet avec qui passer ses nuits ? Mieux valait rester dans l’ignorance si tel était le cas… « …le meilleur bar de la ville, on a dit. Tu me dois une bière, ça t’apprendra à te barrer sans rien dire ! D’ailleurs, faudra que tu m’expliques un peu ce qu’il t’arrive, Cal’. Tu apparais, tu disparais, je ne comprends plus rien. » Il ébouriffe ses cheveux avec malice. « T’as de la chance que je t’aime, abruti ! Oh ! Et tu me montreras l’hôpital ? » Descendant de son dos en un bond élégant, il passe son bras sous le sien, prêt à conquérir le monde à ses côtés.