☾
Le visage du concierge est creusé par la fatigue. Sous le lampadaire, sa figure squelettique dessine une courbe inhabituelle, un corps trop long, trop fin, coiffé à son bout d’une banale casquette de baseball. Quand il aperçoit Holly, un grognement s’échappe de ses lèvres. Il crache sa cigarette et l’écrase du bout de sa chaussure : "
Jusqu’à la matinée, pas plus. Et j’ne veux pas que ça s’ébruite. C’est pas vrai ça, il manqu’rait plus qu’des...fantômes ou j’sais pas quoi." Tout en continuant à râler, le vieil homme fouille dans sa poche jusqu’à trouver un énorme trousseau de clefs. "
C’est celle-là", ajoute t-il en secouant un bout de métal blanc, minuscule amulette accrochée à un porte-clef licorne. Holly ne manque pas de sourire comme elle sourit toujours aux gens en colère : "
Reçu, chef, on se dit demain matin à huit heure ! "
Le long concierge s’efface. Le lampadaire aussi. Dans la brume, le lotissement ressemble à une machine complexe, réseau de fenêtres qui s’emboîtent et clignotent, simulation de paupières mécaniques. Entre chaque jardin, des tuyaux en cuivre et en plastique sonnent le glas comme des anges venus annoncer l’Apocalypse. Encore plus étrange, le bâtiment en question : une tour verticale, haute de trois étages, ridiculement étroite et peinte d’une couleur qui se rapproche du moutarde. La serrure est usée mais la clé, elle, est toute neuve.
En entrant, Holly esquisse une grimace.
Erk. Monstres grouillants, mandibules dégoulinantes et pattes qui cliquent contre le plancher, à déguster et dévorer le bois sur des kilomètres de bâtisses. Des insectes, une armée de petites bêtes qui s’agitent et décollent le crépis, grignotent le papier-peint, s’accaparent les restes d’une maison déjà morte. Elle attrape ses écouteurs pour couvrir le bruit et marche en pas de danse au milieu du couloir.
♫...this is the happy house...♫Au rez-de-chaussée, trois salles s’entassent les unes sur les autres : le hall d’entrée, tout en profondeur, sépare une salle à manger d’une minuscule cuisine où il serait bien impossible de tenir à plusieurs. Tout au bout, un escalier en bois invite à grimper à l’étage suivant. Il s’enfonce dans l’obscurité, lui aussi comprimé par les proportions étriquée du bâtiment. Holly choisit le salon et pose ses affaire sur la grande table qui n’a pas encore été dévorée par les termites. Sur un napperon brodé, elle remarque le portrait d’un couple aux visages évidemment trop longs. L’homme ressemblerait presque au concierge, un peu plus vivant, joufflu comme un bambin. Quelqu’un frappe à la porte.
♫….We're all quite sane-ane-ane oooh ....♫Elle enlève un écouteur et rebrousse chemin, déjà prête à répondre aux questions des promeneurs curieux. Il arrive parfois que ses « enquêtes » soient interrompues avant même qu’elles ne les commencent. Quand ce n’est pas les idiots de la maison d’en face, c’est la police ou des adolescents qui se pensent très malins. Quoiqu’il en soit, le concierge lui a donné l’autorisation de filmer! Et elle n’attend plus que son équipe.
La porte, elle aussi trop longue, s’ouvre sur une silhouette familière.
"
Je t’ai pris pour un voisin grincheux, Cole. T’es en retard."
☽