how long before I go insane ? (ruben)

Il ne savait pas comment il avait fait pour arriver aussi rapidement devant le domicile de son meilleur ami. Quelques vingtaines de minutes en arrière, il se trouvait au tribunal, à traiter d'affaires et d'autres entre avocats piteux et magistrats à vomir. Depuis quelques heures, le brouhaha d'un prétendu trépas saugrenu envahissait les couloirs. En arrivant jusqu'à lui, la nouvelle lui avait paru sans intérêt. S'il devait porter du crédit à tous les faits divers de la ville, sa mémoire serait saturée de paramètres inutiles. Il devait faire une sélection, et concernant cet homme qui avait trouvé la mort pour une idiotie qu'il n'avait écoutée que d'une oreille, la décision était évidente. Il n'avait pas compris en quoi l'épisode avait rapport à leurs affaires, mais l'intérêt publique devait entrer en jeu pour que l'histoire fasse écho entre les couloirs du tribunal.
La nouvelle passait de lèvres à oreilles, et se transmettait comme un virus parmi les plus curieux. Lorsqu'une mort rocambolesque bousculait les habitudes si strictes de ces soit-disant hommes droits, la propagation des détails n'était pas longue à opérer. Il y avait parfois des rires, moqueurs, qui ponctuaient le résumé -plus ou moins long- des évènements. Il y avait eu ce courageux, qui s'était aventuré trop près de la zone 51 et avait été arrêté. Andreas n'avait pas compris comment il s'était retrouvé sur une table d'autopsie après cela, mais les raisons avaient l'air aussi loufoques que son idée de percer à jour les mystères alliant organisations secrètes et extraterrestres.

Concernant les bribes de conversations de cette journée, il n'en savait que peu. Il ne s'était pas attardé sur les moyens mis en oeuvre pour se retrouver sous la coupe de la faucheuse, mais l'acte avait été exécuté avec une mauvaise stratégie, bien qu'élaboré avec une certaine logique, propre à certains. Il savait ce qu'il en était de ces personnes capables de grandes choses qu'il fallait parfois avoir à l'oeil afin qu'ils n'aillent pas trop loin. Il en savait quelque chose, ayant un de ceux-là pour meilleur ami. Il en aurait été capable. Il sourit d'ailleurs, presque avec tendresse, en y pensant, mais se fige tout à coup. Il en aurait été capable.
Il avait fini de plaider depuis quelques minutes, affaire entre les doigts à relire pour se préparer à un report. Il était prêt à aller jusqu'au bout, si la partie adverse demandait un délai, ou décidait de faire appel. Mais pour l'heure, il avait d'autres chats à fouetter. Il savait que son ami était adulte, et savait parfaitement s'occuper de lui ; mais il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour lui en permanence. Il pouvait s'agir des restes d'un épisode ancien dont il ne s'était pas remis, la peur de le perdre qui prenait le pas sur la raison. Son cerveau lui demandait de laisser l'homme vivre selon ses propres choix, et risquer sa vie selon ce que bon lui semblait, mais son coeur lui réclamait de faire attention à lui, et de toujours veiller à ce qu'il ne lui arrive rien. Il avait tant changé depuis l'incident, semblait si différent de ce qu'il avait été durant leur jeunesse. Il avait beau savoir que son meilleur ami n'était pas sous sa responsabilité, il avait parfois l'impression de lui être redevable à vie, et faisait de sa protection une priorité qui ne lui ressemblait pas. S'il mettait son nez dans les affaires de tous ses frères, il en était de même dans celles de son ami ; au cas où.

Il n'avait pas perdu une seule seconde, dossiers refermés et enfoncés dans son porte-documents. Il avait fait de grandes enjambées afin de ne pas se laisser rattraper par le temps, et s'était pointé devant la porte de son meilleur ami. Poing levé vers la porte, il avait porté deux coups bruyants, plutôt que les habituels toc toc. Il aurait pu l'appeler, demander s'il allait bien, mais il savait qu'il arrivait à Ruben de ne pas lui répondre ; et il ne voulait pas se faire des idées s'il venait à tomber sur sa messagerie.
Il failli ouvrir directement, mais s'était finalement arrêté afin de prévenir de sa venue. Et c'est un profond soupir qui lui échappe en découvrant le visage de son ami derrière la porte qui venait de s'ouvrir. Il était rassuré de le voir en un seul morceau, aurait presque été capable de le prendre dans ses bras, satisfait de le voir face à lui. - Tu es entier ... Il sourit, le porte-document toujours dans la main, alors que l'autre se pose contre l'encadrement de la porte, comme pour justifier qu'il reste planté sur le seuil au lieu d'entrer. Il finit pourtant par se remettre droit comme un i, en prenant sa suite dans la demeure. Il referme la porte derrière lui, sans se justifier concernant ce qu'il venait de lui dire.
Evidemment qu'il était entier, Andreas se faisait simplement du souci pour pas grand chose, lorsqu'il apprenait qu'une personne avait été assez loufoque pour se dresser face à ce que tous ceux de sa trempe redoutaient. C'était certainement ce qui faisait sa force -son charme, surtout-, à Ruben, cette faculté qu'il avait de ne pas penser comme le commun des mortels, d'avoir une vision bien à lui du monde dans lequel il évoluait. Et puis, comme pour justifier sa présence ici, ou pour s'assurer qu'il ne comptait rien faire de stupide, il demande enfin : - Tu vas bien ? Tu bosses sur quoi en ce moment ?