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 Tw // point of no return (nerill)

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@nero de funès / janvier 2021
Hold heart don't beat so loud. For me keep your calm as he walks out on you. No tears, don't you come out. If you blind me now, I am defeated. ( @emiliana torrini )

A mots couverts, Jill avait toujours pioché et usée de formulations alambiquées pour camoufler ses doutes. En opérant ainsi - avec Nero comme avec d’autres -, elle s’empêchait de crever l'abcès sur la manière dont elle l’avait destitué de son ouvrage de majordome. Prétendant ainsi être en accord avec ses choix et ses obligations. ; Couard et embusquée sous son art du paraître et son éloquence, elle ne trouva jamais la force nécessaire pour l'interroger sur son ressenti consécutif à son congédiement. Mais l’amorce qu’il lui avait faite dans l’habitacle de son véhicule quelques semaines plus tôt, nommant pour la première fois sa difficulté à tourner la page, lui donna en définitive le courage et l’assurance nécessaire pour confesser ses regrets.
Avant cette nuit, elle croyait - aveuglément - Nero chargé de ressentiment. Humble et bien trop intègre à sa posture de gentleman, elle s’était faite à l’idée qu’il dissimulait son amertume à son sujet. Sans jamais, ô grand jamais, se figurer un scénario différent - celui-là même qu’il avait pratiqué dans la forêt. Des propos invraisemblables, marqués d’une splendeur indéchiffrable. Des mots qui la téléscopèrent pendant des semaines dans des réflexions et des songes embrouillés. La noyant dans une confusion nébuleuse qui se cramponnèrent à ses nuits pénibles.
L’attitude de Nero après cette nuit-là ne lui facilitait pas la tâche. Ne l’aidait aucunement à concevoir des explications sous-jacentes derrière la joliesse des adjectifs avec lesquels il l’avait décrite. Brillante. Courageuse. Empathique. Généreuse. Loyale et… magnifique. Des jours. Des semaines régentées par une distance insondable. Les manœuvres d’évitement parfaitement identifiées. Le changement de trottoir avec la prétention lisible dans son regard qu’il ne l’avait pas vu s’approcher. L’impassibilité et l'austérité. Le mutisme fixe et perpétuel. Tout cela depuis leur excursion sous la luminescence du ciel nocturne. Une atmosphère insoutenable, entonnée pour la première fois sur cet échange singulier dans la forêt.

***
Perchée le long de sa bibliothèque personnelle, ses mains ôtèrent de l’étagère centrale le mythe de Tristan et Iseult. Livre sélectionné avec la finalité de rendre à César ce qui appartient à César, elle le ramena dans ses bras avant de diriger ses pas jusqu’à son secrétaire. Prostrée contre sa chaise Louis XV cannée, c’est une feuille de papier immaculée et un stylo à plume qu’elle récupéra dans un tiroir. Camouflée sous un châle, à peine sortie d’une nuit agitée, elle resta un instant immobile. Si Nero refusait de lui parler sans s’assortir d’un ton froid et distant, pouvait-elle au moins lui transmettre un message ? Tout était fruit à confusion depuis cette nuit-là. Des milliers de questions, percutées sans cesse dans ses encéphales, ne lui offrirent plus jamais le luxe de fermer l’oeil avec sérénité. Nero lui en voulait-il de quelque chose ? S’en voulait-il lui-même de lui avoir offert ces compliments ? Avait-il eu le malheur… de s’exprimer trop vite ? Sans être en accord parfait avec lui-même ? Déjà rudement perturbée depuis l’adolescence, confrontée à des sentiments à l’en faire imploser. A quelle point cette épreuve la transperçait désormais, à lui en faire un ulcère. La situation ne lui convenait pas. La torturait plus qu’aucune autre.
Le livre qu’elle avait ramené sur son secrétaire lui donnait un prétexte. Le prétexte de devoir lui rendre un prêt, effectué depuis longtemps par Nero. La plume pressée contre le papier blanc, elle n’avait aucune idée de la teneur ou de l’objet du message. Préféra pour une fois faire confiance à son instinct, écrire quelques mots sans vouloir  le froisser ni générer plus de distance. Quoi qu'au contraire... ne devait-elle pas bousculer un peu les choses ? Ne devait-elle pas agir, briser les tabous, mettre fin à son calvaire ? Peut-être Nero avait-il l'intention de ne plus jamais lui adrésser la parole avec sincérité. Auquel cas, elle pouvait prendre le risque... le risque de s'ouvrir un petit peu.

***

Plus tard dans la journée, à l’heure où elle le supposait présent dans son cabinet, elle se dressa devant la porte de son domicile. Dans ses bras, Tristan & Iseut. Enroulé dans une housse en tissu. Sa fragrance enveloppant le paquet perché sous son cou. Hésitante, éternellement troublée, elle se devait désormais d’aller jusqu’au bout de ses intentions. Déposa alors le livre devant sa porte. Fit volte-face pour retourner auprès du chauffeur qui lui ouvrait déjà la portière.

***

« Nero,

Vous n’avez jamais été pour moi un simple majordome.

Ne me fermez pas la porte, cette distance m'est insupportable.

Votre amie,

Jill. »



(c) mars.



Dernière édition par Jill Blackwell le Lun 22 Fév - 23:44, édité 1 fois
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Les mots et les images se bousculaient dans son esprit. Les jours s’égrenaient, les nuits s’écoulaient. Le temps défilait à vive allure, comme un train à vapeur qu’on ne peut freiner et qui fonce droit vers un mur. C’était ainsi que l’ancien majordome se représentait la situation actuelle, non, le calvaire actuel. Il se réveillait, s’habillait, partait au bureau pour plancher sur ses dossiers en cours ou encore au tribunal pour plaider la cause de clients sordides. Puis il revenait dans son appartement miteux et minuscule dans l’espoir de glaner quelques heures de sommeil bien méritées et pourtant si rares. Et le cirque recommençait le lendemain, le surlendemain et ainsi de suite. S’abrutir dans le travail, voilà la salvation ultime selon lui. Il préférait mille fois tenter d’oublier ses pensées lubriques et sulfureuses que de les confronter une bonne fois pour toutes. Il les avait évitées toute sa vie durant et ce n’était pas aujourd’hui qu’il s’y mettrait. Ainsi raisonnait-il depuis cette fameuse nuit de décembre où il était entré en collision avec Jill Blackwell, alors sous le joug d’un individu des plus abjects. Le reste de leur soirée, il préférait ne pas y songer.
Somme toute, il tentait de continuer sa vie d’être humain insignifiant parmi d’autres êtres humains insignifiants, avec plus ou moins de succès. Ses insomnies répétées l’emmenaient dans un tourbillon d’idées noires et obscènes tout à la fois et le mauvais vin faisait désormais partie de son rituel du soir. La consommation d’une bouteille contre quelques heures de bonheur factice. Il mangeait très peu et ses voisins de pallier, les grands-parents de Leo, commençaient à s’inquiéter pour lui, comme en témoignaient les petits plats qu’ils avaient pris l’habitude de lui préparer. Il aurait peut-être dû s’insurger d’être infantilisé de la sorte, mais à vrai dire, ça lui était complètement égal. Il avait cessé de se raser et sa barbe, jusque-là bien docile et bien coupée, qui maintenant poussait selon son bon vouloir. Nero de Funès se laissait glisser sur une pente abrupte de laquelle personne ne revenait, du moins pas en un seul morceau. Et il le savait. Et il s’en fichait.
Et puis un jour, il reçut un paquet des plus inusités, lui qui ne commandait rien en ligne (n’était pas certain de savoir comment) (s’en fichait bien aussi). Pas de nom, pas d’adresse. Rien qu’une enveloppe douce au toucher, déposée devant sa porte, aux effluves familiers et capiteux. Quelque peu étourdi, il prit place sur son canapé, le cadeau sur les genoux, avant de le dénuder de ses mains tremblantes et de découvrir sous sa parure un vieil exemplaire de Tristan et Iseut. Mieux encore, son exemplaire. Il reconnaissait la tache de café sur la quatrième de couverture et les pages cornées ici et là. Il se demandait justement où il avait bien pu le ranger; en effet, il y avait quelques années, il avait eu envie de le relire, mais faute de le dénicher chez lui, il avait dû se contenter de l’exemplaire bon marché de la bibliothèque locale. Voilà le mystère enfin résolu. Il supposait l’avoir prêté à un ami, lequel l’avait retrouvé dans ses affaires des années plus tard et… avait décidé de le déposer à l’adresse de Nero? Sans oser frapper à sa porte? À moins que cette mystérieuse personne se soit présentée chez lui alors qu’il travaillait? C’était la seule explication plausible qui lui vint à esprit.
Il haussa les épaules et tourna les pages familières avec une pointe de nostalgie jusqu’à ce qu’un petit bout de papier ne s’en libère, tournoie dans les airs et tombe sur le plancher. Nero le ramassa, fronça les sourcils. Un marque-page? Non. Un mot. Quelques lignes à peine, rédigées de la main de… « Nom de Dieu. » Le vieux juron s’échappa de sa bouche dans un murmure presque indistinct malgré le silence de l’appartement. Il demeura immobile pendant plusieurs secondes, le papier entre ses doigts tremblants. Il relut le message, juste pour s’assurer de sa teneur, s’assurer qu’il ne rêvait pas. Il aurait reconnu cette calligraphie n’importe où pour l’avoir enseignée à quatre enfants alors sous sa tutelle. « Jill, que faites-vous? Que me faites-vous? » L’homme plongea sa tête entre ses mains, les coudes posés contre ses genoux. Il demeura ainsi un moment, tiraillé entre son désir de répondre à la missive et son orgueil de l’ignorer. Finalement, il écouta le premier et administra un coup de pied au second. Il bondit vers son bureau et griffonna un mot à son tour, avant de l’envoyer dans la corbeille et d’en rédiger un nouveau, en s’appliquant sur son tracé et en changeant certaines tournures de phrases. Il tint ensuite Tristan et Iseut contre son cœur et décida de le conserver, ne serait-ce que pour tenir le même objet qu’elle — comme un gamin de douze ans découvrant ses premiers émois sentimentaux. Après mûre réflexion, il attrapa Orgueil et Préjugés et inséra sa réponse entre ses pages jaunies.
Une heure plus tard, il se stationna devant le manoir Blackwell, priant tous les dieux de l’univers que personne ne l’aperçoive. Et si Soledad ou Dante tombait sur le livre? Pire encore, et si c’était Asta? Le jeune homme lui témoignait un certain respect, mais le charriait volontiers, comme si l’ancien domestique souhaitait jouer le rôle du père défunt. Que de fadaises. Il soupira avant de déposer le précieux bouquin devant la porte principale du manoir et de s’enfuir comme si le diable lui-même était à ses trousses, Jane Austen comme unique témoin de sa tendresse.

***

« Chère Jill,

Je serais heureux de partager avec vous les autres souvenirs que je conserve de vos parents, si cela peut répandre un baume sur vos blessures.

Je tâcherai à l’avenir d’être pour vous un véritable ami.

P-S : Je vous ai aperçue entrant dans une librairie il y a deux jours, j'espère que vous y avez trouvé votre bonheur. Dans le cas contraire, puis-je vous conseiller la (re)lecture de l'ouvrage que vous tenez entre les mains? Dans l'espoir qu'il vous apporte un peu de réconfort en ces jours froids de janvier, comme Tristan et Iseut m'en procureront ce soir, quand je me replongerai dans leurs aventures.

Votre dévoué,
Nero »


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@nero de funès / janvier 2021
Hold heart don't beat so loud. For me keep your calm as he walks out on you. No tears, don't you come out. If you blind me now, I am defeated. ( @emiliana torrini )

Rarement la première arrivée à la grande porte du manoir après huit heures du soir. Et peu fréquemment la dernière à rentrer. Sur le parvis - qu’elle crevait d’impatience de rejoindre depuis son passage au domicile de Nero - elle ne trouva aucun paquet, aucune lettre, aucun message qu’il aurait fait parvenir en réponse à son billet. Aucun pigeon dressé transporté jusqu'à la demeure des Blackwell. Aucun appel manqué, aucun sms. Pas même un mot dans la boîte aux lettres. De quoi la laisser béante quelques minutes sur les marches du hall d’entrée. Ainsi, alors, il avait choisi de la confronter à son silence par son absence de retour. Un manque de considération bien éloigné de ses dispositions habituelles. De quoi mettre la puce à l’oreille sur ses intentions : Nero lui fermait sa porte à double tour. Imposait la distance. Réduisait ses chances de pouvoir lui parler.
Poussant la porte du manoir avec agacement - sans contrôle sur ses émotions (les nuits trop courtes altérant ses humeurs) - elle se dirigea d’un pas rapide dans la cuisine. Furieuse et confuse, elle évita toute conversation et toute politesse avec Dante qu’elle croisait dans le corridor. Le sac extirpé de son bras déposé sans délicatesse (aucune) au hasard sur l’un des plans de travail, sa main récupéra une bouteille de vin blanc à peine entamée dans la porte du frigidaire. Trouvant dans l’étagère un verre à ballon, elle en baigna le fond d’un trop plein d’envie de s’enivrer pour se désénerver. Avalant le millésime sans s’en délecter, elle retourna chercher sa sacoche dans laquelle elle extirpa son ordinateur portable. Prostrée contre une chaise haute de la cuisine, elle décida de s’adonner de manière tout à fait aléatoire à la suppression de fichiers superflus et obsolètes.
Pleine d’animosité, la confusion dans laquelle elle se trouvait depuis ces dernières semaines semblait avoir atteint son paroxysme. Le silence était la pire confrontation qu’il pouvait lui faire. Lui donnant la sensation de pouvoir répondre à toutes ses interrogations : il lui en voulait certainement pour une raison inexplicable ; s’était exprimé certainement sans réfléchir en l'accablant de ces merveilleux compliments. Aucun sens, aucune logique à tout cela. Au point où elle en venait désormais à regretter son silence d’autrefois. Quand elle évitait délibérément de remémorer son congédiement. Par crainte viscérale qu’il exprime sa rancoeur et qu’il s’éloigne. Puis qu’il se libère définitivement de cette famille maudite. Chose faite, ne venait-elle pas de tout perdre ? Au point qu’il l’évite en plein jour ? Ses prédictions surfaites : avérées, tangibles.
Jamais Jill Blackwell ne perdait pied. Jamais Jill Blackwell ne s’engageait à ce point sur un chemin tortueux avec un homme. Mais Nero De Funès n’est pas simple homme dans son cosme ; n’est plus le majordome attitré des Blackwell qu’il était.
Et Jill, elle,  n’est plus l’adolescente qui s’était dressée sur ses pieds pour l’étreindre d’un baiser volé.

Trente minutes passées à remplir son verre sans en sentir les effets pervers. A s’opposer aux rugissements internes. Puis Dante apparaît dans l’encadrement de la cuisine, un paquet qu’il dépose sur le plan de travail. Un truc pour toi. Je l’ai pas ouvert. J’ai oublié de te le donner qu’il prononce sans qu’elle ne daigne réellement relever la tête.
Quand il quitte la cuisine, Jill sent l’étreinte sur son coeur se resserrer avec lourdeur. Se dirige triplement confuse et embarrassée jusqu’au paquet. Ses mains devenues moites récupèrent un exemplaire du livre Orgueil & Préjugés dont elle reconnaît les rainures et les pages jaunies. Était-elle à ce point égarée et aliénée au point de ne pas avoir songé que quelqu’un dans cette demeure soit tombé sur le paquet avant elle ? Au point de ne pas avoir songé, non plus, que Nero ne soit pas encore rentré chez lui. Ou que le paquet n’ait jamais trouvé son propriétaire ? Envahie par ses émotions, elle hésita grandement à ouvrir le livre. La crainte que la réponse à l’intérieure ne signe la fin de tout. De leur relation étrange. De sa présence, bien que irrégulière dans sa vie, ne se termine sur quelques échanges de calligraphie.
Le papier récupéré entre les pages, elle retourna s’installer tremblante sur le tabouret. Prenant une grande inspiration, elle en effectua la lecture à plusieurs reprises. Comprimée par des sentiments contradictoires, elle ne trouva aucun refuge dans ce qu’il exprimait. Semblant répondre avec la même éloquence et la même contenance que d’habitude. Laissant paraître une certaine affectivité. Il s’exprimait en véritable ami. Pourtant, cet instant passé dans la forêt et cette manière qu’il avait eu à son égard de la complimenter lui semblait disparate avec son comportement. Un ami ne se serait pas montré si distant. Ne l’aurait pas si injustement laissé dans l'oubli.
Incapable de laisser cette situation en l’état plus longtemps et définitivement épuisée par ces éternels tourments, Jill décida d’écouter pour la première fois l’appel de son coeur. Rien ne suffisait plus à l’apaiser. Le confronter. Se confronter à lui semblait être le dernier espoir pour le déchiffrer.
Alors, abandonnant la cuisine et récupérant les clés d’une voiture prise au hasard parmi les quelques-unes préférées de son père, Jill Blackwell décida de prendre les choses en main.

***

Ce moment précis lui évoquait une sorte de déjà-vu. ** Dans l’obscurité, dans la fraîcheur persistante d’un manoir chargé d'énigmes, Jill se laisse guider jusqu’aux portes de sa cambuse en chemise de nuit. Son allure fantomatique, livide, possédée, s’abandonne aux lippes ourlées d’une figure hyperborée. Nero. Dont les lèvres sont effleurées, repousse l’adolescente juvénile. ** Son repaire placé à sa portée, jamais elle n’avait osé pénétrer dans son environnement, dans son élément. Cette porte, elle s’y confrontait pour la deuxième fois dans la même journée. Et pour la première fois, c’est à l’intérieur de son espace (sa vie privée) qu’elle désirait s’introduire. Dépasser la porte. Se dépasser elle-même.

Pas nécessairement sûre d’elle. Pas plus forte. Pas moins confuse. Pas sans se soucier qu’il n’ouvre pas en la voyant dans le judas optique. Pas sans se rendre compte de son manquement aux convenances et aux bonnes manières. Elle était là. Debout, le doigt appuyé sur la sonnette. Attendant son heure. Attendant de le voir apparaître dans l’encadrement de la porte. Sans préparation. Aucune. Sans aucune idée de ce qu’elle serait prête (ou pas) à dire. Tremblante, agitée par ces longues nuits sans sommeil. Par ces jours sombres. Cette mélancolie. L’épreuve semblait étrangement moins insurmontable que ces derniers jours. Car elle était là, prête à le confronter à elle. A ne laisser aucune échappatoire. Alors… quand la porte fit enfin apparaître Nero, elle se laissa envahir, submerger par toutes ces choses à lui dire. Au point de ne plus savoir quoi dire. Au point de manquer d’air. Au point de se raidir. « Pardonnez mon intrusion si tardive… ”
La brume quelque peu invasive sur ses iris. Le calme en inadéquation avec ses tumultes intérieurs.
Et puis, la perte de contrôle avant même qu’il ne puisse prononcer un mot.
«  Pourquoi Nero… pourquoi m’avez vous ignoré ces dernières semaines ? J’ai… J’ai besoin de comprendre. Cette distance, je ne l’ai pas comprise. Je ne la comprends pas. Je ne la supporte pas. Est-ce quelque chose… vous ai-je blessé ? Vous dites vouloir à l’avenir agir en véritable ami… mais votre amitié m'est de plus en plus insondable...  » Implorante et presque pitoyable, de ses iris, s’élevèrent quelques larmes. Perles qu’elle fit aussitôt disparaître d’un simple revers de manche.  « Vous êtes toujours si complaisant, si merveilleusement éloquent et si chevaleresque avec moi. Et pourtant depuis l’autre nuit… je... j'ai la sensation de vous forcer, malgré-moi, à agir en bienfaiteur à mon égard. Vous forcez-vous à être si protecteur avec moi Nero ? » Ne serait-ce pas évident ? Ses manières ? Son attitude ? « Je réalise seulement maintenant la pitié que vous devez ressentir pour moi. Depuis la mort effroyable de mes parents, m’abordez-vous de cette manière par compassion ? Pour honorer leur mémoire ? Pour m’aider ? Me protéger ? Comme par… obligation ? » Langue déliée sans pour autant déclarer les bonnes choses à dire. Sans pour autant décrire les sentiments qui pèsent depuis trop longtemps sur elle. Mots disent n’importe quoi, se perdent dans un non sens et dans les doutes tangibles. « Si je peux vous libérer du fardeau que je vous impose, sachez que je refuse que vous vous efforciez à agir pour moi comme un ami.  Il n’y a rien de plus que je souhaite que votre honnêteté... il n'y a rien de plus que je ne désire que votre sincérité et votre franchise. Alors si je vous étouffe, dites le moi. Si cette distance doit être définitive... je dois cependant savoir pourquoi, je vous en supplie. »

(c) mars.

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Nero claqua la porte de son appartement avant de s’y adosser, les yeux clos, un long soupir s’échappant de ses lèvres entrouvertes. Son cœur cognait encore dans sa cage thoracique, comme s’il venait de courir un marathon. Il rouvrit les yeux; son appartement n’avait pas changé pendant son absence. Les mêmes bouquins sur la table basse du salon, à côté du même puzzle de chatons encore inachevé. Le même tas de vêtements sales dans l’embrasure de la salle de bains, qu’il avait par pure flemme négligé de s’occuper dernièrement. Le même silence dans chaque pièce, un silence presque dérangeant, inquiétant. Même le vieux couple de l’autre côté du couloir semblait s’être tu. À croire que Nero vivait sur une île déserte, privée de toute compagnie. Lentement, comme à contrecœur, il se dirigea vers sa minuscule cuisine, puis se mit à se préparer une tasse de thé, une habitude qui datait de l’époque où il travaillait pour les Blackwell. Un thé juste avant d’aller au lit, un chapitre pour s’occuper l’esprit avant de se blottir dans les bras de Morphée. Une façon pour lui de se vider la tête. D’essayer, à tout le moins.
Pendant que l’eau bouillait, il se félicita d’avoir fait la vaisselle ce midi. Il n’aurait pas toléré la vue d’une montagne d’assiettes et d’ustensiles dans l’évier, non, pas ce soir. De toute façon, il n’aurait pas eu l’envie ou même l’énergie de s’en occuper. Il n’avait plus l’énergie d’accomplir la moindre tâche, ces temps-ci. Il ressemblait à un gamin en proie à ses premiers émois adolescents, c’en était ridicule. Et absurde. Surtout à son âge. Mais c’était plus fort que lui. En s’efforçant de la tenir loin de lui, il avait l’impression de s’arracher le cœur à mains nues, de l’avoir retrouvée lors de ce fameux soir où ils marchaient côte à côte parmi les bourrasques de vent glacées pour mieux la reperdre en s’éloignant du manoir plutôt que d’y passer la nuit, comme elle l’avait invitée à le faire. La retrouver pour mieux la reperdre, le tout en une seule soirée. Oh, c’était cruel. Ironiquement cruel. Mais il s’efforçait de se convaincre que c’était pour le mieux, qu’il ne pourrait de toute façon qu’y avoir que de l’amitié entre eux. Rien de plus. Jamais rien de plus.
Il fallait qu’il cesse de penser à elle, de s’imaginer que le vieil abruti qu’il était avait l’ombre d’une chance de lui plaire. Il devait tourner la page, profiter des quelques années qui lui restaient à vivre ici-bas. L’ignorer lorsqu’il l’apercevait au supermarché ou de l’autre côté de la rue, oui, cela lui faisait mal, certes. Mais pas autant, jamais autant que d’ignorer les sentiments qu’il éprouvait à son égard, ou pire encore de les nier, surtout s’ils devaient poursuivre cette amitié qu’il lui avait proposée dans sa missive. Missive qu’il avait déposée à sa porte quelques heures plus tôt. Il songea aux mots qu’il avait employés. Tâcher à l’avenir d’être un véritable ami pour elle. Bien sûr. C’était tout ce qu’il pouvait espérer de sa part, après tout. De l’amitié. Un sentiment noble, parfois même aussi fort que de l’amour. Mais il ne pouvait s’empêcher de désirer plus, toujours plus, comme un monstre avide et égoïste. Et voilà pourquoi il tenait à prendre ses distances d’elle. Pour son bien. Elle ne s’offrirait à lui que dans ses fantasmes les plus fous, là et seulement là. S’entêter à espérer le contraire relevait du masochisme. Il devait la laisser vivre sa vie, elle méritait mieux que lui, de toute façon.
Accoudé au plan de travail, il grimaça, parcouru d’une vague de dégoût envers lui-même. La bouilloire siffla soudain, le réveillant de sa torpeur. Sans se presser, il sortit une tasse des armoires, puis un sachet de thé noir. Quelques secondes plus tard, une odeur amère mais familière s’éleva dans la cuisine. Ce fut alors que la sonnette retentit dans l’appartement silencieux. Nero fronça les sourcils. De la visite, à cette heure? Il n’attendait personne et ne donnait jamais son adresse personnelle à ses clients, alors qui cela pouvait-il bien être? Il n’y avait pas trente-six façons de le savoir. Le pas vif, il se dirigea vers la porte d’entrée, qu’il fit tourner sur ses gonds. Il ne s’attendait toutefois pas à découvrir Jill Blackwelll, les yeux cernés et la lippe tremblante. Elle tenait Orgueil et Préjugés dans ses mains, le même exemplaire qu’il avait déposé au manoir tout à l’heure. « Jill, qu’avez-vous? Que s’est-il passé? Soledad qui a encore fait des siennes, peut-être? » hasarda-t-il, inquiet de la voir dans cet état.
Mais il faisait fausse route. Il n’était pas question de Soledad ou des jumeaux, mais de Jill elle-même. Elle ne comprenait pas. Ni la distance qu’il avait imposée entre eux, ni les excès de politesse à son encontre. Malgré toute son intelligence, elle n’arrivait pas à déchiffrer cette énigme qui se présentait à elle et qui, à en juger par son visage tiraillé par la fatigue, la tenait éveillée tard la nuit, peut-être au point où elle n’en dormait pas. De sa main, elle essuya les larmes qui perlaient à ses yeux, continua son interrogatoire, la policière prête à tout pour faire cracher le morceau au criminel qu’elle venait d’appréhender. Nero de Funès, reconnu coupable de la (soi-disant) indifférence envers elle. Il l’écouta sans l’interrompre, le visage impassible malgré le tourbillon d’émotions qui grondaient dans sa poitrine. Il voulait s’écrier que non, bien sûr que non, c’était tout le contraire, qu’il déplacerait des montagnes et soulèverait des océans si elle le lui demandait, qu’elle était la première personne à laquelle il pensait le matin en se réveillant et la dernière à laquelle il pensait le soir en se couchant, que ce qu’il ressentait pour elle, il ne le ressentait pour personne d’autre, que ça ne changerait sûrement jamais, qu’il rendrait son dernier souffle en pensant à elle, très certainement, que son bonheur à elle était cent fois, mille fois, un million, un milliard de fois plus important que le sien, et de loin, qu’elle pouvait faire de lui tout ce qu’elle voulait, qu’il s’y plierait volontiers et sans rechigner, qu’il se détestait de la faire pleurer, qu’il ne valait pas la peine qu’on pleure pour lui, qu’il l’aimait comme personne ne l’aimerait, qu’il l’aimait, qu’il l’aimait, qu’il l’aimait, qu’il l’aimait…
« Euh, j’ai… J’ai préparé du thé. Si vous en voulez… » balbutia-t-il finalement pour seule réponse. « Dans la cuisine. Hum. Installez-vous au salon, je vous apporte une tasse. » Sitôt l’invitation proposée, il s’éclipsa dans la cuisine sans se retourner. C’était peut-être absurde, mais il avait besoin de se préparer mentalement à la conversation qui allait se dérouler dans quelques minutes et le thé était un excellent prétexte pour le faire. La vérité, c’était qu’il ignorait par quoi commencer. Les mains moites, il versa l’eau bouillante dans une nouvelle tasse, dans laquelle il infusa un sachet. Il pouvait entendre de la cuisine la jeune femme s’avancer dans son modeste salon, qui n’avait rien d’ailleurs à voir avec celui du manoir. Oh, il ne vivait pas dans la pauvreté, ses revenus en tant qu’avocat lui assuraient des conditions de vie bien supérieures à celles de l’Américain lambda, mais la totalité de ses biens terrestres faisaient pâle figure comparés aux richesses des Blackwell. Il savait que se comparer à autrui n’accomplissait rien, mais la jeune femme qui l’attendait dans le salon méritait mieux qu’un vieux canapé et un thé de piètre qualité. Elle méritait mieux, tout court.
Quand, enfin, la boisson fut prête, il prit une bonne respiration et revint sur ses pas, la tasse à la main. « Je suis désolé, je n’ai guère mieux à vous offrir. » Il prit place à côté d’elle sur le canapé pendant que le silence s’éternisait entre eux. Il n’osait pas la regarder en face, de peur de la voir pleurer de nouveau. « Mais je suis plus désolé encore de vous avoir blessée de la sorte. Ce n’était pas mon intention. J’ai pris mes distances en croyant que c’était la meilleure chose à faire, dans les circonstances actuelles. » Grand dieux, il s’exprimait comme un politicien, avec des mots creux et vides de sens. Il se passa une main dans les cheveux, irrité contre lui-même. Les mots qu’il manipulait habituellement avec aisance lui faisaient soudain défaut. « De toute évidence, j’avais tort. Je n’agis pas… Je n’ai jamais agi envers vous par je ne sais quel devoir professionnel. Encore moins par pitié envers vous. Sachez que vous m’êtes… très importante, Jill. » Il se retint d’ajouter tout comme vos frères et votre sœur, parce que c’était faux. Il tenait à chacun des enfants Blackwell, mais l’aînée occupait une place toute particulière dans son cœur, depuis tellement d’années qu’il avait cessé de les compter.
Le corps penché vers l’avant, comme sur le point de s’effondrer d’une seconde à l’autre, sans personne pour le retenir, il déposa sa tasse sur la table basse, de peur de l’échapper tant ses mains tremblaient. Envolée, l’image du majordome en parfaite maîtrise de ses émotions. Ne restait plus qu’un homme d’âge mûr qui hésitait à faire le grand saut et ainsi perdre la seule personne qui ait jamais compté pour lui. Pathétique. Tout bonnement pathétique. Il déposa ses avant-bras posés sur ses genoux, puis tourna la tête vers elle. « La vérité, puisque vous me la demandez, c’est que je suis complètement perdu. Vous comptez beaucoup pour moi et je voudrais être un ami pour vous, quelqu’un sur lequel vous puissiez compter en toutes circonstances, mais je… C’est au-dessus de mes forces, je crois. J’ai essayé, mais je n’y arrive pas. Il m’est trop difficile de faire comme si de rien n’était après les mots que j’ai prononcés l’autre jour, dans la forêt. Car je pense chacun de ces mots, Jill. Chacun d’eux. Vous méritez mieux que ce goujat qui vous harcelait au restaurant. Je pense que… » Il laissa échapper un petit rire empreint d’amertume. « Je pense que si je déteste autant cet homme, bien au-delà de ses manières frustes, c’est parce qu’au fond, j’aurais aimé être à sa place. Je ne suis peut-être guère mieux que lui, puisque je vous ai moi aussi fait souffrir, j’en ai bien conscience, mais je… Je tiens à vous plus que les mots ne sauraient le dire, le comprenez-vous? » Il plongea son regard dans le sien pendant qu’il s’exprimait sans le moindre filtre, peut-être pour la première fois de sa vie. Il finit néanmoins par baisser la tête, soudain conscient de ce qu’il venait d’avouer. « Faites de cette information ce que vous voulez. Vous pouvez rire, je ne vous en blâmerais pas. Parce que c’est complètement ridicule de ma part de m’être autant attaché à vous, parce que je ne serai jamais que l’ami de votre famille. Riez, Jill. Ou dites quelque chose, au moins. Votre silence m’est intolérable. » Sa voix s’affaiblit au fur et à mesure de ses paroles. Il n’osait pas croiser son regard de nouveau, pas après tout cela. Il attendait, les muscles crispés. Peut-être ne s’esclafferait-elle pas, elle était d’une telle douceur. Mais elle le repousserait, c’était certain, comme deux et deux faisaient quatre. Une évidence qui allait dans l’ordre naturel des choses.

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@nero de funès / janvier 2021
Hold heart don't beat so loud. For me keep your calm as he walks out on you. No tears, don't you come out. If you blind me now, I am defeated. ( @emiliana torrini )

Orgueil et Préjugés pressé contre son buste, l’élocution s’achève sur un larmoiement dissimulé sous le textile de sa manche. Expression d’émotion agissant comme le stigmate d’un calvaire sempiternel. Dépérissement stagnant, désormais rendu perceptible et manifeste auprès du garant de son envoutement.
Des chemins sinueux pour détourner ses confessions, Jill en avait emprunté profusément. Et plutôt que d’aller plus loin, de défaire entièrement les fortifications sur la vraie nature de ses sentiments, la Blackwell venait ici, pathétique et dramatique pour réclamer des réponses. Jamais elle n’avait exposé sa fragilité ni l’affirmation des tourments qu’il lui imposait. Il lui était si aisé de l'assigner coupable de tout.
Instinctivement, elle se dérobait, encore, aux plus pesantes de ses déclarations. La passion inhumée, absorbée sous la terre matelassée, le myocarde obsolète cimenté dans le plus profond des tombeaux. C’est ainsi qu’elle avait toujours statué d’emporter ses confidences : avec elle, dans le sépulcre. Trop infirme de ses défaillances, trop indécise, trop lâche : la couardise comme défaut manifeste.
Sur l’achèvement de son soliloque, ses ligaments se raidirent quelque peu. Écrasée sous sa propre couardise, son monde lui semblait plus étriqué et plus déshonnête que jamais. Jamais elle n’avait ordonné de se déclarer au seul homme à avoir ébranlé son essence. Alors experte pour masquer et sceller les vérités sur l’étendue de ses sentiments, elle ne demeurait pas plus honnête et pas plus franche comme l’or que lui. En s’accordant injustement le privilège de blâmer son indifférence, Jill n’était ni plus ni moins qu’une imposture. Et ajoutait là, encore, à l’addition de ses erreurs, cette veulerie notoire qui lui valait si bien ses titres de faiblesses.
Injuste et illégitime. Avec sa bienveillance habituelle pourtant, Nero ne l’accablait d’aucune contre-accusation et ne lui fermait pas la porte comme elle avait pu le suggérer dans sa note entre les pages de Tristan & Iseult.  La laissait même accéder à son sanctuaire pour la première fois depuis qu’il avait emménagé ici. Lui proposant une tasse de thé pour apaiser, ou pour adoucir peut-être, cette situation si singulière. La porte, telle qu’évoquée sur sa note, renvoyait inconsciemment Jill à chaque fois au même endroit. Devant cette chambre de majordome restée en l'état. Devant ce repaire tenu au secret de ses iris. Là où résidait cette figure hyperborée en la personne de Nero. Sa vie sentimentale semblait s’être suspendue à la porte de cette chambre. Aucun homme n’avait jamais su la combler. Aucun homme n’avait jamais su la considérer, la saisir ni la percevoir autant que Nero. En tant que majordome, en tant qu’avocat libéré du joug des Blackwell, Nero demeurait l’homme le plus illustre que le très-haut avait envoyé sur sa route. Sa conscience avait toujours traduit sa rencontre avec lui sur un simple fait inéluctable :
Lui.
Et pas un autre.
Aujourd’hui.
Demain.
Après-demain.
Et jusqu’à la destruction de son enveloppe charnelle.
Le secret de ses sentiments dévoués emportés dans le cercueil.

Flageolante dans son moi obscur, Jill ne savait pour ainsi dire plus où se mettre après son monologue odieux. En contrecoup de tout ce qu’elle avait hasardé de dire sans introduction -et sans le respect qu’elle lui devait-, c’est un véritable malaise qui venait de s’introduire en elle. Devant sa porte d’entrée, elle ne lui avait laissé aucune chance pour la freiner. Comme une violente tornade, Jill était apparue sans s’annoncer.
La tasse de thé, sans doute prenait-il le temps de la préparer pour bâtir son discours. Un discours qu’elle craignait plus encore que les volatiles pullulant dans l’azuré. Sans ombrelle ni protection, elle avait outrepassé les limites du concevable. Un point de non-retour dont elle était l’unique responsable. [ Et les “et si” se bousculaient constamment dans son centre nerveux. L'alarmant sur les pires possibilités et ses pires angoisses. ]
Le manège déroutant de ses émotions se matérialisa par un besoin de s’asseoir au plus vite. Prise d’un désordre intérieur puissant, le dénouement (méconnu) à venir lui offrait déjà son lot de sueurs brûlantes. Sur le canapé, elle conserva son long manteau couleur de nuit. D’une certaine manière, en s’abstenant de toute confrontation avec l’ancien factotum, Jill s’était toujours préparée à se voir elle-même congédiée. Un retour de bâton mérité en somme, quand lui n’avait plus rien à gagner auprès des Blackwell. Si ce n’est les éternels tourments engendrés par le démon assigné Archange. Et ce même s’il avait évoqué le contraire quelques semaines plus tôt.
Son sac à main sur ses genoux, l’éternelle terrifiée s’était pleinement convaincue que ces dernières semaines seraient le parfait exemple de ce qui les attendaient à l’avenir. La distance. Les courbettes. La politesse appuyée et forcée. Les discussions habituelles autour de la fratrie. Et puis… rien d’autre pour les retenir sur de plus longues conversations. [Perdre Nero. Ou comment anéantir Jill Blackwell. Avec la même violence que la mort de ses parents adoptifs.] De retour dans le salon avec sa tasse de thé, elle cacha ses mains tremblantes le long de son corps. Nero n’avait certainement plus la patience de se légitimer avec elle. Plus la constance de lui accorder son indulgence et sa complaisance, surtout en présence d’un comportement si infantile. Alors, elle attendait qu’il s’exprime, les muscles nerveusement contractés. En offrant un : « Je vous remercie. »,  par pure politesse, quand ses doigts ne pouvaient aucunement se résoudre à se saisir de cette tasse de thé.
Installé à côté d’elle, le silence prolongea le malaise qu’elle avait fait tomber. Un silence qu’elle se sentait incapable de rompre, quand Nero, finalement, parla en premier. [Puisqu’il lui incombait de répondre, n’est-ce pas ? Après l’épreuve que Jill lui avait formulée…]

Il s’exprimait avec le même art du discours qu’elle lui avait empruntée dans ses jeunes années. Une manière très (trop) formelle dans cette situation, qui ne l’aidait pas à faire redescendre la pression sur ses muscles. Et la première réponse qu’il lui donna n’était pas plus claire ni plus déchiffrable que la distance qu’il avait imposée. A quelles circonstances faisait-il allusion ? Les mots qu’elle avait employée dans la forêt ? Ses compliments ? Vous m’êtes très importante. Ses iris fixèrent les yeux sombres de l’ancien majordome : alors pourquoi ? Si Nero agissait avec tant de bienveillance et d’indulgence (en s’extrayant de ces dernières semaines étranges) sans notion de devoir, quelle autre raison pouvait-il attribuer à tout cela ? Leur amitié ? Elle remarqua distinctement la tasse vibrante entre ses doigts, dont il se détacha en l’abandonnant sur la table basse. « Nero vous... » à quoi pouvait-il penser ? Pourquoi était-il si troublé ? Au point que les fibres de son être ne fassent vibrer en lui quelques vacillements. Au point de suggérer à Jill qu’il y avait bien plus à dire à tout cela. Au point qu’elle ne resserre plus encore l’étau sur son sac à main. Il tourna alors la tête vers elle. Précipitant sa paralysie. Son ouïe maintenant prête à tout écouter. Son cœur lui, loin d’être préparé.

Une détonation. Une explosion. L’effet était immédiat.
Non. Non. Non.  Rien n’avait de sens.
Rien de tout cela n’avait de logique.  Rien n’était conforme à ses raisonnements. Aucun indice. Aucune parole. Aucun mot prononcé. Aucun sentiment exprimé qui aurait suggéré tout cela. Les compliments dans la forêt ? Son ressentiment pour cet odieux rendez-vous ? Pourquoi… comment…? Comment avait-elle pu à ce point se fourvoyer ? Avant même d’être en capacité de réfléchir posément à ces aveux, Jill continua de le fixer. Blafarde, incapable de briser ce silence infâme qu’il lui demandait de rompre avec un rire, un sourire ou même une raillerie. La vérité, puisque vous me la demandez, c’est que je suis complètement perdu. Tout ce qu’il lui avait dit semblait tourner à vitesse fulgurante dans son esprit. Au point que sa tête elle-même s'élança sur de nouveaux sommets. « Depuis combien de temps... »  d’abord la question la plus pertinente à poser. « Depuis combien de temps... me cachez-vous tout cela ? » La question posée semble autoritaire. Donne le son de cloche d’un reproche quand le myocarde implose à l’excès. Le regard se confronte à celui de Nero quand le corps et l’esprit ne sont plus fonctionnels. Les doigts qui se libèrent de son sac à main, Jill s’en sépare définitivement pour abandonner le canapé. Se lève, titubante, comme sous l’effet d’un puissant alcool, pour faire le tour de la table basse quand ses doigts viennent se perdre à quelques pas sur le dossier d’une chaise du salon. [ Chercher de l’air. Se soustraire à son regard un instant pour ne pas flancher. ] Impossible en l’état. Impossible d’être moins éveillée. Impossible d’être moins bouleversée par tout cela. « Je ne peux pas vous croire. Je ne peux pas accepter ce que vous venez de me dire…. je…. »  Non je ne peux pas. Comment croire aux sentiments dissimulés ? A cette jalousie qu’elle avait tant espéré lire en lui pour ce rencard désastreux. A ces illusions avec lesquelles elle s’était toujours endormie, pensant ne jamais le voir les lui confirmer. N’était-elle pas, d’ailleurs, manifestement endormie ? Nageant en plein délire. Une fièvre ? Un accident de voiture peut-être ? Un coma ? Tout cela n’avait aucun sens. Aucun sens qu’elle pouvait lui donner. Et si l’illusion semblait si réaliste, Jill n’avait désormais plus rien à perdre.

Revenant en face de l’ancien majordome, le regard perché dans le sien, les bras plongés le long de son propre corps, Jill se sentait le devoir de mettre fin à cette parenthèse. A cet acharnement. A cette nécessité éternelle de devoir fermer les murailles sur son propre coeur. Et ce même si rien ici ne lui semblait réel. Peut-être avait-elle désormais l’opportunité de s’exprimer. D’être jugé par le bourreau sur son coeur. « Vos mots… me procurent la sensation d’être détachée de mon enveloppe charnelle. Me semblent irréalistes et utopiques, au point de me faire spéculer sur ce qui se trouve devant mes yeux. Au point de ne plus savoir si ma réalité est celle-ci... ou si sur ma route pour venir jusqu’ici, mon véhicule s’est écrasé contre un autre. Savez-vous pourquoi Nero ? Savez-vous pourquoi vos mots arguent à ce point dans ce sens ? Vous disiez être perdu… vous n’avez pas idée, non pas la moindre, sur la parfaite perdition dans laquelle se confond mon âme depuis notre première rencontre. » sans jamais arrêter de le fixer avec sérieux, son corps luttait pour ne pas flancher. Tant elle perdait tout contrôle. Tant il lui semblait avoir attendu toute sa vie cet instant précis. Tant tout semblait en dépendre désormais. « Vous n’avez jamais été pour moi un simple majordome. Vous ne m’avez pas comprise Nero. Et comment pourrai-je vous blâmer pour cela… Vous me demandez de rire. De briser le silence pour vous couvrir de ridicule. Mais c’est vous, et vous seul, qui avez eu le courage et la bravoure de me faire ces aveux. Quel plaisir pourrai-je éprouver à vous calomnier ? Quand j’ai toujours rêvé, pendant toutes ces années, de vous entendre ainsi vous exprimer. » Incapable de retenir plus longtemps ses émotions, aucun revers de manche, aucune tentative ne chercha à soustraire les larmes perlées sur ses joues bouillonnantes. Et même si sa voix n’en finissait plus de vibrer, elle ne souhaitait pas perdre de son intensité. S’abandonner, pour la première fois sur ces vérités lui semblait la seule chose à faire pour ne pas imploser. Pour ne plus supporter à elle seule les souffrances sur son coeur. « Je suis arrivée, pleine d’animosité. Avec ce besoin de vous confronter à cette usurpatrice qui se tient devant vous. Je vous demande d’être honnête, je vous demande d’être sincère. Alors que je suis moi-même fausse, lâche et incroyablement pathétique. Je n’ai jamais cessé de m’affaiblir par ma propre lâcheté. Mais je n’ai plus la force de me battre contre mes sentiments pour vous… de les dissimuler, de les enterrer comme si je devais en avoir honte. La seule vérité, Nero...  est celle qui m’a toujours obligé à me confronter à ces rustres. Ces nobles guindés et pernicieux jusqu’à la moelle : j'ai accepté de satisfaire leurs faveurs uniquement pour contenter les convenances. Pour rassurer ma famille, s’il faut l’avouer. Mais jamais je n’ai attendu la moindre chose de ces individus. Jamais je n’ai espéré rendre grâce à leurs souhaits.  Tout cela parce que … vous avez toujours été là Nero. Paralysé dans mes encéphales. Je n’ai jamais souhaité être votre amie. Je n’ai jamais souhaité être votre protégée. Et il n’y a rien de moins que je n’ai toujours désiré que de vous appartenir, dans mon entièreté. Au point d’espérer… stupidement - que mes rêveries à votre sujet cessent d’être de l'ordre du conte de fée. Cette passion virulente, je n’ai jamais cessé de l’éprouver. Je n'ai jamais cessé de vous aimer Nero. Depuis notre première rencontre. Même lorsque vous m'avez repoussé. » Sa voix se brisa à cet instant, l’obligeant à marquer un arrêt pour contenir un sanglot. Plus douce et cent fois, mille fois accablée, sa voix résonna une dernière fois dans le salon. « S’il y a bien quelqu’un dont il faut rire ici, c’est bien de ma personne. De ces sentiments que j’ai eu tant de peine à vous dévoiler. Je suis faible Nero. Faible et lâche. Alors si quelqu’un doit rire, c’est bien vous... »

(c) mars.

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Son thé, posé sur la table basse devant lui, refroidissait de seconde en seconde; pourtant, il n’y prêtait pas la moindre attention. À vrai dire, il n’en avait même pas encore bu une seule gorgée. Il se sentait tout bonnement incapable d’exécuter une action si banale, si ordinaire. Ça reviendrait à considérer la situation qui se déroulait devant ses yeux empreints de crainte, d’espoir et d’adoration, tout cela à la fois, comme banale et ordinaire elle aussi, alors que c’était loin d’être le cas. Et Nero, il n’en pouvait plus de faire semblant qu’il ne ressentait rien pour la jeune femme assise là, juste à côté de lui, à portée de doigts. Il jouait la comédie depuis bien trop longtemps, il connaissait par cœur le rôle qu’il s’était lui-même attribué – celui de l’ami de la famille quelque peu austère, mais toujours bienveillant — pour la protéger, elle, ainsi que lui-même et aujourd’hui, il ne s’en sentait plus la force. Il tentait désespérément de s’extirper des filets qui entravaient son corps entier, de la tête aux pieds, et se sentait gagné par l’affreuse impression que plus il gigotait, plus il s’enlisait. Un destin cruel, un peu à l’image de celui de Tristan et Iseut ou encore d’Elizabeth et Mr Darcy (ceux-ci jouissant d’une félicité que d’aucuns sans doute jalousaient derrière les portes closes) (ceux-là gisant six pieds sous terre, l’un à côté de l’autre). Au point où en étaient les choses, Nero en venait à penser qu’aucun de ces dénouements ne les attendait, Jill et lui. Les fins à la fois heureuses et tragiques relevaient de la littérature, jamais de la vie réelle qui ne se contentait, elle, que de fins soit heureuses, soit tragiques. Plus souvent tragiques qu’heureuses, même. Deux qualificatifs qui se mariaient en théorie, mais pas en pratique. Jamais en pratique.
Nero déglutit pendant qu’il attendait le verdict final, les poings crispés posés sur ses genoux. Il ne savait pas à quoi il s’attendait, exactement, mais se doutait qu’il regretterait sans doute nul doute les mots qui venaient de franchir ses lèvres dans une implosion passionnelle. Elle lui avait demandé la vérité, il le la lui présentait sur un plateau d’argent, le buste fléchi non sans révérence. De peur de l’effrayer avec ses sentiments par trop violents, il aurait préféré emporter le secret dans la tombe, mais ne pouvait décemment pas continuer à lui mentir, profonde marque d’irrespect s’il en était. Et Dieu seul savait — un dieu qu’il avait cessé de vénérer depuis belle lurette, sans doute depuis que ce monstre d’éther avait eu le caprice de lui ravir son meilleur ami, son âme sœur platonique, son frère d’élection — combien il respectait ce petit bout de femme là, devant lui. Si elle le lui demandait, il s’oublierait lui-même, se rayerait de l’existence, supprimerait son nom et son visage de la conscience humaine, comme Big Brother avec Winston Smith dans le célèbre roman de George Orwell. Jill Blackwell enivrait ses pensées, ses sens, son être tout entier. La voix douloureuse, le regard fuyant, il lui confia ses sentiments sans (trop) verser dans le sentimentalisme, se contenta d’effleurer la vertigineuse passion qui s’emparait de lui depuis le jour à la fois béni et maudit où s’était tenu devant lui non une gamine sotte et espiègle, mais une jeune femme brillante et maîtresse d’elle-même. Il ne se souvenait pas de ce moment avec précision, savait simplement qu’il avait détourné le regard avec honte et horreur, cruellement conscient des fustigations publiques à l’encontre de telles appétences. Alors il n’avait rien fait, simplement prétendu qu’elle l’indifférait, bien qu’il y ait eu, peut-être, sans doute, un regard tendre par-ci, un sourire ambigu par-là. Rien de compromettant. Juste de quoi nourrir son obsession dévorante, presque malsaine. Parce que c’était tout ce qu’il pouvait faire, n’est-ce pas? Rassasier la bête jusqu’à ce qu’elle meure d’elle-même, enfin. Un jour qui jamais n’était venu, un jour qui jamais ne viendrait. « Je ne le sais pas. Longtemps. Trop longtemps. Des années. J’ai cessé de les compter. Vous n’étiez qu’une adolescente. Encore une enfant, aux yeux de certains. » Sa silhouette d’ordinaire si auguste sembla se rétrécir sur elle-même, s’enfoncer petit à petit dans le canapé. Il voulait disparaître, disparaître, disparaître. Peut-être mourir. Oui. Mourir, cela ne lui semblait pas être une idée si désagréable à cet instant. Plutôt crever comme un animal qu’affronter le jugement dernier.
Elle se leva du canapé, le visage trouble. Les mains agrippées au dossier d’une chaise comme à une bouée de sauvetage, les vagues indomptées et enfiévrées comme seules compagnes. Elle semblait loin, si loin, perdue en haute mer. Nero demeura assis, immobile. Il n’osait pas bouger le moindre muscle, de peur de l’effrayer et qu’elle prenne la poudre d’escampette à la manière d’un animal blessé. Qu’elle parte et qu’elle ne revienne plus jamais. Qu’elle parte et qu’elle l’achève sans prononcer un seul mot. Le cœur au bord des lèvres, il murmura le prénom mille fois susurré dans ses chimères nocturnes les plus folles, rien que pour le sentir rouler contre sa langue. Dans l’espoir de la réveiller de sa transe, aussi. Elle ne le croyait pas, ne pouvait accepter sa confession, disait-elle. Nero ne sut que répondre à ces mots empreints d’un déni qu’il n’avait point anticipé. Il s’attendait à ce qu’elle se moque de lui, qu’elle le repousse, qu’elle le gifle de toutes ses forces. Ce serait toujours mieux que son refus de comprendre et d’accepter le cadeau empoisonné qu’il lui présentait de ses mains souillées par le péché. Le regard angoissé, il l’observait en silence, sans savoir quel argument la convaincrait de la véracité de ses dires. Pourquoi n’était-ce pas aussi simple que dans les romans, pièces de théâtre et autres œuvres littéraires sur lesquelles il fantasmait en secret? Juliette ne remettait pas en doute les paroles et l’amour de Roméo. « Jill, je vous en prie, essayez de comprendre… » Il ne parvint pas à aller jusqu’au bout de sa pensée. Il ne tenait pas à se ridiculiser une seconde fois en lui déclarant qu’il l’aimait plus que l’amour lui-même, que son bonheur rimait avec le sien et que sa piètre existence ne valait pas grand-chose si elle en était exempte, par choix ou par fatalité.
Elle revint alors vers lui, comme décidée à en finir une bonne fois pour toutes. Nero ne bougea pas, toujours assis sur le canapé. Elle s’arrêta devant lui et il leva la tête vers elle, elle qui la dominait de toute sa hauteur, son regard olympien gravé dans le sien. Et elle parla. Elle parla enfin. Chacun de ses mots comme un clou s’enfonçant dans le bois d’un cercueil, chaque coup de marteau résonnant à ses oreilles comme un dernier requiem. Le défunt majordome n’arrivait plus à penser, n’arrivait plus à respirer. Il tremblait peut-être, il n’en avait plus conscience au stade où il en était. Il se contentait d’écouter l’ange blond qui déversait sur lui… son indulgence? sa reconnaissance? son admiration? son… amour? Nero ouvrit la bouche pour la refermer aussitôt, incapable de formuler la moindre phrase cohérente. Les mots refusaient de se coordonner, les mots mouraient dans sa gorge sèche. Incapable de les retenir. Elle pleurait encore. L’eau salée ruisselait sur ses joues de porcelaine. Elle ne pleurait pas parce qu’elle avait égaré son ourson en peluche. Elle ne pleurait pas parce qu’elle avait échoué son examen de biologie. Elle ne pleurait pas parce qu’elle venait d’apprendre le meurtre de ses parents. Non. Elle pleurait pour lui. Seulement lui. Nero.

Désirer lui appartenir.
Dans son entièreté.
Ses mots. Tangibles. Vrais.
Pas un énième fantasme embrumé par l’alcool ou la fatigue accumulée.

Un sanglot lui monta à la gorge face à ce trop-plein d’émotions contradictoire. Allègre euphorie. Grisante stupéfaction. Éphémère émerveillement, peut-être? Sans lui laisser le temps d’ajouter quoi que ce soit, de peur peut-être qu’elle se rétracte en prenant conscience de la portée de ses mots, Nero captura sa main dans la sienne, avec juste assez de douceur pour qu’elle s’en libère si elle le souhaitait. L’horreur serait bien de la forcer à supporter un geste de trop, de quelque nature qu’il soit. Il ne lisait pourtant aucun dégoût dans les prunelles de la belle, aucune peur non plus. Juste une confiance sincère et absolue, de celle qu’on n’accorde qu’aux (très) rares personnes restant à vos côtés dans les pires moments de votre existence. Comme lui-même, Nero, l’avait été pour Jill. Il se souvenait des jours sombres qu’avaient traversés les enfants Blackwell suite au double meurtre, quinze ans plus tôt. Malgré leurs visages accablés et leurs pleurs silencieux, tous les quatre gardaient la tête haute, parce qu’ils étaient des Blackwell et qu’ils ne pouvaient se permettre de flancher ou d’être faibles. Nero, toujours présent en arrière-plan, les aurait volontiers rassurés, s’ils le lui avaient demandé, leur aurait rappelé qu’il n’y avait aucune honte à verser des larmes, que c’était au contraire la preuve d’une grande maturité émotionnelle que d’en être capable, surtout en présence d’une autre personne. Mais ils avaient préféré passer à travers leur deuil sans l’aide du fidèle majordome, alors il s’était contenté de les soutenir à distance, sans mot dire, par respect. Mais un soir, il s’en souvenait encore très bien, il avait surpris une jeune Jill en proie à une crise de nerfs dans la bibliothèque, au point de lancer des ouvrages choisis au hasard par ses mains tremblantes de rage contre le mur. Il s’était approché d’elle en catimini et sans rien dire, puis avec délicatesse, mais fermeté, l’avait enserrée de ses deux bras jusqu’à ce qu’elle daigne se calmer, répétant comme un mantra qu’il comprenait, qu’il comprenait, qu’il comprenait. Leurs deux silhouettes parmi une montagne de bouquins pêle-mêle dans un moment sans doute interdit, parce que trop intime. Quelques années plus tôt, il l’avait repoussée alors qu’elle pressait son corps contre le sien, ses lèvres contre les siennes, avec un désespoir enfantin. Mais ce fameux soir, dans la bibliothèque, il l’avait tenue contre lui, parce qu’elle avait besoin de lui, de quelqu’un auprès d’elle. Ils n’avaient jamais reparlé de cet épisode, que Nero avait peut-être imaginé parmi toutes les élucubrations de son cerveau fertile et énamouré. Il n’en savait rien, même aujourd’hui. Il avait été présent à ses côtés, et ce, à tout instant de sa vie. Le serait jusqu’à sa mort, sans nul doute.
Avec leurs doigts entremêlés, il attira le corps de Jill vers lui jusqu’à le faire chavirer, ses bras encerclant sa taille, ses paumes se posant tout naturellement sur ses reins. Elle lui faisait face à présent, ses larmes séchées répandues sur son beau visage. Elle ne ressemblait plus à l’adolescente qu’elle était autrefois, elle avait mûri, des plis s’étaient creusés sur son visage au fil des années, la lueur candide s’était éteinte de ses yeux bleus de cobalt. Mais elle demeurait magnifique, ravissante, splendide. À croire qu’il préférait son âme à son enveloppe corporelle. Il la réprimanda d’un ton néanmoins indulgent, devenu léger par sa révélation : « Vous ne m’écoutez décidément pas. La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, je vous ai pourtant demandé de ne plus vous rabaisser de la sorte. » Pendant qu’elle réfléchissait à il ne savait quelle riposte, il en profita pour s’avancer et effleurer ses lèvres des siennes, d’abord avec incertitude, puis insistance. Sa propre respiration s’accéléra au fur et à mesure que se prolongeait le contact pendant que l’une de ses mains se glissait parmi la chevelure dorée. Les secondes s’éternisaient, les minutes, les heures, les jours, il en oubliait le temps et l’espace; tout ce qui comptait était la femme qui se lovait contre lui, son odeur, sa peau, ses lèvres, leurs cœurs qui battaient à l’unisson. Dans ce second baiser peut-être maladroit, peut-être pas à la hauteur des scénarios parfaits qu’il jouait et rejouait chaque nuit pour s’aider à s’endormir, il espérait lui faire comprendre qu’il ressentait la même passion virulente pour elle, qu’il regrettait s’être tu tout ce temps, qu’il n’avait jamais imaginé qu’elle puisse l’aimer en retour comme lui l’aimait, qu’il avait interprété leur premier baiser, catastrophique s’il en était, comme de la curiosité juvénile, sans arrière-pensée, sans plus, que de toute manière il n’aurait pas été sage d’entretenir de l’espoir de ce côté alors qu’elle était jeune, si jeune, trop pour comprendre les conséquences d’un tel amour. Oui, il espérait qu’elle comprenne tout cela. À contrecœur, Nero la laissa reprendre son souffle, et lui le sien, son front contre le sien, leurs regards enchevêtrés. « Cela fait vingt ans que j’attendais ce moment, » chuchota-t-il avec non pas un sourire courtois et factice, mais spontané et authentique.

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@nero de funès / janvier 2021
Hold heart don't beat so loud. For me keep your calm as he walks out on you. No tears, don't you come out. If you blind me now, I am defeated. ( @emiliana torrini )

La raison pour laquelle elle ne pouvait ni admettre, ni comprendre la nature affective de ses sentiments était la même qui avait toujours obscurci son discernement. Le trouble divin avait su triompher de son système nerveux, au point de l’aveugler durablement sur l’existant : le secret d’alcôve de Nero. Bien avant cette nuit anormale et inexplicable. Bien avant les confessions qu’il venait d’admettre à grand effort évident, Jill s’était toujours asphyxiée dans ce fourvoiement corrosif et persistant. Obscurcissant ( jusqu’à cette nuit inouïe de février, dans ce lieu qu’elle avait osé uniquement se représenter en rêve )  l'intelligence de son jugement. Augurant de ce fait un peu plus chaque jour ses tourments de conclusions naïves. Et cette cécité, pour l’un comme pour l’autre, les reliait en définitive par des non-dits analogues. Un fardeau, partagé dans un abîme redoutable, qu’elle avait désormais le pouvoir d’anéantir.
Puisqu’il ne se doutait aucunement de la passion vorace et brulante qu’elle lui avait toujours consacrée, se tenait maintenant entre ses lippes doucereuses la capacité rédemptrice de les libérer tous les deux. Jill avait pu la sentir, l’énergie et la résolution avec laquelle il avait dû s’accrocher pour être en mesure de se déclarer. Et cette force, émanant de sa grandeur éminente, réussissait fatalement à la transcender ; jusqu’à lui transmettre pour la première fois, le courage d’en faire autant. Dressée comme une ombre à quelques pas de l’aura anxieuse et tourmentée de Nero, ses mots glissèrent de ses tripes sans s’affoler des retombées. Par l’aveu. [ Le syndrome suprême, dont l’affection commence par la lettre “A” : l’amour, colossal et grandiose. ] Par cette exquise confession, tombée du ciel à point nommé.

Cette passion virulente, je n’ai jamais cessé de l’éprouver.
Je n'ai jamais cessé de vous aimer Nero.
Depuis notre première rencontre.
Même lorsque vous m'avez repoussé.



Émise sans flottement, sans confusion, sans moindre détour. L’imprévisible, formulé dans la fureur d’un mascaret. Des syntagmes constituées à l’arraché, tirant son flot dans un coeur égrotant. Le fardeau à moitié confessé, quand ses entrailles s’enflamment d’une nouvelle appétence, d’une récente ambition. Celle de ne plus rien dissimuler. Plus rien. Plus jamais. Tout ce temps perdu. Toutes ces erreurs. Toutes ces méprises. Ces malentendus. Ces non-dits cloués dans d’éternels faussetés. Dans une parfaite caricature d’elle-même, Jill avait si bien joué la comédie. Les mots, les vérités qu’elle développait désormais ruinaient en un instant la fallacieuse avec laquelle elle avait délibérément fusionnée. Pour se protéger. Pour maintenir une relation sans enjeu et cordiale avec l’ancien majordome. Mais elle s’exposait désormais au grand jour : sans ses atours d'aristocrate, sans les mots surfaits triés avec minutie. Sur ses révélations, Nero sembla tout aussi médusé et interdit. Pour des raisons que Jill comprenait présentement. En effet, dans ce jeu de l’amour planqué, Nero avait lui aussi joué un rôle dans cette pièce de théâtre laborieuse. Cette mise en scène qu’ils avaient pendant plus de vingt interminables années, interprétés tous les deux (sans conscience des tourments éprouvés par l’autre). Pendant vingt ans, des secrets prolongés dans la plus intense et sotte immaturité. Qui les avait certainement consommés chacun pour leur propre intérêt. Et puis, au-delà de cette mutation (d'eux-mêmes) qu’ils s’exposaient à l’un comme à l’autre, Jill n’avait jamais eu l’espoir tangible d’entrevoir une telle rotation de la situation. A force de se sustenter d’illusions dans les plus profonds abysses, jamais elle ne s’était offerte pour croyance que Nero puisse partager sa passion. Emmitouflée sous son manteau ténébreux depuis son arrivée, elle s’était d’ailleurs convaincue que les choses se termineraient ici. Dans la pire des conclusions et la pire des tragédies. Dans la transparence du feu et des larmes : le chagrin notoire, habituellement consacré aux séparations d’amants maudits par un destin indomptable. Une fin drastique en somme, dramatique et violente, que Nero aurait intenté pour mettre Jill à distance. Pour se soustraire définitivement à cette bourrasque qui faisait irruption dans son domicile sans le mettre au fait de sa visite, sans prévenir. Misérable et pleurnicheuse, jusqu’à ce que finalement : leur monde s’écroule sous un air de fin du monde.

Une fin du monde qui sonnait peut-être, l’exorde d’un départ grandiose.

Sans lui laisser l’opportunité d’ajouter plus d’allusions sur ses afflictions, Nero captura sa main, entrelaçant ses doigts dans les siens. [ L’incarnation de sa douceur céleste, gardienne de ses émotions défendues. ] Un geste qui valait peut-être plus qu’une réponse à donner. Plus que les beaux mots, plus que les belles paroles à harmoniser sur les confidences de sa bien-aimée. L’étreinte innocente, suffisante pour tranquilliser la joliesse féroce qui se dressait devant lui. Une étreinte, qui la renvoyait paradoxalement au jour le plus morne de son existence.
Première figure à avoir pénétré dans la chambre sanglante, théâtre de l’homicide luciférien de ses parents, Jill n’avait pas su empêcher la fratrie de se soustraire à cette vision d’horreur. Dans cette peinture sanguinolente, lorsque les sirènes hurlèrent plus tard à l’approche du portail grandiose du manoir, l'aînée d’une famille devenue orpheline s’était altérée dans le pire état de choc. Si Nero ne reconnaissait (peut-être pas) cette fois-là la valeur de sa bienfaisance, Jill elle ne l’avait jamais oubliée. Heurtée, ses membres et ses facultés supprimés par cette vision d’horreur, seul Nero eut véritablement la bravoure de tenir le coup. Son sang-froid conservé, instantanément fortifié sur son âme pour soutenir les esseulés. La nuit suivante, la benjamine ne pouvant se résoudre à rester seule dans sa propre chambre, avait fait le souhait de dormir dans le lit de l'aînée.
Assit docilement dans un coin dans la pièce, Nero était resté pour veiller sur elles. Vigilant, les muscles contractés toute la nuit durant (sur ses gardes, très certainement, après les horreurs effroyables de la veille). Incapable de dormir. Incapable de redouter le sommeil, Jill était restée éveillée, prostrée dans le fond de son lit, à observer les étoiles vacillantes derrière les nuées, le corps frêle de la benjamine en sommeil contre elle.
Pendant un instant, son regard croisa celui de Nero. Un regard qui lui sembla confus, entre l’asthénie qu’il éprouvait et l’hardiesse émérite dont il souhaitait faire bonne figure auprès de ses protégés. Après les horreurs dont ils avient toutes et tous témoins. Lentement… doucement, pour ne pas réveiller Soledad, Nero s’était étiré jusqu’à elle, prenant une chaise pour s’installer à côté d’elle. Avec une hésitation légitime, il récupéra sa main. Lui offrant ainsi son sang-froid et son ineffaçable hardiesse, dans laquelle elle pouvait puiser librement. Il lui sembla, pendant son sommeil, qu’elle ne lâcha jamais son emprise sur lui. Une emprise qui ne s’était jamais complètement desserrée. Nero demeurant suspendu dans ses iris.
Il  lui sembla alors que jamais il ne l’avait abandonné.
Pas même à cet instant où tout aurait pu s’écrouler, mais qu'il l’attirait pourtant sereinement pour la faire chavirer contre lui, ses bras autour de sa taille, ses paumes embrassant naturellement ses reins. Et qu’elle se laissait faire pour s’abandonner toute entière, captive d’un corps imposant dont elle avait rêvé toute sa vie durant.
Si proche de lui, si près de son visage sybillin, les traits durs de Nero : semblables à son lui d’autrefois.

Pour la première fois, l’opportunité de se mettre à nue. Terminé le jeu de rôle habituel. A cet instant, plus rien ne compte plus que ce tête à tête brûlant de leurs ardeurs inavouées. Quatre iris se dévorent et se dévisagent, sans craindre que l’un ne devine les vérités de l’autre. Puisqu’elles sont enfin confessées, admises et comprises.
[ Les afflictions, piétinées comme des roches stellaires. ]
Les yeux de Jill ne perlent plus. Son coeur a déjà trop souffert. Et le supplice semble enfin pouvoir s’achever quand il la sermonne avec légèreté mais qu’il ne laisse pas de place à sa riposte effrontée.
Tant de difficultés pour s'ammarer dans cet ouragan.
Mais elle pouvait, enfin, s’accrocher pour tout sauvetage à cette bouée ;  à cet affront savoureux dont il l'honorait maintenant.

Ses opales cherchent à percer les siennes. A s’insinuer dans les nuances sombres de ses iris. Quant au firmament, ses paupières la condamnent à l’obscurité et que ses lèvres jouissent de la félicité offerte. Ses cils encore humides, encore secoués par des tremblements. Sous l’épiderme, le myocarde martèle, suffoque de cette incandescence. Trop fébrile, trop embrasée pour bouger, elle ne néglige rien. Presse ses mains contre ses omoplates, cherche à s’appuyer contre ses lippes si candidement désirées. Et s’abreuve de tout ce que ce baiser peut bien signifier. De toutes les inclinaisons stockées dans le coeur de Nero. Et de tout ce qu’elle ne peut plus supporter. Et enfin… de tout ce dont elle peut enfin s’immoler : sa passion, son amour, ses desseins les plus tendres.
Son souffle, à peine décollé du sien, peine à s’en séparer. Cela fait vingt ans que j’attendais ce moment qu’il chuchote après l’étreinte foudroyante, Et le sourire, pour la première fois, expédie au déclin ses craintes. Nero n’est pas homme à jouer avec le coeur d’une femme. N’est pas homme à vouloir la manipuler. Et alors, ses lippes traduisirent toute la confiance qu’elle mettait dans ces mots jusqu’alors inimaginables. « Cela fait vingt ans que je désespère de pouvoir vous avouer tout cela Nero. Et croyez-moi… je m'en croyais incapable. Je n’aurais jamais pu entrevoir ce dénouement si vous ne m’aviez pas fait ces aveux le premier. Je vous admire. J’admire votre courage...  » Pas un jour sans l'imaginer pourtant, ce dénouement salvateur. « Mais j'admet ne pas comprendre encore... les sentiments que vous éprouvez pour moi... Ne suis-je pas l'urspatrice que j'ai décrite ? N'êtes vous pas déçu de mon manque de courage ? De ces secrets... suspendus si longtemps à mes lèvres ?  »Un rire doucereux démêla sa voix encore embrumée, enraillée après tout ce qu’elle avait ordonné de dire. Son front collé contre le sien, son souffle devenait de plus en plus saccadé. Agité d’être ainsi captive de Nero. « Sommes-nous lâches ? Idiots ? Ou complètement aveugles pour ne pas avoir perçu les tribulations de l’autre ? »Puis plus sérieuse, moins sûre d’elle, confrontée là à tout autre chose : « Pendant tout ce temps… cette souffrance. Accumulée, Calfeutrée. Pourrons-nous nous en soustraire un jour ?  » Peut-on croire à un avenir pour nous deux ? Reculant mais ne se dérobant jamais à ses prunelles, ses joues s’empourprèrent d’une couleur nouvelle. Cette scéne, aussi merveilleuse qu’elle puisse paraître, l’effrayait en même temps qu’elle l’éblouissait.  « Nero… m’autorisez-vous... à rester auprès de vous cette nuit ? » Revenant lentement, tremblante comme si le froid la possédait toute entière, ses mains s’agrippèrent à son dos. Et sa tête s’approcha de son cou pour s’y lover complètement. « J’ai trop peur Nero. Trop peur de me réveiller et de prendre conscience que tout ceci n’était qu’un rêve. » Il n’y a rien de moins que je n’ai toujours désiré que de vous appartenir, dans mon entièreté. Comment lui prouver alors, pour le captiver davantage ? Pour nouer ses mots par l’éternelle promesse. Au point que jamais, il ne souhaite renoncer à elle.

(c) mars.

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Nero s’abandonna corps et âme à l’étreinte soudaine mais bienvenue, la jeune femme cueillie dans le creux de ses bras sur le point de faire imploser non seulement le palpitant incontrôlable et incontrôlé dans sa cage thoracique, mais également tout ce qu’il savait, tout ce qu’il croyait savoir sur le microcosme et le macrocosme, tous les angles de l’existence. Il avait l’impression ô combien délicieuse de retrouver la vue perdue une éternité plus tôt, peut-être même dans une autre vie, de respirer comme un homme libéré de l’entrave de ses interdits après un long et rude hiver — il avait l’impression de renaître, tout simplement, comme le phénix de ses cendres. Toutes ses nuits gaspillées dans les angoisses et les insomnies, désormais l’ombre de réminiscences appartenant à un passé mort et enterré six pieds sous terre, parmi les vers et les macchabées. Et ce passé, il ne le regretterait pas, même s’il était homme à volontiers se baigner dans de fugaces nostalgies, le temps d’un soir, par pur instinct masochiste. Pour la première fois depuis des lustres, il aspirait à se tourner vers l’avenir qui lui apparaissait soudain bénin et suave tout à la fois, même à apprivoiser le moment présent s’il pouvait compter sur la compagnie de la vénus aux cheveux blonds à ses côtés.

Ses bras pressés contre la taille de la demoiselle, il ne la quittait pas des yeux alors que quelques minutes plus tôt, il peinait à croiser son regard, de peur d’y lire un sentiment pénible et funeste qui l’aurait réduit, lui, à néant. Jusqu’alors, il maîtrisait en tout temps ses pulsions affectueuses et enamourées en sa présence, parce qu’elle ne lui appartenait pas, parce qu’il croyait qu’elle ne lui appartiendrait jamais, mais tous ses doutes se dissipaient au fur et à mesure qu’il l’écoutait prononcer les mots doux et salvateurs, ses doutes tout comme ses réserves à son encontre. Il osait la vénérer en plein jour, ses prunelles amoureuses de simple mortel comme une offrande humblement offerte à une déesse daignant se joindre à ses adorateurs. « Mon courage, » répéta-t-il, interdit. Il ne se sentait pas courageux, Nero. Pas le moins du monde. Un poids semblait s’être libéré de ses épaules, il était vrai, mais sans doute n’aurait-il jamais osé lui partager sa passion dévorante si elle n’avait pas frappé à sa porte ce soir. « Courageux, je ne le suis nullement. J’aurais volontiers emporté ce secret dans ma tombe, si je puis parler franchement. Par honte. Par peur aussi, peut-être. Une partie de moi refusait de seulement envisager la possibilité que mes sentiments puissent être partagés. J’ai cru n’être à vos yeux qu’un simple majordome, qu’un simple ami de la famille. L’idée que vous puissiez me voir autrement me trouble et m’enchante à la fois. Vous venez de faire de moi un homme heureux. »
Il échappa un petit rire entre l’étonnement et le soulagement, mais fronça toutefois les sourcils aux paroles de Jill, son regard ancré dans le sien sans oser s’en détacher. Il reprenait son souffle tant bien que mal, ses lèvres entrouvertes et encore gorgées des ardeurs jilliennes, pendant qu’il essayait de déchiffrer les ramifications de sa pensée. Il ne l’interrompit pas pendant qu’elle lui exprimait ses doutes, puis ses regrets. Il se contenta de l’écouter, de la (main)tenir dans son giron, pendant que son regard, traître et avide, admirait la bouche désormais familière qu’il voulait apprendre à connaître par cœur, presque comme une partie de lui-même. Elle n’avait pas tout à fait tort; lui aussi regrettait toutes ces années perdues, gaspillées, disséminées dans le vent. Il repensait aux regards et compliments échangés ici et là et les réinterprétait, les revisitait, les voyait sous un jour nouveau. Aurait-il pu seulement deviner la tendre vérité qui brûlait sous ses yeux et qui n’attendait pour être consumée que sa parole, alors que la chasse à l’archange (déchirer ses ailes opales et séraphiques) (arracher son auréole dorée et parjure) (le faire choir de son piédestal maudit) l’obnubilait telle une idée fixe? Il n’en savait rien, absolument rien.
Avec une infinie douceur, il replaça une mèche récalcitrante de son front, puis captura sa joue de sa paume de main. « Jill. Chère, chère Jill. » Son prénom avait un goût de soufre et d’interdit contre le palais, mais il ne se lassait pas de le prononcer, encore et encore et encore, comme une prière. Il s’assura d’avoir sa complète attention avant de poursuivre, sa voix auguste et austère comme à l’accoutumée : « J’ai bien peur que ces souffrances n’aient été nécessaires, du moins au début. Il aurait été impensable pour moi de répondre à vos avances alors que vous sortiez à peine de l’adolescence. Je me suis longtemps considéré comme un monstre d’entretenir de telles pensées à votre encontre. Je vous ai vu grandir, mûrir au fil des saisons, des années. Vous auriez facilement pu être ma propre fille… Et il y avait vos parents. Votre père était le meilleur ami que j’aie jamais eu. Il était pour moi comme un frère d’armes, pour lequel j’aurais volontiers sacrifié ma vie. Et votre mère, l’une des personnes les plus nobles de cœur qu’il m’ait été donné de rencontrer. Comprenez-vous ce que j’essaie de vous dire? » Il soupira, tiraillé entre son désir envers elle et son amitié envers deux fantômes qui aujourd’hui encore le hantaient. Peut-être ce bon vieux Will se retournait-il dans sa tombe à cet instant précis en sachant sa propre fille dans les bras d’un homme fané avant son heure?
Nero essayait pourtant de supprimer ses réticences de son esprit tourmenté tandis qu’il apposait une pléthore de baisers sur les larmes étiolées de ses joues opalescentes. Sa voix devint rauque par les remords. « Me pardonnerez-vous un jour de vous avoir repoussé ce fameux jour, dites-moi? Me pardonnerez-vous de vous avoir imposé cette distance ces dernières semaines? De vous avoir fait pleurer ainsi? Ne pleurez plus, je vous en prie. Je veux vous voir sourire. » Il resserra son emprise sur sa taille de manière à la rapprocher de lui, encore et encore, la folle fantaisie de lui appartenir ici et maintenant comme un délicieux poison coulant dans ses veines embrasées. Ses lèvres quittèrent ses joues pour découvrir son menton, puis sa gorge. Seconde par seconde, il se perdit dans l’ivresse de ses sens (le corps ployé vers lui) (leurs souffles erratiques) (la pression des mains contre son dos) (l’odeur unique de la peau nue) jusqu’à en perdre toute notion du temps et de l’espace. Il en oublia le canapé miteux qui leur faisait office de paradis terrestre, en oublia les murs peints d’une couleur douteuse qui les séquestraient dans leur prison dorée. Ne comptait plus que la femme éperdue dans ses bras qu’il voulait combler de sa présence toute entière, puisqu’elle voulait de lui comme il voulait d’elle.

À sa voix tremblotante, arrachée dans un soupir lancinant lui semblait-il, il releva les yeux vers elle avec égarement, la réponse à sa question lui apparaissant comme une évidence, de celles qui n’ont pas besoin d’être dites à voix haute. Pourtant, elle attendait de lui à ce qu’il la rassure sur la tangibilité de ce moment intime entre eux, le premier et sans doute pas le dernier. Il la sentit se lover contre son torse, son visage déchiré par l’anxiété grandissante enfoui dans le tissu de sa chemise. De peur de le perdre, elle s’agrippait à sa vieille carcasse, là où se nichait sa place dans ce monde enténébré et barbare. Et tandis qu’il estampillait caresses et doux baisers sur son cuir chevelu pour qu’elle comprenne que l’intimité partagée ne relevait pas d’une facétie de Morphée, il réalisa qu’il l’aimait davantage, si la chose fut possible. « Restez. Cette nuit. Demain. Toutes les nuits et tous les jours à venir, si tel est votre désir, » souffla-t-il dans le creux de son oreille, la phrase sonnant à ses oreilles comme une supplication. Il l’embrassa de nouveau, incapable de résister aux violentes pulsions qui guerroyaient dans son être tout entier à l’idée de la savoir si près et si loin de lui à la fois. Il ne réfléchissait plus. Il ne pensait plus. Il la voulait, là, maintenant, tout de suite. Toute rationalité abandonnée en chemin. À tâtons, ses mains la débarrassèrent de son manteau noir et effleurèrent la courbe d’un sein dans leur sillage, provoquant chez lui une vague d’adrénaline qui l’incendia de la tête aux pieds. Le souffle court, il caressa de ses doigts son dos, ses côtes jusqu’à s’aventurer non sans fébrilité sous son pull pour enfin retirer l’encombrant vêtement.
Ce fut alors qu’il remarqua quelque chose qui le freina en pleine action. Il fronça les sourcils. « Vous tremblez. » Il ne posait la question, il énonçait un fait. Avait-elle froid? Ou contemplait-elle, elle aussi, le vertigineux précipice au bord duquel dansaient leurs deux silhouettes enchevêtrées dans un grisant pas de deux, l’anticipation se constellant sur sa peau dévoilée? « Est-ce que les choses vont trop vite? » Question qu’il préférait poser, quitte à installer un éventuel malaise entre eux. Il ne voulait pas la brusquer ou pire encore la forcer, ni maintenant ni jamais. Il avait attendu vingt ans et quelques poussières pour effleurer ses lèvres, il en attendrait vingt autres pour sanctifier son corps s’il le fallait. Rien ne pressait. L’éternité se dessinait à leurs pieds.

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@nero de funès / janvier 2021
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Pour la première fois, le tabou de cette nuit ineffaçable émerge des lippes de l’énamouré. Ce voyage impérissable de Jill dans le corridor du majordome. L’auguste adolescente en longue chemise de nuit incolore. Craintivement mais audacieusement dirigée vers le factotum. L’alizé dans sa chevelure, la brise d’une fenêtre mi-close faisant perler quelques boucles sur son front. Des coups, discontinus et pratiquement inaudibles sur la porte. Et puis… la percée idyllique amorcée sur ses lèvres exercées.
Ecouter Nero faire allusion à cette nuit donnait un sens nouveau à ce souvenir douloureux. Tout ce qu’il exprimait, Jill le comprenait sans mal. Avait appris avec la sagesse du temps et l’apprentissage naturel de la vie que cette décision, celle de la repousser, était de loin la plus sage, la plus sensée et la plus réfléchie. Et cela sous bien des aspects. D’un point de vue moral, Nero avait eu raison d'objecter contre la nature des sentiments de l’adolescente. De ce fait indiscutable, Jill n’avait nullement le droit de se montrer réfractaire envers un choix justifié. D’un point de vue du coeur, cependant, la Blackwell avait continué de prospérer avec ce souvenir affectif. Sans jamais plus le confronter à cette dévotion démesurée.« Cela me consume de ne pouvoir remonter le temps Nero. De ne pouvoir empêcher cette adolescente de venir s’infiltrer jusqu’à la porte de votre chambre. Je regrette cette nuit d’été. Je la regrette profondément maintenant que je connais la vérité. Maintenant, que je sais, tout ce que mon existence vous a fait endurer. Si je n’ai aucun remord pour les sentiments que j’ai nourris pour vous depuis tout ce temps, sachez que j’éprouve pour moi-même une sincère déception. Si j’avais su faire preuve d’un peu plus de maturité. Si mon coeur s’était montré plus patient... Je me serai confié à vous, Nero. Bien plus tard, certainement. Mais je me serai confié. Et toutes ces années de souffrance nous auraient été épargnées. » Jill florissait avec la résistance d’un remord évident : celui d’avoir succombé à sa convoitise lors de cette nuit d’été. Bien des fois, la fille aux cheveux flavescents s’était imaginée remonter le temps pour modifier cet instant fallacieux. Se voyant communiquer avec cette jeune fille d’autrefois. Se voyant lui inculquer la patience et la réserve qui lui auraient permis de se confesser à postériori. A un âge où Nero aurait pu considérer les choses autrement. A un âge où peut-être, leur relation aurait évolué différemment. Leur épargnant vingt années de non-dits insupportables.
Les baisers de Nero appliquées sur ses joues, Jill récupère son visage tiraillé dans un effleurement. Les doigts de Saturne et de Jupiter glissent avec insistance sur ses pommettes. Ss iris transplanent nouvellement dans ses lucarnes, comme pour mieux s’imprimer dans les profondeurs de ses rétines ; « Il n’y a rien à pardonner Nero.  Il n’y a rien dont je puisse vous incriminer. Il n’y a rien de plus qui m’importe aujourd’hui que cette nuit. Rien qui m’importe plus que votre bonheur. »  Rien qui m’importe plus que d’imaginer le futur à présent. N’ont-ils pas déjà trop donné au seigneur des tourments ? Ne se sont-ils pas suffisamment dispersés dans le même chagrin ? L’occasion se présente enfin, pour la première fois. L’opportunité de recommencer à zero. Celle de tout s’autoriser sans craindre l’autre. Sans craindre l’âge juvénile. Sans craindre la vérité. Sans craindre la solitude. Tout est admissible. Tout est autorisé. Désormais, leur appartient de bâtir une nouvelle ère. Un nouveau prélude.

La tête fusionnée dans son cou soupire à la permissivité de la réponse donnée. Si cette nuit n’est qu’un songe. Si ce clair-obscur n’est qu’une illusion chimérique. Jill n’a alors qu’un seul souhait : que le temps se suspende à cette vie parallèle. Aujourd’hui. Demain. Toutes les nuits et tous les jours à venir. Pour l’éternité. Que ce corps perché contre le sien la dévore complètement. Que ses lèvres se suspendent à sa bouche écarlate. Que chaque nouvelle pointe du jour soit l’annonce d’un nouveau chapitre exalté. Que les journées perpétuelles ne soient que les pages d’un roman passionné. Que la force des années les rassemble dans la félicité. Que leurs lèvres entremêlées unissent leur coeur dans le firmament.
Le renversement de l’ordre habituel, l’interversion d’une structure indéfectible. Rien n’avait jamais laissé augurer plus somptueux infléchissement des évènements. Les opales percées dans les abysses de l’énamouré s’immobilisent dans le temps. Se suspendent au regard inédit du phénix qui l’emprisonne contre sa chair. Jamais le regard de Nero ne lui avait semblé si perforant. Jamais elle ne l’avait vu la sonder ni s'imprégner d’elle avec une telle ardeur. Dans la chair et la silhouette, le sang vermillon éprouve les secousses d’un ébranlement absolu. Quand la respiration s’harmonise au gré des lèvres qui reçoivent une tendresse insoupçonnée. Eux qui s’affligeaient dans la peur des aveux. Eux qui se meurtrissaient à mettre à distance leurs sentiments. Pouvaient désormais se dépouiller de tout. Exposer, offrir comme une offrande leur palpitant en éclosion. Se faire cadeau du secret d’alcôve, des éternelles pulsions inassouvies.
A peine écartée du corps de Nero, ses mains et ses bras aident l’adoré à la soustraire de son manteau. Le souffle mêlé à même cadence que le sien se visse dans une secousse quand ses phalanges investissent les courbes de son dos, les lignes de ses côtes. Les doigts désormais accrochés sur les coutures de son pull la libèrent de son haut. Dévoile sa douce nudité pour la première fois. Dévoile un corps frémissant d’une impatience trop longtemps dissimulée. Silencieuse, plongée dans le mutisme. Les tréfonds de l’âme de Jill s'investissent d’un trop plein d'émotions. D’un trop plein d’appétence. D’un trop plein de désir d’être sienne jusqu’à perpétuité. Des émotions que Nero, en toute bienveillance, intercepte comme la possibilité que Jill ne soit pas prête à ce moment d’intimité. Demande, alors, si les choses vont trop vite.
S’allongeant sur le canapé sans accoudoir, la fille de Vénus attire lentement Nero au-dessus d’elle, les bras docilement accrochés sur son haut. L'oblige quelque peu à venir encadrer ses jambes autour de son bassin, le tire toujours plus contre sa peau découverte. Sa bouche se fusionne avec tendresse à la sienne :  lèvres doucereuses se veulent, alors, dissipatrices de tout malentendu. : « J’ai rêvé de ce moment toute mon existence... »  Se positionnant légèrement sur les coudes, sa bouche explore sa mâchoire. Explore pour la première fois chaque parcelle de sa peau. Laisse choir quelques mots saccadés au rythme de ses baisers. « Toute. Mon. Existence. » S’enivre de sa peau comme d’un philtre d’amour. Se délecte de chaque caresse du bout de ses lèvres, de chaque secousse émise dans son enveloppe charnelle. Après l’escalade doucereuse de ses lèvres, sa figure (fiévreuse) se replace lentement sur le canapé. Ses joues s’empourprent d’une couleur flamboyante. Son regard se consolide quelques secondes dans le sien. « Je vous ai attendu toute ma vie Nero… » Puis ses doigts récupèrent sa main libre pour la faire remonter lentement sur la naissance de ses seins, avant de venir la stabiliser contre son coeur. Pour la première fois depuis vingt ans. Pour la première fois délivrée de l'exécution de son rôle le plus parfait. Pour la première fois en accord parfait avec ses sentiments. Jill n’avait plus de cartes à dissimuler dans sa poche. Jill n’avait plus besoin de douter. Plus rien à prétendre. « Je t’attendais... » L’attirant avec ferveur contre elle, les doigts empoignés contre son pull, ses lippes s’aventurent sur sa bouche avec une ferveur nouvelle. Sa langue, impétueuse et ardente, s'enchevêtre avec la sienne dans une fougue passionnée. Créée en elle l’émoi suprême. Anime la fièvre jusqu’alors restée discrète et incolore. Plus ardente. Plus passionnée, l’exaltée s’enflamme d’une ferveur indécente. Ses doigts, portés sous le haut de Nero, l’aide à s’en soustraire. Puis sa tête retourne épouser le canapé, le visage, la bouche, les lèvres, le corps tout entier prêt à s’abandonner. « Laisse-moi… être tienne. » Emprisonne-moi. Aime-moi. Aime moi Nero. « Aujourd’hui. Demain. Jusqu’à la fin.  »


(c) mars.

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Avec des si, on pouvait refaire le monde, rebâtir les préceptes, reconstruire les a priori. Le visage à quelques centimètres du sien, il l’écoutait avec patience et indulgence déverser sa hargne contre sa propre personne, ou plutôt contre l’adolescente solaire et candide qu’elle avait jadis été. Elle aurait voulu lui confier ses sentiments un chapitre plus tôt dans leur histoire, se reprochait le corps encore juvénile en émoi qu’elle ne contrôlait pas. Il l’écouta sans l’interrompre, comme elle-même ne l’interrompit pas lorsque vint son tour de s’exprimer sur ses regrets d’hier; tous deux animés par le désir d’une rédemption cent fois espérée, mille fois fantasmée. Moult erreurs avaient été commises, moult erreurs seraient sans doute commises également. Ils n’étaient que de simples êtres humains, condamnés à l’imperfection par choix ou par fatalité. Tôt ou tard, il la blesserait comme elle-même le blesserait, certes sans malice aucune. Mais tel était le risque des amours réciproques ou à sens unique; elles vous arrachaient toute parure et votre corps nu, ô combien vulnérable, tressaillait devant l’œil de l’être aimé, lequel peut-être vous aimerait en retour, peut-être vous achèverait à coup de phrases assassines mais non moins vraies.

Les méandres des sentiments, Nero ne les comprenait pas, ne les avait jamais comprises, avait l’impression que jamais il ne les comprendrait tandis qu’il détaillait d’un œil famélique la silhouette séraphique valser entre ses bras, chacun des baisers posés sur son visage comme une réponse à ses doutes et tourments. Les mots prononcés dans un souffle l’éperonnèrent d’une violente fièvre qui secoua son corps tout entier. Cette nuit, son bonheur. Leur nuit, leur bonheur. La vénus enfin mise à nue par ses mains mues d’une ardeur nouvelle l’attira à lui, la poésie de sa bouche s’imprima sur sa peau par saccades, chacune plus fébrile que la précédente, la respiration de l’homme se crispant dans ses poumons, puis sa gorge. La vue des joues vermeilles et des soubresauts de la poitrine pour la première fois adulée enivraient ses sens, tous ses sens, il en oublia comment parler, comment respirer. Ses paupières se closirent en sentant les jambes de la blonde l’emprisonner dans une étreinte passionnée, puis sa main dans la sienne remonter son épiderme jusqu’au palpitant exalté.
« Jill… » hoqueta-t-il sous l’émotion. Il l’admira pendant quelques secondes, cette femme qui s’offrait à lui sans la moindre réserve, cette femme qu’il avait toujours déshabillée de loin, une scène obscène et ingénue tout à la fois, née de son imagination fangeuse, mais sans oser aller au-delà par pure longanimité, par révérence peut-être aussi. « Magnifique, tout simplement magnifique. » Le murmure, prononcé d’une voix enrouée, lui échappa sans qu’il puisse le retenir — sans qu’il veuille le retenir. Leurs lèvres renouèrent, s’abandonnèrent l’une à l’autre dans un maelström de désirs par trop violents pour être contenus. Dans un enchevêtrement de mouvements indisciplinés, il se retrouva débarrassé à son tour de ses vêtements, jetés au sol sans plus aucune considération des convenances. Il n’existait maintenant plus que la déesse nue au dos arqué, le chaos de leurs souffles emmêlés et leur volonté confuse mais tangible de ne plus faire qu’un, enfin. Une caresse nouvelle au niveau du bassin lui arracha un sifflement euphorique entre ses dents crispées et il s’agrippa avec un désespoir presque absolu aux épaules de sa belle pour ne pas sombrer dans le ravin à ses pieds qui l’aspirait de seconde en seconde. Il avait attendu vingt longues années pour goûter à cette liesse, il ne comptait pas précipiter son adoration pour une vulgaire et éphémère félicité, toute intense fut-elle. Non, Jill méritait mieux que ça.

Leurs corps se pressaient l’un contre l’autre sans rationalité aucune, exécutaient une danse instinctive qu’ils ne contrôlaient plus. Le singulier devenait pluriel l’espace d’un instant, leur extase partagée se conjuguait non plus au conditionnel, mais au présent de l’indicatif. Leurs lèvres jointes en une promesse muette et solennelle inventaient de nouveaux temps, exploraient le champ lexical des possibles. Ses longs cheveux foncés cachant ses traits animés par l’incandescence, Nero se redressa au-dessus de la jeune femme, une main sur le canapé, l’autre contre son épaule en guise d’appui. Il baissa la tête vers sa douce moitié qui s’abandonnait elle aussi dans les voluptés d’Éros, se perdit dans les iris qui le vénéraient, l’exhortaient dans un silence évocateur, bien qu’entrecoupé ici et là d’anhélations, à ne cesser ses pérégrinations sous aucun prétexte. Peu à peu, la cadence s’accéléra d’un muet accord, l’amour qu’il éprouvait pour elle comme unique phare pour le guider cette mer délicieusement trouble et térébrante. Une plainte sourde et ambrosiaque monta soudain des tréfonds de sa gorge jusqu’à sa bouche entrouverte. À tâtons, il glissa ses bras autour d’elle dans une embrassade irréfléchie, presque sauvage, et se laissa porter par le roulis d’émotions qui l’assiégeaient sans qu’il ne puisse le refréner, le prénom béni et répété dans l'oreille de l’aimée comme un sempiternel écho.

Une éternité s’écoula, pendant laquelle il resta contre elle, visage contre visage, peau contre peau. Encore médusé par la scène qui venait de se dérouler sur ce banal canapé, dans cet appartement plus banal encore. Le théâtre de leurs premières effusions, orchestrées sous l’impulsion de leurs confessions. Les yeux à demi fermés, il sentit son cœur et sa respiration s’apaiser. Il échangea alors les rôles, son dos contre le canapé moelleux et la jeune femme couchée sur lui dans une étreinte à la fois douce et possessive. Son lit se serait sans doute révélé plus confortable, mais la lassitude l’étreignant soudain, il ne se sentait pas la force d’exécuter un geste de plus. Le monde pouvait s’écrouler et toute vie humaine périr dans d’atroces souffrances, il n’en avait cure. Il approcha ses lèvres de la tête de Jill, déposa un léger baiser sur la chevelure dorée, quelque peu pêle-mêle. « Je t’aime, » lui susurra-t-il, l’esprit déjà embrumé par le sommeil. Il ferma les yeux, inconscient de sa réponse — si réponse il y eut —, et s’endormit, heureux pour la première fois depuis longtemps d’exister ici-bas.

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@nero de funès / janvier 2021
Hold heart don't beat so loud. For me keep your calm as he walks out on you. No tears, don't you come out. If you blind me now, I am defeated. ( @emiliana torrini )

Les lèvres renouent avec exaltation, s’engagent sur la voie de la félicité céleste. Sa chair se découvre dans un rythme insensé, révèle l’écorce vulnérable jusqu’alors murée sous les tissus protecteurs. Les prunelles se livrent à une parade incessante, serpentent sur la grandeur de l’ossature qui la surplombe. Les doigts fondent sur les lignes efflanquées, s’investissent sur l’épine dorsale puis reviennent hâtivement vers l’avant du bassin. Accompagnent l’épris dans son dépouillement. L’ardeur se déploie dans le grenat à mesure qu’il démasque ses courbes séraphiques. Les protocoles obséquieux, eux, se dissipent dans l'œuvre épicurienne. Chaque geste, chaque brise expirée sur les lèvres s’imprègne des sentiments révélés. La rupture des chaînes sur le secret affectueux ne retient aucune pudeur. Mute l’Aphrodite en l’amante passionnée trop longtemps fixée dans ses propres chimères. Ce moment prodigieux maintes fois figuré dans son imaginaire, excite en elle chaque fluctuation dans son attitude enchanteresse. La bouche force un passage insatiable contre ses lippes exquises. S’y incorpore dans un râle divin. Délivre-moi  « Nero... » Le prénom surgit contre ses commissures, atteste de ses désirs avoués. Formule l’accord incontestable de leur union sacrée. Les mains entraînent le bassin à l’architecture sublime dans un fusionnement rédempteur. Délivre dans sa première jonction un soupir suave contre le creux de l’oreille de son amant immortel.

Les deux corps fanatiques se confondent dans la même nécessité. S’extirpent des années sourdes. S’unissent dans la même ritournelle. Se livrent au même rythme sensuel dont la nature n’a plus rien de scabreuse. Le corps se cambre sous les impulsions électriques quand les mains s'agrippent au porteur de plaisir. Renforce sur sa croupe ses réclamations. L’appétence, évidente, commande qu’il n’arrête jamais, plus jamais, de s’imprégner d’elle. En l’éprouvant de cette frénésie, idyllique et si longtemps convoitée.
Les complaintes amoureuses scandent sa respiration divinement infernale. Le bassin se plie à toutes les volontés du plaisir charnel qui les lient tous les deux. Les cheveux dorés s’entremêlent, glissent sur toutes les longueurs du canapé. Le dos imprégné de leurs ardeurs ne cesse d’en épouser les coutures sous les assauts passionnés qu’il lui fait. Dans un mouvement enflammé, l’amant se redresse sur le canapé. Explore avec une nouvelle fougue son intimité. Appuyé là à demi contre-elle, à demi sur le canapé, les émotions explosent dans les cavités de son coeur, sillonnent dans sa chair pour aller s'inviter dans les vallées exquises de son jardin secret. La passion fulmine le long de ses joues bouillonnantes. Les jambes s’entrouvrent dans l’assaillement délectable, se laissent aller aux commotions aphrodisiaques. L'ouïe accapare les plaintes éphémères de l’amoureux voluptueux, autorise le souffle et les soubresauts à venir s'y confondre. Puis les corps s'entremêlement dans l'union parfaite jusqu’aux portes fatidique mais pas moins glorieuses de l'accomplissement. Dans ce moment d’extase suprême, Jill se contorsionne dans une oscillation trémmulante, laisse Nero l'achever d’un baiser ô combien brûlant. Et ô combien chéri dans l’instant éternel.

Le souffle reprend sa mesure régulière. Modère les battements de leurs ébats exaltés. S'amenuise à mesure que les minutes s’écoulent dans l’obscurité. Bercée contre son corps encore chaud, la silhouette repose désormais au-dessus de Nero. Son visage collé contre son cœur, la gracieuse Jill éreintée par ses émotions s’y laisse faillir. S’estompe dans l’écho exprimé par l’ancien factotum qui n’est plus. Par leur passé commun et désuète qui n’est plus. Tout est enfin légitimé. Tout est enfin exprimé. Et rien de plus, semble-t-il, ne pourra plus jamais les maintenir dans les faussetés. Car ainsi, dans les ténèbres planant autour d’eux, après cette nuit insondable mais combien parfaite, la vie de Nero De Funès et de Jill Blackwell prenait un tournant inexploré. Que Jill sur la cime de l’ensommeillement, percevait comme l’amorce d’un nouveau prélude. Dont le premier acte s'achevait sur les révélations les plus merveilleuses de son existence.

* * *

(c) mars.

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