Un frisson étreint Séléné lorsqu'elle sort de la caserne ; elle ne pensait pas qu'il faisait si froid dehors. Elle est d'ailleurs surprise de voir quelques flocons virevolter dans les airs. Il neige, sérieusement ? Un sourire étire ses lèvres. Si elle aime l'hiver, c'est uniquement pour cette raison ; la neige et toute la magie qu'elle apporte en recouvrant la terre de son sublime manteau blanc. Un nouveau frisson la fait revenir à elle et l'incite à reprendre sa route. Sa journée de travail est enfin finie et bien qu'elle adore son métier, elle avait hâte d'être enfin libre.
D'habitude, elle n'est pas vraiment du genre à traîner dehors, que ce soit au centre-ville ou ailleurs. Elle est même plutôt casanière et apprécie de passer son temps libre chez elle. Pourtant, aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Elle n'a nullement envie de rentrer chez elle. A vrai dire, elle a d'autres projets en tête, c'est pour cette raison qu'au lieu de rejoindre sa voiture garée non loin, elle remonte la rue sans jamais ralentir son pas. Son regard se perd de temps en temps sur les vieux bâtiments miteux qui se succèdent. Ashmill n'est pas vraiment le quartier le plus sûr d'Exeter et il est vrai que, parfois, Séléné sent sa témérité lui faire défaut.
Tout en marchant, la brunette sort son smartphone pour envoyer un message à Andy. Hey, un petit verre au pub irlandais d'Ashmill, ça te tentes ? Pianote-t-elle rapidement avant de l'envoyer. Lorsqu'elle relève les yeux, elle peut apercevoir au loin l'enseigne du fameux pub. The cave. Elle y est déjà allé, deux ou trois fois, parce qu'il n'est pas trop loin de la caserne. Et peut-être aussi parce que l'ambiance qui y règne lui rappelle ses racines. L'Ecosse lui manque, de temps en temps. Peut-être y retournera-t-elle, dans quelques années. Ou peut-être restera-t-elle ici jusqu'à sa mort. Exeter a l'air de l'attirer comme un aimant, peu importe ce qu'elle fait. Elle y est toujours revenue. Toujours. Et quelque chose lui dit qu'il en sera toujours ainsi. Exeter fera toujours partie d'elle.
En arrivant devant le pub, Séléné jette un rapide coup d'œil à l'écran de son smarphone. Pas de réponse. Bon, en même temps, ça ne fait pas longtemps qu'elle a envoyé le message et... Peut-être qu'il est occupé. Peu importe. Elle décide d'entrer malgré tout. Avec les derniers événements qui se sont passés, elle a grandement besoin d'un verre. Qu'elle soit seule ou accompagnée. Au début, elle est un peu surprise de voir que le pub est quasi vide. Il est pourtant pas loin de 18h. Mais là aussi ; peu importe. Elle s'installe et commande un simple cocktail. Mieux vaut commencer doucement, non ? Et peut-être même essayer de rester raisonnable pour la soirée entière. Séléné dépose finalement son téléphone sur la table et lorsqu'on lui apporte son verre, elle n'y touche pas. Son regard se porte plutôt sur cette alliance qu'elle devrait retirer de son doigt. Pourquoi n'y arrive-t-elle jamais ? Même lorsqu'elle la retire, ça ne dure jamais plus de quelques jours. Un léger soupir franchit la barrière de ses lèvres, pile au moment où son smartphone se met à vibrer, sans doute pour annoncer qu'un message vient d'arriver.
Il s'extraie de sa cellule avec un soupir, sans que l'on sache si c'est de soulagement, d'agacement, de contentement. Peut-être un peu des trois à la fois. Jette un dernier coup d'oeil à l'homme qui l'observe, note son sourire malicieux, celui qui n'a pas changé, qui n'a pris une ride en seize ans d'enfermement, et Andy serre doucement les dents. À demain, Sigma, qu'il lui balance comme une insulte et Andy, il sent bien sa nuque se raidir. Quand il a encore son goût sur les lèvres, qu'il n'en a même pas honte, parce qu'on ne lui a jamais appris à ressentir ça. La culpabilité, la honte, toutes ces conneries dont ils sont tous rongés et qu'lui s'en retrouve, finalement, délivrés. Referme la grille lentement, en prenant son temps, ses yeux grisonnants toujours plantés dans les siens, comme s'il allait s'échapper. Mais ici, il ne s'échappera jamais. À demain, qu'il répond seulement, d'une voix d'où on pourrait presque déceler autant l'impatience que l'amertume. On pourrait croire que c'est excitant, d'avoir un secret - surtout un de cette ampleur - quand personne, personne, n'peut imaginer ça. Mais Andy, il n'a jamais aimé ça, les secrets. Trop habitué à tout délivrer, quand ça fait déjà trop d'années qu'il cache ça à tout le monde. À Nora, à Novia, au reste de la meute. Se mordille la lèvre et éteint la lumière de la cellule, fixant un instant les yeux brillants qui le suivront jusqu'à-ce qu'il ait passé la porte de l'isolement.
Dans les vestiaires, se débarrasse de son uniforme de maton, avant d'quitter la prison et d'enfin jeter un oeil à son téléphone. Le message lui fait relever le coin des lèvres, mais il n'y répond pas tout de suite, pourtant. À se demander dans quel état d'esprit Séléné peut être pour avoir envie d'le voir, quand il s'imagine bien qu'toute leur relation ne tient qu'à ça, à sa capacité à l'apaiser un peu plus à chaque coup de sang. Dépose l'appareil sur le siège passager, avant de quitter la prison. En y laissant, toujours, un bout d'lui au creux de ses griffes, à lui. Parce qu'Andy lui appartiendra toujours un peu. Toujours un peu trop, certes. L'aime pas vraiment ce bar, le gardien, faut bien l'avouer. Le bruit, l'agitation, le monde. Préfère l'ambiance tamisée d'un salon tranquille, mais pourtant, à croire qu'elles le trainent toutes toujours dans des endroits pareils. S'garde non loin pour marcher un peu avant d'y arriver, à se planter devant la vitre pour l'apercevoir, de dos. C'est là qu'il sort son téléphone, pianote rapidement sur les touches avec un sourire en coin. Il faut croire que oui. Simple réponse, il enfouit son portable dans la poche de sa veste et pousse la porte du bar. Sans l'avoir quittée des yeux, il sillonne jusqu'à elle en ligne droite, de sa démarche assurée, son regard perçant lui grignotant l'épaule et le dos. Fort heureux de constater qu'il n'y a pas beaucoup de monde, qu'il est encore tôt, qu'c'est mieux comme ça et que ça le gêne moins, sur l'moment, de l'y avoir rejoint.
Il s'installe directement sur le tabouret à côté d'elle, d'abord sans la regarder, comme s'il était un inconnu, avant d'effleurer son avant-bras du sien en prenant place. Sacré hasard, Séléné, qu'il souffle doucement, avec un sourire mutin, avant de tourner le haut de son corps vers elle pour lui adresser un clin d'oeil. Il fixe le cocktail déposé devant elle, esquisse une grimace, à n'avoir jamais trouvé son compte dans l'alcool, quand il se penche sur le comptoir pour infuser ses iris perçants sur le barman qui se fige lentement comme s'il le crucifiait. Vous auriez du blanc ? Un chardonnay, un pinot gris, c'que vous avez. Il attend quelques instants, avant de recevoir son verre, le portant à son nez pour en humer les fragrances et le reposer sans y avoir touché. Il se tourne vers elle, lentement, avec la patience du calculateur, la scrutant avec un peu plus d'attention. Que me vaut le plaisir de cette invitation ? qu'il demande sur un ton détendu, retirant sa veste pour la déposer délicatement sur le dossier de sa chaise. Enfin, avant, trinquons, tu dois avoir soif, qu'il sourit en levant son verre vers elle, le regard brillant.
Ses iris bruns glissent jusqu'à l'écran de son téléphone et sans même l'attraper, elle le déverrouille et lit le message qu'elle vient tout juste de recevoir. Un léger sourire gagne ses lèvres lorsqu'elle découvre la réponse d'Andy. Elle est soulagée qu'il n'ait pas décliné son offre parce qu'elle avait vraiment besoin de lui aujourd'hui. Bien qu'à vrai dire, ce n'est pas la colère qui nourrit ce besoin de ne pas être seule. Non, c'est une toute autre émotion qui pourtant la blesse tout autant. La tristesse. C'est une émotion que Séléné sait maîtriser, contrairement à la colère, mais ce n'est pas pour autant qu'elle se sent à l'aise avec cette vieille amie.
Le regard désormais planté sur son cocktail, elle se laisse happer par quelques pensées. Et évidemment, c'est à ce moment là qu'Andy arrive. Séléné sursaute légèrement en sentant qu'on effleure son avant-bras en venant s'assoir à ses côtés. Instinctivement, elle a le réflexe de s'écarter légèrement de l'inconnu avant de réaliser, en posant son regard sur lui, que ce fameux "inconnu", c'est Andy. Un peu malgré elle, Séléné ne peut s'empêcher de ressentir une pointe de soulagement car pour tout avouer, elle avait eu peur de tomber sur un gars relou.
- Il n'y a aucun hasard lorsqu'on se fait inviter par quelqu'un Andy, répond-t-elle en lui offrant un sourire joueur. Le regard toujours planté sur lui, elle se demande ce qu'il pense. D'elle, de leur relation étrange et du reste. Un nouveau sourire glisse sur ses lèvres lorsqu'il se met à fixer son cocktail tout en esquissant une grimace. Tu désapprouve mon choix de cocktail... ? Lui demande-t-elle en riant doucement. Il est pourtant magnifique, son blue lagoon. Bon certes, ce n'est pas vraiment ce qui importe mais bon. De temps en temps, un peu d'alcool, ça ne fait pas de mal. Tant qu'on ne tombe pas dans l'excès.
Elle est presque surprise de le voir commander du vin. Pour le coup, ce n'est pas vraiment son truc, le vin. Peut-être parce qu'elle n'a pas ce légendaire talent pour reconnaître les bonnes bouteilles. Une lueur amusée danse dans ses iris sombres lorsqu'il porte son verre à son nez, comme le font tous les véritables amateurs de vin. Voilà l'avantage des cocktails ; aucune surprise possible.
Que me vaut le plaisir de cette invitation ?
La question tombe enfin. Il n'a pas tardé. Séléné esquisse un sourire gêné. Il faudrait qu'elle l'invite un peu plus souvent et pas uniquement pour apaiser ses démons. Elle n'a pas envie qu'il se sente... Utilisé. Parce qu'elle l'aime bien, Andy. Sauf qu'elle a cette fâcheuse tendance à briser toutes ses relations positives, que ce soit volontairement ou non. Un léger soupir lui échappe.
- Trinquons, souffle-t-elle en attrapant son verre pour le faire tinter contre celui du jeune homme. Elle n'attend pas plus longtemps pour porter le verre à ses lèvres mais n'en prend qu'une légère gorgée avant de reposer son verre devant elle.
- Demian est revenu à Exeter, finit-elle par avouer en relevant les yeux pour chercher ceux d'Andy. Elle sait qu'il saura ce que ça veut dire pour elle, parce qu'elle lui a déjà parlé de lui. Et elle sait qu'il n'y pourra rien mais... Elle avait besoin de se confier à quelqu'un. Et Andy est l'un des seul a qui elle accorde sa confiance pleine et entière.
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