Can't rain all the time

the Sleeper has awakened Comme à chaque fois qu'il se réveillait en sueur, Rosie l'Orchidée le jugeait. Rosie, la plus snob de toutes les plantes que Roy possédait. Snob, intimidante aussi, mais l'homme prenait soin d'elle comme de toutes les autres. Juste que c'était pas à elle qu'il fallait parler, plutôt aux fougères. Et puis Rosie n'aimait pas qu'on lui fasse la lecture...
Etait-ce fou de peupler sa vie par des plantes, était-ce fou de leur parler de la même manière qu'i faudrait parler aux hommes et aux femmes dans un monde parfait, sans anxiété sociale? Peut-être, et Roy se serait bien accommodé d'une folie ordinaire comme cela.

A travers les stores, l'ombre, juste l'ombre. Elle dégoulinait dans tout l'appartement, se cognant contre les piles de livres qui envahissaient l'espace. S'y dessinaient alors des formes étranges, irréelles, comme autant de monstres et de créatures pour quiconque avait de l'imagination.
Comme d'habitude, le brun se tourna dans le lit trop grand (c'était toujours comme ça quand on y dormait seul), attrapa le dictaphone (il détestait écrire) et murmura les derniers souvenirs de son rêve. Mettre des mots dessus aidait : peu importe la part de surnaturel ou de fantastique, un rêve perd de sa valeur sitôt qu'on cherche à le raconter, l'expliquer.

Etait-ce fou de rêver tous les soirs de morts ainsi? Jamais la sienne, en cela Roy était béni: il voyait des gens avec des habits démodés, des coiffures démodées, des époques démodées. Il voyait des gens vivre leurs derniers instants aussi, et cela était toujours dans la violence : meurtres, tragédies, catastrophes, suicides, accidents...
Il ne pouvait rien faire, juste regarder. Parfois, même dans le rêve, le sang coulait jusqu'à lui. Le dormeur se réveillait et, à chaque fois, il n'en restait rien.

Certaines maîtresses avaient essayé de le veiller déjà. Sauf que rien ne s'apaisait, sauf qu'elles possédaient des fardeaux parfois trop grands elles aussi. Il n'y avait pas d'intimité possible, simplement des échanges. Se raconter des souvenirs, des enfances, pourquoi faire? Savoir que Roy avait été enfant unique n'aidait pas ces femmes, savoir que son père et sa mère avaient déménagé ailleurs, qu'une fois par mois il mangeait chez eux le dimanche (il y avait déjà emmené des femmes) non plus. Savoir, savoir, savoir...

”Tu as été flic avant, ou bien tu es né détective privé, genre déjà avec la barbe, l'air sombre et la moustache?” Parfois, il y avait assez d'intimité pour des questions. Les mots de Roy se bousculaient toujours un peu quand il répondait, certaines femmes les cueillaient d'un baiser, d'un rire, de quelque chose.
Il parlait des différentes formations qu'il avait eu à suivre, et parfois cela l'apaisait. Parler des études, pas du métier en lui-même, de longues heures de routes qu'il s'imposait parce qu'il reconnaissait le visage d'un enfant aux infos nationales. Un enfant qu'il avait imaginé mourir la nuit précédente parce que son fantôme l'avait touché par tous ses ressentis. Sauf qu'on parlait simplement de l'anniversaire de sa disparition, que cela faisait dix ans déjà...
Alors, Roy prenait sa voiture, conduisait comme un fou en traversant les Etats pour demander aux parents de lui donner l'enquête, de le payer.
Et puis il leur ramenait le corps, suivant patiemment les indices de ses rêves.
Il n'avait jamais rêvé d'une mort vieille de moins de dix ans, d'une certaine manière cela était mieux, l'empêchant de devenir fou, de penser qu'il pouvait peut-être faire quelque chose, aider, empêcher...
Non, il ne le pouvait pas.

Le pire? Ramener les corps ou la vérité ne lui rapportait pas la paix. Peu importe les nuits, peu importe la logique, Roy se retrouvait à rêver de morts déjà élucidées. Dans tous ce catalogue au final, certaines avaient ses préférences, des plus douces dans leur violence, des plus tendre, des plus mélancoliques. Des qui avaient réellement le goût de rêves, lui permettaient de se reposer.

Hélas, trop occupé par la mémoire des disparus, Roy n'avait plus de quoi vivre pour lui-même. La plupart des femmes le quittaient sans colères, la plupart l'aimaient encore aussi à leur façon, et lui les aimait aussi de la sienne mais cela était comme d'autres rêves, de ceux qu'ils ne faisait pas, ne faisait jamais.

Et Roy Marsten, hanté à chaque nuit par sa propre imagination et craignant plus que tout d'oublier, se souvenait de chacun des prénoms des femmes qui n'avaient pas été sa vie à lui, de chacune des dates d'anniversaires aussi. Il les avait aimé un jour, ne serait-ce qu'un peu, oublier était une phobie, oublier était une cruauté. Pour elles, il ne voulait pas de cela...
Je me souviens de toi, murmurait-il parfois lors de retrouvailles impromptues. Et Roy ne mentait jamais...

Il se réveillait en sueur la nuit, comme à chaque fois, et comme à chaque fois, Rosie l'Orchidée le jugeait. ”Tu sais Rosie, si tu ne t'y habitues pas alors je vais devoir te trouver un autre foyer. Ton comportement négatif me court un peu sur le haricot, tu comprends?”