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 greyhounds ▬ arthur

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Jeu 5 Déc - 15:23


Exeter. Une ville insipide, le vestige grisâtre de la sur-industrialisation des campagnes américaines. Rongée par la vermine, la pauvreté et la misère, un cloaque qui collait parfaitement à l'image qu'il s'en était faite lors de ses quelques recherches. Un bouge sans pareil, quels que soient les efforts que des générations de Maire aient tenté pour en redorer l'image. Ils sont des lieux qui sont au-delà du sauvetage. Laids par essence, viciés de naissance, ils sont les rejetons du manque d'inspiration et de moyens. Un cadre idéal pour accueillir ses rejetons. Joshua Henderson Jr devait reconnaître cela à ses proches. Ils avaient du goût pour la vétusté. Une orientation naturelle pour l'auto-destruction qui ravissait le Père de Famille.

Parce qu'il était ravi, de tout ce qu'il avait découvert. Les ruelles sordides, à l'arrière des bars, qui sentaient la pisse et les fonds d'estomac. La vétusté à peine masquée d'une Mairie à l'architecture sans charme. Si le poumon de la ville, son vieux quartier, était mignonnet, il était vite rattrapé par la noirceur de certains de ses habitants. Des façades en cache-misère pour prétendre que les dealers ne grouillaient pas comme des rats, que le taux de criminalité du coin était excessif, et que les enfants du pays ne traînaient pas leurs guêtres dans la dope ou la prostitution. Les maisons-closes et les prostituées sur le bas-côté l'avaient fasciné. Le ronronnement puissant des motos de ce gang de bikers, les Cyclops, de ce qu'il avait retenu, l'avait emporté comme la plus douce des mélopées.
Un chaos ambiant jubilatoire. La recette de la perte, celle à laquelle il ne faisait qu'aspirer depuis ses quinze ans. Que ses enfants baignent dedans avec autant de bonne volonté, sans marquer la moindre volonté d'en partir, était jubilatoire.

Toutes les raisons étaient bonnes, et la sienne était la meilleure. Joshua n'avait pas mis longtemps à réserver la meilleure chambre du meilleur hôtel du patelin, en attendant que son assistant arrange les papiers pour l'achat d'une bicoque quelconque. Une note supplémentaire pour la société, des frais de vie tout à fait ordinaire. Un coup de fil à Lyn, pour lui expliquer ce qu'il en était. Sa pauvre et tendre épouse silencieuse au bout du téléphone, alors qu'il lui avait expliqué les raisons de sa décision. Se rapprocher de ses enfants. Les soutenir, du mieux qu'il le pouvait. Ce ne serait que temporaire. Acheter une maison lui permettrait à elle, aussi, d'avoir un pied à terre dans le secteur et de visiter Outil et Erreur à loisir. Pouvait-elle envoyer une voiture avec son matériel de chasse et quelques vêtements ? Bien sûr, qu'elle le pouvait. Bien sûr, qu'elle l'avait fait.

Parce que toute aussi insipide et sans attrait que soit Exeter, elle jouissait d'une forêt magnifique. Dense, oppressante, s'étirant sur des kilomètres. Il en avait longé la lisière, après la négociation de son premier contrat avec la Mairie. Avait humé son parfum opprimant, s'était enfoncé sur quelques dizaines de mètres. La forêt l'avait accueilli à bras grands ouverts pour se resserrer tout autour de lui, laissant dans l'étreinte l'impression qu'il n'en ressortirait jamais. Si les lieux urbains le laissaient froids et perpendiculaires, il avait toujours été appelé par cette nature farouche et sauvage. Celle qui vous happe sans jamais vous recracher. Qui vous digère jusqu'à la sève, et ne laisse plus rien d'autre de vous qu'un mauvais souvenir. Il l'avait aimée, cette forêt ancienne. Il avait aimé cette poussée d'adrénaline occasionnée par la perte de tous ses repères, il avait aimé cette vibration dans ses membres à chaque cri inconnu. Une forêt moribonde mais grouillante de vie. Un coup de foudre qu'il allait conclure avec son fusil.

Etrange, de ne pas avoir ses chiens avec lui. Une casquette en tweed vissée sur les boucles poivre-sel, sa cigarette au creux des lèvres, et le fusil au creux du coude. Il était très tôt quand il se décida à la conquérir. Les premières heures matinales n'avaient pas encore la force de chasser les nuages de brume. Epais et paresseux, ils entamaient la vision du prédateur, conférant à toute l'ambiance de cette première chasse une intensité presque mystique. S'il y avait cru, Joshua aurait senti le regard des esprits d'Exeter lui lécher la nuque. Même sans y croire, il sentit un frisson dévaler le long de son échine en s'enfonçant dans ses profondeurs. Un frisson d'excitation.

Trois balles seulement, pour ce matin. Il n'était pas venu pour tuer, mais pour se présenter, avec tout le respect dont il était capable. Certes, il ne serait pas contre un civet au repas, mais il doutait encore de la capacité des cuisiniers de l'hôtel à en servir un convenable. Peut-être rachèterait-il le cloaque, lui aussi, pour y mettre un de ses chefs étoilés. Un investissement dont Exeter aurait bien besoin, parfaitement superflu en ce qui concernait l'argent familial. Il y réfléchirait, probablement. Il y réfléchirait s'il abattait quelque chose. Une opportunité qui finirait certainement par arriver, compte tenu de la vie foisonnante qu'il avait repérée dans ces bois.

Vie qui retenait son souffle à présent, sur le passage du prédateur. Patient, il s'installa à l'abris d'un buisson, et se laissa porter par sa musique. Capta les inspirations de la forêt autant que ses murmures, les yeux fermés. L'oreille aux aguets. Fondu dans la nature, un corps étranger qui cherchait à s'assimiler, c'était comme ça qu'il était le mieux. Loin des Hommes, dans sa propre tête. Apaisé, son coeur, alors qu'il se concentrait. Silencieux, son souffle, maintenant qu'il vissait son regard à la lunette de son fusil.

Déclic.
Premier coup de feu.
Le buisson qui s'agitait, à une dizaine de mètres du chasseur, devint aussitôt immobile.

Déclic.
Deuxième coup de feu.
Une voix échappa du buisson.
Une voix qui était bien trop humaine pour être celle d'un lapin.

Agacé, le chasseur cassa son fusil en se redressant. L'envie de tirer sa dernière balle et de laisser le "gibier" pour mort lui effleura l'esprit, mais il se retint. Il venait d'arriver à Exeter. Il avait une réputation impeccable, malgré certains accidents malencontreux. Mais, surtout, si l'autre était mort, il faudrait cacher le cadavre. Bien sûr, la vie foisonnante de cette forêt pourrait lui donner un coup de main. Mais elle ne serait jamais aussi efficace qu'une généreuse donation pour payer les frais médicaux et le silence du fils de chienne qui venait de ruiner tout son plaisir.

Drapé de mépris et de son manteau en laine, Joshua s'échappa de sa cachette pour rompre la distance. Approcha le buisson d'un air circonspect, le scruta quelques instants en s'attendant à y trouver la rougeur du sang. S'arma de son sourire le plus gêné alors qu'il croisa enfin le regard pâle de l'importun. Il avait raison. C'était effectivement un fils de chienne.

Définitivement pas un lapin.

De la froideur, malgré son air affecté. Un mépris évident pour l'homme aux cheveux moutonneux qui s'extirpait enfin du buisson. Un pincement au coeur en le voyant en pleine forme. Choqué, assurément, mais en pleine forme.

-Grâce à Dieu, vous êtes indemne.

Sourire de convenance vissé au visage, poignée de main un tantinet fébrile, l'autre main sur celle de l'emmerdeur pour témoigner d'une confusion et une chaleur qu'il ne ressentait pas particulièrement. Son fusil cassé au creux du coude, inoffensif, pour faire gage de sa bonne foi. S'il lui restait une dernière balle, elle ne serait pas pour lui.
Pas pour tout de suite.

-Avec un tel brouillard, distinguer homme et bête peut s'avérer plus que délicat. Je vous présente mes plus plates excuses pour la méprise.

Une rapide évaluation de son interlocuteur. Equippé pour le froid, à moindre coût. Ni fusil ni panier, ni chasseur ni ramasseur de champignons. Que faisait-il dans ce buisson, en pleine forêt, aussi tôt dans la journée ? Un mystère qu'il ne tarda pas à percer en coulant son regard sur les chaussures boueuses de son compagnon. A ses pieds, une masse de poils grisâtre et immobile. Un lièvre mort. Pas de sang dans les feuilles, ce n'était donc pas la proie que visait Henderson. Un braconnier ? La fourrure de l'animal ne portait ni la marque d'un collet, ni le piège lui-même.

-Puis-je savoir ce que vous faites ici à une telle heure ? C'est un coup à vous faire abattre, l'ironie de notre situation mise à part.

Il y avait quelque chose qui émanait de cet individu. Une impression similaire à celle qu'inspirait cette forêt. Une impression ancienne et primitive. Oubliée depuis des années.
Un vieux souvenir.


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Sam 7 Déc - 17:57


Cinq heures trente du matin. Le réveil sonne et les voix matinales de la radio s’éveillent. Elles prennent place dans la modeste chambre de l’homme autre fois installé dans un lit bien plus cher, bien plus confortable aussi. Les pupilles s’ouvrent sur le plafond et dans un soupir las, il déplace lentement sa main contre le bouton qui éteint les voix et les rires trop forts pour ce matin. Le brun aux cheveux grisés par le temps se lève, s’étire et re-fait son lit dans un silence seulement accompagné de la tuyauterie un peu douteuse de l’immeuble. Des gestes automatiques, une vie parfaitement réglée et tout ira bien, comme depuis des années.

Pourtant, il ne peut pas le nier, avec le temps, cette envie autrefois omniprésente et dévorante, étouffée par la force des choses, revient le titiller. C’est subtil, presque inaudible pour l’oreille inattentive. Mais Arthur le sent, tout au fond de lui, ce besoin grandissant qui gronde de plus en plus fort. La cage en fer dans laquelle il avait enfermée sa passion se craquelle et lui laisse des frissons, dans des flashs enivrants, des rêves envoûtants, d’un passé qu’il idolâtre toujours plus avec le temps. Mais il le sait, Dent, la différence principale entre l’homme et l’animal c’est le contrôle de ses pulsions. Aussi, il se contrôle. S’il passe de plus en plus de temps dans les bois à récupérer du gibier morts et délaissé, il arrive à s’en contenter, se dire que ça lui suffit. Il n’a pas besoin d’être l’homme qui va faire avancer la science, quelques sutures et petites expériences, beaucoup de sucreries, ça lui suffit.

Prenant son petit déjeuner seul, dans ce silence toujours aussi glauque, il ne tarde pas à enfiler ses bottes et son blouson bien épais pour aller dans la forêt. Avant que la vie se lève, lui, avance au rythme des premiers rayons du soleil. Entre la nuit et le jour, entre le bien et le mal, dans cette ligne, si fine et si précise, qu’elle lui donne la sensation d’être un être un peu exceptionnel. Cette heure n’est qu’à lui, elle n’a toujours été qu’à lui. Les gens de la nuits s’endorment et ceux de la journée se réveillent, et lui, il vit. Son palpitant cogne contre sa cage thoracique alors qu’il referme derrière lui la porte de son appartement. Les mains dans les poches et un sac vissé sur le dos, il marche à pas déterminés au travers de la brume épaisse afin de retrouver sa forêt bien aimée.

Le bout de son nez gelé et ses yeux qui le brûlent un peu, il avance à pas de loup dans l’épaisse forêt et tel un vautour, observe le sol avec une précision qui lui est propre. Ses yeux se perdent un peu à droite à gauche, chassant les moindres traces, la moindre vie qui avait pu passer par ici. Et enfin, il pose son regard sur le butin tant espéré. Sourire grandissant, il s’avance tel un chien renifleur à suivre les traces de pattes qui le mènent jusqu’à un buisson. Et là, enfin, son cœur se desserre et l’oppression de cette ville de merde disparaît pour quelques instants. Face à lui, un lièvre mort. Arthur s’abaisse lentement et ses bottes en caoutchouc font ce bruit désagréable alors que l’odeur de la forêt enivre ses narines. D’une main douce, il effleure la fourrure de l’animal, cherche à déterminer la cause de la mort de ce dernier quand le monde bascule, son monde bascule.

Le coup de feu lui laisse un sursaut incontrôlé, on vient de le perturber dans son intimité. Instant de panique, Arthur regarde la bête, incapable de la laisser ainsi, le cerveau qui part dans tous les sens tandis que le deuxième coup lui passe si près qu’il peut sentir la poudre brûlante qui s’est mêlée à la brume épaisse. Les oiseaux s’envolent tous en même temps autour de lui. La forêt s’éveille plus tôt que prévu à cause de l’homme au fusil. Arthur, lui, laisse échapper un « Putain de merde ! » Qu’il regrette amèrement à la seconde où il est dans l’air. Loin d’être impoli, l’homme avait laissé l’effet de surprise le prendre de court et lui enlever toute sa courtoisie. Déstabilisé, il se relève lentement alors que l’autre casse enfin la distance avec ses pas et non son fusil. Les yeux du confiseur se glissent dans ceux de l’homme avec cette peur qui lui tiraille encore les entrailles.

Enfin parfaitement relevé et à hauteur de son chasseur de tête, c’est lui qui entreprend la conversation par une phrase qui laisse Dent dans cet air perplexe alors qu’il cherche à scinder son regard. « Il n’aurait pas fallu beaucoup plus pour que ce ne soit pas le cas, pourtant… » Qu’il marmonne avec cet air frais du matin, glissant à nouveau ses mains dans ses poches pendant que l’autre en profite pour se justifier et s’excuser. Il a ce ton, ce ton si particulier, si unique qu’Arthur avait entendu dans sa vie. Ce ton qu’il n’associait qu’à une certaine partie de la population, population de son passé, qu’il ne pensait jamais croiser à Exeter.

Ses yeux se perdent sur les habits de l’homme et le doute n’est définitivement pas permis, celui qui avait failli l’achever de bon matin ne faisait pas partie de ces hommes que l’on croise partout. Il était comme ceux de son enfance, ceux qui ne seraient jamais comme lui, avec des vêtements aux coutures impeccables et un fusil fait de matières plus nobles que tout ce qu’Arthur possédait. Il avait essayé, durant ces années de gloire, de changer sa vie, de faire partie de cette fameuse catégorie. Passer de l’autre côté du miroir et être l’un des leurs mais il n’avait jamais vraiment réussi. Et l’idée avait complètement été abandonnée alors que ses doigts brûlés l’avaient amenés à Exeter, ce trou paumé.

Resserrant ses phalanges dans ses poches, il répond avec sa voix douce, bien qu’on puisse encore y lire la surprise pure dans les quelques tremblements qu’elle contient. « Vous êtes tout excusé, d’ordinaire, il n’y a pas grand monde dans ces bois, la méprise est tout à fait compréhensible. Je reste heureux que vous ne m’ayez pas touché, ça aurait été une drôle de façon de commencer ma journée. »

Sourire tendre sur les lèvres, Arthur cherche déjà un moyen de s’éloigner de l’homme qui lui a gâché son plaisir matinal. Mais l’autre ne semble pas décidé à voir la suite des événements se dérouler ainsi et lui pose une question, somme toute, tout à fait cohérente. L’esprit trop terre à terre du confiseur et ce besoin de passer pour un être ordinaire le force à ne pas tourner les talons. Il n’a éveillé les soupçons de personne durant des années, ce n’était pas le moment de commencer. Aussi, d’un haussement d’épaules incertain, il prend cet air d’enfant pris la main dans le sac en regardant le lièvre décédé à leurs pieds et se lance. « L’hiver prend place et j’avoue qu’un bon gibier n’est jamais de refus à ma table. Pour autant, vous allez rire, mais je déteste les armes à feu… Alors il m’arrive de traverser la forêt de bon matin, d’ordinaire avant les chasseurs, et de récupérer quelques morceaux de gibier. » Il lui offre un sourire un peu plus ancré et se penche pour attraper la bête en question. « Je venais juste de trouver ceci, quand vous m’avez repéré. Le manque de balle me fait dire qu’il n’a pas été tué par un chasseur, peut-être s’est-il pris une voiture, c’est assez courant par ici. » Faux doute, faux questionnement pour brouiller les pistes, il hausse de nouveau les épaules et tend le lièvre par les oreilles à celui qui avait failli le prendre lui, pour son gibier. « Le voulez-vous ? J’imagine que si vous chassez, c’est pour attraper ce genre de choses, autrement vous n’auriez pas visé un buisson. » Toujours tout sourire, avec son lièvre mort tendu au bout des doigts brûlés, il ajoute, avec cet air curieux qui prend place dans ses yeux. « Vous êtes nouveau par ici ? Je ne vous ai jamais vu dans le coin, et pour être tout à fait honnête, les chasseurs qui prennent place ici d’habitude sont bien moins matinaux que vous. » Un petit rire cristallin qui s’échappe de ses lèvres.

Pourquoi avoir continué la conversation plutôt que fuir ? Pourquoi s’approcher de l’homme plutôt que de s’enfuir ? Arthur avait le don de s’embourber toujours dans de drôles de situations mais pourtant celle-ci avait des tonalités différentes. Un air de nostalgie qui planait dans l’air, avec la brume et la sève. Quelque chose d’étrange et d’indescriptible, quelque chose qui lui rappelait avant.



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Re: greyhounds ▬ arthur
Lun 27 Avr - 18:02


Le fusil cassé pendu au creux de son coude probablement aussi froid que le regard qu'il posait sur l'importun, Joshua grinçait des dents. Son arrivée à Exeter s'était faite avec tout le faste imposé par son statut. Des chauffeurs aux grosses voitures en passant par les salamalecs du Conseil Municipal. Le monde se courbait obséquieusement sur son passage, et, pourtant, certains n'avaient pas encore pris le pli. En attestait ce type qu'il aurait probablement mieux fait de farcir de plomb quand il le prenait encore pour une cible à abattre. Gibier ou prédateur ? Le canon de son fusil ne faisait pas réellement la différence. Le métal ciselé pointé vers les buissons, les balles abattraient toujours n'importe quoi, pour peu qu'elles s'enfoncent dans les chairs. Qu'importait qu'il s'agisse d'un lapin ou d'un homme.
Pourtant celui-là, il aurait peut-être mieux fait de l'abattre. Mais ni la bienséance ni le politique correct ne l'auraient apprécié. Fraîchement arrivé et déjà arrêté, le président de la Henderson Ent. Des gros titres dont il n'était pas fâché d'être épargné.

L'homme aux bouclettes cendrées semblait avoir sensiblement son âge, sinon plus jeune. Passé un certain stade de rides, deviner le nombre d'années d'un individu devenait difficile. Passé un certain statut social, il n'était plus digne d'intérêt non plus pour Henderson. Sourire au visage, et mépris au fond des iris marrons. Croisés, les glaciers, qui renvoyaient une expression affable, presque timide. Un frisson à l'arrière de la nuque presque familier. Parce qu'ils lui rappelaient vaguement quelque chose, ces yeux, malgré les nombreuses ridules qui les accentuaient. Cerclés de pattes d'oie et souriants, il avait presque la sensation de les avoir vus sans l'écorce des années, jeunes et vifs. Le spectre d'un souvenir qu'il n'avait aucune envie d'invoquer aussi tôt dans la journée, dans ce bois encore gonflé de brume et de rosée. Etait-ce pour cela que l'agacement grimpait le long de ses nerfs ? Pour cette vague impression d'avoir déjà vu ce regard quelque part, sans réussir à mettre le doigt dessus ? Bien des choses étaient frustrantes pour l'homme, bien au-delà de l'apparence de sa maîtrise parfaite de lui-même. Au-delà de la frustration grondait la crainte d'avoir oublié quelque chose d'important.
La peur de la familiarité, qui rappelait la décrépitude des cellules. Il avait beau brasser les dollars par milliers, aucun d'entre eux n'avait encore servi à payer les scientifiques suffisamment pour qu'ils inventent l'immortalité tant du corps que des mémoires.

Léger rire de circonstance devant la boutade de l'homme. S'il était certain que l'autre n'avait aucune raison valable de traîner dans ces bois à une heure si matinale, il devait reconnaître qu'il l'exposait avec un humour certain. Le rire facile, Joshua, quand ça l'arrangeait. S'il souhaitait passer des premiers jours aussi tranquilles que possible dans cette abominable Exeter, il avait tout intérêt à ne pas se mettre le baladeur à dos. Crocs si longs qu'ils étaient enfoncés dans la terre meuble, sous les feuilles mortes. Si longs en attendant la réelle raison de la présence de l'autre dans le terrain de chasse qu'il avait arbitrairement décidé de posséder. Alors chasseur, promeneur ou braconnier ? Nuisance ou nuisible ?
La réponse ne tarda pas à venir, nappée dans un sourire qui se voulait bien trop tendre. Bien trop affable pour le président, si habitué à la langue de bois que ses fesses étaient couvertes d'échardes. Un sourcil interrogateur se dressa devant l'explication plutôt bancale qu'on lui servit. Le mot "braconnier" s'imposa aussitôt dans son esprit. Trop cartésien pour connaître la nuance, Joshua Algernon Kingsley Henderson Jr. Trop étriqué pour se douter que l'autre puisse avoir raison sur ce point, alors qu'il avait été pris la main dans le buisson.

-Récupérer des morceaux de gibier aux premières heures de la journée, sans arme ni piège ? Qu'êtes-vous, écolo ou juste inconscient ? Vous ne possédez même pas de couteau.

Réflexion claquante, dans la fraîcheur ambiante. Douter de tout et de tout le monde n'était pas dans ses prérogatives, ne l'avait jamais été. L'affabilité du dragon assoupi sur son tas d'or. Mais il n'en était pas moins dupe, le chasseur. Il savait que les chances d'obtenir du gibier dans ces circonstances étaient très moindres. Et si le lapin semblait effectivement n'avoir aucune traces de poudre, ne baignait pas dans son sang ou n'avait aucun collet serré autour de la gorge, il avait beaucoup de mal à le croire. Bonhomie affectée et mensonge plus gros que l'autre ? Ou s'était-il déjà laissé vicier par l'atmosphère empoisonnée d'Exeter. Il jaugea le gibier, une expression dégoûtée passait sur ses traits altiers. L'odeur âcre de la mort lui picota les naseaux. Une vraie plaie de s'en débarrasser une fois qu'elle s'y était lovée.

-Il est tout à vous, vous l'avez trouvé le premier. Je n'aurais aucun mérite à ramener une proie que je n'ai pas moi-même abattue, d'autant que ce n'est pas là la raison pour laquelle je chasse.

Il n'en dira pas plus, n'éprouva aucun besoin d'en dire plus. Chacun ses raisons de fouler les terres sauvages d'une forêt. Le luxe de ceux qui peuvent se permettre de tuer pour se défouler, et non pas pour se nourrir. Mais si l'autre était effectivement un chercheur de mort, il n'en était pas moins bizarre. Les cueilleurs de champignons occasionnels étaient légion dans ce type de lieux. Mais des braconniers sans pièges ? Qui attrapaient des proies déjà mortes depuis si longtemps qu'elles commençaient à sentir ? Surprenant, très surprenant.
Une autre preuve évidente qu'Exeter n'était rien de plus qu'un bouge infâme, et que ses habitants n'étaient rien de plus que de la vermine, s'ils se nourrissaient de charognes.

Il aurait pu plier bagage et s'en tenir à ses impressions bien marquées. Mais il ne le fit pas, car l'autre rouvrait encore ses lèvres fines. L'air sympathique et avenant, toujours. Affable et conciliant. Aimable. Joshua abhorrait ceux qui étaient trop sympathiques et accessibles. C'était la preuve d'une faiblesse intellectuelle évidente, sans parler de cette abominable empathie. Pourtant il se plia aux convenances. Répondit au léger rire de l'autre avec une once de sourire, l'air de se décoincer légèrement. L'air, seulement. Avec sa charogne dans la main, l'autre ne lui évoquait rien de plus que du mépris.

-Quel dommage pour eux, ils manquent la meilleure opportunité. C'est à la faveur de l'aube que les proies sont les plus intéressantes. Encore assommées de sommeil ou sur le point de s'assoupir. Chacun ses habitudes je suppose. Quant à votre question, effectivement, je suis arrivé à Exeter il y a peu. D'où la méprise. J'aurais dû me renseigner d'avantage sur les habitudes de chasse locales, cela nous aurait évité bien du tracas.

Sympathique et avenant, le président, en réponse à l'importun. Proche et accessible, le visage ouvert, ne trahissant rien de ses pensées profondes. Rien de ce dégoût à chacune des effluves âcres de la décomposition, rien de cette méfiance qu'il entretenait vis à vis de ces yeux clairs qui lui semblaient impossibles à remettre. Posant une main sur la crosse de son fusil, en caressant distraitement le bois gravé de la pulpe du pouce, il ne bougea pas. Campé sur ses positions et à l'affût. Son père le lui avait suffisamment enfoncé dans le crâne pour que ça y soit gravé aussi profondément que ses initiales dans son fusil.

-Êtes-vous nombreux à arpenter cette forêt à la recherche de gibier, en des heures si matinales ? La route est pourtant loin, vous ne devez pas trouver grand chose.

Son ongle enfoncé dans les gravures du bois, une saillie de douleur le long du doigt. Il affecta une mine faussement désolée, affecta un de ces rires prétendument gênés qui marchaient si bien sur plus gros poisson que lui, dans la City. Un "suis-je" bête qui fit frisonner la forêt, alentours.

-Toutes mes excuses, je ne me suis même pas présenté. Je m'appelle Joshua.

Son regard coula le long du bras de l'autre, le long du lapin, si mort que la rigidité cadavérique s'était installée depuis bonne lurette dans ses membres souples. Ses petits yeux s'étrécirent, impérieux. Non, vraiment, il n'y avait aucune logique dans ces explications.

-Que comptez-vous en faire, de votre trouvaille ? Quelle que soit la raison de sa mort, il semble plutôt mal en point pour finir en civet. Bien que la cuisine soit loin d'être ma spécialité.  

Doux euphémisme. Il se contentait de ramener ses proies chez lui, et c'était son chef personnel qui s'occupait d'arranger les viandes comme il le pouvait, quel que soit leur degré de fraîcheur ou la quantité de plomb qui avait eu raison d'elles. Quand elles ne finissaient pas tout simplement abandonnées aux vers, ou dans le gosier d'un de ses dobermans. Earl lui manquait. Son étrange compagnon aurait probablement eu la verve plus déliée devant les crocs acérés qu'il partageait avec son chien, Joshua Algernon Kingsley Henderson Junir.

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