| | time that remains (bane) | |
| | |
| Bane&Maluum
Une madeleine de Proust amère, aux relents nauséeux lui sautait à la gorge. Maluum apprit l’accident de Bane au qg des cyclops, curieuse de l’attroupement anormal et du silence qui régnait entre ses camarades si braillards cloués à un mutisme dérangeant. Tout s’était transformé en un nuage de mots-clés qui se répétait tel un écho dans son esprit ; accident de la route, emi, que la silhouette de Bane englobait, engloutissant ses propres souvenirs qu’elle revivait avec trouble. Il est en soin intensif, qu’on lui disait. Pas de visite avant cinq jours. Cinq jours, pendant lesquels Maluum excella dans son apparence de calme olympien tandis que son for intérieur bouillonnait d’anxiété. Vivant sur les berges de son ancienne vie qu’elle avait tant chéri. Ressassant une expérience qui l’avait marqué, sa propre expérience de mort imminente, qui lui avait fait voir les êtres qu'elle aimait le plus, Bekki et son fils, qu’elle avait encore dans son ventre jadis, matérialisé par le plus parfait des enfants alors que tout baignaient dans une lumière apaisante. Mais aucun des deux ne l’avait appelé. Et quand bien même ils l’auraient fait, elle ne les aurait pas suivis. Peut-être savaient-ils. Qu’elle devait rester en vie. Que son chemin à elle devait continuer. Au prix d’une culpabilité du survivant qui la noyait encore, qu’elle matérialisait par son alliance autour de son cou, caché sous des couches de vêtements, comme le fardeau de sa survie au détriment des êtres aimés. Ce fut aux prémices de l’ouverture des heures de visites de l’hôpital qu’elle se présenta à l’accueil, prononça le nom de Bane Iwihilo avec fermeté. Dès son entrée au parking, chacun de ses pas demandait une force incommensurable pour ne pas sombrer dans ses souvenirs. Elle abhorrait cet endroit. Cet endroit à la fausse propreté immaculée qui ne faisait que cacher le désarroi de ces visiteurs, tous inquiets, perturbés par l’atmosphère commune de ces bâtiments où soins intensifs et autres examens s'enchaînaient. Elle ne mit pas longtemps à trouver l’étage, puis la porte. Maluum avait attendu l’échéance depuis presque une semaine et maintenant qu’elle était en face de son but, c’était comme si elle avait souhaité posséder encore plus de temps. Elle n’avait prévenu personne de sa visite, ayant simplement décidé que c’était quelque chose qu’elle devait faire, que c'était évident qu'elle devait le voir. Elle réalisa subitement qu’elle n’avait rien apporté. Pas même un plat fait maison, ni même une carte, un ballon, des fleurs, n’importe quoi. À part sa personne, comme si sa présence pouvait suffire après un tel traumatisme. Loin d’être assez. Qui était-elle, mommy, une des sorcières de son culte, de sa famille, une présence mystique qu’elle entretenait, sans effort, naturellement, c’était ce qu’elle dégageait. L’étais-je aussi avant ? Avant l’accident, avant qu’elle ne se sente changer, plus passionnée, plus ambitieuse, une amplification des sens et des mœurs qu’elle avait remarqué, sans pouvoir mettre un mot dessus. Une dichotomie qui l’avait transformé. Convention sociale oblige, elle frappa trois coups secs à la lourde porte fermée. Incertaine d’avoir entendu une réponse, l’esprit trop embrumé par l’appréhension. Elle ouvrit tout de même, en y passant une tête, comme pour y faire le guet et s’assurer que l’endroit était sécurisé. Son regard se posa presque immédiatement sur Bane, tête tournée vers elle. « Hey », commença-t-elle en avançant lentement puis en lâchant la porte qui se referma d’elle-même. « Il est tôt, je sais… désolée, j'suis plutôt du matin. » Une étrange vague l’engloutit instantanément en l’apercevant. Mêlant soulagement et agrément, constatant de ses yeux les dires de sa famille, qu’il avait survécu. Et c’était tout ce qui importait. Alors pourquoi diable ressentait-elle presque un sentiment d’agacement ? Pourquoi, seulement maintenant, alors que son inquiétude avait atteint un paroxysme démesuré, pourquoi, une fois que le soulagement était passé, ressentait-elle l’envie de le sermonner ? D’avoir été comme elle. D’avoir subi un accident de la route qui aurait pu lui coûter la vie comme son accident à elle avait coûté la vie à la personne qui lui importait le plus au monde, son défunt mari. Et qu'elle avait tué son enfant encore sous son sein, qu'elle était censée le protéger, qu'elle n'a pas pu, que tout avait disparu d'un coup. Sauf elle. Qui ne pouvait dorénavant que se souvenir et faire perdurer leur mémoire. Et qu'elle n'aurait pas supporter de devoir encore porter le souvenir de quelqu'un de sa famille. Une mélancolie sauvage qui transformait son inquiétude en une querelle intérieure. Maluum douta alors de sa capacité à pouvoir contenir le blâme qui naissait peu à peu à l'encontre de Bane, allongé sous ses yeux. Alors qu'il n'avait rien fait, si ce n'était frôler la mort. Sa persévérance défaillait souvent à l'encontre des âmes des vivants. Un léger frisson naquit du bas de son dos pour s’achever au creux de sa nuque, la faisait fébrilement vaciller alors qu’elle s’approcha en déposant son sac sur le premier meuble qu’elle croisa, ses pas un peu trop précipités l’amenant à ses côtés. Elle l’observa avec un regard soucieux mêlée à une compassion apeurée. Il était pâle, accroché à des fils aux substances médicamenteuses lui procurant le nécessaire contre sa douleur. Elle posa sa paume sur son front, telle une mère pressentant la chaleur de son enfant malade. Si la méthode était la même, l’intérêt différait. « T’as une mine affreuse. » finit-elle par ajouter, sarcastique, mais également d'une vérité incontestable. Peu importait. Car il valait mieux une mine affreuse que plus de mine du tout. Elle retira délicatement sa main pour s'asseoir sur une des chaises se trouvant près de son lit, sans le quitter des yeux. Le regard de Maluum était perturbé par mille pensées qui se bousculaient dans toute l’étroitesse de son corps, comme insuffisant pour les contenir. Elle commença à expirer, comme pour commencer une phrase, puis fut subitement interrompue par le doute, ou bien la nervosité. Sans doute un mixte de ces émotions qui l'a perturbait. Ça se lisait sur ses sourcils, formant une douteuse vague sur son front chevronné par le tourment. « Tu te sens comment ? » acheva-t-elle en le cherchant du regard, anticipant sa réponse. Une question qui concernait tout aussi bien son état physique et mental actuel que le traumatisme qu'il venait de vivre, autant son accident que son emi. Maluum, elle, s'était sentie différente. Différente, divergente, inhabituelle, autant de synonymes qui la rendait dubitative quant à sa propre expérience à laquelle elle pensait encore souvent. C’était tout à la fois. Subtil et bouleversant. |
| | | | |
| Douleur. Douleur terrible. Partout. Absolument partout mais surtout là, dans sa cage thoracique. Il essaye de bouger mais il n'y parvient pas car tout le fait souffrir. Et puis sa respiration est si laborieuse. Si douloureuse. Il a l'impression, Bane, qu'à chaque inspiration, on lui plante un couteau dans le torse. Et plus les secondes passent, plus ça devient insupportable. Il essaye de faire le lien dans sa tête, de percuter, de comprendre comment il a terminé là, sur le bitume, à plusieurs mètres de sa bécane. Il a toujours son casque sur la tête, il a tenu le choc mais peut-être que son crâne, lui, n'a pas si bien tenu le choc. Il ne peut pas le savoir. Y'a eu cette voiture, cet écart soudain. Si soudain que Bane a perdu le contrôle de sa moto et qu'il s'est encastré dans la bagnole. Puis il a volé. Il a volé putain. Comme un oiseau. Sauf qu'un oiseau ça sait voler. Bane, lui, il n'a rien pu contrôler. Il n'a pu que subir et son corps a été malmené, comme une poupée de chiffon qu'on maltraite. Il a roulé sur il ne sait combien de mètres avant que tout ne s'arrête et qu'il ressente les douleurs avec une telle intensité qu'il en chiale sous son casque. Pourtant il est dur au mal Bane. Pourtant c'est pas un douillet mais là... Là c'est violent. Il finit par distinguer une silhouette au-dessus de lui et il a du mal à entendre ce qu'elle dit avec le casque. Pourtant la femme, parce que c'est une femme qui est là, ne touche pas au casque. Elle a raison : y'a que les secours pour faire ça. Et ils sont où les secours d'ailleurs ? Pas là. Pas encore. Elle se contente d'ouvrir la visière et il en est reconnaissant, Bane, parce qu'il a tout de suite beaucoup plus d'air. « Merci... » qu'il parvient à murmurer entre deux grognements de douleur. Et puis il le sent, le sang, dans sa gorge. Et chaque respiration devient à la fois de plus en plus douloureuse et de plus en plus difficile. La femme, bienveillante, lui dit que tout va bien se passer, que les secours ont été appelés et qu'ils ne vont pas tarder. Et Bane, lui, crache du sang, laisser échapper de nouveaux cris de douleur. Elle lui prend la main, la serre avec force. Elle lui dit de s'accrocher mais Bane, il se sent faiblir. Partir même. Autour de lui ça bouge, ça s'excite. Il les entend. Il les voit. Puis, doucement, il les entend moins, il les voit moins. Son regard se trouble, il a même du mal à distinguer le visage de celle qui essaye de le tenir éveillé.
Puis plus rien. Rien.
Quand il rouvre les yeux, il ne voit personne. Absolument personne. Ce qu'il remarque tout d'abord, c'est qu'il n'a plus du tout mal. Les douleurs ont toutes disparu. Alors il se redresse un peu Bane, s'assoit au sol et observe ses mains puis son corps : il ne voit rien. Aucune blessure. Alors il fronce les sourcils parce qu'il ne saisit pas. Est-ce qu'il a rêvé ? Est-ce qu'il rêve, là maintenant ? Et où est-il ? Un regard circulaire et il reconnaît une rue d'Exeter. Une rue totalement et parfaitement déserte. Et puis il la sent. La présence. Alors il fait volte-face et il le voit : Malo. Malo qui se tient là, debout, différent de comme il a l'habitude de le voir. Il est moins pâle, moins... Mort. C'est comme s'il était vivant. Comme s'ils étaient tous les deux vivants. Ou alors... Ou alors... Il comprend soudain. Les larmes lui montent aux yeux et ses épaules s'afaissent. « J'suis mort moi aussi... » qu'il souffle dans sa barbe. Alors Malo s'approche et Bane se met à genoux pour accueillir son fils et le serrer fort dans ses bras. Si fort... Si fort... « Mon grand... » Les petits bras de Malo entourent son cou et Bane sourit, comme il n'a plus souri depuis tant d'années à présent. Il ne voulait pas mourir, il ne sait pas trop pourquoi mais la vie, telle qu'elle était, il s'y accrochait malgré tout. Malgré la perte de Malo. Pourtant, ça ne le dérange pas d'être là. Non, ça ne le dérange pas que tout se finisse ici. Si ça peut lui permettre d'être avec Malo pour toujours alors, tout est bien. Tout est bien. Lorsqu'il ressent un choc soudain au niveau de son torse, il est tellement surpris qu'il en sursaute. Malo se recule, observe son père qui fronce les sourcils. Un instant de silence, de flottement et un nouveau choc qui force Bane à porter sa main à son cœur. « Qu'est-ce que c'est ? » Et Malo sourit avec douceur à son père. « C'est parce que c'est trop tôt papa. » Sa voix... Il avait peur de l'avoir oubliée mais elle est exactement comme il s'en souvient. Il en pleure Bane. Plus encore il en pleure. « Trop tôt pour quoi ? » qu'il demande alors qu'un troisième choc le surprend. « Pour toi. Ici. » Bane secoue la tête de droite à gauche. Le quatrième choc l'envoie au sol sur le dos. Il n'a pourtant d'yeux que pour Malo qui continue de lui sourire avec douceur. « Moi j'attendrai. » « Malo... »
Le retour à la réalité est brutal. Ses yeux se posent sur plusieurs silhouettes penchées au-dessus de lui. Et il a de nouveau mal. Très mal. Plus mal que tout à l'heure même s'il réalise qu'il respire mieux, par il ne sait quel miracle (un drain en fait, tout simplement). Son casque a été retiré, il sent le bitume derrière son crâne et il lui faut quelques instants pour comprendre qu'il est revenu. Qu'il est parti, loin, très loin, mais qu'il est de retour. Il entend des voix lui dire que ça va aller, lancer des « on l'emmène tout de suite ». Et, au-delà de la douleur, y'a une étrange sensation qui se fait sa place lentement mais sûrement. C'est doux. C'est agréable. Il se détend Bane, se sent de mieux en mieux. Morphine par intra-veineuse qui commence déjà à faire son effet. Il regarde autour de lui et aperçoit Malo un peu plus loin, comme il a l'habitude de le voir : fantomatique. Il sourit Bane. Ce con, il sourit. Et c'est avec ce sourire aux lèvres qu'il s'endort. Bip. Bip. Bip. Il grogne dans son demi-sommeil. Bip. Bip. Bip. Le bruit le gêne parce que c'est trop répétitif. Bip. Bip. Bip. Il bat des paupières et ouvre ses yeux en grand pour les poser sur un plafond gris clair. Il lui faut quelques secondes pour se souvenir, pour réaliser qu'il est sans aucun doute dans un lit d'hôpital. Il bouge les mains. Il bouge les pieds. Et il soupire de soulagement : il aurait pu être paralysé et ce n'est pas le cas. Alors qu'il bouge légèrement dans le lit, la douleur sur le côté droit le rappelle à l'ordre et il tord un peu le cou pour regarder. Il voit le drain et grogne dans sa barbe. Un coup d'oeil à sa main et il voit l'intra-veineuse. Il appuie finalement sur le petit bouton pour appeler une infirmière et il a le temps d'avoir quelques informations sur son état (stable à présent), sur les dégâts (pneumothorax, côtes et clavicule cassées, rate éclatée et retirée, un rein également retiré car trop abimé), sur le nombre de jours qu'il a passé dans le coma (quatre) avant d'appuyer sur la pompe à morphine pour se rendormir. Parce qu'il a trop mal. Parce qu'il est encore épuisé.
Véritablement épuisé.
Il l'est moins le lendemain matin quand il s'éveille après avoir entendu quelques coups frappés à la porte, même s'il se sent encore très faible. Il lance un « Entrez. » bien faible mais il espère qu'on l'aura entendu de l'autre côté, qui que ce soit. Lorsqu'il aperçoit la silhouette de Maluum dans l'encadrement de la porte, un large sourire étire les lèvres de Bane, heureux qu'il est de voir un visage connu, de voir son visage à elle. « Salut. » qu'il répond alors qu'elle lui dit bonjour un pénétrant à l'intérieur de la chambre. Elle est la première à venir le voir depuis l'accident et ça le touche Bane. Il a beau être encore un peu dans les vappes, il est touché oui. Sincèrement. « T'en fais pas. » la rassure-t-il quand elle s'excuse d'être venue tôt. Pour lui ça ne change rien. Il est juste content qu'elle soit là. D'ailleurs, alors qu'elle s'approche, il tend la main vers elle. Elle qui vient tendrement poser sa main fraîche sur le front du motard. Lui qui sourit de plus belle alors que sa main se referme doucement sur l'avant-bras de la femme. « Ah ? » qu'il répond quand elle lui lance qu'il a une mine affreuse. « J'croyais être plus canon que jamais pourtant... » ajoute-t-il dans un rire qui le fait grimacer. Rire est une très, très mauvaise idée. Maluum prend place sur une chaise et Bane, lui, cherche sa main avec la sienne, décidé à ne pas la lâcher, quand elle lui demande comment il se sent. « Au top. J'suis prêt à aller courir un marathon. Pourquoi, ça se voit pas ? » qu'il répond avec un sourire. Blague facile alors que pourtant les circonstances sont dramatiques. Il a failli y passer. Non, plus exactement, il y est passé, c'est juste qu'il en est revenu. Mais est-ce qu'elle le sait ? Est-ce que les médecins ont parlé à ses amis, à ceux qui sont désormais sa seule famille ? « En vrai ça va. J'ai pas si mal que ça... » Parce qu'il y a la pompe à morphine, voilà tout. « Et puis ça aurait pu être pire. C'est pas passé loin. » C'est rien de le dire. Il a été cliniquement mort donc... « J'suis content de t'voir. » dit-il avec douceur. « Tu vas bien ? » qu'il demande en retour parce qu'il voit l'inquiétude dans son regard. Elle s'est fait du souci mais à présent, elle n'a plus de raison de s'en faire.
Il va bien. Aussi bien que possible. Et il va mieux maintenant qu'elle est là. |
| | | | |
|
Maluum attrapa sa main qu’il tendait vers elle, doucement, comme craignant de briser sa stature massive retrouvée pourtant démunie. Rassurée par ce geste qui lui semblait d’une familiarité presque ordinaire, elle croisa ses doigts entre les siens, comme verrouillant sa présence contre la sienne, en sécurité. Et qu’elle ne put que sourire, face à sa répartie enfantine alors que Bane avait clairement été plus avantageux que sur ce lit, les bras reliés aux fils salvateurs contre sa douleur. Qu'elle aurait tout donné pour son sourire lui efface l'inquiétude ressentie. Néanmoins, elle appréciait la chaleur que sa main sur son avant-bras lui offrait, calmée par l'ardeur de son geste familier et sécurisant. « Ça t'aurait pas déplu…» d’être plus beau bien qu’il n’en avait pas besoin, que ce n’était pas ce qui important dès lors, qu’il lui fallait retrouver sa vitalité et un visage éclairé. Son rire taquin lui provoque une grimace, sûrement due aux douleurs musculaires de son accident. Maluum serra les dents en compatissant, tout en trouvant ici une occasion idéale pour ne pas profiter de son sarcasme. « Hum, fais le malin » rajouta-t-elle avec moquerie bien que sa main dans la sienne se serra davantage, trahissant un émoi qu’elle aurait voulu dissimuler. Le voir souffrir la faisait frissonner, et elle appréhendait des souvenirs qu’elle empêchait de remonter.
Et même qu’il continue. À utiliser l’humour pour que l'anxiété de Maluum se dissipe. Il est vrai qu’elle lui pressa toujours la main un peu trop fort, si je suis là il ne lui arrivera rien, qu’elle se mit à penser comme une mère déboussolée. Qu’elle fronça ses sourcils et plissa ses lèvres, le regard assassin d’une femme s’efforçant de s’empêcher de rire ou de pleurer face à sa dérision, incertaine des signaux que son cerveau déclenchait. « Bane… » finit-elle par soupirer, le ton à la raillerie, appréciant cependant son ironie dont elle savait qu’il usait pour la tranquilliser. Puis il reprenait un tant soit peu son sérieux. Il allait pas si mal que ça, donc mal quand même. Bien sûr qu’il avait mal. Il avait échappé à la mort, il avait goûté au bitume. Son corps souffrait toujours, l’endormir par des substances chimiques qui engourdissent la douleur ne guérissait pas. Le mal était toujours là. Il avait beau être fort, mentalement, physiquement, Maluum connaissait malheureusement les rouages d'une telle expérience et du traumatisme qui en découle. Parce que oui, il avait raison, c’est pas passé loin. Et le tourment de Maluum s’exprimait par un froncement de sourcils aggravé. On lui avait dit, au quartier général. Que Bane avait failli y rester. Comment ont-ils su l’information, Maluum ne s’y était pas attardée. Elle avait néanmoins appris son emi, et ce fut suffisant pour que naisse en elle une crainte refoulée. J’suis contente de t’voir, eu pour effet immédiat d’assouplir ses traits, retrouvant ainsi un visage lisse osant la naissance d’un sourire venu de son cœur attendri. « Moi aussi. » enchaîna-t-elle d’un ton sincère, déserrant même l'étreinte de sa main, osant une légère caresse sur ses doigts à l'aide de son pouce. Elle était contente de le voir, et de le voir vivant. Mais lorsqu’il lui posa la question fatidique, le sempiternel tu vas bien dont elle fut l'instigatrice, Maluum ne pu empêcher ses yeux de cligner, étonnée. « Moi ? » demanda-t-elle, comme abasourdie qu’on puisse le lui demander, alors que c’était lui qui était sur un lit d’hôpital. « Bane... Je ne suis pas attachée à des fils qui m'injectent de la morphine pour calmer la douleur, alors oui, oui… Je vais bien. Je vais mieux que toi. » jugea-t-elle utile de préciser en maintenant son dos droit, le ton narquois dans sa remarque. Elle faisait preuve de dérision, peut-être pour se rassurer, peut-être parce que le masque de l'ironie était le meilleur dans cette situation. Pourtant, elle appréciait son attention. Car au milieu de sa douleur, il trouvait de la force pour s'inquiéter des tourments. Alors elle souria, un geste dont elle savait qu'il allait comprendre la tendresse. Entre eux, les mots étaient souvent optionnels ; la présence et les gestes suffisaient.
Maluum captura alors son regard, la main toujours ancrée dans la sienne. Tentant de percevoir quelque chose, s’il était différent. Pour le moment, elle y percevait la même étincelle d’apaisement qu’elle aimait tant lorsqu’elle était à ses côtés. Une présence qui la ressource et la tranquillise, dont les silences sont gage d’accalmie et de refuge dans le tumulte de leur quotidien. Elle était à deux doigts de le perdre. De perdre sa présence, cette paix et ce lien qu'ils avaient et qu'il lui apportait tant. « D'ailleurs fais-moi plaisir, la prochaine fois que tu veux te déplacer, prends le bus. » Brimade dont elle pensait pourtant chaque mots. Supporter une autre perte serait au-delà de ses forces, un écho dont elle n'était pas prête à revivre. « J’ai eu peur pour toi. » qu’elle avoua sans cligner, prenant dorénavant sa main entre ses deux paumes, protégeant l’intégralité de la douce chaleur qu’il émanait. « J’ai entendu au QG que tu avais été… » Une soudaine paralysie l'atteint, bien que les mots hurlaient en elle. Mais le traumatisme de leur sens la bloquait comme des remparts. Maluum ouvrit la bouche mais aucun son ne sortait, excepté un râle hésitant et confus. En le disant ça devenait réel. En le clamant, elle rendait le passé véritable autant pour lui que pour elle. Alors qu’elle avait pensé accepter ce qu’elle avait traversé, revivre la même expérience lui procura une amère sensation de boucle infinie dont elle ne pouvait se défaire. « ... cliniquement... » Peut-être que ça l’aidait, à utiliser des termes alambiqués, comme pour atténuer leur impact alors que cela ne changeait rien, au fond. Les faits étaient là, et elle devait le dire pour accepter l’inévitable passé devenu présent. « ... mort. » conclua-t-elle, les yeux baissé, refusant d'associer ce mot à son visage, refusant qu'il puisse lire sa détresse au fond de son âme. Elle souleva ses paupières après quelques secondes, ses mains emprisonnant toujours la sienne, préservant sa chaleur revigorante. Son regard chercha la vérité. Est-ce vrai ? qu’elle demanda. Elle le côtoyait depuis suffisamment longtemps pour savoir qu’il comprendrait. Ces regards qui ne nécessitent aucune parole. Le cœur et l’âme parlent souvent mieux que la voix. Et peut-être n’était-ce que des rumeurs. Des racontars pour faire houspiller les commérages sur le comptoir du Cave. Elle espéra alors soudainement que toutes ces rumeurs soient fausses. Que ses confrères et consœurs avaient exagéré, pour rendre son accident plus spectaculaire peut-être, que ça soit grandiloquent, qu’on en parlera encore dans dix ans, "souviens-toi de l’accident de diesel". Mais pour elle, inconsciemment, il était impossible de dissocier l'accident de Bane au sien, elle le savait, ça avait déjà commencé. Rien qu'en le voyant, elle était déstabilisée par une mélancolie mêlée à un chagrin qui l'avait anéanti et dont elle ne s’était pas remise malgré ses efforts, malgré son déni. Une expérience de mort imminente dont le traumatisme l'avait réveillé en pleine nuit tant de fois, dont les perles de sueur en avaient laissé des marques ostensibles.
Elle ne voulait plus affronter cette peur. Cette appréhension, qui tiraille l’estomac et embrume l’esprit, empêche toute concentration et abîme le visage et l’âme par l'inquiétude et le désarroi. Elle ne voulait plus jamais perdre quelqu’un de sa famille. Égoïstement, elle ne voulait surtout pas perdre quelqu’un d’aussi cher que lui.
|
| | | | | | | | time that remains (bane) | |
|
Sujets similaires | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |