-- the old king is dead, long live the king ! ft. @darius smith Les dernières nouvelles n'étaient pas bonnes. La disparition soudaine de Larry avait forcé James à se poser des questions auxquelles il n'avait aucune envie de répondre. Il lui fallait s'armer de courage pour aller au terme de ses opérations, ne pas se contenter d'attendre des retours de la part de son meilleur ami, sagement assis sur le siège de la direction jusqu'au fin mot de l'histoire. Agate n'était plus là, Romeo non plus, et le reste de la famille Calloway n'était qu'un nuage impalpable sans la présence des leaders familiaux. James avait décidé de poursuivre les expériences, jugeant seul ce qui était nécessaire ou non selon le matricule ; mais est-ce que Larry finirait par revenir ? Cela faisait tout juste deux semaines qu'il l'avait vu pour la dernière fois, et il commençait tout juste à s'inquiéter de ne pas avoir de nouvelles de sa part ; même lorsqu'il appelait directement sur son téléphone.
Un signe de mauvais augure.
Ainsi que Larry l'aurait formulé, lui qui savait comment donner du sens à des phrases brèves, sans avoir besoin de s'étendre, jamais. C'était alors avec cette injonction à l'esprit, prononcée par la voix de son ancien amant, que James avait décidé d'agir, de visiter un monde qui n'était pas le sien pour faire un pas vers la vérité. L'absence de Larry de l'autre côté de ces portes envoûtées n'apporterait qu'un sentiment de soulagement, mais bien sommaire, puisqu'il ne serait pas la réponse précise à la question que James se posait. Où était-il ? Il ne savait pas exactement comment fonctionnaient ces nouvelles entrées vers un monde différent, mais comptait bien s'y engouffrer avant d'avoir les réponses. Il ne se serait pas déplacé pour un quelconque, mais ne pouvait rester impuissant face à la disparition de celui avec qui il avait passé le plus clair de sa vie ; entre bancs universitaires et travail d'équipe. Perdre Mark avait été tragique, mais sans trop affaiblir l'humeur du scientifique, la situation était bien différente avec Calloway. L'amour qui les avait unis dans leur jeunesse l'obligeait à se mettre à sa recherche, qu'importait qu'il ne soit pas des plus utiles dans ce genre de combat – il excellait dans un autre genre de recherche.
Il aurait pu demander à Darius de l'accompagner, pour veiller sur lui, comme il l'avait fait tout au long de son existence. L'idée, pourtant, s'était heurtée à une évidence que le scientifique avait du mal à épouser ; et si Darius avait quelque chose à avoir dans cette perte. Il ne voulait pas avoir à lire la réponse dans les yeux de son amant, et découvrir que son amour de jeunesse ne s'était pas seulement volatilisé, mais qu'il était décédé. Il s'était fait accompagner par Wes, qui ne manquerait pas de lui rappeler combien ses décisions étaient stupides ; mais James n'avait jamais réellement écouté ce que son ami avait à lui dire.
Finalement, au terme d'une recherche bien plus périlleuse que prévu, James avait fini par tomber sur un visage familier de sa jeunesse ; mais pas celle qu'il recherchait. Steve. Un homme qu'il n'avait pas vu depuis bien des années, des décennies, qui appartenait à une vie révolue. Un vide certain dans la chronologie de sa vie, leur relation se passant éminemment bien avant qu'il ne vienne à disparaître lui aussi ; sans laisser de message. Il n'avait jamais pu avoir d'explication concernant sa fuite, savait maintenant ce qui l'avait empêché de revenir vers lui. Il avait les mêmes traits qu'à l'époque, une jeunesse gardée précieusement, mais à un prix très élevé – la mort. Il n'avait plus qu'une envie, mis devant le fait accompli ; en connaître la cause. La conversation n'avait pas pu être longue, tout juste s'ils pouvaient discuter convenablement, s'arrêtant sur des détails importants, les seuls qui comptaient alors qu'ils se retrouvaient, avant de se quitter de nouveau. Le problème concernant Larry dégringola de ses priorités, ne serait traité que plus tard, quand cette histoire serait réglée. Il était parti avec des bribes, des fragments de réponse. Une description, un sentiment, des explications ; un tout infiniment flou, mais que James avait rapidement déchiffré. Il avait rapidement compris ce qui était arrivé à son ancien amant, avait même un nom sur le visage de son assassin.
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Il s'était excusé auprès de Wes en le renvoyant au casino plus tôt que prévu, le remerciant tout de même d'être venu avec lui pour une expédition si risquée. Ils avaient choisi la porte la plus calme, la moins risquée, selon le blog visité par un ami, mais le risque zéro n'existait pas et il était heureux que Wes soit venu avec lui. Ce dernier aurait sûrement préféré plus d'action, mais James était bien heureux de ne pas avoir à courir ; il détestait ça. Le scientifique en avait assez de passer pour un hystérique à cause des erreurs des autres, comptait bien garder son calme en confrontant Darius sur une affaire vieille de plusieurs dizaines d'années. Il ne voulait pas d'esclandre, seulement avoir des réponses, comprendre pourquoi il avait agi ainsi. Lorsqu'il avait dit ces quelques mots à Wes, ce dernier avait ri, comme si le scientifique était connu pour ses emportements. James avait passé les minutes suivantes à bouder, mais ne l'avouerait jamais.
Le trajet jusqu'au Foyer Rouge avant été long, très long, James essayant de garder son calme alors que son voyage était bientôt terminé. Une pérégrination jusqu'au plus profond de ses ressentiments, ceux-là mêmes qui l'empêchaient souvent de faire preuve de discernement. En évoluant parmi les bâtisses, il n'avait pas pris la peine de saluer qui que ce soit, fonçant directement au laboratoire pour y trouver Darius ; ou Alice. Cette dernière lui dit où se trouvait leur boss, sans lui demander pourquoi il avait besoin de le voir si rapidement. Ou alors, l'avait-elle fait sans que James y prête assez attention pour l'entendre. Le bureau en ligne de mire, il était reparti sans répondre, sans remerciement, prêt à mettre le feu au premier qui l'intercepterait avant qu'il n'atteigne son but.
Il poussa la porte sans frapper, ce qui n'était pas si exceptionnel, James ayant toujours du mal à comprendre qu'il n'avait pas tous les droits. Il restait persuadé que si, ou presque, mais avait appris peu à peu comment trouver une place. Tout s'effondrait après ce qu'il avait appris, la rancœur extrêmement tenace alors qu'il s'avançait dans la pièce pour s'asseoir sur un des fauteuils qui trônaient en face du bureau de son amant. Il s'installa sans un regard, sans une salutation, et croisa les jambes en restant bien droit contre le dossier de son assise. Le menton haut, il annonçait la couleur, offrant un silence théâtral qui avait pour but de faire réagir Darius. Essayant de ne pas laisser à Darius l'occasion de parler pour lui dire que quoi qu'il arrive, c'était sûrement sa faute, il leva une main pour faire signe qu'il voulait parler le premier ; recevrait sûrement un regard indifférent ou plein de mécontentement, mais il était trop énervé pour s'en soucier. Il s'humecta les lèvres en prenant enfin la parole : « — Est-ce que tu as quelque chose à voir avec la disparition de Larry ? » Il croisa les bras contre son torse, le regard enfin relevé vers son locuteur, sans s'ancrer dans ses yeux. Il poursuivit sans attendre. « — Inutile de faire comme si j'étais fou, paranoïaque ou que sais-je, je sais enfin de quoi tu es capable pour me manipuler. » Il déplia les bras et se pencha pour attraper un journal qu'il avait soigneusement plié dans son sac.
Il déplia le papier légèrement froissé et le balança sans trop de force sur le bureau devant son amant, pour qu'il atterrisse bien sous ses yeux. Il se moquait bien de savoir ce qu'il était en train de faire jusqu'ici, c'était assez important pour qu'il fasse une pause forcée. Afin de ne pas faire les cents pas tel un lion en cage, le scientifique choisit de rester assis, joignant ses mains sur ses cuisses dans une posture d'attente, afin que son compagnon s'explique. « — Je ne sais pas si tu as vu passer ces articles, mais… les défunts peuvent s'exprimer si on sait où les rencontrer ; je n'ai pas trouvé Larry, mais un vieil ami m'a fait ouvrir les yeux. » Il ne pensait évoquer Steve qu'ensuite, mais tout se recoupait et, bientôt, il ne pourrait plus contenir tout ce qu'il avait à lui dire, à lui demander, et à exiger de lui. « — Alors, je tente ma chance ; est-ce que tu lui as fait du mal ? Et n'essaie pas de me mentir, j'ai décidé de ne pas m'énerver. »
IN THE NIGHT WE TRUST
have i doubt when i'm alone. love is a ring, the telephone. love is an angel disguised as lust here in our bed until the morning comes.
La Ferme n'était jamais été aussi belle qu'en Eté. La meilleure période de l'année, la plus florissante à bien des égards pour ses nombreux résidents. Période d'abondance, lorsque les arbres fruitiers apportaient les plus belles récoltes à vendre ensuite en ville. De liesse, les célébrations du solstice d'Eté étant attendues de tous tant elles étaient conséquentes. Les esprits novateurs du laboratoire avaient trouvé une solution pour stabiliser la production artisanale d'Overlook. Alice s'était précipitée pour lui annoncer la nouvelle, une fierté non dissimulée la faisant rayonner. Darius s'était gardé de dire à l'Officieuse que c'était certainement grâce à l'ajout de James dans leurs rangs qu'ils en étaient arrivés là. Les tensions entre les deux blonds étaient encore suffisamment palpables, depuis les derniers éclats. Mais une bonne nouvelle se passait d'ombrages. Et la diplomatie méritait quelques fois que certaines vérités ne soient pas ouvertement avouées. Parce que la nouvelle était bien trop belle pour qu'il entache le bonheur de sa protégée en lui rappelant comment ils en étaient tous arrivés là. Et même si le principal intéressé, aux yeux du Père, était parti le Saigneur seul savait où au moment le plus crucial de ses recherches, il saurait lui faire part de toute sa reconnaissance en privé. D'autres nouvelles avaient fait le tour du Foyer, apportant à l'euphorie de l'été un petit soupçon d'inattendu. La disparition d'Ezekiel, regrettable mais pas surprenante, avait eu un impact sur la commercialisation de leurs drogues. Un trafiquant parmi les autres n'était jamais bien difficile à remplacer, mais le jeune homme était bien plus compétent qu'il ne l'aurait laissé croire. Des prospects potentiels avaient beau s'être révélés, Darius n'avait pas encore totalement confiance en leurs capacités à se retourner en période de crise. Jusqu'à l'apparition des portes. Limitées au bourg, à ce qu'en disaient les nombreux médias. Inexplicables et pourtant pleines de possibilités. Darius s'était empressé d'envoyer une poignée de ses traqueurs dans tout le périmètre de la Ferme afin qu'ils s'assurent qu'aucune ne s'y soit nichée. Une porte menant directement dans leur forteresse était une faille substantielle, à boucher immédiatement. Mais leurs rapports avaient été formels : aucune porte n'avait fait son apparition, ni sur les murs, ni dans les recoins de la propriété. Ne restaient plus alors que les nombreuses opportunités qu'elles amenaient.
D'un point de vue stratégique, les portes pourraient leur ouvrir des chemins directs vers tous les points de vente qu'ils ravitaillaient. Pourraient permettre des communications plus rapides, plus sécurisées, pour peu qu'ils arrivent à prendre le contrôle de quelques unes. Ils couvriraient tellement plus de terrain que cela ne pourrait qu'offrir aux Wendigos un avantage conséquent dans la guerre de territoire qu'ils menaient avec les autres Cultes. Sans parler de la possibilité de fuir plus efficacement les Chasseurs de la Garde de l'Aurore. Tant d'éventualités qui faisaient tourner la tête du Père. Les traqueurs qui avaient fait le tour de leur pâté de maisons avaient reçu l'ordre de se préparer pour une nouvelle expédition. Cette fois-ci en centre-ville. Il fallait tester ces portes. Les badauds racontaient qu'elles pouvaient être dangereuses, mais c'était pour le commun des mortels. Darius avait une foi aveugle quant aux capacités des Wendigos. Dans quelques minutes, les troupes seraient prêtes pour repartir. Il leur avait donné l'ordre explicite de lui faire un rapport détaillé de tout ce qu'ils verraient, heure après heure.
Assis derrière son bureau et occupé à d'autres tâches que celle qui le faisait frémir d'anticipation. L'impression d'être un enfant à deux doigts de découvrir un magnifique présent pour son anniversaire. L'Officieuse l'avait quitté une demi-heure plus tôt pour aller donner les dernières directives à la troupe d'explorateurs. Et le Père s'était retrouvé avec le nez dans les comptes du Foyer, faute de mieux, faute d'avoir autre chose pour occuper ses pensées. Regrettait l'absence de James depuis quelques temps. Le scientifique avait beau avoir le droit d'aller et venir librement entre le Foyer et ses occupations en ville, il était devenu rare qu'il reste en ville aussi longtemps. Sa présence altière, sa langue acérée, son attitude princière manquaient au Père Rouge. En particulier en cet instant, où tout semblait sourire au Foyer. En particulier alors que Darius mourrait d'envie de partager avec lui chacune de ces victoires en le serrant dans ses bras. Des décennies d'attente, de patience, et pourtant. Cette année de vie presque commune avait grignoté ces trente années à l'attendre, rendant chaque départ de James un peu plus difficile que le précédent. Et même si Darius était homme à ronger son frein, il n'en ressentait pas moins le manque, un peu plus, à chaque fois qu'il se tournait vers un lit vide. Même en sachant que ça ne serait que temporaire.
La porte s'ouvrit brutalement. Comme si le Saigneur avait entendu ses prières, James s'engouffra dans la demeure qu'ils partageaient. Coup de bonheur au cœur et sourire aux lèvres, Darius leva le museau vers son amant. Esquissa un geste pour se lever et venir à sa rencontre. Perdit rapidement son sourire en le voyant s'approcher à grands pas vers son bureau. Tout dans l'attitude de James ne présageait rien de bon. Le Père ravala sa joie, se rassit, haussa un sourcil interrogateur. La dernière fois qu'il l'avait vu comme ça, c'était pour virer quelqu'un du labo. D'essentiel. Il croisa les mains sur la table, devant lui. Fronça les sourcils devant l'invective.
-Larry a disparu ?
Cela faisait belle lurette que Larry Calloway était le cadet de ses soucis. Depuis que Darius s'était fait attaquer par un Garde de l'Aurore, des mois plus tôt. James avait clairement montré où étaient ses priorités. Et s'ils n'en avaient jamais vraiment parlé dans ces termes, les mots n'étaient pas nécessaires. Cet incident avait été un déclic dans leur relation, le genre qui pousse quelqu'un soit à partir, soit à rester de manière bien plus définitive. Le Wendigo n'avait pas eu besoin que James lui dise qu'elle option il avait choisie, il était sûr de la réponse. Restait que Larry Calloway avait disparu. Une information que le Père ignorait, tellement il n'avait plus le moindre intérêt pour le brun. Relégué si loin derrière toute la vie des siens qu'il n'était qu'un soupir étouffé par le brouhaha de la vie de la Ferme.
Je sais enfin de quoi tu es capable pour me manipuler. Les yeux sombres du Wendigo s'agrandirent, il marqua un temps de pause, surpris par l'accusation. Ce n'était que maintenant qu'il comprenait ? Après tout ce que Darius avait fait pour que le scientifique tombe dans ses filets ? Depuis trente années ? Il déglutit. Il y avait une différence entre se l'entendre dire dans ces termes et la certitude de ne s'être jamais caché de tout ce qu'il avait pu faire, de légal et d'illégal, pour que James tombe dans ses bras. James à qui il l'avait déjà dit, lui semblait-il. Il avait peut-être oublié quelques détails dans le lot, mais la Gorgone ne pouvait pas prétendre ne pas être au courant que son amant était très loin d'avoir les mains propres. Quel que soit le domaine.
Sachant qu'il n'avait pas voix au chapitre, vu l'état dans lequel était son amant, le Père le laissa s'agiter. Après toutes ces années, de près comme de loin, il savait parfaitement qu'il valait mieux laisser passer l'orage sans intervenir directement. Se pencha pour attraper le journal que l'homme de sa vie venait de jeter avec emphase sur sur son bureau. The Banshee. La une mentionnait les fameuses portes qui l'intriguaient. Il coula un regard vers son téléphone, remarqua les clignotements de la LED. La troupe d'éclaireurs venait sûrement de partir. Mais James, lui, n'en avait clairement pas fini. Gesticulait toujours. Parlait de défunts bavards, un détail que Darius avait repéré dans les nombreux échos relatifs aux portes, mais qui ne lui semblait pas particulièrement pertinent. Dans leur religion, les morts qui papotent sont monnaie courante. Exeter était pas mieux. Repliant posément le journal, Darius le laissa glisser devant lui sur le bureau. Posa ses mains à plats sur le papier et leva les yeux vers les lèvres ourlées de son amant, évitant scrupuleusement ses yeux. Et n'essaie pas de me mentir, j'ai décidé de ne pas m'énerver. L'ombre d'un sourire, au creux de ses babines. Lui mentir n'avait jamais fait partie de ses intentions.
-Je n'ai aucune idée de quoi tu parles.
Le ton posé, sincère. Son regard se leva vers les prunelles claires, par défi. S'arrêta juste avant d'atteindre les yeux de la Gorgone. Il aurait pu aller plus haut, mais il avait d'autres choses à dire avant de s'y brûler. Si James le connaissait suffisamment, il saurait que c'était le plus près qu'il obtiendrait d'un regard les yeux dans les yeux. Les doigts du Wendigo se posèrent à plat sur le journal. Il poursuivit, toujours aussi posément.
-Larry Calloway n'est plus une menace depuis que tu t'es installé ici. Toutes les ressources que j'ai pu consacrer à sa surveillance ont été affectées à d'autres tâches depuis des mois. Ce qu'il a pu faire depuis n'est ni mon problème, ni ma responsabilité.
James avait beau avoir déclaré qu'il allait garder son calme, Darius en doutait. Mais en ce qui le concernait, il allait conserver le sien. Il n'était responsable de rien de ce que James l'accusait, et s'il pouvait comprendre que son amant croie le contraire, il n'avait aucune raison de lui mentir. Il soupira, baissa les yeux et attrapa le journal pour en lisser les plis entre son pouce et son index. Reprit la conversation avant que James rompe sa promesse, le prenant de court.
-Je ne peux pas prétendre comprendre d'où viennent ces accusations ou quel rapport aurait la disparition de Larry avec ce journal, mais sache que je n'ai aucune raison de te mentir à son sujet. Et je vois bien à quel point ça te touche. Depuis quand a-t-il disparu ? Est-ce qu'il y avait des signes au labo, des choses qu'il aurait dites peut-être ? Des personnes qui l'auraient vu avant qu'il disparaisse ?
Il le savait parfaitement. Dans les crises, la meilleure défense était fréquemment l'attaque. Et s'il se disait que ça ne rendrait pas James moins furieux, au moins, il proposait une forme d'aide. Quand bien même il n'était pas certain que cela aboutisse à grand chose, la majorité des siens étant déjà occupé à autre chose. Calloway allait et venait à sa guise, lui aussi. Il pouvait aussi bien s'être payé des vacances aux Baléares sans prévenir personne. Il regretta la question suivante à la seconde où elle franchit ses lèvres :
-Et qu'est-ce que tu entends par "les défunts peuvent s'exprimer ?"
C'était l'information qui avait paru la moins tangible, dans ce que James lui avait craché. Il avait beau le connaître, il avait beau savoir sur quoi le scientifique menait ses études, il ne savait pas si les histoires de fantômes étaient du genre à l'intéresser. Manifestement oui, vu ce qu'il avait dit. Mais il y avait un monde entre les morts et une disparition. Parfois vaste, parfois minuscule. Mais Darius allait avoir besoin de plus d'informations que de vagues invectives pour se faire une idée précise de la tempête qui sourdait sous les mèches blondes. Au risque de se faire happer par l'ouragan.
-- the old king is dead, long live the king ! ft. @darius smith Larry a disparu ?
La découverte concernant cet autre amant était telle, que la disparition de son meilleur ami n'était plus à l'ordre du jour ; il le prétendait, du moins. Il eut alors envie de hausser les épaules en répondant que ça n'avait aucune importance, alors même qu'il était celui qui avait posé la question. Il ne savait pas s'il était rassuré ou non que Darius joue l'étonnement, surtout alors que la possibilité qu'il soit sincère n'avait rien de si enviable. La présence de Larry dans la cave du Foyer n'était pas un souci pour le scientifique, il ne lui faudrait que d'un baiser et une moue bien orientée pour ouvrir la porte de la cellule et remettre le directeur du laboratoire à sa place. En revanche, une disparition dont James ne savait rien pouvait être un problème bien plus réel. Et si Larry était tombé dans un piège dont James était incapable de le sortir ? Il demanderait l'aide de Darius à ce moment-là, déploierait ses forces ainsi que ses armes pour le retrouver en temps voulu. Il avait une affaire plus épineuse en tête, bien que moins urgente. L'aveu de Steve était trop frais à ses oreilles, risquait de tout bouleverser si le scientifique ne se reprenait pas. Les agissements de Darius concernant sa sécurité ne lui avaient pas échappés, surtout depuis que ce dernier lui avait fait la confidence des vies ôtées pour son simple plaisir. Il avait fini par s'y faire, accepter d'être observé, surveillé – dans son intérêt. Il estimait mériter un tel traitement, et pourquoi pas plus. Mais quelles que soient les intentions du Père Rouge, elles devaient toujours aller dans le sens de la gorgone, toujours le mettre en avant et participer à son bien-être.
La disparition de Steve n'avait aucun rapport avec cette volonté de tenir James hors des dangers de la ville, ou des agressions liées à son mode de vie, à tous ceux qui pouvaient lui en vouloir depuis sa jeunesse. Le passage dans l'au-delà de ceux en ayant après sa vie n'était pas un problème pour lui, et s'il avait commencé par s'offusquer de la propension de Darius à agir sur le cours de sa destinée, il avait vite compris que sans cela, il serait déjà mort. L'idée d'être protégé n'était pas si désagréable, mais la question ne se posait plus quand il s'agissait de détruire des opportunités, pour un profit qui n'est pas le sien. Steve n'était en rien un danger pour lui, une part du scientifique avait même pensé à trouver en lui un sauveur lors de leur rencontre. Un wendigo de naissance, un sang assez pur pour lui permettre de poursuivre ses recherches sans compter sur la présence de Darius ; une aubaine pour James qui avait su lier une relation plus que professionnelle avec l'homme. Lorsqu'il avait disparu, James n'avait pas fait le rapprochement avec son ancien amant, parce qu'il ne savait pas, alors, que ce dernier le surveillait pour intervenir en cas de problème.
Depuis quand a-t-il disparu ? Est-ce qu'il y avait des signes au labo, des choses qu'il aurait dites peut-être ? Des personnes qui l'auraient vu avant qu'il disparaisse ?
Il commença par froncer les sourcils, tout simplement, comme si l'expression de son visage pouvait suffire pour que Darius comprenne ses erreurs. L'exemple même d'un enfant à qui on laissait le temps de réfléchir pour qu'il comprenne ses propres bêtises ; une belle remise en question que James ne faisait jamais de son côté. Il n'en avait pas besoin, selon lui. Une personne extérieure aurait pu lui dire que les propositions du wendigo étaient honorables, que James n'avait qu'à les accepter et répondre à ses questions pour faire un pas vers lui ; mais il n'était pas de ceux-là, préférait toujours sauter à pieds joints dans les ennuis. « — Alors tu veux m'aider ? Moi qui pensais que tu mettais un point d'honneur à écarter tous ceux qui pouvaient compter pour moi. » Il attendit quelques minutes, les bras croisés, que Darius prenne conscience de l'humeur de son compagnon ; comme si ce n'était pas déjà fait depuis qu'il avait franchi la porte. Il finit par se lever, le besoin de mouvement se faisant ressentir alors que son pied tapait déjà contre le sol depuis qu'il était assis face au bureau du grand patron. Il fit le tour du bureau, comme s'il ne le connaissait pas déjà par cœur pour y avoir posé son fessier princier dans chaque recoin, pour des raisons plus ou moins acceptables. En un mouvement dramatique, il s'adossa contre un mur en croisant de nouveau les bras, le visage planté sur le visage de son compagnon. « — Disons que j'ai eu une conversation avec une personne qui était importante, à une période de ma vie où tu n'étais pas là. Tu sais, Steve ? Je le fréquentais après ton départ. » Le nez retroussé dans une expression de dégoût, il poursuivit : « — J'avais besoin de lui, mais ça t'a pas empêché de me l'enlever... » Les mots auraient dû être délivrés avec plus d'émotions venant du cœur, mais ses paroles relevaient plutôt de l'égo et du manque ressenti par le scientifique. Un enfant à qui on avait retiré son jouet préféré.
Il se passa une main sur le visage en soupirant, et fit quelques pas en direction du bureau pour se planter devant, un doigt pointé vers le journal pour montrer comment il avait pu discuter avec Steve. « — Figure-toi que ce bon ami est mort depuis longtemps, et il m'a fait un portrait assez précis de celui qui l'a tué. » Droit comme un i, dressé face au bureau, il plissa les lèvres en attendant quelques secondes seulement, avant de reprendre : « — Tu ne devineras jamais de qui il s'agit. » L'envie de s'énerver était de plus en plus forte, mais il prenait sur lui afin de ne pas trahir la promesse qu'il s'était faite à lui-même.
La colère grondant de plus en plus, il souffla du nez pour évacuer l'ire qui lui rongeait les nerfs. Il posa les deux mains sur le bureau sans le lâcher des yeux, penché vers lui pour braquer son regard dans le sien, l'empêcher de se dérober. « — Il aurait été une source de matière première pendant toutes ces années ; peut-être que l'antidote serait prêt à l'heure qu'il est ! Tu ne m'as pas protégé en l'éliminant, tu m'as empêché d'avancer dans mes recherches, et t'as fait en sorte que je reste dans le besoin. T'as pas seulement éliminé les dangers autour de moi, t'as aussi tout mis en œuvre pour t'assurer que j'aie toujours besoin de toi après tout ce temps, être sûr que j'accepte de te revoir. » Avec le sang de Steve, il aurait eu une vingtaine d'années supplémentaire pour mettre en place ses recherches plus poussées, pour trouver de quoi soigner Eddie et lui rendre son humanité. Il détourna le regard et donna un coup dans le journal pour le faire valdinguer sur le sol. « — Alors dis-moi la vérité ; tu voulais m'empêcher de le fréquenter, ou m'empêcher de trouver l'antidote ? » James savait combien son amant tenait à sa condition, combien il se pensait supérieur aux autres grâce à cette dernière ; mais irait-il jusqu'à le saboter pour l'empêcher de faire baisser le nombre de wendigo en ville ? L'antidote n'était que pour Eddie, mais qui pouvait prévoir entre quelles mains il finirait par atterrir ?
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