With a little help from my friend ☼ Jaimini

Il y avait des curiosités que l'on ne s'expliquait pas, au quotidien. Si elle avait pensé un seul instant que sa soirée prendrait de tels tournants, sûrement que Jay aurait davantage soigné son entrée en scène. Là était toute la différence entre jouer la pièce de théâtre de sa vie et appréhender cette dernière en totale improvisation. Ne saurait dire ce qu'elle préférait, à vrai dire. La spontanéité de l'instant lui avait plu, mais l'adrénaline commençait déjà à sombrer de nouveau, à mesure qu'elle consumait le bâtonnet de nicotine dont elle s'était munie quelques instants auparavant. Le martini est commandé. Si à sa place elle n'opterait pas pour une telle boisson, Jay est d'humeur à se laisser surprendre. L'appellation la rendait assez curieuse pour qu'elle se laisse porter par les choix de l'inconnue qu'elle détaillait silencieusement. « Du coup tu t'es un peu retrouvée en plan. » Elle constata simplement, pensant à voix haute. « Enfin, on l'a vu, tu aurais pu avoir à partager ton verre avec bien pire. » Elle s'esclaffa brièvement, davantage en un souffle fin qui accompagne l'expiration de sa fumée qu'en d'autres choses. Ne se connaissaient pas les deux jeunes femmes, mais la conversation ne semblait pas ni gênée ni au point mort. À croire qu'à situation exceptionnelle, rencontre exceptionnelle. Parce que Jay n'était pas des plus sociables, d'ordinaire.

À sa question, les sourcils se relevèrent. La rouquine avait bien vite oublié ledit cadeau avec lequel elle s'était sauvé la mise. « Oh et bien.. Je n'suis pas sûre que ce soit le meilleur cadeau qu'on puisse offrir à sa copine ou sa fiancée. » Du bout des doigts, elle ramena le sac en papier craft vers elle, le posant sur ses genoux avant d'en sortir le contenu. Quelques paquets de friandises pour chats et un genre de jouet « pouic-pouic » qui rendait les animaux dingues. Au moins pour cinq minutes. « … Sauf si tu es en réalité un chat, qui plus est friand de jouets qui font du bruit et de friandises qui ne seront sans doute pas bonnes pour ta digestion. » Elle ne s'esclaffa pas, mais eut un léger rire, satisfaite de ce genre de blagues un peu bancales. Pas franchement douée pour le sens de l'humour, Jay, mais ce n'était pas nouveau. Alors elle composait comme elle le pouvait. Une fois sa cigarette terminée, elle écrasa le mégot dans le cendrier, passant vite à autre chose. « J'ai deux chats à la maison qui se feront un plaisir de réduire en bouillie le jouet et qui auront leurs petites friandises pour Noël. » Oui, ça allait sûrement la faire passer pour une maman chat assez gaga. Mais elle n'avait personne d'autre à gâter, en réalité. Si ce n'était elle-même. Mais elle avait déjà tout le luxe qu'on pouvait attribuer à une personne comme elle. « Du coup on peut dire que mes deux bébés à quatre pattes ont aussi participé à ton sauvetage express. »

Enfin, la trentenaire porta le verre à ses lèvres. L'alcool, elle avait l'habitude. Le Martini, elle n'en consommait que rarement, et son goût se fit plus présent dans sa gorge. Pas une grande friande, néanmoins la saveur était plus que passable, au vu de l'espèce de cocktail que ce bar en avait fait. « J'avoue que le Martini n'est pas trop mal. Ça change ! J'ai pas vraiment l'habitude d'en boire. » Du Martini. L'alcool c'était autre chose. Mais pour une fois, Jay évita les précisions sordides qui lui auraient sûrement valu un regard faussement amusé ou compréhensif. Elle rangea le contenu du sac dans ce dernier, avant de le laisser gagner à nouveau sa place initiale. « Et toi t'as des animaux ? Histoire que je ne me sente pas seule à devoir gâter de petites bêtes. » Elle hésita un instant à dégainer son smartphone, pour lui montrer les photos de ses animaux, avant de se rendre compte qu'elle n'en avait peut-être juste rien à cirer. « Et du coup si j'ai bien compris, tu es.. fleuriste ? J'y connais rien là-dessus, j'avoue. Et je dois sûrement être une des seules femmes au monde à ne pas aimer qu'on m'en offre, mais au moins c'est joli. Les allergies, tout ça. » Elle fit une courte pause dans ce début de monologue. « Enfin, t'inquiète, je suis pas non plus du genre à avoir des plantes en plastique Ikéa chez moi. Juste que je suis capable de faire crever un cactus, si ça peut t'aider à me situer sur une échelle de zéro à nulle en jardinage. » L'expression se fit malicieuse, presque complice. Elle se sentait friendly ce soir, Jay. Sûrement l'esprit de Noël et le fait qu'on lui paye un verre. Elle devrait songer à être bon samaritain plus souvent, ça pourrait lui apporter d'autres bonnes surprises.

Conversation gardait bon train, arracha un sourire à la rouquine quand il s’agissait de parler de ses boules de poils. N’avait pas pris en compte le sans scrupule des chats qui, comme l’avait dit Marisol, trouveront sûrement plus d’intérêt à se cacher dans le sac plutôt qu’à sauter sur leur nouveau jouet. « J’avais presque oublié ce détail. Ingrats que sont ces sales petites bestioles. » Enfin, au moins ça lui aura fait plaisir d’occuper un peu de son temps à autre chose qu’à marmonner toute seule dans un coin de son appartement. Même si elle ne donnait pas deux heures à sa patience avant de craquer et de jeter ledit sac à la poubelle sous le regard critique des deux félins.
Rapidement, la conversation s’orienta sur la boisson puis sur les plantes, se détourna d’elle-même. Ce qu’elle préférait, en soi. Sa vie n’avait rien de palpitant. Il n’y avait pas grand chose à exploiter dans son quotidien qu’elle s’efforçait à garder le plus banal possible. Bien loin de la vérité, pourtant. « J’pourrais tenter le coup pour toi quand le serveur reviendra. » fit-elle en haussa les épaules avec nonchalance. Jaimini ne se connaissait pas une grande timidité de ce côté-là. Challenge accepted.
« Pfiou, ça doit être un sacré travail tout ça. » Ne se projetait pas dans ce genre de profession, bien qu’à l’imaginer, elle percevait un aspect relaxant. Presque thérapeutique. « Ca doit être satisfaisant de voir des plantes pousser grâce à nos soins. » Les seules choses qu’elle avait vu pousser, c’était les plants de cannabis de son adolescence, la fois où elle avait vu la petite box de culture d’un pote perdu de vue depuis lors. Se souvint aussi de l’attrait que bien d’autres avaient dû avoir avant elle de s’acheter une petite plante “facile d’entretien” qui finissait par perdre vie au fil des semaines dans son appartement. « J’avoue que si je retente l’expérience, maintenant que j’ai deux chats je ne donne pas cher de la vie d’une plante. Même un Yucca ne ferait pas long feu avec mes fauves. » Excuse toute trouvée, d’un côté. Pour elle-même, d’ailleurs. Pas de sa faute. La plupart du temps, c’était à elle-même qu’elle justifiait ses choix, à défaut d’avoir qui que ce soit à convaincre. « Ils n’ont pas de prénoms très originaux. Comme ils se ressemblent et qu’ils tous les deux collés l’un à l’autre, j’les ai appelés Tic et Tac. » Sourire amusé, quoiqu’un peu honteux. Pauvres bêtes qu’elles étaient de subir ça.
Jay se pencha légèrement vers l’avant, les bras croisés sur la table en essayant de retarder le moment où elle se laissera tenter par une nouvelle cigarette. « Moi, je suis flic. Je suis arrivée il n’y a pas très longtemps, en renfort. De base, j’exerçais en Pennsylvanie. » Rien de bien palpitant. Avoir quitté un État pour un autre, chose que bien d’autres citoyens américains avaient déjà fait, pour raisons x ou y. « Enfin bon, rien d’exceptionnel. La Justice League d’Exeter, quoi. » Préféra évincer rapidement le sujet. Parce que c’était sûrement sa vie professionnelle qui était la plus chaotique, qui lui apportait le plus d’ennuis ces derniers temps. Rémanences qu’elle s’interdit. Ce soir, elle n’avait pas la tête à penser au travail et aux tracas que cela lui apportait. « Elle se situe où, ta boutique, si tu en as une ? Des fois que j’cède à l’envie de m’acheter un p’tit quelque chose. Autant que ce soit à quelqu’un que je connais. » Promesse un peu en l’air pour masquer la curiosité. Jay n’avait aucune raison d’acheter des fleurs ou toutes autres choses, pour les raisons qu’elle avait déjà citées. Mais Marisol lui paraissait être un personnage sympathique, aussi se prit-elle à penser qu’un mini stage auprès d’elle saurait lui donner le goût et les connaissances botaniques de la néophyte.

@Marisol Ortiz