It's been 84 years | Persephone

La route se fait, Prisca regarde par la fenêtre de la voiture sans trop y porter attention, elle ne conduit pas, alors ce n'est pas très grave. Elle n'a jamais appris, ayant eu trop de choses à l'époque à apprendre pour pouvoir y penser et ensuite elle s'est toujours dit que cela était trop tard. Ce qui ne la dérange pas vraiment, elle parvient toujours à aller là où elle le souhaite sans trop de problème. Elle ne se sent pas nerveuse, ni calme. Elle se sent étrangement normale alors que ce qu'elle va faire ne l'est pas vraiment. Prendre les situations comme elles le sont aident probablement. Elle n'est pas du genre à s'inquiéter ou à s'énerver d'avance. Là, elle ne sait juste pas trop à quoi s'attendre. Après vingt ans, bien des choses peuvent avoir changé. Pour le moment, de ce qu'elle peut se rappeler, la Cohorte ne semble pas avoir changé de place. Lorsque le taxi s'arrête, cela le confirme. Elle paie, indique qu'elle va rappeler pour revenir. Elle ne sait pas combien de temps cela va durer. Elle ne sait rien, plusieurs scénarios sont possibles en ce qui concerne la suite. Elle regarde le lieu, s'avance lentement. Il n'y a pas de garde, pas de porte, rien ne semble vraiment avoir changé depuis vingt ans. Pas de comité d'accueil pour poupon abandonné. Encore moins un pour la mère venue prendre des nouvelles. Il est vrai qu'elle en est la première surprise... ils ne devaient donc sûrement pas s'attendre à un retour après tout ce temps. Cela n'a pas dû souvent arriver non plus s'il n'y a pas personne pour accueillir.

Elle sait qu'elle prend une chance d'avoir fait tout ce trajet. Pas seulement de son hôtel à à la Cohorte, mais du Kansas à Exeter. Elle n'a aucune raison de croire que sa fille est toujours là, peut-être qu'ils l'ont amenée ailleurs. Elle ne savait pas grand-chose de la Cohorte à l'époque (c'est pareil aujourd'hui en fait) elle a juste pris une chance en l'amenant là. Elle savait juste que ce groupe existait et que cela ne pouvait pas être pire que l'Église de Minuit. Elle espère que cela a été le cas. Qu'elle puisse s'être trompée est très possible. Elle espère pouvoir le découvrir assez rapidement. Ce qui ne semble pas pouvoir être le cas puisqu'elle ne voit personne : tout est tranquille. Il n'y a personne, c'est étrange. Cela ne semble pas être abandonné pourtant, ça semble être assez bien entretenu en réalité. Il y a peut-être une réunion quelque part, une fête, peu importe. Elle peut très bien attendre même si elle veut avoir des réponses de façon assez rapide. À moins qu'ils ne soient tous cachés, à l'observer, à attendre de voir ce qu'elle compte faire. Peu lui importe, elle a seulement besoin de rencontrer une seule personne pour qu'elle puisse répondre à ses questions ou l'amener à une personne qui pourrait le faire. Elle ne connait pas plus la rotation des membres de cet endroit, peut-être qu'il ne reste plus personne d'il y a vingt ans et qu'elle va devoir mener ses recherches autrement. Elle doit tout de même commencer quelque part et le faire là où elle a laissé son bébé est une idée comme une autre et elle ne voit pas trop ce qu'elle pourrait faire d'autre, elle n'a jamais été déclarée officiellement ; de ce qu'elle sait.

Prisca se sent un peu étrange, car elle ne sait pas trop comment elle doit se comporter. Est-ce qu'elle doit être excitée ? Nerveuse ? Optimiste ? Est-ce qu'elle doit prévoir qu'elle a été aussi à l'orphelinat et qu'elle est loin ? Qu'elle a repassé par toutes ses mêmes étapes même si c'était la seule chose qu'elle ne lui souhaitait pas ? Elle qui a pourtant si confiance en elle dans tout ne sait pas comment réagir face à cette situation qui lui échappe. Elle ne peut pas prédire s'il va y avoir une rencontre et s'il y a une rencontre, comment celle-ci va se passer. Peut-être qu'elle lui en veut et que peu importe les explications, elle va continuer de lui en vouloir. Ou encore elle ne va pas la croire car elle ne sait pas qu'elle a été abandonnée... il n'y aura sûrement pas de rencontre si c'est cela. Tant mieux. Tant qu'elle sait qu'elle n'a pas suivi le même chemin, qu'elle a eu plus de chance, de la vraie chance (pas comme elle qui a toujours réussi à s'en sortir sans que cela soit idéal) cela lui va. Elle continue d'avancer, doucement, de regarder autour d'elle et d'essayer de trouver une personne quelque part. Elle s'arrête et se retourne lorsqu'elle entend une voix masculine s'adresser à elle. Elle explique la situation, et on lui dit de rester là après un regard surprise. Elle commence à se sentir observée, mais continue de rester sur place, les bras croisés, à regarder autour d'elle. Quelques minutes plus tard, elle voit approcher une jeune femme qui pourrait être effectivement sa fille. « Je suis Prisca et je pense que je suis ta mère. » lui annonce-t-elle. Directe, sans aucune introduction, elle ne voit pas trop l'intérêt de ne pas le dire de cette façon. Elle a dit qu'elle pense l'être, mais elle en est certaine... pourquoi on lui amènerait une jeune fille qui correspondrait à cette dernière sinon ?

L'annoncer directement n'était peut-être pas la meilleure des méthodes à utiliser si elle se fit à la réaction de la demoiselle. Peut-être que Prisca aurait dû annoncer cela autrement, sauf qu'elle ne sait pas trop comment. D'autres qu'elle en auraient été capables a. D'autres. Pas elle. Elle qui est directe, elle voulait tout simplement que la jeune brune puisse savoir pourquoi elles étaient toutes les deux l'une devant l'autre, pourquoi elle a dû se déplacer jusqu'ici. Ce qui n'est pas toujours plus simple, qui peut même prend plus de temps tout compte fait. Tant pis... elle est là pour elle après tout. Elle va pouvoir le lui expliquer de nouveau et encore une fois, et autant de fois qu'elle le veut. Si elle le veut. Ce qui ne semble pas être le cas en ce moment. Les yeux clignent, ça cogite, ça se voit. La méfiance s'installe, les échanges de regards se font, le doute continue de grimper. Cela ne va pas être facile se dit-elle. Elle n'a aucune preuve sauf sa parole et Blake sauf qu'elle n'a jamais eu de ses nouvelles après les quelques jours qu'elle a passé chez lui. Elle n'est même pas certaine de se souvenir de où il habitait. Elle ne peut donc que compter sur elle et la jeune fille ne peut que la croire. Elle est jeune, mais plus vieille que lorsqu'elle l'a eu. A un âge beaucoup trop jeune. Est-ce qu'elle a évité cela ? Elle ne peut pas dire, est-ce qu'elle va le savoir ? Elle l'espère, tout va dépendre de si elle va la croire, de si elle va la laisser parler... tout va dépendre de la réaction qu'elle va avoir.

Elle ne saute pas au ciel, loin de là. Elle ne la croit pas, est assez agressive en réalité. Elle la comprend, elle ne pense pas qu'elle réagirait autrement si quelqu'un lui annoncerait cela. « C'est le seul camp où j'ai abandonné mon bébé... » Est-ce qu'il y a d'autres campements ? Elle ne sait pas. Elle s'en fiche puisqu'elle l'a abandonnée dans ce campement et pas un autre. « Ça fait longtemps... j'arrive trop tard peut-être. » Elle ne doit plus avoir besoin de sa maman. Elle est là, devant elle, vivante, d'apparence en bonne santé, elle ne peut pas vraiment demander autre chose de plus. Elle la regarde, ne bouge pas, essaie de savoir qu'elles vont être ses autres réactions. Quelqu'un d'autre avec plus d'empathie ou de compassion ou de compréhension partirait et lui laisserait le temps de digérer cette nouvelle. Ce qui n'est pas son cas, alors elle enchaine. « J'étais coincée et je pouvais pas t'amener. » Elle aurait pu en fait, sauf que cela aurait été encore plus compliqué. Elle n'était pas non plus prête à avoir cette responsabilité. Est-ce que cela va changer quelque chose pour elle ? Elle n'en sait toujours rien. Raison pour laquelle elle lui donne les explications. Elle parle, est-ce qu'elle l'écoute toujours ? Elle ne va sûrement pas tarder à le savoir. Elle poursuit ensuite. « Tu fais pas partie de l'Église de Minuit j'espère ? » C'est tout ce qu'elle demande en fait. Le reste importe peu. Qu'elle la croie, qu'elle ne la croie pas, peu importe tout compte fait. Tant qu'elle ne fait pas partie de cette secte, tout ne peut que bien aller. Autant que possible.

Ce qui pourrait passer pour une question, une pensée désintéressée ne l'est pas tant que ça. Elle espère, aurait prié si elle croyait à quelque chose au-dessus d'eux de bienveillant (elle sait qu'il y a des fantômes, elle a son don, sa capacité, mais un être gentil ? Ça non. Si c'est le cas, il se fiche bien d'eux et autant ne pas perdre de temps avec lui et lui accorder trop d'intérêt comme il ne le leur accorde pas), qu'elle a bien fait une chose dans sa vie. Elle n'a pas honte de sa vie, elle a fait ce qu'elle a pu avec ce qu'elle a pu voir, ce qu'elle a pu deviner, ce qui lui a montré qu'il y avait autre chose que l'orphelinat, les squats ou l'église de minuit. Elle a vu, a fui, a essayé mais n'a jamais réussi à s'adapter. Elle a vraiment essayé, il manquait trop de choses et pas assez d'autres. Alors, elle espère qu'elle a au moins réussi à faire cela pour sa fille. Elle est certaine que c'est elle. Elle ne voit pas pourquoi cela ne serait pas elle. Si on la lui a amené, cela doit être celle qu'elle a abandonné il y a plusieurs années. Abandonné pour ne pas qu'elle suive son chemin de façon involontaire. Elle veut au moins avoir réussi cela. Ce n'est pas désintéressé, il y a trop d'arrière pensées pour que cela puisse être le cas.