scar ∴ and the rest is rust and stardust.

histoire

Certains dialogues apparaissant au sein de cette biographie sont librement inspirés de l'imaginaire de Pierre Bottero. Merci à lui de guider, encore aujourd’hui, et après tant d'années le moindre de mes écrits.

— Papa, que deviennent les rêves qui se brisent ?
— Il y a deux réponses à cette question, Scar. Comme à toutes les questions. Celle du poète et celle du savant, laquelle souhaite-tu entendre en premier ?
— Celle du savant.
— Les rêves ne se brisent pas.
— Et celle du poète ?
— Ils deviennent le terreau des rêves à venir.

C’était si facile de l’aimer. Avec lui, pas besoin de se contorsionner, au diable les mimes et les sobriquets, les politesses inertes et la normalité. Avec lui, elle pouvait être qui elle voulait, qui il voulait. Elle ne lui avait jamais menti, ô grand jamais ; ni ses bêtises effarouchées, ni ses doutes trop sombres pour être avoués, ni ses peurs de petit oiseau effrayé. En quelques mots, il apaisait son cœur, et pour elle, juste pour elle il rendait le monde meilleur.
Mais au commencement chez Scarlett Prince, il y avait eu la noyade, brutale, soudaine et glaciale. Parallèle ironique de celle qui avait emporté son père tendrement aimé lors d’une furieuse marée. Catégorisée ultra-violente, option silence avant même d’être née. Mais le silence de Scarlett il hurle, il crie, ce sont des ongles qui grincent sur un vieux tableau noir, une plainte languissante à la limite du désespoir. Parce qu’on l’a amputé, avant même que son corps ne soit formé. Parce qu’on l’a privé d’amour, ou plutôt, parce qu’on le lui a arraché avant même qu’elle ne comprenne la définition de ce mot dangereux et erroné.

— Maman, est-ce que papa est parti pour toujours ?
— Oui.
— Et la réponse du poète ?
— Il n’existe pas, Scarlett.

Cinq années qu’il était parti, disparu à jamais dans les tréfonds d’un océan maudit. Cinq années d'errance, suspendues à l’abîme fantasmagorique du temps, tandis le vide dans son cœur ne faisait que s’accentuer, comme une ombre inlassable qui la rongeait lentement, sans jamais discontinuer. Scarlett possédait la sensualité débridée d’une succube éthérée, et se perdait inlassable, à la croisée des esprits et des corps bousillés. L’intelligence d'une nuit éclairée, l'obsession comme amante déguisée, peu crédule, elle calcule vite, elle manipule ; sous ses airs de fausse sainte, se dissimulait les prémices du vice, l'appréhension du vide, le désir de vivre. Elle était de ceux qui ne flanchent jamais, que la vie écorche mais ne fait pas tomber ; digne et honnête, elle rayonnait d’intensité. Parce qu’elle lui avait promis, vous savez, de ne jamais tomber. Mais dans la confiance inébranlable de Scar se dessinait une faille, une fissure qui lui faisait défaut. Quelque chose d’irréparable. Et par l’interstice de cette coupure, de cette césure, il y avait la souffrance qui saute aux yeux, celle que l’on devine à peine et que l’on côtoie sans la remarquer. Celle qui perdure, mais qui finit par s’estomper. Celle qui fait vieillir plus vite, qui endurcie. Celle que l’on n’expose pas, celle que l’on tait.

— Tu peux l’appeler papa, si tu veux.
— Je n’ai qu’un père. Et il est mort. Tu l’as abandonné.
— Et la réponse du poète Scarlett ?
— Lui aussi il est mort, c’est toi qui l’as tué. Tu as déjà oublié ?

La pulpe de ses lèvres était teintée d’un rose pourpre, lui donnant des airs de fausse candide, tandis qu’elle observait Carmen délier sa langue, et l’assommer de paroles creuses, vides, évidées de leur substance. La divine ne pouvait pas le nier, sa mère était splendide, à couper le souffle. Normal qu’Emilio soit tombé dans ses filets. Les années étaient passées sur son visage sans l’abîmer, et avaient magnifié ses traits de veuve délaissée.
Mais aïe, pourquoi ça fait si mal ? Le cœur qui craque comme des os broyés ; voir sa mère se remarier, c’est aussi prendre conscience que papa ne reviendrait jamais.

— ...quelque chose à ajouter ?

Oui, je suis désolée maman, désolée de te décevoir sans arriver à m’arrêter. Mais ce n’est pas parce que tu as réussi à refaire ta vie, que tu dois me juger du haut de ton air hautain et désinhibé. Sache que la mienne est au point-mort depuis cet ultime cri que tu as poussé en décrochant le téléphone lors de cette triste soirée d'été. Cœur nécrosé depuis plusieurs années, le désamour luit dans mes orbites, poussière illusoire du souvenir de papa, capable d’étreindre les étoiles et leur beauté damnée. Je ne sais pas pourquoi je gâche tout à chaque fois ? Certainement une volonté d’autodestruction incontrôlée, ou une tentative de suicide assisté ? Je ne suis pas assez douée pour te l’expliquer. Juste que ces derniers temps, je craque, je repense à lui, à nous, à notre triste sort. À ce qu’on était avant la mort.

— J’dis juste que c'est pathétique, d's'accrocher à une idée comme ça.
— De quoi tu parles ?
— Quinze ans à lui courir après, et c'est même pas ton vrai père.
— Ferme-la. Ferme-la putain.
— Sinon quoi ? Il serait peut-être temps de lâcher prise, Romy.

Qu’est ce qu’elle avait dit déjà ? Volonté d’autodestruction incontrôlée ? Tentative de suicide assisté ?
Scarlett et Romeo, ça aurait presque pu être beau. Leurs corps qui se frôlent, leurs âmes qui s’écorchent, quelques regards en coin, c’était écrit, c’était le destin. Là où où la chance offrait à certains le dénouement des corps qui se retrouvent, eux, les amants maudits, n’ont eu droit qu’au supplice du vide, du néant, de l’infini. De s’observer, de loin, sans pouvoir s’approcher, sans pouvoir se toucher. Volonté de haïr, volonté de détruire. Ils auraient pu s’étreindre pour rire, avec au creux de ventre, le désir de souffrir, le désir de mourir. Dans leurs rêves les plus fous s’épaississaient les contours de cette union maudite devenue réalité ; tandis qu’au réveil, leurs âmes continuaient, inlassables, de se tourmenter. Car cette obsession était, pure, vous m’entendez ? Enfin presque, quand ils le voulaient. C’est à dire presque jamais.

— Je fais que répéter ce qu'Emilio nous a dit l'autre soir à table, à maman et moi. Qu’il n'avait plus de nouvelles de ta mère, depuis des années. depuis qu'elle s'est, je cite, "remise avec le père de Roméo."

Fait moi mal Romy, voilà quel était son cri. Fait moi mal car j'ai besoin d'être remplie. Ce vide me ronge, je vais mourir. Fait moi mal, fait moi souffrir. Je t'en supplie.

— Ne me touchez pas.
— Qu'est ce qu'il se passe ici ?
— Je... Mademoiselle Prince vient de se réveiller, je voulais juste la rassurer.
—  Ne vous avisez plus de poser vos sales mains sur moi, espèce de dégénérée.
— Sinon quoi Mademoiselle Prince ? Cette infirmière a le devoir de vous aider.
— M'aider ? Quelle vaste blague, vous n'êtes pas les premiers. Commencez par vous éloigner. J'ai besoin de respirer.

Trois semaines de coma, voilà ce qu'ils avaient dit, la faute à ce satané Romy. Mensonge absurde, leur avait-elle rétorqué, pourquoi ne voudrait-il pas attenter à sa vie alors qu'elle même en ressentait l'envie.
C'est de clémence qu'il a fait preuve, pas de folie.
Mais malgré son air buté, et son mental d'acier, les souvenirs étaient restés. Logés dans sa peau comme une puce implanté. La vie avait remplacé la mort, et les maux s'étaient succédés. 
Calcifications au niveau de l'encéphale, plus précisément sur les amygdales ; or, ces deux petites structures sont de l'humain, le système d'alarme : elles repèrent, parmi toutes les informations sensorielles, les dangers potentiels, et c'est là qu'est le drame : ce centre de peur était, jusque là, désactivé chez Scar, anomalie infinie et la sirène ne craignait pas pour sa vie. Elle ne ressentait pas l'anxiété, jamais, tête brûlée destructurée elle avait tendance à se laisser emporter, à ne pas se rendre compte qu'elle se mettait en danger. Mais à l'aube de cette nouvelle vie, une crainte sournoise s'était glissée dans son lit. Désormais, elle ne laisserait plus personne l'approcher, la toucher. C'était instinctif, incontrôlé. Plus de contact avait-elle hurlé, et de tissus elle s'était enveloppé.

SMS from Carmen : Je suis immensément fière de toi, Scarlett, ton agent vient de m'appeler. Tu aurais pu me dire que tu avais été publié. J'ai hâte de te lire. Tendres baisers.

SMS to Carmen : C'est Scar. Encore Scar. Toujours Scar. Tu pourrais t'en rappeler.