Il devait
partir. S'en retourner à Houston, sitôt Gideon retrouvé. S'assurer qu'il était sain et sauf - ou au moins,
sauf - remballer une à une les quelques affaires déballées chez Midnight, dans son sac de voyage, et se tirer. Déjà, les chuchotis avaient eu le temps de gagner en intensité, le contraignant à reprendre contact avec Kai, son dealer de l'époque, fort rassuré de le savoir toujours en activité. Il faut avouer que sans réponse positive de sa part, Phineas n'aurait pas su où chercher, et survivre ici sans pouvoir fumer de temps en temps n'était pas une option. Ce n'était pas
recommandable, comme l'aurait réprimandé sa mère, si seulement l'avait-elle surpris à s'anesthésier de la sorte durant l'adolescence. Maître dans l'art des rituels le délestant des effluves caractéristiques, tant accrochées à ses boucles brunes qu'à ses petits vêtements de qualité, la génitrice ne l'avait jamais grillé à l'époque, n'aurait eu aucun soupçon à son égard. Pourtant, aujourd'hui encore, malgré sa majorité, ses vingt-cinq ans bien cognés, force est de constater que Falcon continue à se planquer pour se brûler les bronches quand le besoin s'en fait ressentir.
C'est en tout cas ce qu'il a tout l'air de faire, en s'apprêtant à quitter l'appartement de son hôte temporaire, le petit sachet de weed dans le creux de son poing, lui même enfoui dans la poche de son pantalon. Une inspiration profonde, à avoir l'impression que
ça sent, au travers du plastique, avant de humer une dernière fois l'air dans l'entrée, les sourcils froncés.
Tu dois certainement te faire des idées. Ainsi qu'il referme précautionneusement derrière lui, l'appréhension des premières fois coincée sous le diaphragme.
Tu fais une bêtise. La pensée l'accompagne à mesure qu'il arpente le quartier, le coeur resserré en une vague nausée dès qu'à ses oreilles, ça semble recommencer à s'inviter contre son gré. Il s'imagine, Finn, qu'il a suffi de retomber dans la ligne de mire de ce fantôme, dans la chambre d'hôtel où Gideon se terrait, pour que le mot se mette à circuler dans chaque artère citadine.
Le bureau des plaintes vient de réouvrir ! Sans doute qu'à peu de chose près, c'est la petite annonce qui diffuse sur les ondes spectrales depuis quelques jours, défunts désormais informés de son retour. Parce que
bon sang, c'est de plus en plus pénible, et bientôt, il va bien finir par distinguer des mots, des paroles, des jérémiades, dans cet amas de bruit blanc revenu le hanter, et ce sera encore
pire.Au coeur du Millenium Park, ce sont d'autres questions qui viennent le bousculer.
Peut-être que je ne saurai même plus comment le préparer, ce joint. Aux alentours, nulle foule dans laquelle se plonger, pour s'inonder de discussions entremêlées, s'accrocher aux vivants pour ne pas laisser les morts empiéter sur ses pensées. Non, il y a surtout des couples, et autant il a toujours apprécié de s'asseoir dans le coin, pour regarder les amoureux déambuler, autant ce n'est pas le sujet. Quand il tourne sur lui-même, de gauche à droite, il n'y a que quelques silhouettes qu'il ne remarque qu'à peine, à s'enfoncer dans une allée initialement déserte, un brin reculée.
Ici, ça semble bien, et tranquille. C'est à peu de chose près ce que lui avait recommandé Kai, s'il se souvient bien, à l'époque de son tout premier achat. Phineas avait eu besoin d'être informé du mode d'emploi précis, d'absolument toutes les étapes, et avait probablement semblé un peu anxieux, aussi.
Il faut être cool, et dans un climat calme. En tout cas, pour sa part, c'est sans doute le plus recommandé, déjà craintif d'être surpris par une amie de sa mère, comme s'il avait encore seize ans.
Il faut rester cool. Son prénom résonne, alors qu'il n'a même pas commencé à sortir son petit sachet de sa poche.
« Hm, oui, en personne ? » Il en a les doigts qui tremblotent, à tapoter la poche de son pantalon, puis remonter ses manches, avant de les redescendre, plutôt interdit à l'idée que l'on puisse l'interpeller, l'air franchement coupable.
Cool, cool, cool. « Mais, Leo ?! » Et bon sang, voilà que ça lui fait l'effet d'une claque, suffisante à lui secouer les oreilles et en virer toutes les voix parasites, pour se concentrer sur celle de l'ami. Comme il est soulagé de le voir - lui, et pas il ne sait qui, qui irait tout rapporter à sa mère, quand il se fait des films et se retrouve convaincu que tout son petit plan est détaillé sur son front.
« Tu me vois aussi surpris que toi ! » Et ce n'est pas une mauvaise surprise, visiblement, quand son regard s'éclaire et qu'il avance à son tour, délaissant ses petits projets, bien plus intrigué par sa présence. Peut-être qu'il calcule mal la distance, ou que ça fait longtemps, tout simplement, et qu'il n'a jamais été tactile que dans une certaine maladresse, mais il se retrouve à tendre les bras avant même d'être arrivé à portée, et les referme avec une aisance approximative autour de son ami.
« Bon, j'imagine que tu dois être un peu plus surpris que moi, tout de même, parce que c'est assez logique de te croiser à Exeter, te sachant à Exeter actuellement. Je parle trop, c'est l'émotion. » Et il plaisante, sourire aux lèvres, et ça lui fait du bien de se dérider, à le tapoter entre les omoplates du plat des mains, en deux petits coups, comme son père avait coutume de le faire pour saluer ses proches. Sans doute lui arrive-t-il d'agir
comme plus vieux qu'il ne l'est, mais il ne s'en aperçoit jamais qu'à moitié.
Un pas de recul, à commencer son petit acte d'observation, prunelles s'attardant à redessiner le visage de l'ami pour le mettre à jour dans ses pensées.
« Tout s'est fait dans l'urgence, je n'ai même pas eu le temps de te ramener quoi que ce soit. » Et la politesse veut que ça le contrarie un peu, de tomber ainsi sur son ami, de se retrouver les mains vides après plus de cinq années à communiquer de manière épistolaire.
« Je suis ravi de te voir, en tout cas. » Sans doute que ça vient du coeur, de ces pulsations apeurées qu'il songe apaiser un temps à ces retrouvailles impromptues.
« Tu as cinq minutes, qu'on se pose quelque part ? Enfin, mission complexe de trouver un banc en cette période de parades nuptiales. » En effet, ça se bécote un peu partout, et le garçon hausse les épaules, à attendre qu'une assise se libère.
« Sommes-nous seulement assez légitimes pour chiper la place de deux tourtereaux ? J'avais oublié comme le Millenium pouvait se transformer au printemps. » Et ça le fait sourire, à retrouver ses airs de gamin, en contemplant Leo, quand à sa seule présence, c'est tout qui s'illumine.