| something wicked this way comes |
De mal en pire. Yeux noirs posés sur la garde-robe de son alter-égo, et comme l'envie de se pendre. De le pendre. Il avait déjà eu de la chance que
l'autre se soit amusé à braquer une photo bien plus présentable, l'air de se comparer à une version préférable de sa personne, quand il s'était pointé devant ce miroir, dans la galerie commerçante. Au moins, il avait hérité de tout ce qu'il y avait de mieux chez l'autre gars. Mais sortir de sa torpeur avec un t-shirt bisounours sur le dos, sans parler de cet abominable sarouel, c'était le fashion faux-pas de trop. Heureusement qu'elle était là, oui, cette photo. Les mèches blondes avaient pu prendre le pas sur le brun, courtes, de loin préférables à cette tignasse que son original avait l'air de s'obstiner à cultiver. Eugh. Le nez enfoncé dans la garde-robe et toujours autant de dégoût en tirant vêtement après vêtement. Rien qui ne soit sauvable, si ce n'était pour ce futal en vinyle d'un rouge vif particulièrement saillant. Les yeux noirs sautèrent sur une partie plus colorée de la garde-robe. Probablement la personne à qui
l'autre était marié. Il ne l'avait heureusement pas croisé, en se glissant dans l'appartement à la suite de l'original. Avait tout fait pour éviter ce dernier jusqu'à ce qu'il reparte, afin de mieux s'approprier son espace.
Devlin laissa ses doigts se faufiler de t-shirt en crop top, certain qu'il revendrait l'alliance qu'il venait d'apercevoir à son annulaire au premier
pawn shop venu pour se faire un peu d'argent de poche. Tira de la penderie un haut trop court, trop étroit,
idéal en treillis et finit par s'échapper de la chambre. L'atmosphère cosy, désordonnée l'horripilait.
Quelques pas dans le salon et il manqua de se tordre la cheville sur un jouet en plastique. Un juron, un coup de pied dans l'objet pour le faire voltiger vers les canapés. Croisa deux paires d'yeux félins dubitatifs. Des chats. Des enfants. Un mariage. Tout ce qui l'horripilait au plus haut point. Il ne prêta aucune attention aux animaux, préoccupé qu'il était par le besoin de filer du bouge dans lequel il s'était réveillé. Aucune préoccupation pour les résidents, alors qu'il fouillait tous les tiroirs, faisait toutes les poches des vêtements qu'il pouvait trouver. Son original avait choisi une vie rangée, après tout. Il saurait tout remettre en ordre à son retour. Quant à Devlin, il n'avait qu'une seule idée en tête : récupérer tout le cash qu'il pouvait trouver, et prendre la clé des champs. Les bijoux qu'il avait cru voir dans la chambre relevaient de la pacotille. L'alliance lui rapporterait peut-être quelques centaines de dollars, à voir si
l'autre était du genre cheap ou généreux quand on en venait à son mariage. Quant au reste... Un dernier regard circulaire dans le salon. Les yeux d'encre se portèrent sur un téléphone portable, laissé à l'abandon -oublié ?- sur la table basse. Avec un peu de chance...
L'écran s'ouvrit sous le code qu'il venait de tapoter mécaniquement. La photo d'un jeune homme bouclé au visage poupin, penché sur une petite fille s'imposa aussitôt entre les icônes.
Barbie. Millie. Des noms qui auraient dû évoquer quelque chose, sur lesquels il passa sans vraiment s'y arrêter, ne trouvant pas l'homme vraiment à son goût. Il allait empocher le téléphone quand ce dernier ce mit à vibrer, entre ses doigts. Un sms. De Robocop.
Lenny.
On aime bien Lenny. Un rictus mauvais s'étira sur les traits du blond.
| to: robocop |
xx:xx - hey, Lenny, j'ai un truc pr toi. rdv asap au Tartarus.
***********
Les poches déjà plus lourdes, maintenant que l'alliance était entre les mains expertes d'un prêteur sur gage. Son original n'avait pas déconné, il lui avait rapporté un assez bon pactole pour lui permettre de s'occuper, le temps de trouver autre chose. Pas que les finances soient réellement un problème. Il avait la main leste, par le passé. Le présent, lui, lui avait offert un visage pas trop dégueulasse à regarder. Avec ce genre de sourire qui pouvait pencher dans la balance, lors d'une négociation. Restait à savoir qu'en faire, mais la soirée ne commençait qu'à peine, et il avait l'intention de croquer la vie à pleines dents. Avait proposé le Tartarus au dénommé Lenny sans vraiment y penser. Ce nom s'était imposé dans son esprit alors qu'il pensait au lieu idéal pour commencer sa nouvelle vie. Découvrant enfin l'édifice, il fut ravi de comprendre
pourquoi.
Parce qu'avec ses néons, les personnes qui se déhanchaient déjà sur le rythme de sa musique trop forte, ce bar immense qui n'attendait que lui, le Tartarus lui donna immédiatement la sensation d'être à la maison.
L'assurance de celui qui avait toujours fait partie des habitués, Devlin louvoya jusqu'au comptoir. Tapota sur la surface, le regard balayant l'assemblée à la recherche d'un mec qui pourrait s'appeler Lenny. A vrai dire, n'importe qui ferait l'affaire, même une meuf, tant les souvenirs de son original étaient rares. Etudier le téléphone de Devlin n'avait pas apporté beaucoup d'eau à son moulin. Incapable de mettre des noms sur ces visages, juste la certitude qu'ils seraient à éviter pour aussi longtemps qu'il évoluerait parmi les vivants. Il y en avait bien un qui sortait de tout le lot, qui aurait bien mérité de s'appeler Lenny. Qu'il repéra non sans plaisir parmi les convives qui arrivaient progressivement dans le club.
On aime bien Lenny. Sûrement pas de cette façon, à en juger les choix douteux de l'original. Un signe de main dans sa direction, pour attirer son attention. Un autre en direction du barman pour commander une série de shots de téquila pour lui et son invité. Pas que boire soit réellement un besoin, c'était plutôt histoire d'amadouer l'autre. Devlin avait d'autres projets de repas, ce soir.
Lenny serait un excellent candidat.
Jusqu'à ce que ce dernier se soit rapproché, suffisamment pour qu'il remarque qu'il semblait bien différent de ce qu'il avait vu sur les photos du téléphone. Il s'en dégageait une assurance,
une sensualité qu'il n'avait pas anticipée avec les photos. Le gars dans le téléphone, sur les photos ou dans les conversations, donnait l'impression d'être un mec doux et gentil, le genre de gars sans histoires qui essaie de se planquer autant que possible pour pas qu'on le voit trop. Le type de proie facile à attaquer pour commencer la soirée. Celui qui venait de se glisser sur le siège à côté de lui n'était visiblement rien de tout ça. Les deux hommes avaient-ils des secrets à dévoiler à la classe ? Quelle que soit la raison de ce comportement inattendu, le blond appréciait. D'avantage son style, sous bien des aspects. Jouant la carte de la proximité, il se fendit d'un sourire. Poussa l'un des shots dans la direction de l'ami :
-
Je suis à la bourre, t'es à la bourre, une équipe qui gagne !Il attrapa son verre du bout des doigts, le fit tinter contre celui de son compagnon pour marquer tout son plaisir d'être là. Pas seulement dans ce club, pas seulement en sa compagnie. Il avait son propre réveil à célébrer. Une seconde chance de marcher dans le monde des vivants. La réalisation l'avait frappé en plein visage lorsqu'il avait pris son premier bain de foule, en quittant le centre commercial où l'original l'avait réveillé. Ce connard n'avait aucune idée du cadeau qu'il lui avait fait. Et Devlin compter profiter de chacune des minutes qu'on lui offrait. Prétendit glisser ses lèvres dans son verre pour en tirer une gorgée, histoire de parfaire l'illusion. Le contact seul avec la boisson était écœurant. Il le reposa aussi sec.
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Annule tout ce que t'as prévu ce soir. J'ai des projets pour toi. Enormes. Le genre de projets qu'on n'a qu'une seule fois dans sa vie.Il se pencha dans la direction de Lenny. Capta son parfum, s'offrit le luxe de plonger son regard dans le sien.
On aime bien Lenny. Certainement pas comme ça, pas alors que les projets d'une soirée passée à s'offrir tout ce que son original n'aurait pas le courage de faire étaient en train de doucement se métamorphoser dans son esprit. A s'être réveillé si brutalement, il y avait bien trop de choses qu'il avait envie de faire. A commencer par poser une main sur la cuisse de l'autre et de chuchoter dans sa direction, l'air faussement conspirateur.
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Le côté plan-plan, métro boulot dodo, le mariage, les chats, le ou les gosses, t'as pas idée d'à quel point ça me casse les couilles, Len. Je m'emmerde. J'ai besoin d'autre chose, tu vois ce que j'veux dire ? Alors dis-moi juste un truc, avant que j'te parle de mes grands projets. Jusqu'à quel point t'es un bon pote ?A la pêche aux informations, pour mieux connaître les limites de son
meilleur ami. Du peu qu'il avait glané, Lenny était un mec bien. Et s'il avait quelques doutes en le voyant tel qu'il se présentait ce soir, devant lui, il espérait que cette première approche ait l'effet qu'il attendait. Une hésitation. Un malaise. Peut-être même un soupçon de peur, alors qu'il enfonçait ses doigts dans la cuisse de son compagnon, le regard fermement planté dans le sien. Une cuisse étrangement fraîche, bien plus fraîche que le blond n'aurait imaginé.
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A quel point t'es un mec bien, au juste ?