Hello adventurer ! (libre)

La journée touche à sa fin, et la fatigue laisse peu à peu place à l’excitation, dans l’esprit de Bastien. D’ordinaire, il serait pressé de fermer la librairie pour pouvoir retrouver sa fiancée et les animaux, pour ressortir lors de la balade quotidienne avec Gimli. Ce n’était pas le cas ce soir, et s’il voulait voir la boutique se fermer, c’était surtout à cause de l’affichette qu’il avait posée sur la devanture quelques semaines auparavant, pour organiser la future soirée Jeu de Rôle. Il avait plusieurs tables, mais cette fois, il avait tenu à préciser que tous les types de joueurs étaient les bienvenus, confirmés comme débutants. Il faut dire qu’il adorait particulièrement faire découvrir sa passion pour cette activité qu’on pourrait considérer comme étant niche à des personnes qui n’avaient jamais forcément osé s’y intéresser. Et ça marchait, comme le prouvait la fiche d’inscription, remplie de plusieurs écritures différentes. Ce soir était la première soirée, celle de la création des personnages, et le libraire avait hâte de découvrir, en même temps que les autres, de quoi serait composée la petite bande des joueurs, et de pouvoir imaginer les différents liens entre chacun d’entre eux.

Pour l’instant, cela dit, il restait une cliente dans la boutique, flânant d’un rayon à l’autre. Elle ne devait pas avoir plus de vingt ans, ses doigts parcourant les livres, en prenant un puis le reposant, dans le doute. Bastien connaissait bien ça, le doute qui vient, comme si choisir un livre était l’équivalent d’une décision capitale pour le reste de sa vie. Lui agissait toujours comme si ça l’était, et il comprenait que d’autres fassent pareil. Ne voulant pas déranger sa réflexion, il s’occupait, allant ranger les ouvrages qu’on lui avait laissés en caisse, délaissés par leurs potentiels acheteurs. Il en profita également pour mettre de côté ceux qu’on lui avait demandé de conserver, les réservations devant partir dans les prochains jours.

La cliente finit par trouver ce qu’elle cherchait, de toute évidence, et semblait satisfaite. Bastien n’allait jamais proposer son aide sans qu’on le lui demande, justement parce qu’il sentait que parfois, certaines personnes prenaient plaisir à dénicher eux-mêmes les perles qui rempliraient leurs soirées. Il était très enthousiaste à l’idée de conseiller les gens qui en éprouvaient le désir, mais lui-même était du genre à élever au rang presque mystique le temps passé à explorer les piles de livres et les rayons bien rangés. Un coup d'œil à son achat, et il sourit. “ Très bon choix, je l’ai lu en deux jours quand on l’a reçu !” La jeune femme avait porté son dévolu sur Le prieuré de l’oranger de Samantha Shannon. Un livre assez connu et apprécié, mais toujours efficace. “ Oui, on me l’avait conseillé il y a longtemps !” Parfois, les discussions n’allaient pas plus loin que ça, et c’était ainsi, pas plus mal, vu l’heure avancée de la journée. Il était un peu plus de dix-huit heures maintenant, la session de création allait commencer d’ici une petite heure, il ne disait pas non à l’idée de ne pas faire traîner la conversation. Lui souhaitant une bonne soirée, il accrocha le panneau de fermeture, tout en laissant la lumière pour permettre aux joueurs et joueuses de rentrer sans avoir à attendre qu’il daigne ouvrir, le temps se couvrant de plus en plus. Bien heureusement, il faisait encore jour à l’extérieur. Plus par automatisme que par réelle nécessité, Bastien se dirigea vers le coin salon de thé où se trouvait une table rectangulaire assez large, ouvrit le frigo derrière le comptoir où étaient entreposées, jusqu’à 17h30, les pâtisseries, et s’assura qu’il y avait bien quelques gâteaux et des boissons. Des biscuits apéritifs avaient également été achetés.

Le libraire profita du silence pour sortir les fiches de création de personnage et s’asseoir un instant. Il ne fallait qu’attendre, maintenant. Sortant son téléphone, il décida d’appeler Chenoa, avant que les inscrits n’arrivent.

@bastien crane

Propulsée en dehors de la boucherie et de sa journée, Za n’avait qu’une hâte, aller se changer chez elle (ou plutôt chez Louisiana, même si c’était chez elle aussi désormais), écouter de la musique trop forte dans son casque et finir le cul vissé à cette table de jeu de rôle organisée par… well, organisée, elle se rappellera bien du nom plus tard à dire vrai.

Sur le chemin qu’elle arpente à moitié en bus, à moitié avec ses guiboles, elle laisse son esprit s’égarer vers la face de con de Lir, revenu d’un passé qu’elle aurait bien apprécié laisser aux oubliettes. Sur les nerfs, Za balance un SMS à Trevor pour lui dire qu’elle en a marre des ouin-ouin dans la vie, et que Helena des Misfits était trop romantique pour elle, mais qu’il fallait qu’il aille quand même l’écouter, pour le principe (elle l’aimait bien quand même, surtout la partie démembrement en guise d’argument conditionnel).

Vêtue d’un sweat large et d’un baggy qui lui fait de l’air pour le principal, la wendigo débarque dans les entrailles de la librairie estampillée fermée comme si l’invitation crevait d’elle même d’entrer sans frapper.

Si elle était pas connue du patron, parce qu’elle savait pas lire plus que les inventaires et commandes de la boucherie, Zahra était une joueuse de longue date qui avait passé des nuits à torturer ses co-rôlistes avec des personnages bien trop bourrus pour être vivables en quête. Quand elle s’était inscrite, c’était plutôt le fait d’avoir la surprise de la thématique qui l’avait intriguée, puis décidée au bout de trois secondes neuf. Tiens, ça y est, ça lui revient, son prénom c’est… “Yo ! Bastien ?”

Ca n’allait pas être Perlimpinpin, mais sait-on jamais, y’avait pas grand monde, à croire que pour une fois, elle était à l’heure, bien trop excitée comme une puce. Sans doute pour se la péter un peu auprès du MJ du jour, mais surtout de ses mystérieux compagnons de jeu, qui n’étaient vraisemblablement pas encore arrivés. “Oh ça sent la graille” qu’elle laisse échapper, alors que ladite graille est quand même vachement loin pour la humer comme ça. Mais on parlait d’une professionnelle en la matière, faut croire.

Elle n’attend pas de se faire cueillir et s’infiltre elle-même plus en plus loin dans l’établissement, jusqu’à croiser le concerné, pour sûr.

“Ouais du coup moi c’est Zahra, je t’ai jamais vu passer à la boucherie mais v’là l’arrivage !”, qu’elle lâche en lui faisant un fist bump de circonstance, un petit sourire fier sur la gueule. “Faut m’appeler Za par contre sinon ça va me saouler” mais ça c’était qu’un menu détail, qu’elle s’empresserait de répéter quand les autres seront là.