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 Tel est pris qui croyait prendre feat Devlin

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Tel est pris qui croyait prendre
Devlin & Roman

rp d'entrée perdu, le boulet que je suis a tout supprimé en éditant, ça s'est fait stache  stache

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Dernière édition par Roman Drake le Mar 12 Nov - 10:55, édité 6 fois
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Devlin Tarrare
- madame irma vibes -
Devlin Tarrare
- madame irma vibes -
damné(e) le : o28/10/2019
hurlements : o4492
pronom(s) : oshe / her
cartes : oava fürelise la perfection // sign exordium // montage par jiji la plus jolie // moodboard par le plus parfait des maris
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ਓਹ ਤੇਰੀ...
Les premières fois jalonnent tous les esprits, laissant derrière elles une fragrance toute particulière. De la nostalgie en note de tête, de la fierté, de la joie, de l'amertume, souvent, en bouquet. Mais parfois, elles laissent également la puanteur âcre de la honte dans leur sillon. Les premières fois sont ce souvenir d'un baiser à la douceur idéalisée, et à l'exécution douteuse, celui de ces premiers émois magnifiés par l'innocence et gâchés, aussi, par cette même innocence. Pour Tarrare, celui-ci était le premier. Mais loin de charrier beauté, nostalgie ou mélancolie, tout ce qu'il laissa dans son sillon fut une brûlure de bile le long de l'œsophage et le bourdonnement caractéristique qui précédait la perte de connaissance.
Il s'appelait Jamie. Il avait de magnifiques yeux verts, éclatants comme des gemmes, avant qu'on les lui arrache.

C'est laid, quelques fois, les premières fois. Ça fait mal, ça colle à la peau, ça aspire toute la joie que vous éprouvez. Une paire d'émeraudes gravée à même les rétines, le divinateur avais repris ses esprits dans le calme illusoire d'une cellule vide. La puanteur qui flottait dans l'atmosphère aurait aussi bien pu provenir des quatre murs en béton que de ses propres vêtements. Son regard charbonneux divagua le long de la grisaille, espéra, peut-être, s'accrocher à celui de quelqu'un d'autre. Celui du petit Jamie. Celui de Barbie, peut-être, s'il l'avait pu. Mais il n'y avait qu'Elle pour lui tenir compagnie dans cette cellule : une terreur venue du fond des os, qui lui avait retourné les tripes devant les photos de la scène de crime. On l'avait gracieusement nettoyé, une preuve de respect qu'il ne méritait certainement pas. Parce que Devlin comprenait, à présent, en quoi ce geste pouvait être inutile. Ce n'était pas le dégoût du premier cadavre qui l'avait mis dans cet état. Il en avait vu d'autres. C'était la conséquence de ses mensonges qui se matérialisait dans un corps qui n'avait plus d'humain que le nom, abandonné contre un talus à l'entrée de la forêt.
Il s'appelait Jamie. Il n'avait pas exactement toute la vie devant lui, mais l'écran de fumée qui noyait ses pensées les avait transformées en une infinité de rêves. Il n'aurait jamais pu pénétrer dans la Zone 51 pour libérer des licornes, comme il le prétendait. Tout ce qu'il voulait, c'était ce petit coup de boost dans les poumons pour s'imaginer une nouvelle vie, plus belle et plus colorée, loin de ce monde trop gris où il ne se sentait pas à sa place. Des veines rouges en écrin autour des émeraudes, et une vie qui, de toute façon, était en train de foutre le camp.

Vaseux, le temps de débiter des banalités aux enquêteurs. Vaseux, le temps de croiser quelques regards torves alors que ses mains tremblantes faisaient balancer son pendule un peu trop fort au-dessus des photos en noir et blanc. Vaseux, en révélant l'identité du supplicié, en racontant cette vie coupée en plein élan sans autre explication que l'alignement céleste. Avaient-ils vraiment gobé ses conneries ou lui donnaient-ils le bénéfice du doute ? Ils ne l'avaient pas encore identifié. Avec le "grand Tarrare", pâle sous ses cheveux noirs, l'estomac noué et sa tête rentrée dans son kurta chamarré, c'était chose faite. Il s'appelait Jamie.
Putain, il s'appelait Jamie. Et le "grand Tarrare" était à l'évidence l'avant-dernière personne à l'avoir vu vivant, bien que personne n'en ait la moindre idée. Enfin si. Quelqu'un était parfaitement au courant.

C'est moche, souvent, les premières fois. Ça vous prend à la gorge et ça vous étrangle, avec la hargne du ressentiment et la puissance du dégoût. Et tout ça dans l'indifférence générale. Ses sentiments avaient tous un nom, un visage et un regard implacable, à vous visser l'âme au dossier de votre chaise. Roman Drake, dont le nom venait de s'afficher sur l'écran de son téléphone. Roman Drake, qui l'invitait d'un SMS à le rejoindre le soir  même, dans un des bouges où ils se retrouvaient de temps à autres. Un de ces hommes qui personifient les mauvaises idées, qu'il avait approché sur un coup de tête, persuadé que c'était la meilleure chose à faire pour arrondir ses fins de mois. Pour oublier Barbie, aussi, oublier cet instant de faiblesse passager où dire la vérité lui avait effleuré l'esprit. Quitte à vivre caché, autant approcher ceux qui en avaient fait leur vocation. Leur arrangement était même plutôt sympathique, avant qu'il ne devienne dangereux. Tout du moins l'était-il tant que Devlin se croyait en position de contrôle. Oh, il aurait pu fuir, s'il était moins lâche. Peut-être aurait-il déjà rejoint la frontière du Canada pour se mettre à l'abri au fond d'une forêt s'il avait été moins con. Mais les mauvaises idées sont comme les premières fois : elles ont la vie dure, elles ne vous lâchent pas.
Jamais.

C'est à cause d'elles qu'il a fini devant cette porte vitrée, la main figée sur la poignée, le cœur battant la chamade. Incapable de faire un geste de plus au risque de laisser la terreur le briser. Il s'appelait Jamie, il fréquentait sûrement ce maudit bar dans cette maudite ville, lui aussi. Une raison de plus pour transformer la peur en colère, inspirer, et s'engouffrer enfin parmi les convives. La silhouette sombre de Roman Drake était déjà penchée au-dessus du comptoir. Impossible à manquer, un sourire comme une rature sur une œuvre d'art.

- Vingt-deux heures, comme prévu.

Son employeur ouvrit la bouche sur une voix qui hérissa les poils sur la nuque du métisse. S'échiner à ne pas le regarder ne suffisant pas à l'empêcher de percevoir son ton euphorique, Devlin finit par retourner un regard noir sur Drake.

-Alors c'était bien vous...

Aucune autre réaction autre qu'une indifférence calculée. Jusqu'à ce qu'un éclat rose vif accroche le regard charbonneux. Une vague glaciale traversa tous ses membres. Ce briquet, féminin à l'extrême, il le connaissait. Il se mêlait aux tâches luisantes des émeraudes, s'imprima lui aussi contre ses rétines. Le marabout glissa une main tremblante jusqu'au verre qu'on lui avait si généreusement offert et l'engloutit d'une traite. Ca ne suffit pas à faire passer la vague de nausée qui commençait à l'étreindre.
Elle s'appelait Carrie. Il s'appelait Jamie. Peu importait ce cigare obscène que Drake agitait sous son nez, peu importait qu'il soulève d'avantage son estomac. Ils avaient des prénoms, des vies. Ils... Lui vouaient une certaine confiance, aussi mal placée qu'ait été cette dernière.

-La jeune femme à qui appartenait ce briquet... Elle est vivante ?

L'espoir naïf de celui qui sait, au fond, quelle est la vérité. Drake n'avait aucun besoin de lui répondre, mais, pourtant, la question avait roulé le long de la langue de Devlin. Parce que c'était plus simple, de croire qu'il pouvait y avoir une once d'espoir. Elle s'appelait Carrie. Elle sentait le patchouli et la vieille piquette. Elle portait le prénom d'un ex tatoué dans le creux de son poignet, elle comptait le faire enlever au laser, un de ces jours. C'était ce qu'elle avait dit, entre deux bouffées de fumée.
Le métal de ses bagues laissa une pulsation douloureuse contre sa peau, à mesure que son poing se resserrait.

-C'est quoi, le but de tout ça ? M'effrayer ? Prouver votre supériorité ? Tout ce qu'ils voulaient, c'était un peu d'herbe. C'étaient des épaves. Ils vous auraient rapporté beaucoup plus en étant vivant qu'en pièces entre deux arbres !

Ils avaient un prénom. Ils étaient des êtres vivants, de chair, de sang et d'émotions. Tarrare aussi, malgré ce dont il avait réussi à se convaincre ces derniers mois. Un être fait de honte, de remords et d'indignation. Il aurait cru qu'elle finirait par s'éteindre, suffoquée par la fumée du cigare. Mais elle ne semblait vouloir que croître, encore et encore.

-Qu'est-ce que vous attendez précisément de cette entrevue, Roman ? Je n'ai rien dit aux flics, je les ai lancés sur une fausse piste. Je ne vois décemment pas ce que je pourrais faire de plus.

Les premières fois sont comme les mauvaises idées. Elles hantent vos pensées jusqu'à vous en faire crever.

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Tel est pris qui croyait prendre
Devlin & Roman

Un éclat de rires, des plus francs, des plus terribles aussi, spontané. Réaction profondément amusée en réponse à une question franchement absurde. Puis un sourire de prédateur qui se dessine et une deuxième latte qui s'évapore, crachée au visage de Tarrare qu'il dévisage sans ciller. Enfin, le silence, pesant, tranchant, toujours accompagné de ce regard sombre avec lequel le wendigo laisse filer cette certitude : non, évidemment que cette poupée défraîchie au goût prononcé pour les licornes n'est plus de ce monde. Envolée. La nuque brisée. Le corps découpé et dégusté pour le dîner. Quelques organes éparpillés ici et là, livrés aux plus offrants. Il n'en reste plus rien, pas même des souvenirs pour cette solitaire aux rêves d'espoir balayés, exceptés pour celui qui l'avait conduite à l'abattoir sans même le savoir. Pour celui qui doit dorénavant vivre avec ce massacre sur la conscience, quand pourtant il n'a jamais eu l'intention d'être un acteur indirect de cette tuerie. Indirect et pourtant central, car sans son aide cette dernière serait encore en vie, en quête d'avenir et de jours meilleurs. Devlin le sait et ne peut que s'en mordre les doigts. Cette interrogation n'était qu'un espoir vain de se réconforter, mais nul soulagement pour ce pauvre diseur de bonnes aventures qui devient soudain complice d'un double meurtre. Non petit homme, tu ne dormiras pas ce soir dorloté par une conscience sereine. Non, tu ne pourras plus te regarder dans un miroir sans observer ton visage tourmenté. Bienvenu dans l'univers obscur du Père et ses compères. Tu y seras choyé mon gars ! Tant que tu marcheras au pas.

Le détachement s'impose à nouveau pendant qu'il s'accoude et s'abreuve, qu'il fait descendre son whisky cul sec en réclamant toujours dénué d'amabilité une autre tournée. Son invité en a grand besoin ! Et d'autres encore par la suite, pour tenter de digérer l'indigeste, un sombre commencement quand il aurait préféré l'achèvement. N'oublie jamais, pauvre Homme que tu es, que tu es celui qui est venu se vautrer dans la gueule du loup en pensant fourrer ton museau postiche dans une bergerie fictive. Maître de son destin, qui s'est grandement fourvoyé sur celui-ci quand il affirme pourtant le prédire. Pourtant, celle-là, tu ne l'avais pas vue venir ! A cette pensée l'alpha sourit, sans un oeil pour sa nouvelle recrue, en fumant son cigare avec cette nonchalance habituelle qui exaspère et déstabilise. La cendre tombe dans le cendrier, puis le timbre - d'une voix bien trop satinée pour appartenir à cette créature infâme et pourtant - claque dans cette atmosphère d'effluves débauchées. « Tu me trouves effrayant et supérieur ? ». Un rictus malicieux mais carnassier se loge aux coins des lèvres. Roman en hausse légèrement les sourcils, cette mascarade est très agréable, le temps s'en écoule plus rapidement. Suffisamment pour que son faciès se métamorphose à nouveau, affichant maintenant une sévérité inquiétante. « Des vies déplorables, du suicide à petit feu, personne à qui manquer... Des épaves comme tu dis, je considère plutôt leurs fins comme une délivrance. Quant aux bénéfice à en tirer, je suis le seul à en juger ». Si tu savais, monsieur Irma, ce qui se trame derrière cette façade...

Les verres se remplissent à nouveau sous les doigts d'une serveuse renfrognée qui regarde son client avec insistance, mais ce dernier ne lui accorde plus la moindre importance. Fuyante, elle soupire légèrement, observe ensuite son compagnon du soir d'un air émoussé puis s'en retourne au reste de sa clientèle en s'accordant un dernier soupir exagéré. Roman saisit son récipient, le fait tournoyer en le scrutant puis le repose simplement. Ses yeux d'acier plongent dans ceux de Tarrare, presque sans ciller, glacés, impérieux, roublards. « Tu penses m'avoir rendu service ? Dis moi Devlin, qui as-tu vraiment voulu protéger en détournant leur attention, toi ou moi ? ». Interrogation purement rhétorique. Un aveu et s'en est fini du visionnaire, dans tous les cas de figures possibles. Le clan se venge, première option. L'ordre le condamne lui aussi, deuxième option. Et la troisième, celle que le wendigo préfère, les deux en une ! Qu'il ait peur des répercussions découlant de sa clique ou de la justice, la fin demeure la même : la crainte pointe et le bout du chemin s'avère sinistre. Ce sont ses propres arrières qu'il assure, non pas celles de Drake dont il n'a fichtrement rien à faire. Il ne s'agit pas là d'un service rendu, aucune équité à l'horizon, pas la moindre porte de secours qui se profile pour s'extirper de ce brasier dont il est devenu créateur à son insu et qui, tout entier, à n'en pas douter, finira par le consumer. « Tel est pris qui croyait prendre hein ? Un voyant qui n'a rien vu venir, c'est ironique ». Et en attendant qu'il s'embrase, c'est le tabac qui brûle lentement et qu'il écrase dans le cendrier sans lâcher Devlin de ses prunelles espiègles, puis sérieuses derechef.

Le téléphone sonne dans sa poche, un message s'affiche. Une demande toute particulière, pour un homme malade et fortuné, prêt à payer le double du prix pour un organe sain dans un délais plus que restreint. Un texto codé, au cas où il serait tracé, que Roman déchiffre sans peiné d'une oeillade concentrée. Un boulot pour son convié qu'il n'est pas prêt de laisser prendre congé. « Ce que j'attends de toi n'est rien de plus que ce que tu attendais de moi. Tout est toujours affaire d'argent n'est-ce pas ? C'est un contrat, très longue durée, sans congé payé mais très bien rémunéré. Tu as déjà passé la période d'essai avec succès et je serais vraiment très peiné de te voir démissionner ». Le voilà le but de toute cette mise en scène, de simples menaces, néanmoins efficaces, pour s'assurer que ce bel oiseau qui un jour est venu se poser face à lui ne s'envole jamais bien loin. En échange de quoi il le nourrirait généreusement et prendrait grand soin de son précieux plumage. Pigeon favori, retenu dans une cage dorée ou dévoré accompagné de sauce au vin lors d'un festin, au choix. Alors, deal ? Evidemment ! « Ca va sans dire que nous tenons tout particulièrement à notre clause de confidentialité » ajoute-il avec une trogne un tantinet souriante mais menaçante. Nul besoin d'être plus explicite, tout se cerne parfaitement dans cette subtilité de circonstance.

Roman n'a rien avoué franchement, s'est contenté toute cette entrevue de laisser libre court à l'imagination de Devlin, préférant pour l'heure passer sous silence les tenants et aboutissants de ses affaires qui dépassent grandement un banal trafic de stupéfiants. Le mystère, porte ouverte à toutes les éventualités et des plus terribles, apporte d'avantage d'effroi que le savoir. Des confirmations qu'il a livrées à l'homme en demi-teinte, qui ne lui offrent plus l'espoir d'opter pour un retour en arrière salvateur, qui le plongent dans l'enfer de ce sordide Foyer Rouge aux rumeurs glaçantes qui vont bon train. D'ailleurs, Tarrare aurait mieux fait de tendre l'oreille... A moins qu'il ne l'ait délibérément voulue sourde. Dommage pour lui, tant mieux pour Drake qui compte à l'avenir profiter de ses services bien bénéfiques, le malheur de l'un fait le bonheur de l'autre. Pourtant, même si jusqu'alors le voyant est aveugle, lui aussi ne tardera pas à comprendre que le jeu en vaut la chandelle, quand les liasses de billets pleuvront et que son existence s'en retrouvera plus aisée. Quant à la conscience, il suffit de l'oublier; il arrive un matin où, lassée de s'échiner à s'égosiller sans parvenir à se faire entendre, elle s'enterre dans le mutisme. Passagère et impuissante, elle tente parfois de rattraper les condamnés... Ce n'est qu'un détail, une habitude, elle fait partie d'un décor qui se zieute mais ne se voit plus. Une excuse, un prétexte, un choix; Roman l'a fait pour Devlin. Trop tard. Bon séjour à Drake's Compagny, espérons qu'il y ait le moins de turbulences possibles... Ou pas, juste pour le fun !
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Dernière édition par Roman Drake le Sam 9 Nov - 16:05, édité 1 fois
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Un éclat de rire à vous glacer le sang, à absorber le moindre fragment de chaleur qui aurait pu subsister dans votre carcasse. Loin de partager l'hilarité de Drake, le divinateur se tassa d'avantage sur son tabouret de bar. Il avait toujours considéré ses affaires comme de petites escroqueries sans grande importance. Arnaquer les crédules n'avait jamais été inné, c'était un acquis. Tout comme les répercussions que chacune de ses "séances", elles étaient acquises, s'il y pensait réellement. Ce qu'il préférait ne pas faire, jusqu'à présent. Jusqu'à ce qu'il soit mis devant le fait accompli, et que l'éclat de rire tonitruant de son nouvel employeur s'infiltre dans ses veines pour s'imprimer à même ses nerfs. Sa questions était toute aussi illusoire que la réponse qu'il venait de recevoir. Il n'y avait plus d'espoir, depuis longtemps, depuis qu'il avait jeté Jamie et Carrie dans la gueule du loup. Une gueule qui ne cessait de s'étirer d'un sourire narquois, maintenant. Si Devlin avait plus de courage, il soutiendrait ce regard lumineux, il soutiendrait la vue de ce rictus carnassier, affamé. Mais il ne l'était pas, courageux. Il ne l'était pas, brave, il n'était pas vindicatif, il n'était pas puissant. Il n'était rien de plus qu'une putain de mule pour le roi des cons, et ce froid glacial qui étreignait tout son corps en était la preuve tristement irréfutable.

S'astreindre au silence, alors que les questions se bousculaient sous ses boucles noires. S'astreindre au silence et se forcer à être quelqu'un d'autre, quelque chose d'autre, pour ne pas avoir à subir cette terreur du fond des âges qui ne cessait de grimper. La tête rentrée dans ses épaules, le divinateur pinça l'arrête de son nez. Masser ses yeux pour les rendre gourds, pour qu'ils ne s'écarquillent pas d'avantage. S'efforcer à une certaine maîtrise. Respirer, pour que les vieux démons ne reviennent pas à la charge et que sa spasmophilie enfantine ne se réveille pas encore tout à fait. Mais les images refusaient de s'en aller. Sous les flashes colorés, tantôt le vert d'émeraudes qui ne verraient plus jamais la couleur du ciel, tantôt le rose d'un briquet qui n'avait rien à faire dans les serres de Drake, s'ajoutaient à présent ces dents parfaitement blanches. L'écho d'un rire malveillant noyait le brouhaha ambiant du bar, noyait ses pensées, noyait les rangées de perles étincelantes alors qu'elles se muaient en crocs acérés. S'il écoutait les battements erratiques de son cœur, il comprendrait qu'il était fait comme un rat. Alors il s'empara du second verre de whisky si gracieusement offert pour l'engloutir à nouveau, parfaitement conscient qu'il était incapable de cacher son état.

-Le seul à en juger, d'accord. Même si cela implique un manque à gagner conséquent sur le long terme.

Se raccrocher aux premiers termes de leur négociation, même si sa voix cassée en dévoilait trop. La brûlure du whisky au fond du gosier, il fut tenté d'en commander un autre, voire la bouteille. Il ne le ferait pas. Son estomac était déjà suffisamment à l'orage comme ça. Accentuer le courage illusoire de l'alcool, tout aussi salutaire fut-il, n'arrangerait rien à ses affaires. Drake le lui faisait bien comprendre, étalant sa victoire à coups de vérités mal anticipées. Une question, notamment, envoya son semblant de contenance dans les roses. Qui as-tu vraiment voulu protéger en détournant leur attention, toi ou moi ? Qui ? Vraiment, qui ? Un haut-le-cœur difficilement répressible. De la bile en fond de palais, et la certitude que Drake était dans sa tête. Parce qu'il avait raison. Parce que dans la froideur de cette salle d'interrogatoire, devant l'horreur de ces photographies en noir et blanc, Devlin n'avait pas réagi par altruisme. S'il avait fait preuve de créativité, ce n'était pas pour protéger son employeur. Il n'en toucha mot, parce qu'il n'y avait rien à dire. Drake connaissait parfaitement la réponse : nécessité fait loi. En se couvrant, le divinateur avait ouvert une porte béante où ses problèmes s'engouffraient tous joyeusement. Il n'y avait plus moyen de faire marche arrière.

Fuir ? Fuir serait une idée. Fuir pour aller où ? Loin de ce type et ses sbires, loin de Barbie et sa peau de panthère, loin de ces cons qui gobaient tout ce que Tarrare leur donnait. La tête enfoncée dans ses épaules, il prit sur lui de ne pas relever la remarque. Un petit clin d'oeil aux débuts de leur relation professionnelles. Le serpent qui s'est salement mordu la queue. Mais fuir... Fuir serait une excellente idée. Sauf que pour monter un projet pareil, il fallait des moyens que le divinateur à la petite semaine ne possédait pas encore. Il lui fallait des contrats juteux, il lui fallait une riche héritière à plumer, il lui fallait... Il lui fallait l'homme assis à côté de lui. Barbe-Noire aux fonds infinis, aux dents longues et aux humeurs assassines. C'était la seule solution. Devenir sa dernière épouse, et espérer avoir suffisamment de temps pour lui voler ses clés. Prier Vishnu alors qu'il n'était pas Hindou, prier Dieu alors qu'il n'était pas Catholique, prier la Sainte Providence en espérant ne pas se faire dévorer comme toutes les autres concubines. Ne pas finir en pièces au pied d'un arbre comme Jamie, Carrie, et sûrement tant d'autres.

Le flash bleu d'un écran de téléphone. Roman Drake qui dégoisait à nouveau, d'une voix acidulée aux saveurs écœurantes. Un contrat, hein ? Si Devlin avait un soupçon de scrupule, il ne reviendrait pas dessus. Il acquiescerait en silence, pire, il tendrait le tube de lubrifiant. Mais ils n'avaient jamais fait mention des petites écritures, au moment de la signature. Quitte à se faire enculer à sec, autant que ce soit passionnément. Une pointe d'indignation née de ce brasier au creux de son estomac. Un regard charbonneux devenu noir, noir comme les abysses qui l'attendaient certainement. Le dernier effort du condamné, qui invective l'injection létale pour la rendre moins terrifiante.

-Combien ? Il n'a jamais été question de meurtre. Il n'a jamais été question de couvrir vos petites sauteries, juste de vous amener des idiots suffisamment crédules pour que vous leur vidiez les poches. Que vous en fassiez des saucisses ou du méchoui, c'est votre problème. Mais si je dois couvrir vos soirées "boucherie bucoliques en forêt", je veux être dédommagé. Alors, combien ?

Ils s'appelaient Jamie et Carrie. Ils seraient les premiers, pour peu que Drake ne prenne pas ombrage du manque de prudence de son nouvel employé. Devlin avait le potentiel de devenir l'employé du mois, avec ses propres magouilles, ils le savaient parfaitement tous les deux. Mais renégocier son salaire alors qu'il venait tout juste de passer sa période d'essai n'avait rien de judicieux, et tout de dangereux. Le divinateur n'était plus à ça près, dira-t-on.

-En parlant de paie, où est la prime de risque ? Qu'adviendra-t-il si, d'avenir, je me fais pincer ? Vous le savez comme moi, ce n'est pas quelque chose qui peut se prévoir avec un tarot ou une boule de cristal. Cependant c'est une éventualité que nous sommes obligés de considérer.

Débattre, pour oublier. Débattre, pour garder du temps. Se noyer dans des paroles sans sens, dont il comprenait déjà trop la teneur. Le contrôle avait toujours été une illusion, Drake le lui avait déjà prouvé en faisant lui-même pencher la balance en sa faveur, une première fois. Sur ces plateaux, la vie du marabout n'était qu'une plume opposée à une liasse de billets. Il n'avait aucune importance, aucun impact réel supplémentaires que l'importance que son employeur accepterait de lui donner. Ca ne l'empêcha pourtant pas de tenter le tout pour le tout.
Dans ce monde de terreur, l'argent était roi. C'était sa seule porte de sortie. Pas de démission, seulement le licenciement pour abandon de poste. Une faute grave serait fatale.

Fatale. Un flash noir et blanc devant ses rétines. Une photo du corps supplicié de Jamie, en juxtaposition sur le visage carnassier du monstre. Drake avait confié que l'activité était bien plus lucrative. La signification des blessures commençait à devenir bien plus évidente, à présent.

-... On parle de trafic d'organes, n'est-ce pas ?

S'il savait, le divinateur. S'il avait eu le loisir de tirer ses propres cartes, il aurait su. Mais l'innocence est aveugle, en particulier quand elle est aussi bornée.





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Tel est pris qui croyait prendre
Devlin & Roman

La tournure le surprend et l'intéresse, l'amusement est au rendez-vous et le personnage qui l'accompagne ce soir cède aussi facilement qu'il se l'était imaginé, tout en osant tout de même ajouter une certaine dose de piquant, juste pour faire bonne mesure. Préserver une assurance illusoire quand le fond se pisse dessus et la mâchoire claque sourdement. Ne pas tenter un seul instant de se soustraire à la demande assassine et aux périls qu'elle engage, s'attaquer directement à la problématique salariale pour feinter l'acceptation de bon gré de cet accord sanglant sans rechigner lorsque l'option du refus n'a jamais été permise. Du grand art ! Et de l'audace qui ne dissimule en réalité qu'un manque de courage indéniable. Cet homme est lâche, mais n'importe qui l'aurait été face à de pareilles menaces. Le piège s'est refermé et tient fermement sa proie dans sa gueule aux crocs acérés, prêts à lui arracher les chairs à chaque intention de se débattre. Docile et pas assez débile ou confiante pour croire à une échappée, Tarrare se contente de céder. Les négociations commencent, omettant un très léger détail... « Tu n'es pas en position de négocier » lâche t-il très calmement, les doigts posés sur son verre qu'il sirote lentement avant de poser son autre main sur l'enveloppe contenant cette fameuse paie qu'il fait glisser jusqu'au rabatteur. Les réponses à ses questions s'y trouvent, ne reste plus qu'à l'ouvrir et admirer le fruit d'un travail d'équipe bien mené, équipe dont il fait partie malgré lui. Une belle somme d'argent facile, rien de tel pour se mettre en joie et faire abstraction de sa provenance, d'autant plus quand on ne met pas vraiment les mains dans la merde et que ce sont les autres qui se coltinent la tâche ingrate. Allez Tarrare, détends toi, sourit, ta vie matérielle va grandement s'améliorer et tes petits yeux peinés imagineront les supplices sans jamais les voir, tu n'es qu'une langue mielleuse qui berce les égarés et les mène sur un chemin désiré, une magnifique sirène qui ravit ses marins qui n'ont conscience qu'à la toute dernière minute du traquenard funeste qui les happe. Ils cheminent avec espoir et euphorie, tu leurs offres presque une fin heureuse. Presque. Contemple tes liasses, compte chaque morceau de papier qu'elles contiennent et zappe les derniers détails, console toi mon gars ! C'est un joli pourcentage. « Ca va du simple au double, suivant ce que tu nous dégotes ». Et qu'on parle des Hommes comme on parle de la poiscaille, du frais et du moins frais, sans aucun remord dans la voix.

Le wendigo lui laisse le temps de digérer l'information et de se pencher sur le chiffre qui l'attend chaque fin de mois; de quoi bien les arrondie et plus encore. Cette interrogation étant réglée, le trafiquant s'attelle à un autre point. Une oeillade vers son invité se jette en coin, puis ses lèvres trempent à nouveau dans son whisky avant qu'il ne remette de l'ordre dans tout ce chantier de son timbre le plus impérieux. «  Il n'a jamais été question de... Garde ton blabla pour qui voudrait t'entendre te plaindre et apaiser ta petite conscience. Il ne me semble pas t'avoir donné le moindre détail sur mes affaires. Tu es venu jusqu'à moi parce que tu avais besoin de fric - comme à peu près tous les paumés de cette ville - tu as entendu dire que j'avais la main mise sur le trafic de shit, tu t'es dit qu'une petite part du magot pourrait t'appartenir en jouant les rabatteurs et je t'ai simplement laissé croire en ce doux rêve de gloire. C'était bien trop facile et bénéfique pour passer à côté d'une telle occasion, occasion que tu as toi-même mise sur pieds en ne voyant pas plus loin que le bout de ton nez, alors que les rumeurs qui nous concernent sont sur toutes les lèvres. Ca nous arrangeait tous les deux, alors me joue pas le sketch de la donzelle indignée, je ne suis pas grand fan de ce genre de comédies ». Une pause, prompte, juste le temps de finir son alcool d'une unique traite et de reprendre. « Et fais bien attention à ne pas trop m'exaspérer Tarrare, on plonge, tu plonges. Il n'est pas question de couvrir mes affaires, mais nos affaires ». Insistance sur cette nuance avec laquelle Devlin commence à l'échauder. Le regard est sombre mais reste fixé sur son récipient vide qu'il lève à la vue du personnel pour en commander un autre. « Ca ne devrait pas te demander trop d'efforts, la flicaille te mange dans la main; ça plus ton don de prédiction tant apprécié par ses derniers, t'as au moins deux coups d'avance, c'est du travail facile » assure t-il d'une attitude railleuse. Lui n'y croit pas encore à cette prédisposition surnaturelle qui lui est conférée, mais ne sait-on jamais, les cartes pourraient peut-être lui prédire les tracas qu'il pourrait alors détourner. Et fricoter avec les forces de l'ordre... C'est une position confortable qui facilite l'anticipation, quoi qu'il en soit de ce don, une aide précieuse qu'il ne faut ni craindre ni négliger. Au contraire, c'est une aubaine !

Roman vire sur sa chaise pour faire face à Devlin. Il s'accoude contre le comptoir, sors de sa poche la photo d'un petit raccommodeur que ce dernier connaît fort bien, avec un nom de poupée et une taille réduite, un faciès de bambin horripilant qui passe du chérubin au possédé du Diable en une fraction de secondes. Ce cliché, il en est l'auteur. Réalisé en toute discrétion avec son téléphone dans l'habitation de ce dernier, imprimé pour être ressorti en cette occasion, il n'est pas peu fier de cet énième moyen de pression déniché par hasard. Coup de pouce du destin appréciable, il ne pouvait pas laisser filer cette opportunité offerte si généreusement par un concours de circonstances favorables. Un rictus prépondérant se grave aux coins des lèvres et l'oeil malicieux observe le visionnaire lorsqu'il lui tend la photographie. Barbie, fouinant dans sa trousse à pharmacie. Le Père du Foyer Rouge ne connaît pas les détails de leur relation, mais la vue d'un souvenir posé sur papier glacé de ce jeune poupon aux côtés de Devlin, dans sa tanière, a suffi à ce qu'il ne se pose pas d'avantage de questions à ce sujet. Aucune nécessité, c'est bien assez. C'est limpide. L'idée qui en a découlé est extrêmement séduisante, le prédateur s'en lécherait presque les babines. « La voilà ta prime de risques, la promesse qu’il reste intact ». Rien à ajouter, la clarté domine. C'est une évidence que ce secret doit demeurer comme tel, que rien ne parvienne aux oreilles de son docteur improvisé au risque qu'il ne termine à son tour en charpie, ou pire. Une signature de contrat, et sans négociation, en bonne et due forme. Réjoui de son coup de poker, le joueur sourit franchement, toujours avec cet amusement exaspérant, puis conclut ce point. « Sois suffisamment malin pour ne pas te faire pincer, ce n'est pas une éventualité ». Au coeur de l'enquête, il verrait son matricule chauffer avant qu'il ne soit réduit en cendres et pourrait aisément contourner l'incendie. Pour Roman, cette possibilité était improbable. Et si par malheur Tarrare se révélait stupide au point de laisser traîner des indices trop compromettants dans son sillage, il disparaîtrait simplement, emportant ce secret avec lui. Le dealer n'y croit pas, il a confiance en sa capacité à protéger ses arrières, il vient déjà de le lui prouver, à deux reprises. Alors, avec toute sa sincérité, il le rassure à sa manière, juste après le troisième passage de la serveuse cette fois de marbre qui déguerpit aussi vite qu'elle est arrivée. « T'as été bien naïf mais t'en as dans la caboche, t'es perspicace quand on t'aiguille » lui dit-il accompagné d'un clin d'oeil, confirmant ainsi sa dernière intuition. Effectivement, il s'agit de dons d'organes non consentis. « C'est bien plus lucratif pour nous que quelques grammes de weed écoulés sur plusieurs années ». Nous, signifiant toi et moi. Dorénavant, ils étaient liés. « Jusqu'à ce que la mort nous sépare » laisse t-il filer en ricanant sombrement, tout en levant son verre de nouveau plein, comme s'il trinquait, avant d'en boire une bonne gorgée. Ses yeux d'un bleu sublime brillent dans la lueur des néons qui parfois grésillent. C'est une bonne soirée.
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Devlin Tarrare
- madame irma vibes -
Devlin Tarrare
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Le vent commençait à tourner pour le pseudo-divinateur. Il pouvait le saisir à la manière dont l'atmosphère s'était progressivement chargée en électricité, malgré le brouhaha ambiant des nombreux convives avinés. Il n'était plus question de négocier quoi que ce soit, depuis longtemps, il le comprenait difficilement. Mais ça n'allait pas l'empêcher d'essayer, juste pour la beauté du sport. Juste pour se donner l'impression illusoire de ne pas être aussi monstrueux que l'homme aux impitoyables serres blanches, assis à côté de lui. Les effluves de l'alcool montaient comme autant de freins intellectuels, dans son cerveau. Imposaient une teinte légèrement rougeâtre sur ses joues sombres. Des couleurs qui n'avaient pas leur place sur ses traits, et qui, pourtant, atténuaient quelque peu la pâleur grisâtre qu'aurait dû y laisser la terreur. En temps normal, il aurait accordé plus de crédit à l'image qu'elles lui conféraient. Quand votre attitude est la fondation même de tout votre commerce, il est nécessaire d'y faire particulièrement attention, non ? Pourtant... Pourtant Drake le tenait par les couilles. A un tel degré de promiscuité, voire même d'intimité, il n'était plus réellement judicieux de s'enfermer derrière ses apparences. Ni même nécessaire.

Que faire, alors ? Toute l'indignation à laquelle il tentait de se raccrocher en prenait pour son grade. Chaque inspiration de Drake, chacune de ses paroles était un coup de feu supplémentaire aux oreilles du divinateur. Il n'avait pas besoin d'être menaçant, les faits étaient suffisamment édifiants pour forcer la réflexion à s'animer toute seule. Chacune des démarches que Devlin avait entreprise auprès du sinistre individu avait la même finalité : l'amener lentement mais sûrement à sa perte. Contacter l'autre. Négocier avec l'autre. Croire qu'il aurait l'aval sur l'autre. La simplicité des explications n'avait d'égale que l'horreur qu'elles sous-entendaient. Parce que tout ça, c'était Devlin lui-même qui l'avait créé. Un linceul tissé de bonnes idées, toutes unies à présent pour l'accompagner dans la tombe. Et le pire dans tout ça n'était pas que les fantômes qui flottaient autour d'eux aient eu la moindre importance. Ils n'en avaient jamais eue, pour la seule raison qu'au devant de la seule valeur que les deux hommes leur avaient accordée n'avait jamais été rien de plus qu'une liasse de billets dans une enveloppe.
Enveloppe que Devlin ouvrit en silence, de ses mains tremblantes. Le souffle raccourci par ce poids qui enfonçait sa poitrine, il se retint difficilement de compter son salaire. Il n'avait encore jamais vu de liasse aussi grosse. Il n'avait encore jamais eu le sang d'autrui sur ses mains souples. Peut-être que s'il n'avait aucune conscience de la nature exacte de cet argent, il l'aurait empoché avec un grand sourire et une poignée de main chaleureuse. Mais il savait. La moitié des billets s'appelait Jamie, l'autre moitié s'appelait Carrie. A réflexion, les magnifiques émeraudes qui perçaient le visage torturé du petit toxico tiraient sur cette teinte de vert si particulière qui ornait les dollars américains. Une vague de nausée. L'enveloppe disparut comme elle était arrivée, escamotée dans la poche intérieure de la veste chamarrée du divinateur.

-Du travail facile... Une promenade de santé, hein.

Le ton lugubre, il étudia son verre vide avec insistance, pour mieux s'arracher aux élucubrations de son maître chanteur. A l'ironie dans son ton, Tarrare comprit bien qu'il n'avait pas le choix. Il allait devoir faire preuve de créativité, non seulement parce que Drake n'allait pas l'aider, mais qu'en plus, il n'allait pas non plus faire le moindre effort en ce qui le concernait. Il pouvait insister sur leur implication à tous les deux, les faits étaient là : Devlin serait seul, dans toute cette histoire. Il n'avait jamais été question de quoi que ce soit, parce qu'il n'avait jamais été question d'une collaboration. En tant que pion, il avait le devoir d'avancer sur l'échiquier si Drake le lui demandait. Et d'accepter la mort avec un bon gros sourire, l'implacable joueur ne tolérant aucun échec et mat.

Une intention que ce dernier matérialisa d'une simple photographie. Le coeur de Tarrare s'effondra dans sa poitrine en voyant la surface blanche du papier glacé retourné. Avait-il retrouvé sa famille, au Canada ? Son domaine d'influence s'étirait-il aussi loin, bien au-delà des frontières ? Pourvu que ce ne soit pas Geeta. Pourvu que ce ne soient pas ses frères, son père, sa mère. Des tambourinements erratiques contre la tempe et le coeur au bord des lèvres, il s'empara aussitôt de la photographie. S'imprégna de ses couleurs avec l'acharnement du condamné.
Une goutte de sueur roula le long de son échine.
Ses doigts lui semblèrent se geler au contact du papier.

-Ah...

Ce n'était pas Geeta, ni aucun des membres de sa famille, sa prime de risque. C'était bien au-delà, et, par extension bien pire. Parce que le visage sur la photo, Devlin le connaissait par coeur. Des prunelles marrons aux accents dorés, ces lèvres ourlées sur lesquelles il s'était échoué plus d'une fois. S'il ne reconnaissait ni le lieu, ni ce qu'était en train de faire l'individu, Devlin reconnaissait parfaitement Barbie. Une photo volée au jeune fou aux allures d'ange, qui n'avait rien à faire entre les serres blanches de Barbe-Noire. Son prochain dommage collatéral, si Devlin avait bien saisi les accents de sincérité au fond de son ton mielleux. La mâchoire serrée, il étudia les traits du criminel sur le papier tremblant. S'en imprégna et laissa la vague de froid le happer complètement. A côté de lui, Drake continuait d'enfoncer des portes ouvertes.

Barbie. Le divinateur engloutit son troisième verre sans broncher. Laissa la brûlure de l'alcool faire perler la sueur sur son front, laissa la peur s'infiltrer d'avantage sous sa peau. Se laissa ballotter par le flot incessant de ses émotions. Peur, honte, dégoût s'écrasant contre son corps, amenuisant ses dernières barrières. Mais il y avait quelque chose que Drake ne savait pas. Quelque chose de bien plus insidieux, de bien plus profond que le seul fait d'agiter une photo de Barbie sous son nez.
Ce qu'il ne savait pas grondait au fond des os gelés du divinateur. S'échappa sous un claquement de langue, le poussant à baisser la tête, secouant son corps tout entier. Ses doigts crispés autour de la photographie, et cette puissance dans ses muscles.
Un éclat de rire, entre les mâchoires crispées. Un aboiement de plus en plus fort, irrépressible, impossible à contenir sous cette main qu'il venait de passer sur son visage. Un raz de marée nerveux, profond. Douloureux.
Libérateur.

La photo lui échappa des mains. Voleta sur le comptoir, entre les verres vides et les traces d'alcool. Le papier aurait pu se gorger de ses larmes, tant il riait fort. Si c'était ça, le plan de Drake, il aurait besoin de revoir ses bases, lui aussi. Les joues à l'agonie, le divinateur finit par se calmer. Le regard charbonneux croisa celui, sublime, il était vrai, du maître-chanteur.

-Tuez-le, pour ce que j'en ai à foutre.

Un sourire aviné au creux des lèvres et le coeur au fond de l'estomac. D'un mouvement de l'index, le divinateur héla la serveuse pour faire remplir leurs verres. La laisser hausser un sourcil à son euphorie, le temps qu'elle remplisse tout puis disparaisse à nouveau. L'hilarité l'avait rendue nettement moins invisible que depuis le début de la conversation. Parce que, dans le fond, n'était-ce pas ça, le fond du problème ? L'invisibilité.

-J'ignore comment vous avez su que j'ai fréquenté ce type. Mais vos informations datent un peu. Menacer de l'abîmer est une insulte à votre intelligence.

S'il avait gardé sa relation avec le criminel secrète, ce n'était pas seulement pour s'en cacher ou l'éviter plus facilement. C'était aussi à cause de toute la proportion qu'elle avait pris, et de cette opacité qui l'avait traversée. Dans une conversation aussi capitale, mettre ses sentiments sur le tapis n'avait réussi qu'à soulever deux choses chez le divinateur : la terreur, et le mépris. La terreur parce que le jeune homme au visage d'ange lui foutait une peur bleue, bien supérieure au type assis à côté de lui. Le mépris, parce que ce dernier avait été bien con de penser que Devlin aurait une once de scrupule à sacrifier ceux qui avaient compté pour lui.
Un mensonge aux accents de vérité, un de ceux que l'on se fait pour ne pas avouer qu'on se voile la face. Mais, en l'état, si Roman n'était pas aussi idiot qu'il venait de le prouver, il comprendrait que Barbie de Ruiz n'était pas la bonne cible à agiter pour impressionner son nouvel associé.
On ne peut pas instiller la peur à quelqu'un si ce qu'on lui offre est de le la lui enlever. Même s'il s'agit d'envoyer des Hommes à l'abattoir. Un sourire crâne aux lèvres, le divinateur fit tinter son verre contre celui de son employeur.

-C'est tout ce que j'avais besoin de savoir. Jusqu'à ce que la mort nous sépare, Roman Drake.

Le dilemme moral qu'imposait cet accord en fond de pensée, noyé par les vapeurs de l'alcool, Devlin trempa ses lèvres dans son quatrième verre. Les événements de la journée le battaient à blanc, mais il se devait de conserver un minimum de maîtrise. Juste assez, juste ce qu'il fallait pour ne pas se laisser happer par ce bourdonnement qui résonnait à ses oreilles. Ce noircissement de la vision périphérique, cet instant de flottement que l'alcool aurait dû empêcher. Des fourmillements au bout des lèvres. Au bout des doigts. Des émeraudes, des tâches roses et Barbie, tout autour de lui. Un goût de pomme et la douleur d'un coup de poing.
Un flash aveuglant. Sa main libre s'abattit sur le bras de Drake. Ses doigts s'enfoncèrent dans le cuir, comme des serres, comme s'ils cherchaient à se planter dans sa chair. Le verre lui échappa des mains.

-On vous attend, dans la ruelle par laquelle vous comptez repartir. Deux hommes armés. Sortez par l'entrée principale si vous tenez à vos rotules.

Ses paroles auraient pu être des menaces, s'il n'était pas aussi lointain. Si ses yeux n'étaient pas grands ouverts, ou ses doigts enfoncés aussi profondément dans le bras de Drake. Si l'alcool ne lui coulait pas à présent sur les cuisses sans qu'il n'en sente la souillure, l'esprit captivé par les images qui défilaient devant ses rétines. Des flashes colorés, brefs, aveuglants. Cette ruelle, il la connaissait bien pour y avoir traîné ses savates quelques fois. On y accédait par la porte de derrière, celle qui se trouvait à l'embranchement des cuisines et des toilettes. Elle sentait la pisse, la sueur et la graisse. Deux types encapuchonnés y battaient la silhouette recroquevillée de son nouvel employeur. La barre à mine de l'un s'élevait dans la lumière du lampadaire, à l'extrémité de l'arcade. Quand il s'abattait, le bruit moite de la chair faisait écho à celui, sec, des os qui se brisaient.

Effet stroboscopique et sons écœurants. Quand il revint difficilement à lui, l'escroc eut l'impression que sa tête était à deux doigts d'exploser. Son étreinte se liquéfia sur le blouson de Drake. S'il n'était pas aussi crucial de faire bonne mesure, il lui aurait sûrement déjà repeint les chaussures.

-Je... Qu'est-ce que vous avez foutu dans mon verre... ?


Spoiler:




L O V E
by QQ & EXORDIUM.

quand Barbie vit mal son régime:
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Tel est pris qui croyait prendre
Devlin & Roman

Un rictus à peine perceptible s'accroche aux recoins des lippes lorsque Devlin camoufle l'enveloppe dans sa vêture. La partie est définitivement gagnée. L'accord est conclu et le salaire empoché, sans grande hésitation si ce n'est l'effleurement d'une conscience qui se révolte mais qu'il n'est pas en mesure d'écouter, avec laquelle il ne débat guère longtemps; pas suffisamment sûrement. Roman s'attendait à une remarque, un semblant de riposte ou d'indignation, une moue d'écoeurement, un oeil en peine peut-être ? Non, juste une respiration qu'il perçoit moins sereine, des doigts tremblotants. Cette réaction lui paraît trop légère et vite congédiée à la vue de cette liasse conquise. Fausse indignation pour préserver une face d'illusions, une pauvre comédie que le devin lui avait jouée là. Au fond, l'obscurité lui pourrissait aussi les entrailles, il n'était pas pire que l'employeur, mais pas tellement mieux non plus.

Les verres s'enchaînent, Roman l'observe, imperturbable. Il ne tiendra pas la cadence, trouve du réconfort factice dans cet alcool de gamme modeste qui échauffe vite les esprits. De la faiblesse, voilà ce que le Père perçoit dans cette attitude d'alcoolique qui se console dans sa bouteille. La peur, c'est ce qu'il tente de noyer. L'oubli, c'est ce qu'il tente d'atteindre. Juste le temps de cette soirée, car demain l'aube pointera, comme chaque autre matin, avec elle la réalité en pleine face et la sale gueule de bois. Personne ne lui échappe, pauvre Tarrare, pas même ceux à qui tu fais parfois croire le contraire. Alors bois, jusqu'à plus soif, rends toi malade et pitoyable, autant de soirs que tu le désireras mais... Dans l'ombre de ces effluves, le monstre du Foyer Rouge sera toujours là, à guetter le moindre de tes faux pas. Relativise, il récompensera toujours les meilleurs. Les beuveries ne chasseront jamais bien longtemps ces images et cette angoisse. Elles n'apaiseront que pour quelques heures les tourments qui te rongent, et encore, peut-être te livreront-elles l'effet inverse. Toutefois Roman n'en démord pas, un beau jour, simplement, tout est normal, ça devient banal. Comme une seconde peau qui a fini par se détendre sur la précédente et la rendre inexistante. Le tueur est passé par là, dans un passé qui lui semble bien lointain. Parfois c'est insoutenable, pourtant il faut bien le rendre supportable. Puis le tolérable se transforme en agréable, ou bien est-ce parce qu'on finit par le juger agréable qu'il devient tolérable... Le wendigo n'est pas certain de la perspective à donner à tout cela, mais peu importe, c'est du pareil au même. Tu verras le voyant, tout ira bien.

En attendant, le dealer se rapproche de son invité quand l'hilarité prend fin sans qu'il ne s'en montre perturbé, avec dans le regard une belle étincelle salace. Dans la voix, un grain à la fois sombre et enjôleur lui annonce la couleur - rira bien qui rira le dernier dit le proverbe non ? « Qui t'as dit que je comptais le tuer ? Il m'est trop précieux et la poupée me donne trop de plaisir pour clore ainsi le chapitre. Non, c'est d'une manière bien plus sale et passionnée que je pourrais l'amocher, mais c'est une telle salope que je suis persuadé que ça lui plairait et qu'en prime il en redemanderait. J'espère que t'as eu l'occasion de le goûter, sinon tu passes à côté de putains de bons moments ! J'imagine que oui, vous aviez l'air plutôt proches sur cette photo, toujours chèrement gardée dans son cocon bien douillet ». Prêcher le faux pour saisir le vrai, pour tenter de provoquer une réaction là où elle était attendue et qui se fait toujours désirer. Roman n'apprécie pas ce contre-pieds et tente de renverser la tendance. Ce ne sont que de vulgaires mensonges, qui sonnent pourtant avec une telle authenticité qu'il les transforme en un claquement de langue en une réalité lubrique. Un clin d'oeil met un terme à son manège et le loup reprend sa place initiale, termine à son tour son fond de verre et quémande une énième tournée. Il a perdu le compte, la troisième peut-être ? Peu importe. Le service est rapide et la descente n'a rien à lui envier. Une gorgée et il l'assèche avant de réclamer le suivant, puis de se griller une cigarette - le cigare a laissé un arrière goût en bouche fortement déplaisant. Il a sorti son propre briquet, la mascarade qui n'a plus lieu d'être est achevée.

Ses lèvres ont juste le temps, après un peu de nicotine avalée par les poumons, de s'abreuver d'une lampée cul sec avant qu'il ne lâche le récipient qu'il tient en mains et qui s'éparpille en fragments tranchants et cristallins sur le comptoir souillé. Le bras qui le tenait vient d'être accroché sans prévenir et les doigts s'enfoncent dans le cuir avec une intensité que le Père ne soupçonnait pas. Surpris, le wendigo ne bronche pas, se contente de contempler cette scène étrange que lui livre son voisin. Silencieux, il dévisage ce faciès qui semble ailleurs, livide, comme possédé. L'alcool n'a pas déclenché cette réaction, elle a un air surnaturel et elle le stupéfait. Son regard ne cille plus quand la voix du visionnaire lui annonce sa prédiction. La créature aurait pu croire à un canular si la scène ne lui apparaissait pas si réaliste. Alors, don de voyance irréfutable ou coup de bluff réalisé au moyen d'un art surréaliste ? Mieux vaut ne pas tenter le diable, dans le doute, c'est beaucoup trop convainquant pour se contenter de contester. Malgré tout tellement tentant ! S'assurer de cette véracité pour ensuite s'en servir, pour utiliser ce don à sa guise et impliquer plus encore le diseur de bonnes aventures qu'il pensait bête arnaqueur dans ses affaires. Parce qu'avoir un tel coup d'avance n'est certainement pas négligeable. Son devin personnel, tout entier sous son influence, pour se gausser de l'avenir et lui faire un joli doigt d'honneur. Il n'a plus conscience de cette poigne qui l'enserre, ni de ces yeux dans le vide qui ont quitté le présent pour cet avenir pessimiste. Ses pensées fusent et son esprit pratique réfléchit à vive allure. L'idée germe et grandit. Une aubaine que l'opportuniste compte bien saisir.

Devlin revient à lui pendant que Roman prend conscience de la cendre accumulée prête à dégringoler, le tabac a eu le temps de se consumer, oublié dans cet événement étonnant. Le liquide éparpillé coule le long du mobilier et s'éclate contre le sol qu'il éclabousse. Le trafiquant recule légèrement sur son siège, pour ne pas se retrouver dans le même état que le messager. Il éteint le mégot dans le cendrier, attrape le bras qui le retenait quelques instants plus tôt puis le tire vivement jusqu'à lui. « Ne bouge pas d'ici ». C'est un ordre qui fuse sur un ton qui n'autorise aucune objection. La serveuse choisit ce moment pour venir mettre de l'ordre dans tout ce bazar, ça tombe à pic. « Surveille le, il a besoin de décuver et sers m'en un autre ». Il claque ensuite les talons, file dans la foulée par la porte de derrière d'une démarche moins assurée qu'en ce début de soirée, dérobant au passage un manteau long et cintré sur un des tabourets longés.

Il remonte jusqu'à la ruelle, chemin habituel, le pas silencieux et la veste de cuir beaucoup trop reconnaissable dissimulée par ce vêtement trop alluré pour lui, la capuche sur la tignasse, mal à l'aise dans cet accoutrement ridicule. Son oeil zieute au loin deux silhouettes qui semblent camper, la curiosité le pousse à s'approcher puis s'arrêter à quelques mètres pour tenter d'en cerner les détails. Ils attendent quelqu'un, point de doute, mais il est impossible de constater le port d'armes à cette distance. Roman veut confirmation. Sans précaution, déguisé, il décide de partir à leur rencontre avec une clope coincée entre les lippes. Vu au loin il est reluqué de la tête aux orteils, force le duo qui lui est étranger malgré ses mauvaises intentions bien mijotées à se mettre en alerte puis remarque que la pression se relâche instantanément. « Bonsoir messieurs, vous auriez du feu s'il-vous plaît ? » leur lance t-il sans parvenir jusqu'à leur hauteur pour ne pas dévoiler les traits son visage. Les deux hommes le chassent d'un « Dégage » ferme et définitif, le petit malin insiste au loin « Soyez sympas, j'ai vraiment besoin de fumer ». Le but est d'irriter le vis-à-vis et le stratagème fonctionne à merveille. Un revolver est dévoilé pour une menace qui n'a point besoin de mot pour se présenter. Roman lève les mains en guise de soumission puis s'en retourne vers le chemin inverse, à la fois stupéfait et extrêmement enjoué par cette prédiction qui s'avère fondée, blasé ne pas pouvoir mettre d'identités sur ces hommes qu'il n'a jamais croisés mais qui attendent de pied ferme un blouson de cuir noir, dans une ruelle qu'il a l'habitude d'éclairer. A moins que... « Hey ! Attends une seconde » lui crache t-on dans le dos. Une main se pose sur son épaule pour le contraindre à se retourner. D'instinct son coude vient percuter violemment le menton ennemi, forçant le porteur à reculer un peu étourdi. Le complice pointe son arme mais n'a pas le temps de faire feu, du moins pas sur la bonne cible, Roman ayant profité de l'effet de surprise pour agripper l'autre qui lui a sans le vouloir servi de gilet par balle. Sans réfléchir, il balance le corps sur l'assassin, le poids le déstabilise et Drake s'élance à sa suite. Le pistolet s'envole sur les pavés, inutile, les deux hommes se font face cette fois à armes égales. Presque. Putain de manteau ! Les mouvements de Roman manquent d'amplitude et de fluidité...

***

Il passe la porte du bar en sens inverse, vêtu à nouveau de sa veste ébène, les phalanges un peu bleuies et l'arcade ouverte, un filet de sang coulant sur le côté de sa face irascible. Il chemine jusqu'à Devlin, chope son verre au passage qu'il s'enfile d'une traite, pose quelques billets sur le comptoir et attrape le devin d'une poigne de fer. « Tu viens avec moi ». La rage dans les entrailles, mêlée à l'excitation de cette extraordinaire découverte, il se rue vers la porte principale, le bras de Tarrare dans son étau, faisant fi de son état déplorable et de son consentement. Trace ou crève, à la fois métaphorique et littérale quand on sait quel destin le guettait non loin de là. Les lieux manquent de sûreté et la police ne devrait pas tarder à venir se joindre aux festivités. Il sonne grandement l'heure de déguerpir. Dehors, le monstre rouge interpelle un taxi, parfait timing. Il jette l'épave à l'arrière du véhicule et s'y engouffre à son tour avant de donner son adresse au chauffeur. Un regard agacé coule vers l'homme à ses côtés. « Reprends rapidement tes esprits, la soirée n'est pas encore terminée ». Suite à quoi il se mue dans le silence tout le long du trajet, la tête légèrement nébuleuse, mais bien conscient de la suite qu'il désire offrir à cette affaire.

***

Le prédateur a ramené l'agneau dans son antre. Des oreilles qui bourdonnent un tantinet ont provoqué l'arrivée d'un joint en bouche pour les faire taire. Installé sur son canapé, les boots négligemment posés sur sa table basse, la peau tâchée de sang, une bouteille de vodka jouxtant le cendrier, deux verres à proximité, il consume son cannabis en fixant le visionnaire sans dire mot. Regard perçant, un peu voilé, mais toujours teinté de vice, qui dévisage l'autre sans ciller avant de daigner enfin s'exprimer. « Qu'est-ce que tu es ? » demande t-il sereinement, sincèrement curieux de cette nature qu'il rencontre pour la première fois. Sans lui laisser le temps d'y répondre, il ajoute quelques belles paroles sans aucun filtre, porté par l'ambiance. « Peu importe, j'aime ça ». Décroisant ses jambes, il se penche sur le meuble carré, s'occupe du service et s'empare de son récipient avant de s'avachir à nouveau. Dans ses pupilles un peu dilatées dansent les flammes des Enfers, un rictus du même acabit se grave aux coins des lèvres. « Tu es à moi ». Derechef il lève son verre, trinque dans le vide et répète sombrement. « Jusqu'à la mort ». Un atout de plus dans sa manche, en prime salvateur.

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Devlin Tarrare
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La remarque sur Barbie lui parut comme étouffée par le brouillard qui commençait à s'imposer dans son esprit. Une nébulosité dans laquelle dansaient tantôt le visage de son ancien amant, la radiance du regard émeraude, la clarté criarde du briquet de la toxicomane. Son coeur aurait pu se soulever que Devlin n'y aurait pas prêté la moindre attention : il ne le pouvait pas. Drake pouvait être aussi bien informé qu'il le prétendait sur les penchants de l'homme-poupée, le divinateur n'était pas en état de le croire. Il n'était en état de croire en rien, depuis le début, tant il avait gobé toutes les autres informations que lui avait déballées son maître-chanteur. La tête à deux doigts de l'implosion. Les pensées pesantes, bien trop grosses, pour se résoudre à rester enfermées dans sa boîte crânienne.

Jusqu'à ce que l'implosion se matérialise en flashes lumineux et annihile tout sur son passage.

Qu'est-ce qui venait de se passer ? Son corps tout entier était fait de coton. Accoudé au comptoir, le visage glissé entre ses mains tremblantes, le divinateur eut du mal à reprendre son souffle. Partagé entre les images lumineuses et le bruit ambiant, calfeutré derrière les battements erratiques de son sang contre sa tempe. Le souffle court, il poussa un gémissement douloureux, parfaitement inconscient de ce qu'il se passait tout autour de lui. Tout le brûlait. Tout. Des rémanences de lumière à ses nerfs affreusement tendus. Des pulsations électriques sous ses mèches noires à la sueur froide qui imprégnait ses vêtements. Perdue dans les effluves d'alcool, la douleur allait et venait en ressac permanent. Tantôt dévorante, tantôt docile, jamais parfaitement calme. Mais qu'est-ce qui venait de se produire, précisément ?
Drake... Drake avait mis quelque chose dans son verre, il ne pouvait pas y avoir d'autre explication.

Une main sur son avant-bras souleva une vague d'électricité le long de sa peau. Au regard effrayé que le divinateur lui adressa, la serveuse retira aussitôt sa main. Un geste innocent. Un geste réconfortant.

-Tout va bien, Trésor ? T'as pas l'air en forme...

Il déglutit difficilement. Un pied encore dans la ruelle où il avait vu Drake se faire rouer de coup, l'autre dans ce bar où la vie suivait son cours naturel sans se soucier ni de lui, ni de Drake. Et ce dernier qui s'était tiré. Qu'allait-il pouvoir faire ? Fuir ? Est-ce que son nouvel employeur était déjà en train de se faire rosser, est-ce que c'était le signe qu'il n'avait déjà plus la corde au cou ? Il tenta d'amorcer un mouvement. Anesthésiés par l'alcool et ce que Drake avait de tout évidence glissé dans son verre, ses membres ne répondirent pas tout de suite. La main de la serveuse se posa à nouveau sur sa peau. Arracha un nouveau regard effrayé au marchand de mensonges, perdu dans ses propres cauchemars.

-Je t'appelle un taxi. D'ici à ce que ton pote revienne, tu seras en sécurité.

Focalisé sur les lèvres de la serveuse, Devlin ne comprit pas la moitié de ce qu'elle racontait. Hocha la tête en silence, un dodelinement nébuleux plus qu'autre chose. Lui avait-elle posé une question ou était-ce une affirmation ? Putain, qu'est-ce qui venait de se passer pour qu'il se sente aussi mal ?
Des coups de feu retentirent à l'extérieur du bar. Un murmure paniqué traversa aussitôt le bar, suivi d'un silence de mort. D'autres coups de feu. Les doigts de la serveuse autour du bras du divinateur s'enfoncèrent aussitôt dans sa chair.
Il fallait fuir. Sa raison lui hurlait de fuir, mais son corps tout entier refusait de coopérer. Tétanisée à côté de lui, la serveuse n'en menait pas plus large. Ses doigts vinrent chercher la main brune, l'autre petite main blanche de la demoiselle tâtonnant quelque part sous le bar. Devlin aurait voulu la presser, s'il l'avait pu. Il aurait du la presser, pas seulement pour la rassurer, mais pour se réconforter lui aussi. Même si ce n'était pas la main qu'il aurait voulu tenir dans une situation pareille.

Recraché par le silence, un être de bruit et de chaos revint à pas vifs dans le bar parfaitement muet. Une paire d'iris incandescents malgré qu'ils soient de glace. Le visage en sang, Drake engloutit la distance à pas vifs pour rattraper sa proie d'une serre vindicative. Toute once d'espoir qu'avait pu lui apporter le contact de la serveuse s'effondra aussitôt l'étreinte rompue. Les jambes en coton et la tête en flammes, le divinateur tituba à la suite de son employeur. N'eut pas le temps de protester que son visage heurtait déjà le coussin d'une banquette arrière de voiture. Mais putain, qu'est-ce qui venait de se passer ? Où allaient-ils ? Qu'allait-il lui faire ?

-Vous m'amenez où ? Qu'est-ce qui se passe ?

Déjà, les immeubles défilaient par les vitres, faiblement éclairés par les lampadaires urbains. Déjà, le bar et son alliée anonyme étaient loin, la distance engloutie bien trop vite par la voiture. Devlin ne reconnaissait déjà plus les quartiers d'Exeter que l'information finit par éclater, cruelle et froide, dans son esprit embrumé. Il était en train de se faire kidnapper.

-Roman, qu'est-ce que vous faites ? Roman !

Aucune réponse de l'intéressé. Et l'alcool qui assoupissait sa peur jusqu'à présent finit par lui céder volontiers la place, la laissant l'envelopper à nouveau dans le linceul glacial que Devlin avait lui-même tissé.

On le ballotta. On le traîna de la voiture à une bâtisse toute faite d'ombres, lugubre, bien en dehors de la ville. Il avait tenté de se concentrer sur le décor, de retenir chacun des détours que prenait la voiture. Pour savoir où il était ? Pour savoir s'il pourrait en sauter et s'enfuir. Mais son corps était de coton et sa tête incandescente. Il avait dû se rendre à deux évidences : il ne serait jamais assez maître de ses mouvements pour semer la distance; il avait déjà vécu une situation similaire, bien des années plus tôt. La nausée serrée dans son estomac, il finit par se laisser faire. On l'emporta dans une pièce qui sentait l'humidité, le tabac froid et la poussière. Drake s'assit devant lui, et ce regard qu'il posa sur sa proie lui arracha un frisson inconfortable. Assis sur un fauteuil inconfortable, le divinateur claquait des dents.

-...Qu'est-ce que... Qu'est-ce que je suis ? Rien ! Je suis absolument rien ! Juste un gars qui essaie de pigeonner d'autres gars sous couvert de pseudo-mysticisme à deux balles ! ...

La terreur au bout des lèvres et son amie la bile, en fond de gorge. L'accent d'ailleurs de Tarrare envolé, ne laissant plus que la réalité bien naturelle, bâtarde, de ce Canadien mâtiné de Français et de Pendjabi. Des brumes autour des iris, d'alcool, d'angoisse, et de larmes qui s'étaient probablement déjà échappées. Il faisait si froid, dans ses os. Il faisait si froid dans sa tête endolorie. Le sang sur le visage de Drake avait séché, à présent. Il conférait à son regard un poids encore plus pressant. Tassé dans son siège, se tordant les mains en silence, Devlin se concentra sur sa respiration pour apaiser les battements du sang contre ses tempes. Une illusion de contrôle pour celui qui n'en avait, de toutes façons, plus aucun.

-Qu'est-ce que vous allez me faire ?

Pas de réponse directe. Des entrechats possessifs, qui nouèrent ses entrailles. J'aime ça. Tu es à moi. L'escroc déglutit difficilement. Ces mots, il les comprenait. Ces mots, il les avait déjà entendus, bien des années en arrière, quand son camion était bleu et qu'il faisait des vendanges du côté du Missouri. Elle ressemblait à ça, la sensation. A ces mots aux accents de râle infâme dans sa nuque. A la sensation de la sueur dans son dos, le bruit moite de la peau qui claque contre la peau, et la souillure d'un monde où l'on pouvait baiser la pauvreté, parce qu'on en avait le pouvoir. Dans tous les sens du terme.
C'était ça, ce que Drake voulait ? C'était ça, la clé pour s'en tirer ? Un corps contre la vie. Déglutissant lourdement, la gorge aussi nouée que ses entrailles, le divinateur considéra rapidement ses options. C'était déjà arrivé, dans le temps. Qu'est-ce que ça pourrait changer ? Ses doigts s'enroulèrent douloureusement dans les pans de son kurta, serrant le tissu pour mieux sentir chacune des broderies s'enfoncer dans sa peau. Qu'est-ce qu'une humiliation de plus pour avoir le droit de vivre un peu plus longtemps ?

-... C'est ça que vous voulez, en fait ? Me posséder ?

Qu'est-ce qu'une humiliation de plus ? Tétanisé dans son fauteuil, et déjà loin. Qu'est-ce qu'une humiliation de plus, pour avoir le droit de dire à Geeta et à tous les siens qu'il les aimait ?

-Allez-y, alors, prenez-moi. Faites ça vite avant que je vous dégueule dessus...

Personne n'avait besoin de savoir. Personne n'avait eu besoin de savoir, pour la ferme dans le Missouri. Personne n'aurait besoin de savoir pour Exeter.

-Je vous appartiens, Roman...

Personne n'avait besoin de connaître que la peur avait le goût du sel et des larmes.
Personne n'avait besoin de savoir que le dégoût avait la forme de ce type aux yeux glacier qui se tenait assis devant lui.
Personne n'avait besoin de savoir qu'une vie se paie cher, dans des situations pareilles.
Personne n'avait besoin de savoir qu'il entendit distinctement son âme se briser, en même temps qu'il acheva, d'une voix affreusement blanche :

-...Jusqu'à la mort.

Au fond, et même s'il avait peut-être mal compris le message, quelle était la différence ?





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Tel est pris qui croyait prendre
Devlin & Roman

Rien. Tu n'es rien penses-tu, lui croit en son contraire. Non, tu n'es pas rien, tu es spécial, doté d'un don qui vaut de l'or et qui, ce soir, a peut-être sauvé la vie du Père. Tellement extraordinaire à ses yeux qu'il a pris le risque de briser ses propres lois, ramener un étranger dans son Foyer, certes à l'abri des regards. Un humain lambda dans sa tanière, au milieu du plus grand mystère d'Exeter. Si son père voyait ça, encore une fois... N'y pensons pas, il n'est plus que poussière dans la poussière, éradiqué dans son sommeil par son propre sang qui chasse rapidement cette image qui le hante mais qu'il feint ne jamais voir. Cette nuit marque le temps des premières fois, chacun son tour expérimente de nouvelles donnes en espérant ne pas tout perdre au passage. Chacun d'une manière qui diffère, toutefois les principes se joignent et les interrogations s'opèrent. Il sonnera l'heure du jackpot ou le temps des regrets ? Puis merde, l'instant est au présent et présentement il est nécessaire de recadrer l'angoissé à l'estime de soi peu flatteuse qui ne semble avoir conscience de tout ce potentiel surprenant qu'il renferme. Réveille toi Devlin, cesse de pleurnicher comme une gonzesse dans ce sommeil qui te bride ! « Tu es tellement plus que ça... » assure t-il en toute quiétude, la drogue qui s'enflamme aux lippes pendant qu'il rallume le tabac qui la contient. Un sourire s'anime, cette fois sans ombre, étincelant, ravi; promesse d'espoir pour sa communauté et ses trafics. Pour lui. Devlin est une trouvaille sublime. Son trésor, sa chasse gardée.

Son précieux qui se décompose sous son regard azuré profondément enjoué. Un ricanement s'échappe quand Tarrare met à nu toute la détresse qui le happe. Une épave. Une ombre. Effectivement, il pourrait penser que tu n'es rien, juste un gros tas de ruines qui semble ne plus tenir qu'à une unique pierre qui s'effrite.
Le faciès du monstre redevient impassible. Il contemple le chef d'oeuvre dont il est l'auteur, le laisse dériver jusqu'au naufrage sans l'intention de le remettre à flots. Il s'échoue en solitaire, convaincu par des idées folles que le Père ne détrompe guère. Petit bateau s'est égaré dans la brume de ses angoisses et coule, coule, coule... Comme ces larmes qu'il laisse pleuvoir depuis un bon moment déjà mais qui ne l'atteignent pas. Des larmes qu'il a si souvent observées, sur tant de visages, de tous les genres, de tous les âges. Roman en a perdu la saveur sur ses lèvres, elles ne signifient plus rien pour son âme que les Ténèbres ont engloutie. De la terreur. De la faiblesse. Une honte. Elles ne sont que le reflet des sensations les plus détestables, n'appartiennent plus à cet excédent de sentiments qui, pour lui, n'est plus qu'un brumeux souvenir. A ce moment elles ont pour ses papilles le goût de la victoire. Celui du pouvoir et du bénéfice. Du réconfort pour ses paires. En réalité elles sont la frayeur et l'humiliation qu'il prodigue, le dégoût qu'il inspire, son billet d'entrée pour la Géhenne; il n'en a que faire. Elle sont immorales. Elles sont délicieuses. Puis elles deviennent assourdissantes ! Le wendigo porte deux doigts à sa blessure, c'est douloureux malgré le remède, la migraine le gagne, mais d'un verre cul sec il la libère. Le rouleau magique est posé dans le cendrier, il y reviendra plus tard.

La flegme dans le sang, le pas mal assuré mais non moins déterminé il se redresse et se dresse face au pleurnicheur qui lui cède le peu de fierté qu'il ne lui a pas encore dérobée. L'oeil farouche, avide et plus noir que d'ordinaire, accompagné d'un rictus de carnassier affamé, capture celui du visionnaire et le soutient de longues secondes avant qu'un battement de cils n'avorte ce supplice. Ses bras se portent de part et d'autres du fauteuil, sur les accoudoirs. Son visage prédateur se rapproche, ses lèvres entrouvertes frôlent celles du sauveur sans les toucher, puis viennent s'étirer près du lobe droit. Juste un murmure. « Ne vois-tu pas ce que je compte te faire, comme tu as vu ce qu'on voulait m'infliger dans cette ruelle ? C'est bien dommage, tu aurais pu voir à quel point je suis doux pour ces choses là même si je n'en ai pas l'air, et sécher ces larmes qui sont trop cher payées ». Voix suave qui caresse un instant la peau trop pâle de cette oreille près de laquelle il sourit, amusé par le spectacle qu'il s'offre à lui-même et la terreur qu'il provoque.

Soudain il se retire, promptement, se détourne juste le temps d'attraper le deuxième verre et le lui propose. Le refus n'est pas permis. « Bois, tu vas en avoir besoin ». Conseil livré sur un ton luxurieux et profondément vicieux. Ses serres accrochent ensuite le vêtement de sa proie et l'obligent à se lever. Il l'entraîne à sa suite sur son canapé, le guidant doucement jusque là avant de poser une main sur son épaule et l'inviter à s'y asseoir. Puis la paume épouse le torse de la victime et l'allonge avec plus de vigueur avant que le corps du bourreau ne vienne prendre place sur le sien à califourchon. Avec le silence pour compagnon, le Père saisit la vêture et d'une force presque anormale, la déchire pour mettre le torse à nu. Son visage ne dévoile aucune émotion, son souffle demeure flegmatique, mais sous l'effet de ses substances son coeur s'emballe et la chaleur s'esquisse sur ses joues. Il se débarrasse de sa veste qu'il laisse tomber au sol, ôte son tee-shirt blanc teinté de son sang qui prend le même chemin puis ses doigts viennent déboutonner le pantalon souillé d'alcool du pauvre homme. Roman pose ses mains de chaque côté du visage blafard qu'il observe avec insistance, la lueur qui brille dans ses grands yeux de glace est vorace, elle en dit long sur les désirs et intentions de l'animal sauvage. Ils s'ancrent dans ceux du souffre-douleur qu'il semble convoiter avec ardeur. Muets, mais très expressifs. Ils le cajolent, puis se voilent. La langue claque, mielleuse. « Tu es à moi ». Chuchotement érotique avant d'attraper les poignets esclaves et de les plaquer contre le simili cuir, à quelques centimètres de son faciès. « Tu es à moi » répète t-il, sifflant entre ses dents.  « Retourne toi ». La demande est soumise avec prépondérance mais avec grand calme. Roman se redresse légèrement pour lui laisser sa liberté de mouvements, reprend place une fois la position choisie exécutée. Quelques secondes filent sans que rien ne se passe, volontaires, avant que les doigts du Père ne viennent s'emmêler dans la longue et épaisse chevelure du résigné qu'il empoigne avec passion en se vautrant sur lui. L'empêchant de bouger, il niche derechef ses lippes au creux de l'oreille et lui susurre sombrement cet avenir qu'il n'est plus en mesure de prédire. « Tu es à moi, mais pas comme ça ». Un ricanement s'envole et le monstre se retire, met un terme à cette mise en scène surréaliste et aux croyances erronées que l'autre s'est infligées, avec lesquelles le comédien s'est régalé.

Le dealer s'empare de son joint, de la bouteille de vodka et pose à nouveau ses fesses sur le canapé, aux côtés du rescapé. Il ne sera pas violé ce soir, ni même un autre d'ailleurs. Un énième sourire se peint sur la face, railleur, qui s'efface à peine quand le cylindre de shit est embrasé par le briquet traînant sur la table basse. Une bonne taffe s'infiltre dans ses poumons pourtant déjà rassasiés, elle lui assèche la gorge alors il s'offre une bonne lampée d'alcool puis l'offre à l'invité. Pas un mot, il n'a rien à ajouter, il laisse d'abord le malmené digérer ce qu'il vient de se passer, souffler, analyser, s'apaiser - autant que possible dans ces circonstances loin d'être tranquillisantes. Le trafiquant est serein lui et recule jusqu'au dossier pour s'y affaisser, un bras par dessus le dossier, l'autre cascadant le long de l'accoudoir avec le pétard logé entre l'index et le majeur, sa cendre recueillie sur le plancher. Son regard ne lâche pas un seul instant la silhouette de Tarrare, il tente de cerner ses pensées alors qu'il commence à ne plus trop pouvoir démêler les siennes. « Et maintenant, qu'est-ce que tu vois ? ».

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Dernière édition par Roman Drake le Mer 27 Nov - 22:42, édité 1 fois
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Personne n'a besoin de savoir, un mantra pour pouvoir se convaincre que c'est la seule chose à faire. Parce que ce qui était en train de se produire dans cette pièce poussiéreuse, personne n'avait besoin de le savoir. Pas même les principaux intéressés. Un prix comme un autre pour avoir le droit de respirer, une de ces nombreuses clauses que Roman venait d'ajouter au contrat que les deux hommes avaient signé. Qu'il se sente misérable ne changerait rien, se disait Devlin. Qu'il se soit déjà senti misérable, honteux et souillé par le passé n'avait rien changé, parce que le contrat avec le porc du Missouri, il l'avait lui aussi signé. Une illusion pour mieux faire passer la pilule, pour rendre tout ce qui l'attendait plus facile à digérer. On fait des choses que l'on ne se pardonne que difficilement, au devant de la mort. Laisser à Drake le loisir de prendre son dû n'était pas prévu, mais c'était un détail qui en faisait probablement partie.
A trop mentir, on s'impose des barrières. Une armure que l'on croit belle et solide, sans trop savoir que, du moment où quelqu'un la fracasse, on se retrouvera la chair à vif. Mais il avait le cuir solide, pour ces choses là, Devlin. Il suffisait de se raccrocher à son mantra. Un vieux reste des croyances sikhes du côté maternel de sa famille, ce dernier bastion de qui il était que Roman Drake n'atteindrait probablement jamais.

Il pouvait la sentir approcher, la dissociation. Cette impression purement cognitive, ce dernier retranchement du cerveau pour se protéger de l'horreur. Un état de transe qu'il connaissait bien, lui aussi, qu'il expérimentait dès la première vie achevée pour mieux épouser la suivante. S'il sentait que le personnage de Tarrare mourrait probablement sur ce divan, sous les griffes abjectes de ce Démon Blanc, ce qu'il restait de Devlin serait probablement en sécurité. Spectateur extérieur à son propre corps. Il sentit les battements de son cœur s'accélérer sous l'anticipation. Sous la peur. Des cognements sourds et violents, tous prêts à fêler ses côtes, tant il cognait dans sa poitrine. Un rythme chaotique et effréné qui rythmait d'autant plus le mantra. Aucune réaction, quand l'autre déchira son kurta de seconde main. Aucune réaction quand il écrasa ses reins de son poids, sinon un regard noir comme la nuit. Vide, il l'aurait voulu. Mais la dissociation n'était pas entière, elle ne l'avait pas été dans le Missouri. Au fond de l'encre, noyé par le dégoût, se lovait le mépris.
Les mains prises en étau, le bassin écrasé par la carrure souple de son maître-chanteur. La respiration sourde et le souffle court, mais aucune combativité. Beggars can't be choosers. Le dicton résonna avec sa toute puissance au milieu du mantra, le frappant comme une gifle en plein visage. Accentua cette colère sourde au fond du regard noir, avant de le quitter complètement à l'ultime injonction de son tortionnaire. Il était l'heure. Il était temps de quitter cette pièce, définitivement.
Personne n'aurait besoin de savoir ce qu'il se passait ici bas. Personne n'aurait besoin de savoir qu'en dépit de tout le dégoût et le fiel qui résonnaient sourdement dans ses membres, il s'exécuta. Qu'il ne sentit qu'à peine la traction sur sa crinière noire, lui arrachant une grimace, tant il était déjà ailleurs. Parti bien loin de tout ça, loin de la chaleur de ce corps étalé sur son dos, loin de la souillure et de la honte. Serrer les dents. Encaisser. Et vivre un jour de plus.

Le ton fielleux de Drake s'insinua dans le mantra. Rappela l'homme à son propre corps, un point d'interrogation dans la tête, et la morsure du froid le long des membres. Comme s'il s'éveillait d'un cauchemar, Devlin mit un certain temps à comprendre ce qui l'attendait. Rassembla les haillons qu'étaient devenu son costume de charlatan sur ses membres gelés, l'esprit brumeux. La peur, le froid et la sueur le secouaient comme une feuille. Sa mâchoire se remit à claquer sans qu'il ne soit encore en capacité de la contrôler. Des effluves d'alcool fort enveloppèrent ses sens, au moins tout autant que la chaleur de l'homme maintenant assis à côté de lui, quelques instants plus tôt. Une présence omniprésente, presque empirique, sur l'esprit et le corps de sa proie. Quoi qu'il fasse, même en se plongeant lui-même en transe, Devlin était incapable de lui échapper.
Alors il se ramassa dans son coin du canapé. La tête lui tournait, il se sentait... sale. Misérable. Se tasser dans ses haillons, à l'autre extrémité du meuble, était le seul rempart qu'il avait encore la force d'ériger entre eux. Les tambourinements incessants de son sang contre sa tempe ravivèrent le mal de crâne, accentuèrent la nausée. S'il prenait la moindre seconde pour réfléchir à tout ce qui venait de se produire, il s'effondrerait sûrement. Certainement.

Il sursauta, en entendant plus qu'en voyant l'autre s'étaler sereinement dans le canapé. Se recroquevilla d'avantage dans l'angle du canapé, s'efforça de contrôler sa respiration pour qu'elle ne fasse pas chavirer les derniers substrats de raison qu'il essayait de rassembler. Ses doigts tremblant finirent par s'enrouler autour de la bouteille tendue. Boire. Boire pour oublier. Boire pour tenter de réchauffer un froid impossible à canaliser, parce qu'il venait du fond des os. Du fond de l'âme.
Puis vint la question. Une question surréelle, au vu de la situation. Nouvelle rasade de vodka. Claquement de langue, pour ne pas claquer des dents. La bouteille serrée contre lui comme son enfant, le devin balbutia difficilement :

-Je... Je vois le début d'une belle et longue collaboration...

Est-ce que c'était ça qu'il voulait entendre ? Est-ce qu'il voulait entendre qu'il avait une emprise absolue sur le charlatan, et qu'il se plierait à sa moindre exigence ? Il scruta immédiatement la réaction de son maître-chanteur, la terreur en étau autour de ses nerfs. Elle les pressa d'avantage alors qu'il ne lut aucune réponse. Ne devina rien de plus dans les iris azurés de son tortionnaire. Bonne ou mauvaise réponse ? Dis quelque chose, dis quelque chose, putain...

-Une association de... de force et d'intelligence. De loyauté. Indéfectible.

Sa langue se déliait à mesure que le calme reprenait ses membres. Le regard de Drake était rougi par l'alcool et la came. Ses gestes ralentis par l'heure avancée. Le problème, c'était que les siens aussi. L'autre problème, c'était que Devlin n'avait strictement aucune idée d'où il se trouvait. La route lui était inconnue, tout ce qu'il avait remarqué, dans la pénombre, était la silhouette de cet unique bâtiment déchirant les nuances sombres de la nuit. Un bâtiment imposant, au milieu de nulle part. S'il ne noyait pas son maître-chanteur sous l'alcool, le stupre ou un flot de paroles, il n'aurait aucun moyen de s'échapper.
Un plan bancal, s'il en était, mais le seul auquel son esprit confus était capable de se raccrocher. Têtant une dernière fois au goulot de la bouteille de vodka, il finit par la rendre à son propriétaire. Les tremblements devenaient plus aisés à contrôler, sous l'épuisement. Sous l'abrutissement de l'alcool.

-Je vois un monde où nous œuvrons ensemble à assurer la pleine réussite de votre entreprise. J'ignore quelle valeur vous accordez à mon travail, mais soyez assuré que je redoublerai d'efforts pour concrétiser cet avenir fructueux qui vous attend.

Des paroles sans fond, des berceuses chargées d'illusions. Ce que tout un chacun souhaiterait certainement entendre dans ce genre de circonstances. De la gloire, de l'argent, la grandeur. La réussite, la réussite et encore la réussite. Un enchevêtrement de concepts suffisamment larges pour englober tout le monde, même les monstres de cruauté assis à l'autre extrémité du canapé. La tête lourde, le sifflement contre ses oreilles reprenant ses droits comme lorsqu'ils se trouvaient encore au bar, le devin poursuivit, incapable de se concentrer complètement sur ses boniments :

-Je vois... Un monde où...

A nouveau, ce noircissement de la vision périphérique. A nouveau cet entre-deux entre conscience et inconscience, et son coeur qui se remettait à s'acharner dans sa poitrine. Le souffle court, le devin pressa ses paumes contre ses yeux douloureux. Des filaments clairs dans le noir, s'intensifiant alors que son corps tout entier commençait à lâcher prise. Un filet de sueur entre les omoplates. Du sucre. Il manquait de sucre.

-... Il y a des pancakes pour le petit déjeuner...

C'était ce qu'il venait d'entendre. Dans la clarté des filaments, il pouvait distinguer le mouvement de plusieurs silhouettes. Abstraites, confuses. Une pièce à vivre austère, illuminée par les rayons d'un soleil bien trop franc pour lui. Il avait chaud. La texture de vêtements rêches sur la peau, secs, et un mal de crâne assourdissant. Assourdissant, au moins autant qu'à présent, alors que ses dernières forces l'abandonnèrent complètement à l'étreinte implacable de l'inconscience. Une chute prévue d'avance pour Tarrare, lui qui n'avait pas suffisamment fait attention à ce qu'il était.  
Qu'est-ce que tu es ? Ni plus ni moins qu'un esprit malade dans un corps malade. Un inconscient ou un fou. Un rien et un tout. Mais surtout, quelqu'un qui n'avait aucune idée du potentiel infini de ce qu'il pouvait apporter à celui qui lui mettrait le grappin dessus.    






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Tel est pris qui croyait prendre
Devlin & Roman

Un monde de gloire et de fructueux bénéfices. Un monde régit par le pouvoir qui déborde, par l'argent qui dégueule, le succès qui scintille. Un empire. C'est ce qu'il voit. Non. Un empire, c'est qu'il pense voir. Roman l'observe sans dire mot, sans un geste. Il se noie dans ses propres pensées. Elles sont brumeuses. Tantôt elles semblent s'éclaircir, tantôt elles se voilent. Ce n'est pas tout à fait l'alcool, ni tout à fait la drogue. Ni même totalement ce coup donné sur la tête. C'est tout à la fois qui lui engourdit les sens et brouille l'esprit, mais pas suffisamment pour ne pas affirmer que le devin ne peut pas voir ça. Il ne peut pas ! Ce n'est pas la voie qu'il s'est tracée. Pas sa finalité qu'il s'est souhaitée. Pas son objectif, ce n'est qu'un moyen. Cet empire il n'en veut pas. Toutes ces liasses il ne les désire pas. Cette lumière que l'autre promet, il veut s'en soustraire, elle est trop aveuglante. Trop, tout est trop. Trop de belles paroles. Trop de conneries. Trop de tout inspiré par la peur qu'il diffuse, le respect qu'il dérobe avidement, qui n'est que factice. Ce n'est pas du respect, c'est de la dévotion gagnée par la terreur. De l'hypocrisie. Le visionnaire tente de lui dire ce qu'il pense vouloir entendre. Il se trompe. Lourdement ! Putain, ta gueule chien soumis. La pensée fuse, vulgaire, sans franchir ses lèvres. Ce n'est pas son langage d'ordinaire, mais diable que ça le démange ! Blasé par une réaction qu'il a lui-même provoquée, il demeure muet. Ses yeux cillent à peine. Blasé par une réaction qu'il cherche à provoquer, plus exactement, de plus en plus souvent. C'est ce qu'il veut. C'est ce qu'il pense vouloir. C'est ce qu'il obtiens et pourtant, à cet instant ça le mine. C'est ce qu'on lui a inculqué, ce qu'on lui a rabâché toute sa vie. Eduqué pour succéder, pour gouverner, pour manipuler les esprits. Ce qui l'a conduit à tuer le maître, parce que l'élève assidu l'a surclassé. Parce que ça l'a dépassé, explosé à la face sans prévenir, pauvre géniteur. Non pas tout à fait de cette manière, mais dans le dos. Crevé comme un moins que rien, sans en avoir conscience, par un fils forgé dans le vice qui n'a su se parer d'assez de courage pour le regarder dans les yeux quand il l'a achevé. Lâche qui se dissimule sous une monstrueuse façade. Un masque tellement bien porté qu'il fait maintenant corps avec ses chairs, avec son âme. Oh putain ferme la !. « Tu ne peux pas voir ça ». Ce n'est pas ce que je veux. Convainquant et lui-même convaincu. Toujours de marbre. Toujours avachi. Trop calme à l'extérieur, bouillonnant de l'intérieur. Il se consume comme le cylindre entre ses doigts qu'il n'a plus la force de ramener en bouche. Pourtant toujours impassible. Beaucoup trop. « Tu ne peux pas voir ça, parce que ce n'est pas ce que je veux ». Ce qu'il veut c'est juste ce qu'il faut pour mettre son peuple à l'abri, tout en lui accordant suffisamment de moyens pour se faire. Le droit de vivre, pas seulement celui de survivre. De ne plus avoir peur. De ne plus se cacher. De se soustraire à l'angoisse chaque fois que ses enfants vadrouillent en ville, côtoient ceux qui les extermineraient s'ils connaissaient cette nature qu'ils n'ont pas choisie. Il emmerde cette malédiction qui fait de leur existence l'Enfer sur Terre. Il emmerde son père, ses aïeux et leur petite autarcie. Bande de couards qui justifiaient leur peur de l'Homme lambda par l'envie de protéger leurs paires qu'ils ont privé des plaisirs de la ville, de la nature même de la vie. Le monde extérieur est effrayant quand on est une minorité que la majorité ne comprendrait pas et réduirait à l'état de cible. Merde, ils ne sont que des victimes ! Putain de magie noire qui leur bouffe l'existence et les contraint à se gaver de celles des autres. Le regard se plisse, contemple le vide. Il vague dans toute cette merdasse qui le tracasse. « Ce n'est pas ce que je veux... » répète t-il dans un murmure pour lui-même.

L'arrière du crâne se pose contre le mobilier, usé. Ses pupilles tantôt dans le néant se concentrent sur un homme dans un état encore plus pitoyable. Il n'est qu'humain après tout, moins endurant, moins résistant. Misérable. En transe. Le wendigo le dévisage sans vraiment le voir. Ca tourne. Ca floute. Ca bourdonne. Ca l'agace ! Je vois un monde où... La répétition qui fait déborder le vase. « Tais toi... » le somme t-il cette fois sans conviction, sans force, tellement fade et futile. Juste un léger souffle à peine crédible, balayé aussitôt par un ricanement, presque enfantin, franchement amusé. Un comportement à l'antipode du prédateur révélé toute cette soirée. Le regard pétille, d'une manière différente, enjouée et adoucie. Le timbre qui file à sa suite est identique, il n'y a plus la moindre noirceur dans son attitude. Envolée. « Ca j'aurais pu le deviner moi-même ». Ultimes paroles avant que l'autre ne se laisse sombrer.

En solitaire, l'hôte s'autorise une dernière lampée avant de reposer avec langueur la bouteille sur la table, puis de se défaire d'une première chaussure qu'il lance à la gueule de son défunt père. Il fixe la progéniture avec honte et malveillance. « Dégage ». L'air est blasé. Habitué à cette présence froide qui ne dit jamais mot, qui n'est plus qu'un détail sur lequel il ne s'attarde pas, il se contente de délasser sa deuxième godasse et de lui faire emprunter le même chemin. Papa Drake l'ancien refuse de disparaître. Fantôme ou vision découlant d'un esprit torturé, il ne s'est pas encore penché sur la question. Ca ne l'intéresse pas, il opte pour le déni, c'est préférable pour la raison et la conscience paraît-il. Fiston se lasse. « Puis fais ce que tu veux, t'es mort de toutes façons... » donc tu ne feras point grand chose ectoplasme ou vulgaire illusion ! Pour la peine, Roman décide d'assécher le récipient déjà presque vide. L'assassiné chute dans l'oubli, mais lui aussi.

***

Le soleil est déjà haut quand il ouvre les yeux, il le sent réchauffer sa peau au travers des fenêtres et lui chatouiller les paupières comme une douce caresse. Ce qu'il ressent plus encore, c'est cette impression de lourdeur désagréable sur le côté de sa tête blessée et ce poids qui lui engourdit la jambe à l'autre bout du canapé. Son regard encore légèrement endormi se rive sur Tarrare, qu'il dégage sans ménagement en surélevant son membre avec vigueur, boum. Le devin se retrouve sur le sol sans prévenir, c'est un réveil qui a le don de vous mettre instantanément sur le pied de guerre. Se redressant sur ses coudes, une jambe repliée sur le mobilier et l'autre sur le plancher, il étudie l'homme en contre-bas et lui adresse une risette moqueuse. « Celle là non plus tu ne l'avais pas vue venir ». Toc toc, ça frappe à la porte et ça avorte les réjouissances. « Père, vous êtes-là ? ». Le wendigo mal réveillé ramasse sa veste et l'enfile, sans penser à remonter sa fermeture éclair, ouvre à une donzelle qui vient de fêter sa vingtaine, juste de quoi se laisser entrevoir pour ne pas révéler la présence de l'intrus. Elle recule instinctivement, un tantinet surprise par le sang séché toujours présent, d'abord craintive puis inquiète pour leur guide. « Vous allez bien ? Je... ». Roman lui coupe la parole, non désireux d'échanger sur le sujet. « C'est pas grande chose, qu'est-ce que tu veux ? ». La voix se veut pleine de sympathie malgré une irritation qui s'intériorise. Il se doit de parler décemment à cette jeune créature qui n'est que la pauvre subalterne de sa mère, une femme de caractère à qui il avait promis d'assister au premier repas du jour - une grande attablée où tout le monde se réunit - pour discuter du repas de fête de ce soir. « On vous attendait pour le petit-déjeuner mais vous n'êtes pas venu, alors je vous amène de quoi vous restaurer, c'était des pancakes au menu » répond t-elle dubitative. Drake saisit l'assiette qu'elle lui tend puis achève l'entrevue. « Remercie la de ma part et dis lui que je la rejoins d'ici une demie-heure dans la salle commune ». Oh mon dieu, tant de détails à régler terriblement assommants qu'il ne peut guère déléguer... « Bien Père. Et un autre point, Elena vous demande de passer le plus vite possible réajuster votre costume pour la cérémonie ». Cette corvée, ce déguisement, un calvaire. « A la bonheur. Et rends moi service s'il te plaît, envoie moi Wayne, j'ai besoin d'une babysitter pour la journée ». Dépité. Les banalités de départ s'échangent assez promptement et la porte claque derrière la jeune femme. Le chef de meute dépose la nourriture à la va vite face à Devlin, en silence, avec un sourire un peu pincé qui témoigne à la fois du contentement de l'exactitude de l'information et de la déception que ce don qu'il possède ne lui ait pas livré quelque chose de plus croustillant à se mettre sous la dent. La mâchoire qui demeure close, il se contente simplement d'un « Bon appétit » d'un ton détaché. L'enfant attendu ne tarde pas à apparaître, ne laisse aucune occasion au visionnaire de poser les questions qui doivent lui brûler les lèvres, entre sur l'invitation de Drake. De rapides salutations, sans prendre la peine de présenter la brebis égarée échouée dans l'antre prédatrice, avant que le coeur du sujet ne soit directement abordé. « Je n'ai pas le temps de m'occuper de ça » lâche t-il d'un mouvement de tête en direction du devin. « Surveille le moi jusqu'à ce soir et mets tes deux compères sur l'affaire. Il est libre d'allers et venues, qu'il fasse comme chez lui, mais ne le lâchez pas d'une semelle. Et trouvez lui de quoi se changer ». Libre ou presque, il y a des locaux qui sont évidemment inaccessibles, nul besoin de le préciser, tout est entendu. Un regard conclut l'accord, il est maintenant l'heure de se débarbouiller et de filer pour les préparatifs. Devlin se retrouve seul avec l'étranger pendant que le leader adopte une allure présentable, cela ne dure pas bien longtemps, le temps presse. Avant de passer le seuil, il l'informe du programme avec cette sonorité trop sombre qu'il avait épousée la veille. « Je vais te révéler quelques secrets ce soir, avant que tu ne les découvres par toi-même et ne les interprètes d'une manière trop fâcheuse ». Prendre les devants et lui faire découvrir son univers. L'impliquer dans la cérémonie religieuse prévue ce soir pour lui compter leur histoire. Roman sait qu'avec cet homme, après l'asservissement absolu dont il a fait preuve la nuit dernière, il ne prend pas le moindre risque pour sa communauté. La langue ne se déliera pas, il en est certain. Et maintenant que la leçon est acquise et l'élève à ses pieds, il peut se permettre de se relâcher. De le laisser percevoir un autre visage. De se livrer à un jeu différent, pour toujours plus se l'approprier et l'asservir. « Tu seras libre de rentrer chez toi demain matin, je te ramènerai personnellement en ville ». Suite à quoi il franchit la porte, sur un ultime conseil. L'oeil avec lequel il le dévore tout entier est démoniaque, sa langue dégueule les affirmations livrées par le visionnaire dans l'ivresse. « Je te fais confiance mon associé à la loyauté indéfectible, ne me déçois pas »

***

Une grande salle commune, éclairée par un nombre incalculable de bougies, recueille des dizaines de wendigos adultes tous bien habillés pour l'occasion. De tous les âges, de tous les genres, aux couleurs de peau parfois exotiques. En son centre, trois grandes tables aux multiples couverts sont dressées et quantité de nourriture produite sur leurs terres y est soigneusement entreposée. Chacun est installé, le Père devant tout son clan, Devlin bien plus loin, entre deux hommes chargés de le surveiller toute la journée, le troisième s'étant retiré avec sa femme quelques assiettes plus loin. Roman ouvre le bal en leur offrant à tous le bonsoir et les remercie pour leur présence - du soir comme des autres jours, des autres temps -, d'oeuvrer chaque jour pour leur permettre de profiter de moments comme celui là et leur souhaite de pouvoir continuer de vivre en paix. Dans sa chemise blanche bien taillée, légèrement ouverte - précisons qu'il a catégoriquement refusé le port de la veste - avec un jean moulé et des chaussures de ville à la classe indéniable troquées contre ses boots de cuir, il interpelle par son charisme, son expression par la bienveillance. Ce soir, le monstre s'endort pour laisser place au Père.

Le repas a dû paraître une éternité pour l'indésiré laissé pour compte, tout comme cette journée d'ailleurs, mais le final est imminent. Les ventres repus d'une viande bien particulière - ne t'en fais pas cher invité, la tienne n'était pas humaine, juste un cuissot de biche bien que la tentation de te laisser mordre la chair et de te transformer en vile créature soit grande - et gonflés de tout ce vin qui n'a cessé de couler à flot, la foule quitte la salle pour aller s'installer dans un champs où brûle un énorme feu de camp non loin d'une estrade. Les prières vont se mêler au spectacle. Le wendigo s'approche de l'humain et l'invite à s'asseoir à son côté, en queue de peloton pour plus d'intimité. Les comédiens prennent place sur le plancher de bois. Roman ne décroche aucune parole, il laisse l'autre découvrir ce qui se cache sous le voile de sa propre histoire. Une femme vêtue d'une robe au tissu souple et révélateur de formes chantent des louanges à leur Dieu le Dévoreur, accompagnée par quelques sonorités d'ambiance à la fois noire et fantasy; elle danse avec légèreté, prie avec ferveur. Un homme se joint à elle et les deux grains de voix s'accordent d'une harmonie parfaite. C'est beau, presque magique, tout aussi suffoquant. Ca pèse, ça fascine. Ca terrorise, ça hypnotise. Puis d'autres entrent en scène et dévoile leurs ancêtres pris au piège. La narratrice conte leur récit en chantant de son timbre de sirène. Elle raconte leur effroi et leur faim, leur tourments dans cette cage de laquelle ils ne pensaient jamais sortir vivants. Le cannibalisme, par dépit, pour survivre, puis cette sombre magie qui les condamne et les maudit pour cet instinct qui les a poussés au pire, les y contraint encore aujourd'hui. Dévorer pour demeurer Homme, ne pas voir son âme couler dans le néant et son corps se métamorphoser en une chose difforme. Elle enchaîne sur leurs craintes du monde extérieur, sur la naissance du Père, leur guide et protecteur. Mystère éradiqué. Tous les secrets n'en sont plus. Tarrare vient d'être propulsé au coeur de l'existence de son peuple, sans filtre, sans méfiance. Et pendant que la mélodie perdure, une wendigo plus âgée parcoure toute l'assemblée avec un panier d'osier en mains. Elle distribue des pastilles, comme lors d'une messe en gloire au Christ. D'apparence inoffensive, tous les avalent avec la force de la coutume, et le devin n'échappe à pas la règle. Un regard féminin suspicieux le dévisage, personne n'aime les étrangers, encore moins quand ils foulent leur territoire - en réalité c'est une première et les interrogations se manifestent silencieusement malgré toute la confiance accordée au chef. Elle le soutient jusqu'à ce qu'il accepte l'offrande, en hommage à leur idole, s'assure qu'il ne commette pas le sacrilège de le refuser ou de le recracher. Roman contemple et sourit, personne ne peut jamais contredire leur plus ancienne pensionnaire. « Vous aussi » souffle t-elle en se tournant vers le dealer qui l'ingère en figeant ses yeux sur ceux de l'invité, malicieux. Que la véritable fête commence.

Les chants et les mises en scène s'enchaînent, elles semblent interminables, presque répétitives, néanmoins plus entraînantes. Saccadées, brumeuses, résonnantes. Elles deviennent surréalistes, comme des images de fond qui défilent sans qu’on ne parvienne à toutes les saisir. Il ne s’agissait pas de simples hosties. Petits pains féériques, imprégnés d’une drogue concoctée par les soins de ses chimistes, très attendus par cette communauté accoutumée à ce rituel qui s’avère être le prélude d’une orgie. La secte se révèle et dans cette ambiance toute particulière, les premiers éléments se dévergondent. Le Père les observe, dans le vague, satisfait, l’éclat de son regard intensifié par cette pleine lune qui s’y reflète. Simple spectateur de cette mascarade plutôt qu’acteur, il dépose sa paume d’un lent mouvement sur l’épaule de son voisin et s’y soutient pour se redresser. Légèrement chancelant, il balaye la séance de débauche quelques instants de ses pupilles dilatées avant de tendre sa main au voyant pour l’aider à faire de même. « Viens décuver si tu ne veux pas te faire violer - un bien grand mot pour lui rappeler sa dévotion de la veille -, l'effet va vite passer tu verras. Tu devras te contenter une nouvelle fois de mon canapé, demain je te libère » parvient t-il à exprimer malgré une articulation un peu laborieuse.

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Devlin Tarrare
- madame irma vibes -
Devlin Tarrare
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Douleur. Il aurait pu se réveiller dans des draps en soie, ou dans le confort séculaire de sa vieille caravane, mais non. Non, la première chose qu'il aperçut fut les grains de poussière, nombreux, devant ses yeux. Douleur. Venait-il de tomber ? Où était-il, exactement ? Un sifflement dans les tympans, et la bouche pâteuse. La lumière l'aveuglait, elle précipitait l'ire d'un mal de crâne un peu trop présent. Par réflexe, le devin ferma les yeux. Laisse-moi dormir cinq minutes de plus, Mami, s'il te plaît. T'as qu'à demander à Papa de t'aider, il est sûrement réveillé, lui. Des voix bourdonnaient tout autour de lui. Une voix d'homme, une voix de femme. Son intonation aiguë arracha un grognement au divinateur. Ni sa mère, ni Geeta n'avaient ce type de tessiture. De même, la voix masculine qui émanait de l'autre côté du rideau opaque de ses paupières n'avait rien de celle de Michel Tarrare. Un frisson étreignit son échine alors qu'il rouvrit subitement les yeux.
Non, il n'était pas au Canada. Il avait encore un pied en Enfer, et Lucifer devisait tranquillement avec une de ses ouailles, juste à côté de lui.

Réflexe malheureux, que de se recroqueviller sur le sol. Que de se ramasser sur soi-même, les genoux contre la poitrine pour canaliser sa respiration qui redevenait erratique. Aux tambourinements de son coeur dans son torse s'ajoutaient à présent les pulsations violentes du sang contre sa tempe. Un acharnement de la peur sur son corps déjà au supplice. Ce ne fut pas l'étau de la gueule de bois que Devlin craignit le plus, sur le moment. Ce fut cette voix qu'il reconnaissait parfaitement, celle d'un homme qui n'en avait probablement pas fini avec lui. Aussi sursauta-t-il quand on déposa une assiette devant son nez. Aussi retint-il difficilement un haut le cœur quand l'odeur capiteuse d'une pâtisserie encore chaude, nappée de sirop d'érable, captura son odorat. Des... Pancakes ? Une désagréable sensation de déjà-vu. L'esprit embrumé et la pensée confuse, il estima que ça ne pouvait venir que de son état.

Main tremblante, tout autant que l'extrémité de sa fourchette. Un reniflement préventif à la nourriture pour s'assurer qu'il n'y ait pas de mort aux rats. Dans l'univers où on l'avait précipité, la prudence ne serait jamais excessive. Encore moins alors que les images de la soirée passée se bousculaient dans le brouillard. Des paroles aux actes, des événements honteux, sordides. Et l'éclat d'un regard magnétique, d'une froideur polaire, tout du long. Mais ce matin -était-ce seulement le matin ?-, on le laissa livré à lui-même. Observant malgré lui les allées et venues, le devin se rasséréna légèrement. Jusqu'à ce que le regard s'impose à nouveau devant ses yeux sombres. Et qu'il sente son sang recommencer à se glacer dans ses veines.
Un hochement de tête silencieux, docile. Barbe Noire enfonçait ses serres dans sa chair et Devlin n'avait d'autre choix que de lui dire amen. Le ridicule de l'instinct de préservation. A s'être lui-même glissé dans cette situation, c'était l'unique solution.

Drake allait le laisser seul ? Pour toute la journée ? Pour quoi faire ? Pour quelle raison ? Pourquoi avoir joué à ce point avec ses nerfs si c'était pour l'abandonner à présent ? Avalanche de question, et le pancake sur la langue pour lui éviter de claquer. L'envie de tout recracher, et juste un acquiescement, encore. Ne pas le contredire. Ne pas l'interroger. Gagner du temps.

Jusqu'à ce que la pièce se vide et que le silence ne se fasse, tout juste interrompu par les tintements sur la porcelaine, et la respiration sifflante de son chaperon. Un mec de sept pieds de long, facilement aussi large, qui dardait son regard porcin sur l'étranger. S'il le croisait suffisamment longtemps, Devlin pouvait y lire tout le mépris du monde. Il n'était pas à sa place, entre ces quatre murs, ce n'était pas difficile à interpréter. L'homme à côté de lui était méfiant, impérieux et, surtout, très, très agacé à l'idée de passer la journée en sa compagnie. Tout juste eut-il fini sa dernière bouchée que son compagnon d'infortune le souleva par le bras. Il était temps de bouger. Il était temps d'accomplir la volonté de Lucifer, et de lui faire traverser les Neuf Cercles de l'Enfer.

A sa grande surprise, son Virgile improvisé ne lui fit pas traverser l'Achéron, mais une série de pièces qui n'avaient rien d'impressionnant. L'Enfer était spacieux. Il ressemblait à une ferme coloniale traditionnelle, imposante, où évoluaient hommes et femmes de tout âge et de toute forme. Tous habillés dans les mêmes vêtements neutres que ceux qu'on lui avait procurés, chacun affairé à ses propres occupations, et, pourtant. Pourtant ce même regard d'épervier, sec et inquisiteur, à chaque fois qu'ils remarquaient sa présence. Personne ne voulait de Devlin, ici. Ce qui tombait à pic, en considérant qu'il n'avait pas plus l'envie de s'y attarder. Il aurait pu demander à son guide si c'était ce qui était prévu. Si c'était ça, son avenir, de manger le pain de ces gens-là et de vivre le reste de sa vie enfermé à la ferme à s'occuper de Dieu savait quoi. Mais il se retint. Les quelques mots que l'autre lui adressaient étaient excessivement courts, des jappements plutôt que des paroles. Insuffisants pour assouvir sa curiosité, ou pour apaiser la terreur qui étreignait ses membres à mesure qu'ils progressaient.

Ce ne fut qu'au bout de quelques heures qu'il repéra une faille dans le système. Tout aussi effrayant que soit son gardien, il n'en était pas moins un homme. Tout aussi patient qu'il soit, il avait attendu que le devin achève trois fois sa gueule de bois au fond d'une cuvette quelconque mais n'avait jamais fait le moindre crochet par la case WC. Elle était là, sa chance. Il était musclé, il était solide, et il cognait certainement très fort. Mais il avait ses limites, comme tout un chacun. Gagner du temps. La vie avait beau fourmiller tout du long du bâtiment, le Canadien avait bien remarqué que certaines zones étaient moins fréquentées que d'autres. Il ne passerait pas inaperçu avec sa couleur de peau ou son attitude d'étranger. Mais il pourrait toujours se planquer quelque part et appeler les secours. Personne n'avait eu la présence d'esprit de lui prendre son téléphone.

Aussi, quand Machin lui intima de camper devant les toilettes le temps qu'il réponde à l'Appel de la Nature, le devin accepta avec un sourire plein de dents. N'attendit pas plus longtemps pour prendre enfin la clé des champs, et se précipiter vers la première porte déverrouillée qu'il put trouver. S'il pouvait s'y cacher, ne serait-ce qu'un peu. S'il pouvait...
Oh. Mon. Dieu.

***

MA CONNEXION INTERNET DE L'ENFER et LE SYNDICAT DU RP PAS CHER présentent :

LES AVENTURES DE DEVLIN, LE PETIT DEVIN


Spoiler:


Une présentation financée par la Région Nouvelle Aquitaine,
le commerce des feutres qui meurent et les fermes de ganja du Colorado


***


Une traction sur son col. Une main impétueuse le tira en arrière, sans la moindre douceur. Quelque chose de solide lui échappe des mains, tombe sans grâce sur le sol. Un bruit de froissement.

-A... Attends, buddy, j'ai fait tomber mon télé...

Une claque à vous en briser la nuque. Anesthésié par la drogue, le corps du devin n'opposa aucune résistance. Il ne sentit pas la douleur tout de suite, gratifia son chaperon d'un ricanement lointain alors que ce dernier le malmenait déjà vers la sortie. Il avait l'air furieux. Un ressentiment que le devin caressa quelques instants, particulièrement fier de sa connerie. La démarche cotonneuse et l'esprit nébuleux, il essuya les derniers milligrammes de poudreuse qui blanchissaient le bout de son nez. Frotta le reste contre ses dents et claqua d'une langue appréciative. Il avait eu le nez creux, en franchissant cette porte. Les fermiers du coin ne brassaient pas que de la farine. Un commentaire appréciatif qu'il ne manqua pas à communiquer à son rutilant compagnon. Certes, quitte à vivre comme des hippies, il auraient mieux fait de faire pousser des arbres à MDMA, mais ils s'en sortaient quand même plutôt bien. Bon, à la base, il avait prévu de faire tout autre chose en franchissant cette porte. Mais s'il ne s'en souvenait pas, c'est que ce n'était pas si important, si ?
Sûrement.

Le temps s'était étiré en rubans élastiques, sans plus aucune prise sur le devin. Des arabesques de ciel, tantôt celui de l'aube, tantôt celui du crépuscule, se noyaient dans le bleu infini de cette journée plutôt douce. Le monde s'affairait tout autour du devin, parfois excessivement vite, d'autres fois affreusement lentement. Mais ça grouillait de vie, dans cette ferme qui ne semblait pas plus mobile que lui. Ca grouillait de vie et ça se préparait, pour ce qu'il se rappela être une soirée très particulière. Ce fut du moins ce qu'il comprit quand on le jeta dans une salle de bain avec l'ordre de se débarbouiller. Quand le poussa ensuite dans une salle de réception infinie, où s'alignaient trois tables jonchées de couverts. Il tenta de se lever en reconnaissant la silhouette marquée, sombre, de Roman Drake. Deux mains puissantes le forcèrent dans un siège, lui coupant le souffle et toute volonté de faire l'idiot. Leur propriétaire, lui, s'assit juste à côté de lui. Cet emmerdeur.

Descente. Descente de drogue, et bonne descente d'alcool. Les plats s'enchaînèrent, passèrent de main en main, mais avec sa tête qui tournait et son estomac au naufrage, Devlin estima qu'il s'arrêterait sur deux brocolis et son pichet de vin. Sans plus aucun repère, pas même le rythme de son propre coeur, il balaya la pièce du regard. Dans le brouillard où il s'était lui-même fourré, les fourchettes et couteaux tintaient comme autant de carillons. Les mastications en choeur, elles, étaient un de ces chants aussi agréables qu'écoeurant. Un autre verre de vin. Une autre sensation d'élongation des minutes, et le monde qui tournait au ralenti. Et le regard de Drake, bien plus doux qui se posait sur ceux que Devlin décida de qualifier ses rejetons. Parce qu'il connaissait cette expression. Il avait vu la même, plusieurs fois, sur le visage arrondi de Michel Tarrare. Celui d'un Père, fier de sa progéniture, qu'elle soit en train de s'écharper ou de s'aimer devant son nez. Une douceur paradoxale compte tenu de ce qu'il avait subi la nuit précédente. La sensation de sa chaleur sur son dos, il frémit et enfonça son nez dans son verre de vin. La vinasse n'avait rien d'exceptionnel, mais c'était toujours mieux qu'un bout de viande. Tout autant en chute qu'il sente ses organes, elle ne serait pas passée.

Les assiettes vides, il crut que l'assemblée rejoindrait enfin ses quartiers pour une nuit bien méritée. Que nenni. Tous se levèrent pour se glisser dans les ombres, dehors, là où la nuit léchait la propriété. On le força à suivre le mouvement. Il n'avait plus aucune envie de résister, au contraire. Quel serait le clou du spectacle, dans cet univers si étrange ? Une flamme lui fournit la réponse. Un brasier monumental, devant lequel se trouvait une tache d'un rouge vivace. S'il ne comprit pas la moitié de ce que racontait la bonne-femme, il ne put s'empêcher d'être émerveillé par la beauté de ce qu'il constatait. Magnifiée par les flammes, la robe rouge perçait la nuit comme un rayon de lumière. Bercé par les voix, par les rythmes et la chaleur de tout ce qu'il avait ingurgité, il ferma les yeux. Se laissa porter par la violence des mots, la rugosité des termes, l'âpreté des chants. Sensible, toujours, à la musique. Une finesse inscrite dans son patrimoine génétique, à même son ADN, importée par une passion dévorante pour l'Humanité et la culture colorée du côté sikh de la famille.
C'était comme lors de ses premières années sur la route. Comme lorsqu'il avait fait le Burning Man, avait écumé les festivals, s'était laissé porter par les rythmes sourds de la musique païenne. Des racines qu'il n'avait jamais quittées, le routard. La curiosité l'avait toujours porté dans des univers différents, tous plus riches les uns que les autres.
Mais qui ne l'avaient jamais terrifié. Parce qu'il n'écoutait pas leurs refrains, parce qu'il n'écoutait pas les mots. Il laissait la musique porter son propre message, et se graver en vibrations nuancées à même sa peau.

Peu importait le Grand Dévoreur. Peu importait l'appel de la chair ou les envies de dévorer le monde. Il l'avait déjà entendu, ce laïus, il avait déjà été dans ce type de festival. La robe luisait, vibrante, entre ses cils noirs. Les corps se levèrent pour se mélanger, se creuser et s'emmêler, et ça aussi, c'était familier. Ce festival dans le Désert, au sein de ce no man's land tout de métal et de camions défoncés, ça avait été comme ça. Des êtres en transe qui frappaient sur des moteurs et s'ébattaient dans la fange. Il les avait rejoints, avant. Il pourrait les rejoindre, maintenant. Après tout, il avait mangé sa petite hostie comme un grand, lui aussi. Et la robe rouge l'appelait. Toute la beauté du rythme, des sons et du chaos l'appelaient.

On s'appuya sur son épaule. On l'arracha à la robe rouge, à cet univers inconnu et pourtant si familier qui se dévoile sous la lune. Des mots au creux de l'oreille, et sa voix à lui qui résonna, lointaine :

-Ca risque rien, je suis consentant.

Captivé, mais plus du tout effrayé. Assoiffé sans soif, affamé sans faim. Le coeur en rythme avec les voix étouffées des convives, et pourtant, cette dissonance. Parce qu'on lui imposait de recouvrer son humanité. De ne pas se laisser aller à retrouver l'appel familier de la transe. Frustration, alors qu'il reprenait ses esprit. Frustration au bout des lèvres, au creux des reins, alors qu'on lui imposait une nouvelle fois ce foutu canapé. Obéissant, il suivit son employeur. Se demanda quelle version de cet homme il trouverait, dans le calme du bâtiment, maintenant que tous ses enfants sacrifiaient leur humanité pour la bénédiction de la Lune. Quel regard porterait-il sur le devin, Roman Drake ? Cette fierté paternelle, si belle, ou cet appétit démoniaque, hideuse ? Le coeur serré, il le laissa l'entraîner à travers les pièces, pour rejoindre ce salon si froid.
Si vide.

-J'ai pas tout compris, à vos histoires de Dévoreur et tout le bazar. Mais j'ai compris une chose, ce soir. Vous n'êtes pas qu'un monstre, Roman Drake.

Etait-ce la quantité cumulée de tout ce qu'il avait consommé qui parlait ? Sûrement. Mais ce soir précisément, après avoir retrouvé ce maudit canapé et le calme d'une maisonnée vide, il n'avait plus peur de son étrange collaborateur. Pas alors qu'il avait encore ce regard d'un bleu presque chaud, presque tendre, encore gravé dans les rétines.

-Vous aviez l'air si serein, entouré de tous ces gens. Doux, même. Comme un père avec ses enfants.

On lui servit un verre, ou il se servit lui-même, ça ne faisait pas de grande différence. Le salon était nébuleux et le devin tout autant. S'il n'était pas encore à mi-chemin entre la transe et le sommeil, il aurait su qu'il valait mieux tenir sa langue. Mais la raison s'était tue, s'était perdue, quelque part dans les dunes à l'apparence vaguement humaines qui s'épanchaient sous les étoiles.

-Je vous aurais jamais cru capable d'une telle expression. Elle vous va bien.

Il aurait peut-être dû se taire, oui. Il aurait peut-être dû écouter plus attentivement, constater que, dehors, les percussions s'étaient tues. Qu'il n'était pas dans un de ces rassemblements humains qu'il avait l'habitude de fouler, et qu'il n'y avait rien de pacifique ou d'aimant dans tout ce à quoi il avait assisté.
Mais il ne pouvait pas renier ses racines. Il ne pouvait pas renier son sang, et tout ce qu'il charriait naturellement. Et le message qu'il avait perçu, qui avait résonné dans tout son corps, n'était pas un hurlement bestial. Pas plus que celui qu'il avait lu au fond des iris céruléens de Roman Drake.





L O V E
by QQ & EXORDIUM.

quand Barbie vit mal son régime:
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Tel est pris qui croyait prendre
Devlin & Roman

Les pas sont lents et peu assurés, mais l’éloignent sûrement de cette scène à l’astmosphère particulière qu’il a quittée sans un regard en arrière, avec ce bourdonnement ancestrale dans les oreilles. Sur le chemin de sa tanière, le sang du monstre se souvient de son héritage et l’épiderme frissonne. L’esprit s’égare, rivé sur le calvaire de ses paires qui lui ont transmis ce gêne bestial. Toute cette comédie suffira t-elle à leur offrir une meilleure vie que leurs prédécesseurs ? Religion en laquelle il n’a jamais cru, qu’il a toujours considérée comme un piège dissimulé par l’illusion parfaite d’un réconfort certes vital mais délivré de la plus mauvaise des manières. Endoctrinement. Une encre à laquelle les wendigos ont été subtilement contraints de s’accrocher, persuadés qu’elle était la clé de leur pérennité. Les épaules s’affaissent très légèrement, mouvement presque imperceptible. Blasé par cette aura divine qui les berce depuis toujours mais qu’il se doit de perpétuer pour préserver une unité trop accoutumée à cette dernière pour s’en défaire, il dérive vers sa conception plus pragmatique - une hérésie ! Putain de secte qui le débecte quand il idéalise le tableau d’une grande famille liée uniquement par l’envie de la faire perdurer, sans y être inconsciemment - religieusement - forcée. Pour l’heure ce désir n’est qu’une chimère, mais le protecteur du clan ne désespère pas qu’un jour le changement s’opère. Aspirant à un concept différent, le regard du rêveur s’évade dans le vague, se pose ensuite sur une silhouette familière pourtant défunte qu’il refuse de dévisager. Elle l’observe d’un oeil accusateur, condamne silencieusement ces pensées dissidentes qu’il a toujours su traverser sa progéniture sans parvenir à les endiguer. Fils indigne qui ne s’attarde que quelques secondes sur cette oeillade paternelle moralisatrice avant d’accélérer la cadence, les boots traînant laborieusement dans la poussière, les échos de sa succession en transe s’évanouissant au fur et à mesure de la distance. Un jour, tout sera différent.

La porte de sa demeure se referme derrière eux dans un claquement qui sonne l'heure du dur retour des pieds sur terre, elle est la frontière qui sépare le fantasme du réel. Le silence pour seul compagnon. Le néant dans lequel se vautrer. La solitude qui assomme. Les deux déserteurs passent d’un monde à l’autre en ne franchissant qu’un simple seuil, s’en est déroutant. Pourtant, bien que très à l’aise avec son peuple qu’il affectionne par dessus tout, leurs pratiques occultes n’ont quant à elles jamais cessé de le troubler et ce vide soudain est une véritable bénédiction. Une échappée salvatrice. Cet univers qui est une nécessité et non ses convictions doit être oublié, alors même qu’à quelques centaines de mètres de son antre de pieux pratiquants s’entremêlent et se débrident avec le feu de Dieu dans le coeur. Aussi, sans attendre le bar s’ouvre et dévoile les quelques bouteilles restantes. Juste au dessus sont entreposés des verres d’ivrognes, l’hôte en saisit un qu’il dépose sur le rebord pendant que l’invité lui livre ses premières impressions, un constat psychologique. Dos au devin, la créature se fige le temps d’un battement de cils et les sourcils se froncent. La bête n’apprécie pas qu’on s’aventure sur le terrain de son esprit, beaucoup trop tortueux, privé. Qui est donc Roman Drake, l’homme aux multiples facettes, est une question récurrente; il est le seul à détenir cette réponse. Conscient du trouble qu’il peut causer, la contrariété s’envole vite au profit d’une moue rieuse, prompte. Les lippes pour l’instant scellées, il s’empresse d’attraper le verre suivant - tout du moins tente de se hâter malgré des mouvements un tantinet saccadés -, bouscule du coude le premier qui chute sur le sol et se brise. Roman observe les éclats sans dire mot, jure silencieusement, cligne exagérément des yeux afin de remettre de l’ordre dans cette vision chaotique puis parvient à déposer deux récipients encore entiers sur la table basse et une bouteille de... Il faudrait qu’il pense à questionner Andrew au sujet des composants de son eau de vie, un jour, histoire de, simple curiosité. Un énième grand mystère de ce Foyer Rouge duquel cascadent déjà tant de rumeurs. Les réceptacles se remplissent d’un liquide cristallin à l’odeur fruitée qu’on soupçonne de pouvoir soigner tous les maux, très agréable, mais au goût prononcé indéfinissable; ça brûle n'importe quel gosier. Le wendigo se laisse tomber sur son canapé, il s’y avachit dans un soupir puis descend sa boisson de moitié avec une grimace en coin quand la chaleur s'empare de sa langue, ses grands yeux givrés en direction du voyant qu’il écoute sereinement. Encore brumeux sous l’effet de tout ce qu’ils ont consommé durant cette étrange soirée, en réponse au jugement de l’autre, il se contente d’un sourire impossible à cerner. Quel visage va t-il adopter face à cet homme qui semble délesté de cette crainte tantôt inspirée, il se le demande encore.

L’alcool tournoie dans son récipient, il le contemple, s’ancre ensuite dans les iris du vis-à-vis. Pas encore complètement terrassé par les substances, les ressources sont encore suffisantes pour faire durer le jeu qui s'est installé. Très calmement, il daigne enfin remuer les lèvres autrement que pour s'enivrer. « Un seul homme, pourtant deux visages ». Il se redresse, dépose sa liqueur sur le meuble bas, introduit ses doigts dans sa poche et un objet rectangulaire apparaît avant d’être déposé délicatement sur le mobilier de bois. Le téléphone portable de Devlin, ramassé plus tôt, confié à ses bons soins avec le récapitulatif de cette journée passée en compagnie de ses protégés. « Mais comment savoir qui n’est qu’un masque et qui est le véritable Roman Drake ? Sur lequel parierais-tu ? ». Il est dit que nous détenons tous une part de ténèbres qui sommeille dans les méandres de nos esprits complexes, cela dit celles de Roman ne représentent pas qu'une bribe latente et sous-jacente, elles sont un volcan suractif qui débordent quand elles s'éveillent. Tout comme le soleil qui brille parfois dans son coeur et réchauffe ceux pris sous son aile. Deux côtés parfaitement contraires, intenses, qui s'entrechoquent et perturbent le peuple qui les entoure. Deux personnages trop différents pour se compléter, s'associer ou même se tolérer, l'un est forcément feint, néanmoins finement manipulé. Adopté depuis si longtemps que le comédien a fini par oublier qu'il n'était qu'un rôle imaginé pour soumettre le monde à ses pieds.

La boîte qui campe chaque jour sur cette table est ouverte dans la foulée et deux joints en sont sortis - toujours préparés à l’avance par overdose de flegmatisme; c’est sec, ça arrache, mais le goût de la simplicité est trop apprécié pour s’en passer, surtout quand le sens de la vue est altéré et les gestes rendus instables par ces frivolités. L’un est offert à Tarrare, l’autre enflammé dans l’instant au dessus du cendrier et porté en bouche. La fumée est recrachée avec un rictus, la raillerie est de circonstance, accompagnée par un petit sachet de poudre blanche qu’il pioche à son tour dans la minuscule malle aux trésors et qu’il jette face au divinateur « Il paraît que tu as bien apprécié nos produits. Si tu préfères du plus corsé, cadeau de la maison, mais à l'avenir plus de self-service. Le reste sera retenu sur ta paye ». A l'avenir... Sous-entendu d'une prochaine fois au bercail, peut-être, le wendigo n'en a pas fini avec son nouvel acolyte, ce n'est guère plus un secret.
Revenons à nos méchouis pardi ! D’une voix cette fois encore plus glacée que ces iris qui illuminent son teint parfois trop pâle, il informe l’infortuné du malheur que cette perte au devant des toilettes risquerait d’engendrer. « Les données ont été extraites, en priorité la liste de contacts, c'est une précaution supplémentaire. Apparemment, même les âmes qu'on pense les plus solitaires ont des familles auxquelles elles tiennent ». Un mensonge, il n’en est rien. Roman est convaincu qu’il n’a guère besoin de ce cran de sûreté pour s’accaparer la loyauté indéfectible du voyant. D’ailleurs, influencé par les poisons ingérés ces dernières heures, il est à peine convainquant - pour ne pas dire pas du tout. Mais l'autre étant dans un état semblable, peut-être ne prendrait-il pas conscience du défaut de conviction qui traîne dans son timbre rendu las par ses abus. Il poursuit donc son argumentation, avec grand calme, fade mais d'un sérieux indéniable. « Alors Devlin, ne penses-tu pas que cette expression qui me va si bien n’est qu’un déguisement qui rend le monstre moins monstrueux ? Un père on le respecte, un monstre on le craint et en meute on complote pour le renverser ». Il vide d’une gorgée ce qu’il reste de liquide dans son récipient, s’affale de nouveau sur son simili cuir tout en inspirant une bouffée d’herbe. Dans une nuée opaque lentement expirée, il conclut sa défense. « Je n'ai pas de temps à perdre avec ce genre de risques, on se fait déjà suffisamment d'ennemis dans le milieu sans donner l'occasion à ceux qui nous sont proches d'en faire un jour partie ». Et la question qui en découle... Pourquoi tenter le diable avec cet homme à qui il a dévoilé sa facette des Enfers ? Avant qu’elle ne traverse l’esprit de Devlin, Roman se hâte avec un sourire avenant, quand ses précédentes paroles sont encore menaçantes. « Mais toi, tu n’es pas une menace ». L’effet du cylindre et de l’alcool s’ajoutant à ceux des ingurgitations du soir, Roman laisse filer ses pensées sans réfléchir, embrouillé par ses propres excès il se perd entre noirceur et lueur. « Tu n’es pas une menace parce que je ne compte pas te laisser le devenir ». Son regard vaporeux soutient celui de l’autre, gausseur. « N’aies crainte le devin, personne n’a fait quoique ce soit avec ton téléphone. Cela dit je suis presque jaloux, la poupée n’a pas arrêté de le faire vibrer ». La prépondérance et la sonorité tranchante s'installent soudain pour rattraper cette révélation trop honnête sur la non extraction. Ses yeux se plissent, à peine, usés, stones, mais venimeux, tout comme sa langue qui claque mollement. « Je n'ai pas besoin de ça, jusqu'à la mort... ». Souvenir de la nuit passée encore énoncé, pour que le divinateur n'oublie jamais l'épée de Damoclès qui plane au dessus de sa tête. Elle pourrait se détacher à n'importe quel instant de ses épaules trop faiblardes, et ce malgré toute la bienveillance qu'il a pu lire ce soir dans le regard aimant et protecteur du Père du Foyer Rouge. Qu'il n'omette guère ce détail : il ne fait pas partie de ses enfants et l'oeil que lui porte le wendigo est différent de celui qui couve son clan. Pour l'heure en tout cas, qui sait ce que le medium pourrait bien devenir, dans un futur plus ou moins proche. Trop précieux pour le laisser filer, l'envie de planter ses dents dans ses chairs et de le métamorphoser est de plus en plus tentante. Patience. Pour réconfort, à défaut, un dernier «conseil» fuse, que l’intrus n’oublie pas à quel genre de créature il se frotte. Ca pique. « Tuez-le, pour ce que j’en ai à foutre; ce sont tes propres mots. Ce serait dommage qu’il me prenne l’envie de vérifier la véracité de tes dires, à cause de ta langue trop pendue. Je n’ai pas lu vos échanges, tu peux vérifier. Ma curiosité reste intacte, elle a besoin de se rassasier. Mais parce que c’est lui que tu as contacté quand tu étais dans une belle grosse merde qui te dépasse au lieu de n’importe qui d’autre, mon petit doigt me dit que tu le pleurerais sûrement ». Tais-toi ou je le bute, si simple et limpide. « Tu as sa vie entre tes mains. Ne me pousse pas à devoir agir quand j’en ai pas envie ». Ni plus ni moins. Ouvre là, il crève. Ferme là, tout le monde s’en sortira indemne. Pourtant le message était sensé être déjà communiqué non ? Ne le contraint pas à devoir mettre les bouchées doubles, tu le regretterais sévèrement... Car qui peut t'assurer que ton téléphone n'est pas été touché, malgré ses dires ? Finalement, personne, tout n'est peut-être qu'un jeu...

Les pupilles dilatées chavirent à tribord, derrière la silhouette de Devlin, pour fusiller ce fantôme qui depuis quelques temps se fait beaucoup trop présent. Les paupières s'immobilisent, se rétrécissent, les iris s'assombrissent. Dégage. La drogue se consume entre ses lèvres pincées, sans que ses yeux ne quittent cette illusion qu'ils foudroient. La cendre floconne sur le plancher, derrière le dossier du canapé qui accueille son bras pendu contre ce dernier. La fumée s'évapore pendant qu'il observe la main tendue de son ancêtre qui effleure sa propre gorge telle une lame tranchante, c'est un avertissement, une promesse peut-être, ou bien une funeste prédiction. Puis, aussi prestement qu'il est apparu, il se dématérialise dans la pénombre et ne laisse qu'une angoisse feutrée chatouiller la nuque du descendant. Le brun reprend place assise plus correcte, non sans mal, pour se pencher vers la table et saisir d'autres stupéfiants, pas des plus agressifs mais de ceux qui délivrent une transe quelque peu similaire à leurs hosties. Des pilules roulent sur le bois et s'éparpillent, il dépose son tube fumant pour en saisir une du bout des doigts, puis d'un geste indolent mais avec la fermeté de son espèce, il accroche la belle chemise du devin et le contraint à se rapprocher. Son regard de camé alcoolisé capture le sien et lui transmet l'autorité. Sans le relâcher, sans se soustraire à ses pupilles au moins autant nébuleuses que les siennes, il glisse l'une des paumes contre la nuque du vis-à-vis et de son autre main il ingère le bonbon magique pour lui prouver que ça ne le tuera point. Il attrape un deuxième à tâtons et l'amène au bord des lippes de Tarrare avant de lui exprimer son caprice. « Avale et dis moi ce que tu vois ». Observateur, le Père a remarqué que les visions se manifestent quand le messager est dans un état plus que second, et c'est ce qu'il désire provoquer. Alors, simple mirage évadé d'un esprit qui culpabilise d'avoir ôté la vie à son prédécesseur ou menace imminente, une vengeance ? Le medium est un jouet qui le fascine et qu'il voudrait pouvoir activer quand bon lui chante, cependant cet idiot n'a même pas encore saisi le quart de son potentiel, quel gâchis ! Avec le temps, sûrement, se montrera t-il à la hauteur de la tâche que Roman lui réserve. En attendant, un peu de motivation pour se révéler peut-être ? « Donne moi quelque chose de plus croustillant à me mettre sous la dent que tes pancakes et je t'accorderai le droit d'aller t'amuser toi aussi, si t'es encore capable de marcher jusque là. Avec ce qu'ils ont pris, il n'auront plus de méfiance à ton égard ». D'un clin d'oeil il ajoute. « Fais juste attention à ne pas te faire mordre ». Un ricanement s'ensuit, si seulement un de ses enfants pouvait être suffisamment effronté ou défoncé pour oser le métamorphoser sans l'accord du leader au préalable, ce serait grandiose ! Un accident bénéfique. Le faciès tantôt étiré d'amusement se fige derechef, l'expression est grave. La voix l'est tout autant. « Dis moi ce que tu vois, et pas les foutaises que tu penses vouloir être entendues. Après ça, libre à toi de faire ce que tu veux du reste de ta nuit. Tout ce que tu veux, avec qui tu veux; tu avais l'air d'être dans ton élément dans cette putain d'orgie ». La mort ne t'attend pas encore, c'est tout ce qu'il souhaite entendre. Qu'il puisse faire pleinement abstraction de cette aura qui se faufile dans son ombre, hostile. Qui le pousse à consommer n'importe quoi plus que de raison et qui transforme son langage d'ordinaire si correct en putains de grossièretés ! Merde.

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Devlin Tarrare
- madame irma vibes -
Devlin Tarrare
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hurlements : o4492
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-Une facette, un visage, un regard, on ne montre bien que ce que l'on veut montrer. Je parie sur celui qui me paie, le reste ne me regarde pas.

La langue trop pendue pour celui qui sait qu'il peut mourir, s'il l'agite un peu trop fort, ou un peu trop vite. La vision nébuleuse, il suivit les mouvements hasardeux de Drake, enfoncé dans le canapé. Les informations se cumulaient, sous ses mèches noires, faisant moins de sens à mesure que les minutes s'écoulaient. Depuis longtemps, ces dernières avaient elles-même cessé d'avoir la moindre signification. Emporté par la béatitude de tout ce qu'il avait ingurgité, son sang pulsant encore au rythme des percussions, là, dehors, le devin n'avait plus aucune notion ni de temps ni d'espace. La Terre pouvait bien tourner, il n'en sentait plus la pression. La gravité, oui. Confortablement enfoncé, une goutte de tord-boyaux en travers de la gorge, il se retint de pouffer quand le verre fila des mains de Drake. Un battement de cils, et ce dernier s'était déjà matérialisé à l'autre bout du sofa. Quand... ? Quand était-il arrivé là ?

Le geste hasardeux en tentant d'attraper le cône d'illusions que lui tentait son nouvel employeur. Redécouvrant l'extrémité de ses doigts en même temps que le poids de son bras, le divinateur s'effondra une nouvelle fois lourdement dans les coussins. Un grognement appréciateur sous le confort, un autre à la première bouffée. Les mélanges n'avaient jamais été une bonne idée, ni ne lui avaient réussi par le passé. Mais avec l'ambiance qui régnait dans cette Ferme toute en paradoxes, ils ne pouvaient que l'aider. Ils assoupissaient ce malaise qui sourdait toujours au creux de son estomac. D'un regard paresseux, il considéra le petit sachet de poudre blanche qu'on lui tendait. Décidément, la générosité de son hôte était sans pareille. Un léger hochement de tête, et le cadeau fut empoché à la hâte. Il n'y toucherait pas, ce soir. Il en avait suffisamment profité quelques heures... Minutes... Jours ? plus tôt, et se sentait rassasié du côté de la cocaïne. Et toujours, ce foutu malaise. Cette sensation que quelque chose de sombre tournait tout autour d'eux, un de ces vautours au cou pelé qu'ils avaient en Amérique, un de ceux qui... Qui quoi, déjà ? Qu'est-ce qu'on s'en fout, des rôtis volants. Ah, non. Drake était particulièrement généreux. C'était ça, le fond du problème.
La raison du malaise. C'était que malgré tout ce qu'il avait ingurgité, Devlin sentait bien que, petit à petit, un lièvre était en train de se soulever dans cette pièce. Que geste évasif à allusions vagues, l'homme au regard si doux qu'il avait vu à la grande tablée redevenait cet être sorti tout droit d'un cauchemar. Il ne savait pas encore comment ce dernier allait se manifester. Mais il était prêt à se douter que ce visage-ci n'allait pas tarder à orner une nouvelle fois le visage de l'homme pâle à côté de lui, et que lui faire goûter à toute la production de son exploitation avait un rapport avec cette potentielle réapparition.
Peut-être ne devrait-il pas refuser aussi ouvertement la générosité de son hôte. Reposer poliment ce verre imbuvable qu'il lui avait tendu, empocher le sachet de dope, et ne toucher qu'au joint. Mais l'herbe était bonne, corsée et naturelle. Les illusions filaient onctueusement dans sa gorge, et, à choisir, il préférait mourir bio que mourir de peur.

Trop embrumé pour comprendre ce qu'on lui agita sous le nez. Nez qu'il fronça autant que les sourcils, les yeux plissés dans la direction du rectangle sombre que Drake manipulait mollement. Un téléphone, de toute évidence. Particulièrement abîmé, de surcroît. Il avait dû faire une très mauvaise chute, les deux panneaux latéraux en verre étaient affreusement fissurés. De petits morceaux de verre capturaient la lumière tamisée de la pièce, aux extrémités. Quel qu'en soit le propriétaire, il allait se hacher l'oreille en tentant d'appeler quelqu'un, c'était certain. Mais pourquoi le lui montrer, à lui ? Et pourquoi lui dire que les données avaient été prélevées ? Est-ce que Machin avait fait une bêtise ? Incertain des intentions de son hôte, manifestement aussi nébuleux que lui, il murmura doucement :

-Même les ermites ont une famille, oui...

Retint difficilement l'interrogation de percer dans sa voix. Mais Drake ne l'entendait clairement pas. Royalement affalé à l'autre bout du canapé, il dégoisa encore quelques instants sur des concepts que le divinateur ne comprit pas. Des histoires de visages à celles d'ennemis, il n'y avait qu'un pas, dans le monde de la consommation. Les reptiliens étaient parmi nous, et Roman Drake pouvait aussi bien parler d'eux que d'autres, le concept aurait été tout aussi lointain pour son invité. Incertain de la marche à suivre, Devlin tira sur son joint. Prêta une oreille bourdonnante aux tergiversations de Drake, avant de s'arrêter sur deux notions qui lui étaient plus familières. Ennemis et menaces. Deux thèmes universels que même l'esprit le plus ravagé pouvaient comprendre. Un frisson courba ses épaules. Se faufila le long de son épiderme pour s'enfoncer dans ses entrailles, et les resserrer à nouveau. Il y avait quelque chose de menaçant, dans le sourire vaporeux de Roman Drake. Une ombre tapie derrière ses yeux rougis. Dangereuse. Bien réelle.

Il n'avait aucune envie de les soutenir, ces iris brûlants. Ils accentuaient le tourbillon du sang et des mirages, ils rendaient les ombres tout autour d'eux trop vivaces, presque mouvantes. Presque menaçantes. L'étau se desserra vaguement en entant qu'il n'était pas un problème pour l'homme. Mais ce qu'il ajouta lui glaça le sang. Par réflexe, le devin glissa ses doigts dans la poche de son pantalon. Tout ce qu'ils frôlèrent, sous le tissu rêche du bermuda qu'on lui avait donné, ne fut que l'emballage plastique du sachet de poudreuse. Son téléphone, lui, était aux abonnés absents. Douche froide et coup de poing au coeur. Le regard déjà plus alerte alors qu'il reconnut le logo à l'arrière de l'appareil, il fronça toutefois les sourcils à une énième allusion de son tortionnaire.

-La poupée... ?

Barbie. Descente de dope, brutale. Il se souvenait, à présent. Il se souvenait d'avoir vu ses doigts tapoter sur la surface encore lisse de son téléphone. Il se souvenait d'avoir senti son cœur bondir plus brutalement que prévu à certains mots, de l'avoir subi alors qu'il s'enfonçait dans ses entrailles en en lisant d'autres. Il se souvenait de son visage, partout, tout autour de lui, alors qu'il n'avait rien trouvé de mieux que tenter l'overdose pour se tirer du cauchemar. La lumière au bout du tunnel, le seul stimulus auquel il était capable de répondre. Drake avait-il vu la teneur de leur conversation ? Savait-il plus que Devlin lui-même ce qu'ils s'étaient raconté ? Descente de dope. Descente aux Enfers. L'esprit de suite plus lucide, mille fois plus lucide, et un froid polaire le long des membres. Ce téléphone, jeté avec indolence sur la table basse, était une bombe à retardement.

Les mâchoires serrées, alors que l'autre se remettait à dégoiser. Il n'avait pas lu leurs conversations, disait-il. Mais il savait que Barbie était celui qui avait attrapé la bouteille à la mer que Devlin avait lancée. Louper une overdose, c'était déjà quelque chose. Mais relier directement son ancien amant à Drake en était une toute autre. Des pulsations douloureuses dans la tempe, l'ébauche d'une migraine, et la sensation de se dissocier de son propre corps à chaque battement trop rude de son cœur. Perdu dans son ivresse, ou peut-être sa confiance en lui excessive, son patron dégoisait encore. Devlin n'ajouta rien de plus. Les informations décousues qu'on lui donnait ne s'emboîtaient pas correctement dans les dernières cases logiques qu'il lui restait. Tant de dissonances qu'il ne pouvait y avoir qu'une seule solution au dilemme qu'elles soulevaient, les informations.

Il bluffait.

Devlin avait fait une erreur en abandonnant son téléphone, mais il n'était pas idiot. A mentir comme il le faisait, à se construire de nouvelles vies à chaque nouveau client qui franchissait la porte de sa caravane, il avait développé des habitudes. Des tics, des réflexes. Des rituels. Son téléphone n'affichait jamais les derniers messages, ni les noms de leurs expéditeurs. Aucun des noms importants n'était marqué entièrement. Si le visage boudeur de l'homme-panthère s'affichait à chaque appel, rare, depuis leur rupture, il ne s'était jamais appelé Barbie où que ce soit. B, comme l'abeille, B, comme Beyoncé. B, comme l'amour, comme Maman était M, comme Vikram était V, comme Geeta était G. Le "gh" sanskrit nécessaire à l'ouverture de la boite à secrets qu'était son téléphone, son seul sésame étant le dessin du symbole. Le détecteur à empreintes n'avait jamais été configuré. Il n'avait aucun moyen de savoir que Barbie lui avait répondu, comme Devlin n'avait aucune certitude que ça ait effectivement été le cas. Mais, surtout, il n'avait pas prélevé ses données. Il le lui avait confirmé.

Profitant de l'absence intellectuelle de son kidnappeur, Devlin coula un regard torve à l'appareil mal en point sur la table basse. A côté de lui, son verre de tord boyaux, celui, vide, de Drake, et la bouteille au liquide transparent. Tendit un pied en direction de la table basse. Lorsque ses orteils touchèrent aisément le bois, que ce dernier branla légèrement sous l'impulsion, il sut qu'il tenait un premier plan. A côté de lui, Drake s'agitait. Les yeux striés de sang, il semblait en pleine communication avec quelqu'un qui ne s'était jamais trouvé dans cette pièce. Un spectacle fascinant s'il en était. Abandonné à ses propres démons, l'esprit dans le vague, et le vague à l'âme. Une nouvelle facette de cet homme à l'identité trouble. Une parmi tant d'autres qu'il ne connaissait pas.

Le devin ouvrit la bouche pour lui demander ce que voyaient les iris azurés, mais il n'en eut pas l'occasion. Le corps parcouru de tics nerveux, le geste saccadé, presque furieux, l'autre venait de se redresser. Tassé dans son coin du meuble, Devlin assista à la saute d'humeur en silence. Son regard était redevenu mauvais. Une fluctuation brutale et dangereuse qui s'acheva par un poing serré autour de sa chemise. La violence de la traction lui rappela la noirceur qui viciait l'individu. Tremblements. Il opposa quelques secondes de résistance au cachet qu'on fourra entre ses lèvres, avant d'abdiquer. Les pupilles de Drake, dilatées à l'extrême, dévoraient en presque totalité le bleu azuré de ses iris. Deux puits sans fond qui ne présageaient rien de bon, encore moins quant à la nature du cachet. D'un bref mouvement de langue, le devin cala la pilule entre ses molaires et le creux de sa joue. Simula une déglutition difficile histoire de montrer patte blanche. Après une vie à consommer tout et n'importe quoi, il n'était pas dupe, le routard. Il était hors de question de le gober tout entier, sous prétexte qu'il était à deux doigts de se pisser dessus. Même après avoir foiré sa tentative de suicide par overdose de blanche.

Et encore cette injonction. Dis-moi ce que tu vois. Un sifflement au creux des oreilles, en réponse. Comme si le patron était persuadé qu'il y ait la moindre véracité à ses mensonges. Comme s'il entrevoyait la possibilité qu'il soit effectivement doté d'un don. Est-ce que c'était pour ça qu'il le voulait dans un état aussi extrême ? Pour qu'il lui raconte des salades ? Est-ce que c'était ça, sa véritable porte de sortie ? Les yeux de Tarrare s'assombrirent. Ils s'agrandirent quand l'autre lui offrit sur un beau plateau d'argent l'opportunité qu'il attendait pour reprendre la main.
Il se mordit la lèvre inférieure. Le cachet, encore solide contre sa dent, comme un compte à rebours. Un battement de coeur, une seconde qui s'écoulait.

-Faire tout ce que je veux avec qui je veux, hein ?

Noir, son regard. Noir alors qu'il disparut sous ses cils, dévia un bref instant vers la table basse. Réapparut, faussement embrumé, pour se nicher dans les puits sans fond qu'étaient devenus les yeux de son bourreau. Un sourire en coin, il ricana doucement. Le bon coin. Celui qui ne tenait pas le cachet prisonnier.

-Tu me parles de la poupée, encore la poupée, toujours la poupée. Il y a juste quelque chose que tu ne sais pas, à propos de nous. Comment ça s'est achevé. Mal.

Mal, comme une nuit aux urgences. Mal, comme des semaines de rééducation pour retrouver l'usage complet de sa mâchoire. Mal, comme la douleur fulgurante que son mépris avait imprimée à même son cœur. Bien pire que les coups. Bien pire que l'aveu qui s'était glissé entre eux. Tirant ses cheveux en arrière, le devin s'arracha un soupir. De cette vérité là découlerait un mensonge. Du premier mensonge s'enchaîneraient tous les autres. Il était temps d'improviser, son domaine, assurément.

-La méprise est facile. Mais si tu t'étais renseigné un peu mieux, tu saurais que je fréquente une jolie petite rouquine depuis des mois. Et si tu t'étais encore plus renseigné...

Le sourire s'éteignit au profit d'une bouffée d'illusions. Se ralluma sitôt le joint posé sur le cendrier, au milieu de la table basse. L'amorce du premier mouvement. Naturellement, suivant la poussée initiale, il se redressa. La tête lui tourna alors qu'il fit quelques pas hasardeux dans la direction de Drake. L'équilibre instable, ce maudit équilibre. Et, toujours, ce cachet pressé contre ses dents pour lui rappeler ce qu'il faisait. Qu'il y avait un sens à ses mouvements trop amples, trop abstraits, à ce mollet qui heurta la table basse. A sa manière qui se voulait sensuelle mais qui n'en avait que l'intention, et à son pied qui donna un coup, puis un autre, au meuble. A ses genoux qui enserrèrent le bassin de Drake, et la sensation répugnante du même bassin sous le sien. Du verre tinta, dans son dos, heurta une surface solide. Il put entendre le bruit subtil du liquide alors qu'il se répandait sur la table. Etouffa un gloussement pour mieux retenir l'impression qu'une de ses chaînes venaient de se briser maintenant que son téléphone se noyait dans la piquette. Ses doigts noueux effleurèrent la mâchoire de l'autre. Jouèrent un bref instant avec la naissance de cheveux sombres derrière son oreille, tandis qu'il plongeait un regard d'un noir d'encre dans ce qu'il restait d'azur.

-... Tu saurais que j'ai toujours préféré les hommes à poigne aux midinettes...

Un aveu murmuré souffle contre souffle. Drake exsudait ce tord-boyaux qui était en train d'achever son moyen de pression. L'odeur souleva l'estomac du devin, et l'envie de lui fourrer son propre cachet au fond du gosier d'un coup de langue lui traversa l'esprit. Mais il n'en fit rien, pour l'instant. Des boucles noires en rideau autour de leurs visages et le dégoût au creux des tripes, il s'imposa encore d'avantage dans l'espace de l'autre. Glissa sa main le long de son cou, effleura lentement la peau révélée sous l'encolure de sa chemise avant de s'attarder sur un bouton du vêtement.  

-Tu veux savoir ce que je vois ? Je vais te le dire. Mais je vais commencer par ce que je n'ai pas vu. Je n'ai pas vu d'épouse attentionnée à ton côté, de maîtresse aux regards fuyants ou d'amants à l'appétit insatisfait malgré le buffet à volonté. Ce que je vois, c'est que tu as préféré l'isolement avec un parfait inconnu à une partie de jambes en l'air sous la Lune. C'est presque flatteur.

Le dégoût noyé dans les paroles, et la répulsion dans ce son qu'il entendait parfaitement. L'écoulement de liquide, régulier, sur le sol. Il pouffa, et ça n'avait rien à voir avec ce qu'il était en train de faire. Un léger rire, une soupape pour relâcher la pression qui faisait bouillonner le sang dans ses veines. Parce que le contact avec Drake l'écoeurait. Parce que tout ça l'écoeurait, mais il avait réussi ce qu'il voulait faire. S'il n'avait aucun accès à ses contacts, Drake ne pouvait pas leur faire de mal. Ses proches étaient saufs. Quant à Barbie, c'était un problème auquel il préférait ne pas penser. De manière générale, il préférait le replier dans un recoin éloigné de sa cervelle.
Ses doigts poursuivirent leur progression. S'attardèrent le long de l'estomac du tortionnaire, lents mais sûrs d'eux, s'arrêtant presque chastement à la boucle de sa ceinture. Soulevèrent un torrent d'indignation dans son sang, accentuant les battements déjà horrifiés de son propre coeur. Ce n'était qu'un corps, le sien. Roman le repousserait, le frapperait, le baiserait, peu importait, au fond. Peu importait tant que l'amour subsistait, en sécurité, arraché aux yeux de Barbe Noire. Quant au reste, le routard était déjà mort depuis longtemps. Assassiné par Tarrare, bien des années auparavant.  

-Je vois également une présence. Il y a quelqu'un dans tes pensées qui n'en partira jamais réellement. Quelqu'un dont la seule mention t'insupporte au point qu'il te fait perdre pied.

Il. Ce regard que l'autre avait adressé au vide était suffisamment éloquent pour qui était habitué à l'observer. Des âmes en perdition, hantées par leur vieux démons, il en avait vues, Tarrare. Il les avait vues franchir le seuil de sa caravane en quête de réconfort. Hantées, toutes. La mère, souvent, qui aiguisait les passions et soulevait l'insécurité. L'ombre du père, chez les petits garçons devenus grands, qui ne cessait de leur rappeler l'insignifiance de leurs actions. Une main toujours calée sur le dossier, à côté du visage de son tortionnaire, et l'autre qui s'arracha de la boucle de sa ceinture pour attraper la sienne. S'installant plus confortablement sur son bassin, il relâcha son appui pour lisser les lignes de paume du bout de l'index. Sous ses doigts bruns, la peau du bourreau était d'une blancheur presque irréelle.

-Il te juge. Et tu ne supportes pas son regard. Mais il te jugera toute ta vie, jusqu'à ton dernier souffle, parce que c'est ce qu'il a toujours fait. Et ça, ça ne se lit pas dans les lignes de ta main.

Tue-moi, Roman Drake.
Ca t'insupporte, ce que je te dis ? Alors tue-moi.

-Il te hante, quoi que tu fasses. Où que tu ailles. Tu sens la pression de son regard, tu sens le poids de son jugement. T'auras beau lui prouver ta valeur, ça ne changera jamais rien. Jamais.

Tue-moi, Roman Drake.
Parce que si tu me tues, je gagne.
Si tu me tues, t'as plus rien contre aucun de mes proches. Ni ma famille. Ni Barbie. A quoi ça servirait que tu le touches, si je suis déjà mort ?


Ses lèvres revinrent effleurer celles de Barbe Noire. Les fuirent pour se lover contre sa tempe. Il savait qu'il bouillonnait. Ca le terrifiait autant que ça l'exultait.

-Ce que j'attends de voir, c'est si tu es un homme à poigne, ou si tu es encore ce petit garçon qui cherche à échapper à son jugement.

L'index le long de la sinuosité de la ligne de vie. Une crevasse profonde et longue, synonyme d'un calvaire sans fin pour le devin. Mais il n'avait rien à perdre, au fond. Il n'avait rien à perdre parce qu'il venait de s'en convaincre, le corps au naufrage mais l'esprit déterminé. Peu importait ce que ferait Drake, peu importait à quel point il voudrait abîmer son nouveau jouet. L'amour n'a jamais eu don de transformer les lâches en braves. Il transforme les lâches en martyres, quelle que soit la configuration.  
Ou en idiots, mais ceci est un autre débat.





L O V E
by QQ & EXORDIUM.

quand Barbie vit mal son régime:
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Tel est pris qui croyait prendre
Devlin & Roman

Et tout s'échappe en un instant, quand l'autre vous surprend d'une manière bien étonnante. La situation tend à se soustraire à son contrôle, ou n'est-ce qu'un énième faux semblant ? Le Père laisse le divinateur s'abandonner à cette scène qui n'est qu'un jeu de plus, c'est dorénavant à son tour de se fondre dans la partie et tenter de la renverser. Tenter, seulement. Roman n'esquisse pas l'ombre d'un geste, ne souffle mot pendant qu'il observe les agissements inattendus de l'arnaqueur et qu'il s'abreuve de ses paroles, seuls ses doigts s'ouvrent pour laisser chuter le cylindre éteint au sol. Corps contre corps; proximité charnelle qui s'instaure derechef mais dont il n'est pas l'auteur, pourtant... Aucune réaction. Aucune expression. Son regard le transperce, éreinté mais concentré, confus, insondable, néanmoins d'une intensité ostensible. Il se laisse chevaucher et manipuler tel un pantin désarticulé. Tend l'oreille lorsque le devin dévoile ses cartes qu'il pense redoutables, capables d'atteindre le monstre à qui il fait face avec une remarquable audace. Il me plaît. Parce qu'il en a dans le ventre quand pourtant la peur la lui tiraille. Parce qu'il ne recule pas, il fait front. Parce que vulgairement, en cet instant, il a une sacrée paires de couilles ce petit gars ! Si différent de qu'il était jusqu'alors. Un masque. Encore. Un masque qu'il devrait d'ailleurs porter plus souvent; d'avantage de témérité, de répondant, c'est croustillant ! Tout autant que... un tantinet suicidaire peut-être ? Devlin ne sait pas à qui il se confronte, s'attend certainement au pire, à tort ou à raison... Qu'il est dangereux de jouer quand on a pas encore totalement cerné l'adversaire. Ce n'est rien de plus qu'un pari, risqué, un quitte ou double. Le wendigo finit par ne laisser s'envoler qu'un très léger sourire en coin, de ce genre beaucoup trop vague qui erre entre amusement et diabolisme. Plongé tout entier dans cette scène que lui offre l'escroc qu'il juge beaucoup trop confiant dans ses réflexions, il ne prend plus conscience du reste du monde qui l'entoure. Il n'y a plus que lui, et cet homme qui s'aventure sur un chemin au hasard, sans se douter de ce que ses sinuosités lui réserveront.  

Sa main se glisse contre la nuque du vis-à-vis, se cale sans force sous cette longue chevelure qui cascade, le reste du corps toujours de marbre. Ses yeux coulent vers ces perles d’encre noir qui le dévisagent et s’y accrochent avec un voile de colère froide.

Passons donc ce discours qui s’attarde sur cette solitude désirée pointée du doigt et qui engendre l'interrogation, sur ce manque d’affection manifeste à son bras. Le voyant n’a pas à savoir que cette communauté qu’il protège et contemple de son oeil paternel ne vit pas en adéquation avec l’existence qu’il s’est choisie, déphasée. Qu’il fait partie d’un tout qui le débecte depuis son plus jeune âge mais qu’il se doit pourtant de perpétuer. Qu’il dirige une secte avec des principes et des rituels qu’il n'applique pas à lui-même, l'hypocrite. Qu’il n’est pas adepte de leur dieu le Dévoreur duquel il se sert pour préserver l’asservissement de tout un peuple. Qu'il n'est rien d'autre qu'un mensonge, qui aspire à une vie d'homme plutôt qu'à la survie du monstre à l'autarcie pesante. Que ses doigts n'ont rien de chastes, qu'ils ne s'aventurent simplement pas sur les courbes de ses enfants mais sur celles d'une humanité pour laquelle il ne ressent pourtant qu'une haine qu'il ne mesure qu'à peine - qu'il jalouse secrètement. Tout cela est bien trop personnel pour être partagé avec quiconque, plus encore avec l'étranger, et dangereux pour la prospérité de son règne. Laissons le divinateur cheminer vers la voie de sa propre interprétation, sans la démentir, ou la confirmer, et le suspens filer. Le silence pour seule réponse, l'indifférence, comme s'il n'avait rien entendu de sa curiosité titillée et de ses observations.

Passons, pour un court instant, sa vulnérabilité mise à nue et ce fantôme qui en est l'auteur. Le volcan gronde sourdement sous l'épiderme rendue fade par les substances mais qui bouillonne avec ce coeur qui palpite un peu trop rapidement sous les effets qu'elles provoquent. Roman retint son explosion pour ne pas ensevelir Devlin sous la lave qu'il effleure volontairement. Puis... Tu as tort. Il n'a jamais été question de lui prouver sa valeur à son prédécesseur, de dénicher son approbation sous les effluves de son insatisfaction quotidienne du temps de son vivant, encore moins maintenant qu'il erre dans la dimension des morts. Deux esprits opposés qui se sont toujours entrechoqués et qui rêvaient de mondes trop différents pour leurs pairs. Le fils a toujours profondément cru en l'erreur de jugement de ses aïeux, qu'il n'a jamais voulu rendre fiers. Peu lui importe que son père n'approuve pas ses choix et sa conception. Peu lui importe qu'il le haïsse des confins de l'Enfer pour la voie empruntée, parce qu'il la pense bien plus juste que cette ferme qu'il considère comme une prison de l'esprit plutôt qu'un foyer. Je me contrefous de ce qu'il pense. C'est la culpabilité de l'assassinat qui tente de l'assaillir, le poids du patricide qui pèse sur ses épaules. Du secret de cet acte condamnable chèrement gardé jusqu'alors, qui propulserait sûrement son ascension au trône sur la pente de la déchéance et provoquerait l'implosion de son clan. Une divergence, puis une fracture. Impensable. Une telle finalité n'est pas permise, elle signifierait qu'il aurait sacrifié son géniteur en vain, pour rien. La première existence qu'il a achevée n'aurait plus le moindre sens et deviendrait injustifiable, le prétexte du bien commun volerait en éclats et il n'y aurait plus qu'une culpabilité sans la moindre compensation. Balayé le "oui mais" qui le réconforte. Fracassée l'excuse d'une vie meilleure pour tous leurs semblables. N'en resterait qu'un meurtrier aux moeurs méprisables qui ne chercherait qu'à corrompre un peuple orthodoxe. Sacrilège. C'est ce qu'il représente, dans l'ombre. Et pour l'heure il craint la lumière, son peuple n'est pas prêt à y faire face. Pas encore. Peut-être même qu'il ne le serait jamais...

La paume qui épouse la nuque se déplace avec langueur sur le cou de l'invité et se faufile telle une caresse sous sa mâchoire, là les doigts se referment légèrement. Pression pour le moment inoffensive qui se fige dans l'attente d'un procès. Les pupilles dilatées se posent sur le visage qui leur font face et leur expression est insaisissable. Ce sont les mots qui tranchent, engourdis mais réfléchis. « Tu paries sur celui qui te paies et le reste ne regarde pas, tu aurais dû t'en tenir à ça ». Ses lèvres frôlent à son tour celles du devin; elles les capturent un bref instant, accompagnées d’une douceur insoupçonnée, au point que leur porteur ne puisse pas saisir la présence du cachet dissimulé. Ce n’est qu’un jeu dont les barrières s’effondrent sous les poings des drogues et de l’alcool. Rien de plus qu'une énième carte à jouer. « Le goût du risque » lui assure t-il en faisant mine de s’en délecter, le bout de la langue qui effleure ses lippes. Mais le couperet ne s’abat pas encore.

Le crochet qui enlace la gorge demeure immobile, néanmoins la distance entre les faciès est de nouveau de mise. Tout autour le décor est instable, les détails sont incertains, mais le monstre refuse de lâcher prise. La partie est loin d'être achevée et la tendance qui promettait d'être renversée doit reprendre pieds. Tarrare a t-il cru qu'il pourrait s'en sortir si facilement, quand malgré les excès l'ôte reste suffisamment malin pour ne pas se laisser berner par les apparences que l'arnaqueur simulent soudain. « Je sens le goût du mensonge aussi » s'empresse t-il d'ajouter en balayant une longue mèche de jais qui raye son oeil droit pour la placer sereinement derrière son oreille, avec toute l'indolence d'un corps et d'un esprit défoncés. « Tu me prends pour un abruti, ô grand escroc de l'âme qui tente de me servir un leurre sur un plateau d'argent pour me détourner d'une cible de premier choix ? ». Le timbre est glaçant, tout autant que son oeillade qui transperce le voyant. L'étau se fait sentir autour de son cou, sans exagération, juste ce qu'il faut pour rappeler sa présence menaçante à sa victime potentielle. « Ta petite rouquine dis-tu, que tu ne préserverais pas du danger qu'on représente en l'évoquant ouvertement ? ». Cette rousse n'existe pas, de ça Roman en est convaincu. Elle n'est qu'un mensonge sans subtilité qui a pour objectif de détourner l'attention du fauve sur une autre proie, pour qu'il cesse de traquer la première. Ou bien, elle n'est pas suffisamment importante aux yeux de son amant pour qu'il lui réserve la sécurité en omettant, en toute logique, de l'évoquer. D'ailleurs, en parlant de logique, le wendigo se hâte de lui faire remarquer l'incohérence de ses feintes; ces dernières ne s'emboîtent pas. « Un roux aurait été plus crédible non ? Quand tu m'avoues ta préférence pour les hommes. Dommage. ». Ca aurait pu atteindre le premier degré de crédibilité.

De sa main qui fait pression sur la pomme d'Adam, à défaut de ressources suffisantes pour se redresser en toute fiabilité, Drake contraint Devlin à se pencher plus encore, jusqu'à ce que sa langue puisse claquer au creux de son oreille qu'il espère à l'affût. « Je vais t'avouer quelque chose, je ne savais rien. Tu viens de me confirmer deux informations qui n'étaient jusque là que des spéculations. Ton attirance pour les mâles qui me laissait croire d'avantage à un lien volage avec Barbie et que vous étiez comme je le soupçonnais un joli petit couple pas du assorti. La poupée t'a révélé son vrai visage j'imagine ». Un ricanement fuse pendant qu'il lui rend un peu de liberté et se concentre sur l'expression provoquée dans le regard du malheureux. La poupée aussi porte un masque, et ce qu'il y a en dessous n'est pas beau à voir pour quiconque est un minimum sain d'esprit. C'est une part appréciée pour ses affaires, certainement moins agréable pour celui qui se laisse aller dans ses bras et n'est pas de taille à l'affronter. Ah, un sacré petit spécimen ce De Ruiz.

Lui se différencie largement de cet énergumène qui préfère ses poings au supplice de l'esprit. Le wendigo connaît la torture des chairs, mais sa cruauté se révèle au moyen d'une nature plus subtile quand Barbie se laisser aller à la pure violence physique. Cette dissemblance va encore frapper. Parce que le divinateur a tenté de poignarder là où les cicatrices demeurent ouvertes et de retourner la lame dans la plaie, il est déterminé à lui rendre la pareille. Un juste rendu pour celui qui s'avise de jaser sur son paternel et songe au fondement de leur relation père fils, en concluant son appréciation par un affront, une insulte qui ne se digère pas. Cette fois, ses doigts se font pressants contre la gorge de l'effronté, jusqu'à l'empêcher de respirer; d'un geste impétueux qu'il aurait pensé, dans son état, laborieux, le Père le plaque contre le divan en changeant de position farouchement. Presque avachi sur l'autre, il laisse passer l'air jusqu'à ses poumons mais n'écartent pas ses doigts du gosier pour autant. Le visage à quelques centimètres de celui de Devlin qu'il fusille de ses yeux les plus toxiques, le souffle chaud et enivré cajolant sa peau, il crache son venin. « C'est ça que tu aimes, Tarrare le chien battu qui j'en suis sûr revient chaque fois vers celui qui le bat ? C'est le syndrome des faibles. C'est ça que tu veux ? Que je te roue de coups jusqu'à entendre tes os se briser sous mon coup de folie ? ». Les paroles de l'invité sont retournées contre lui. L'amour des hommes à poigne a t-il dit. Il ne faut pas longtemps pour que ce qu'il pense être la suite logique de leur histoire de coeur mal achevée s'impose à ses pensées. Une chance sur deux de le tourmenter à son tour, tout comme le malmené plus tôt quand il s'est servi de son ancêtre pour l'ébranler. « Tu veux que je me comporte comme ta poupée qui j'imagine t'a fait danser sous ses poings pour bien moins que ça ? ». Du bout des doigts, il explore la joue de l'escroc, s'attarde sur sa mâchoire sans savoir que son amant la lui a détruite dans un déferlement bestial et dément. « L'amour est si proche de la haine » murmure t-il en se souvenant de cette véhémence adoptée à l'évocation de Barbie le premier soir, puis de cette tentative de détournement la seconde. Finalement, la première réaction n'attendait qu'un but semblable à la deuxième, l'empêcher de rôder autour du petit homme. Convaincu qu'il tenait là un bon moyen de pression, et ce depuis le début, le prédateur n'en démordrait pas. « C'est ce que tu cherches à provoquer en t'aventurant sur un terrain aussi dangereux ? Ma colère ? Tu veux que je me déchaîne, Devlin ? Que je te fasse à nouveau ressentir cette danse, à défaut de pouvoir le faire avec celui que tu aimes et qui pourtant te détruit ? L'amour fait mal paraît-il, il est insensé, au point que tu serais prêt à tout pour une dernière nuit dans ses bras ». Lui aussi sait s'approprier le rôle du psychanalyste, qu'il vise juste ou non d'ailleurs. Alors le devin, la créature a t-elle bien deviné ? Sait-elle éveiller la tempête dans le coeur des hommes ? Comment se porte le tien en cet instant ? Des lambeaux, il l'espère. En attendant, ses doigts se contractent, encore, plus vivaces. L'image de son père qu'il a laissé suffoquer sous l'oreille se matérialise et la contraction se fait plus excessive. « Cette poigne là te satisfait ? C'est assez pour toi ou veux-tu que je laisse mon visage le plus fou te montrer de quoi il est capable ? ». Le courroux se dévoile sous les nuages sombres de ses yeux vitreux. Il tremble, non pas de rage mais d'overdose. « Ne tente pas le Diable, je ne suis pas Barbie, tu pourrais ne pas t'en sortir cette fois-ci ».

La terre tourne à l'envers, ou est-ce sa tête qui ne tourne plus à l'endroit ? Peu importe, cet inconfort est trop intense pour qu'il adopte cette position plus longtemps. Il soustrait enfin le divinateur à sa poigne, manque de s'affaler complètement sur son corps qui reprend son souffle. Se rattrapant lourdement avec la force amoindrie de ses bras sur le simili cuir, il envoie valser la cible à terre puis se vautre à sa place sur le coussin. L'univers parfois se dédouble, se fige puis s'écoule beaucoup trop vite. Le palpitant résonne dans sa poitrine, effréné, puis s'apaise. Les mouvements sont léthargiques, néanmoins il parvient à se rasseoir, s'adosse mollement contre le dossier, patiente jusqu'à retrouver un semblant de contenance. Le wendigo lutte encore, alors que le devin semble bien moins atteint. Anormal. Pourquoi ? Peu importe. L'arrière du crâne se pose contre le mobilier. La tempête passe à peine, mais le peu d'accalmie lui suffit. Ses lippes forment des mots nouveaux, le temps entre chacun d'eux est plus long; ce n'est qu'un détail qu'il juge insignifiant. « Qu'est-ce que tu cherches Devlin ? ». Il n'y a plus une once d'animosité dans sa voix. Plus le moindre éclair dans son regard de glace tantôt orageux. Ce n'est pas seulement question de mixtures, mais aussi de caractère. Roman n'est pas de ceux qui se déchaînent physiquement sur autrui, à moins d'y être forcé. Il n'est pas non plus ce petit garçon dont parle Tarrare, simplement pour titiller ses nerfs qu'il ne le laissera guère mettre à vif de cette manière. Même écorché, le monstre se contient. Même drogué et alcoolisé, il se maîtrise. « Si tu veux te faire défigurer, va donc retrouver ta poupée, je ne lèverai pas la main sur toi, pas même le petit doigt. En tout cas pas ce soir ». Provisoirement du moins, le divinateur est sauf, parce que le trafiquant ne lui accordera pas le plaisir de cette raclée qu'il semble désirer. Parce qu'il n'en est pas l'instigateur. Parce que le voyant s'est fourvoyé et n'a pas réussi à percer le mystère qui concerne la vision de son défunt père, bien qu'il s'en soit dangereusement rapproché. Si près.
« Cela dit ne pense pas t'en sortir pour autant, parce que je te retourne ton analyse. Tout comme cette soit disant présence qui me suit partout où je vais, qui ne me quittera jamais vraiment, je serai toujours dans ton ombre, jusqu'à t'en faire perdre pieds si tu décidais de nous causer du tort. Ne me provoque plus, fais attention à ta langue trop pendue et tout le monde sortira de cette collaboration sans une seule égratignure ». C'est pourtant pas compliqué, si ? Pourquoi s'adonner à ce genre de mascarade quand il suffit d'être docile ? Pourquoi se donner tant de peine, compliquer à ce point une situation déjà complexe qu'ils pourraient simplifier ? Allez Devlin, sois sage, tout ira bien. Puis, dans le fond, tu n'es pas si détestable pour un humain, ce serait dommage de devoir se passer de toi...

L'engourdissement pèse, les gestes s'alourdissent, la vision se brouille. Le bras se dépose sur ce regard oppressé qui se ferme sous le tissu de sa chemise, juste quelques secondes. Résiste bordel. Que l'autre tombe avant lui, pour ne pas avoir à s'en soucier. Bouger. Il faut s'activer pour faire passer l'effet, ne pas rester vautré. Se redresser, très lentement, se pencher vers le paquet de cigarettes, sans plus de vivacité. En sortir une avec difficulté, la laisser tomber puis s'affairer à un deuxième essai. La mettre en bouche avec un poignet frissonnant et trimer pour l'allumer. La troisième fois est la bonne, mais le briquet lui glisse des mains et claque dans la flaque d'eau de vie. Par chance, ce n'est pas une allumette ! L'inspiration est saccadée mais les poumons s'emplissent de nicotine. Le corps s'avachit à nouveau, nullement persuadé par cette idée. La cendre s'accumule au bout du tube, le tabac se consume seul. La notion du temps s'est perdue. S'exprimer devient acrobatique. « Je vais me répéter... mais ne me pousse à faire... ce que je n'ai pas envie de faire ». Comme te morceler. « Je te laisse le lit finalement ». C'est mieux, il ne l'atteindra pas. Et c'est un honneur non ?

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Devlin Tarrare
- madame irma vibes -
Devlin Tarrare
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damné(e) le : o28/10/2019
hurlements : o4492
pronom(s) : oshe / her
cartes : oava fürelise la perfection // sign exordium // montage par jiji la plus jolie // moodboard par le plus parfait des maris
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A tâtonner comme il le faisait, il ne prit pas ombrage de cette main qui se posa sur sa nuque. Une main insidieuse, cajoleuse. Insupportable, tant elle faisait se soulever les cheveux sous le contact. Le cachet toujours lové confortablement contre sa molaire et le regard rivé sur son hôte. Débitant des conneries comme si toute sa vie en dépendait, et c’était plus ou moins le cas, il fallait bien que Devlin le reconnaisse. Indolent jusqu’à présent, Barbe-Noire avait tiqué à la mention du fantôme. Un tâtonnement, un autre, de la part du devin. Touché mais pas coulé. Parce que s’il avait bien vu ses rétines s’agrandir subrepticement, emplissant déjà presque totalement l’azur de ses iris, il n’avait pas visé entièrement juste. Bon juge de caractère, quand il était en état. Mais, alors que le cachet se dissolvait lentement sous sa salive et répandait son poison dans son système, il ne pouvait pas faire mieux.
A étudier. A conserver. A ressortir, une autre fois, assurément. Si Drake restait indolent, assommé par la dope et son insupportable besoin de contrôle, il n’en avait pas moins réagi. De quelle manière, Devlin n’aurait pas su l’interpréter. Mais il avait réagi et, en l’état, c’était encore tout ce qui importait.

La main cajoleuse se fit pernicieuse. Glissant de sa nuque à son cou, ravivant des souvenirs qui n’avaient pas leur place dans ce salon. Celle de Barbie, comprimée autour de sa glotte, l’empêchant de respirer. La sensation de sentir l’air se rareifier, et son monde foutre complètement le camp. Avalant une goulée d’oxygène par réflexe, écarquillant les yeux sous le toucher. Une nausée au creux du ventre alors que ces lèvres qu’il s’était échiné à effleurer, malgré tout le dégoût qu’elles invoquaient, venaient cueillir les siennes. Renfiler aussitôt son masque. Retrouver aussitôt cette personnalité qui n’avait jamais été la sienne, et prolonger ce baiser étonnamment doux, étonnamment agréable. Agréable, si ça n’avait été pour ce rejet qu’opposait son système tout entier à cette intrusion. La langue de Drake comme un corps étranger, contre la sienne. Le cachet qui voyagea d’une bouche à l’autre, l’ouverture étant trop belle pour ne pas en profiter. Glisser une main le long de la peau, prétendre se liquéfier sous l’étreinte, et laisser la magie opérer. Le coeur tambourinant contre sa poitrine, les yeux embrumés alors qu’il recouvrait son souffle, le devin n’en revint pas lui-même. Barbe-Noire avait gobé son arme d’infortune.
Maintenant, il fallait gagner du temps. Et ce, malgré l’indolence provoquée par tout ce qu’il avait consommé.

Comme il s’y attendait, les cajoleries ne durèrent pas longtemps. Comme il s’y attendait, maintenant qu’il avait compris les humeurs changeantes de son hôte, les iris céruléens se firent de glace alors qu’il crachait son mépris. Le vent tournait, dans ce salon, et Devlin retint son souffle. Bien sûr qu’il comprendrait que l’autre se foutait ouvertement de lui, qu’il tâtonnait dans le brouillard pour chercher à l’atteindre. Le divinateur n’avait été ni subtil, ni précogue. Son plan ne comportait qu’une étape, la première, et le reste devait suivre. Froid polaire dans ses membres qui se tendirent. Retenant son souffle, il attendit la sentence qui allait inexorablement tomber, maintenant que Drake s’était lassé. Gagner du temps. La pression sur son cou qui s’intensifiait, et la panique qui revenait de plus belle. La même qu’en Mai. Celle qui n’aurait jamais dû exister.

La petite rouquine existait. Elle s’appelait Loreleï, elle était herboriste quelque part à Exeter, et il lui rendait régulièrement visite pour refaire la décoration de sa caravane. Loreleï, avec ses grands yeux verts et sa crinière de feu, dont il connaissait le corps par coeur même si les occasions étaient devenues plus rares, dernièrement. Soutenant le regard polaire avec insolence, il serra les mâchoires. Laissa fiel et menaces couler le long de sa peau, tendu, mais certain de ce qu’il disait. Drake ne le connaissait pas, il tâtonnait, lui aussi. La langue du menteur claqua en réponse, d’une vérité empreinte de vitriol :

-Qui te dit que je ne suis attiré que par les hommes ? On est en 2019, fais un effort.

Sûr de lui, en crachant son fiel. Sûr de lui alors que ses membres ne cessaient de se tendre, perdant toute leur élasticité à chaque nouveau tâtonnement verbal de son tortionnaire. Il ne connaissait pas Devlin, pour la simple raison que personne ne connaissait vraiment l’homme qui se cachait sous Tarrare. Les versions étaient floues, toutes tendaient à prouver le contraire de la précédente. Et s’il avait vu juste en abordant l’hypothèse Barbie, il ne savait pas à qui il s’adressait. Le devin ne le savait pas plus, en l’état. Ce visage qu’il arborait ce soir était tout nouveau, lézardé de semi-vérités et de mensonges terrifiés.
Jusqu’à la nouvelle mention à son ancien amant. Jusqu’à ce que les paroles claquent contre ses oreilles, conférant une intensité supplémentaire à ces doigts contre sa gorge. Un hoquet alors que l’air commençait à manquer. Un hoquet de frayeur, étranglé, alors que son esprit embrumé tentait de canaliser tout ce qu’il était en train de communiquer. Drake ne pouvait pas le deviner comme ça, rien qu’à partir de ce que Devlin avait concédé, que Barbie était dangereux. Ça ne se voyait pas. Ça ne se savait pas. La violence tapie sous la douceur apparente des traits d’enfant, et ces coups de poings qui hachaient le silence, la brutalité de cette ambivalence, on ne pouvait pas la deviner. Alors comment ? Comment avait-il eu cette information ? Comment connaissait-il le vrai visage du chérubin ? Il devait forcément avoir ses sources. La pire des possibilités glaça le sang du devin. S’il savait, c’était qu’il l’avait vu faire.

Il n’eut pas le temps de peser toutes les options de cette sordide hypothèse. D’une impulsion sèche, Drake lui fit perdre l’équilibre. Le dos enfoncé dans le simili-cuir, et l’autre entre ses cuisses. Son poids tout entier sur son estomac, et le cœur qui s’emballait. Ambivalence du corps, de ces réflexes primaires partagés entre terreur et capitulation. Attisés par la drogue, les sens exacerbés, bien plus conscients de cette poigne qui se refermait sur sa gorge. Ses doigts se resserrèrent autour du bras de Drake, les muscles engourdis par la drogue dévalant dans ses veines. Il avait aussi chaud qu’il était glacé, et, s’il n’était pas aussi nécessaire de gagner du temps, il aurait probablement déjà concédé l’inconcevable.
Ce fut l’indignation qui lui servit de phare. Une lumière vivace dans le brouillard de ses pensées, dans le ressac du sang qui battait contre ses tempes. Elle le guida à travers les sensations, à travers ces attaques incessantes que Drake opérait contre ses barrières. Des paroles d’une justesse infinie, si ce n’était pour l’ensemble. Parce que si tout était vrai, rien n’était certain. Si tout était vrai, il n’avait aucun moyen de le prouver tant que Devlin ne lui en offrait pas l’opportunité. C’était son trop plein de réaction qui lui avait permis de conclure sur ce qu’il était. S’il voulait préserver Barbie, et tout ce qu’il représentait, il devait se soumettre au contraire. Prêcher le faux pour défendre le vrai, et mentir à pleines dents, à plein corps, malgré le manque d’air. Malgré cette terreur insidieuse qui, épineuse, déchiraient la chaleur artificielle de son organisme.

-Tu... ne sais pas... de quoi tu parles...

Sûr de lui, alors qu’il suffoquait. Sûr de lui, alors que le manque d’air déclenchait déjà le bourdonnement de l’inconscience contre ses tympans. Des filaments dorés cascadant déjà autour de sa vision périphérique, les jambes battant le simili-cuir, engourdies par la drogue, et les mains devinrent plus lasses autour du bras de Drake. Un flash de lumière, ses iris qui s’enfuirent sous ses paupières.

Des arbres... Un souffle, rauque... Inspiration douloureuse. L’expiration l’est tout autant...
Des bruits de course... A la faveur de la lune, tous les arbres de cette forêt sont les mêmes.

Il se serait laissé partir, si on ne l’avait pas relâché. Si l’air n’était pas revenu s’engouffrer brutalement dans ses poumons. Une inspiration profonde, désespérée, douloureuse. La sensation du poids de Drake, encore plus présente, sur ses reins. Barbe-Noire chancelant dans le brouillard, dans ce tunnel de noirceur qu’était devenue sa vision périphérique. Le corps encore gourd, il n’opposa aucune résistance à l’impulsion. Se laissa rouler au sol, laissa les pieds solides de la table basse mettre un terme à sa course. Rassembler ses esprits, alors que son cerveau paniqué captait le plus d’oxygène que possible. Sous ses cils noirs, il vit la silhouette sombre de son bourreau s’alourdir. Fondre dans le canapé.
Par réflexe, Devlin ramassa ses membres au pied de la table basse. Massant sa gorge endolorie, il scruta les moindres gestes de Barbe-Noire. Par dessus les battements erratiques de son palpitant, il perçut la chute du briquet sur le sol. Sous la confusion de la terreur et des psychotropes, il remarqua les mouvements hasardeux de l’homme. Sa voix s’étirait à mesure de secondes, chacune des syllabes plus longue que la précédente. Pâteux, le bourreau. Pâteux, et à deux doigts de lâcher prise.

Ce ne fut que quand il s’effondra définitivement dans le canapé que Devlin eut l’impression d’être à nouveau capable de respirer. Une saillie de tremblements étreignit aussitôt ses membres. Le monstre venait d’être vaincu. Le cauchemar arrivait à son terme. Une vague de soulagement déferla dans son organisme, s’échappa à gros bouillons de ses yeux. Il était sauf. Il avait vaincu la bête. Il avait gagné suffisamment de temps.

Mais il ne devait pas se reposer, il n’en avait pas encore le loisir. Les jambes cotonneuses, il se redressa difficilement. Ses mâchoires claquaient toutes seules, des pensées toutes plus noires sous ses boucles de jais. Il devait en faire quelque chose, de ce temps qu’il avait acquis. De précieuses minutes avant que l’un des sbires de Barbe Noire n’approche du salon et le découvre avachi dans sa propre fange. Ses mains frottant vigoureusement ses bras pour raviver la chaleur dans son corps glacé, il étudia rapidement les lieux. Le souvenir confus de la visite de la Ferme, avec Machin, lui revint en mémoire. La pièce était en rez-de-chaussée. Les fenêtres donnaient sur une grande cour, jalonnée de bâtiments accolés à celui où il se trouvait. Les tambours à l’extérieur ne résonnaient plus depuis longtemps, l’assemblée avait dû partir se coucher. S’il était suffisamment rapide, il pourrait rejoindre les confins de la Ferme en quelques minutes. Suffisamment pour n’alerter aucune sentinelle hypothétique.
Il devait se mettre en marche. La démarche hasardeuse, il ouvrit une fenêtre avec le plus de précaution que possible. La morsure glaciale de la bise hivernale lui fouetta visage et mèches noires. Un coup de fouet nécessaire et vivifiant. Sans prêter le moindre regard en arrière, il s’infiltra aussitôt par l’ouverture et se laissa tomber dans l’herbe. Amortit difficilement la chute. Quelques lumières filtraient encore à travers les ouvertures, dans le bâtiment latéral. Une inspiration. Il ne lui semblait pas avoir repéré de chiens, lors de la visite de courtoisie. Et il espéra qu’aucun des joyeux membres de cette joyeuse secte ne serait armé, si jamais ils le voyaient prendre la clé des champs.

Tenter le tout pour le tout. Même si cela impliquait de courir à découvert. La lune baignait la cour de ses rayons blafards, éclairant l’espace découvert comme un néon. Une inspiration. Et une course effrénée, à fond de train, à travers l’immensité dégagée pour rejoindre les confins de la propriété. Malgré ses membres déconnectés, et la sensation de peser quinze tonnes, le devin rejoint la barrière. Se servit de l’impulsion de la course pour commencer à l’escalader. Du bruit, derrière lui. Ses ongles qui ripaient contre le bois, s’y arrachèrent alors qu’il atteignit le sommet. A califourchon sur le panneau, il remarqua bien qu’on s’activait, dans les Gorges de l’Enfer. De l’autre côté, la forêt était à deux pas. Poussée d’adrénaline. Il se laissa tomber du côté de la liberté, et reprit sa course effrénée jusqu’aux arbres.

Combien de temps courut-il ? Impossible à déterminer. A travers les branches, la Lune n’en cessait pas d’éclairer sa route. Etirait l’ombre des feuillus devant ses pas, agitant des spectres diffus tout autour de son esprit affolé. L’humidité de l’air lui brûlait les poumons. Ronces et fougères lacéraient ses jambes. Le sang battait contre ses tempes, la course soulevait son estomac. Mais il courut, courut à en perdre haleine. S’enfonça toujours plus dans les entrailles de la forêt.
Sa tête tournait beaucoup trop. Son corps s’alourdissait beaucoup trop. A chaque inspiration, il lui sembla que les filaments dorés dans sa vision périphérique s’intensifiaient. S’il fermait les yeux, son cœur erratique se déplaçait de sa poitrine à sa tempe. Battait sourdement par dessus l’assourdissement symptomatique du corps qui commence à lâcher. Un flash blanc se mêla aux rayons immaculés de la Lune. Il se sentit basculer en avant.

...Un talus. Derrière un tronc, un grand tronc de chêne rongé par les bêtes. L’arbre est mort depuis des années, recouvert de mousse.
Ses énormes racines ont creusé un talus dans la terre meuble. Cette dernière lui glisse dans le cou...

Il tomba lourdement à genoux. S’écorcha paumes et rotules dans les racines. Ce fut le signal que son corps tout entier attendait pour se rebeller. Au terme d’un spasme particulièrement, un flot de lave embrasa tout son oesophage. C’était sa peur, que le devin vomissait entre les fougères. Ce fut la terreur, la drogue et le dégoût, que tout son organisme purgeait enfin violemment. Sonné, épuisé et confus, le devin cracha salive et amertume dans la mousse. Rassembla ses dernières forces pour se lever, tremblant, la vision trouble et le corps bien trop vide. Chancela d’arbre en arbre avant de tomber à nouveau, une dizaine de mètres plus loin.

Ce fut en se relevant qu’il le vit, le chêne du flash lumineux. A bout de forces, il se hissa jusqu’à ses racines. Se glissa dans les profondeurs de la cachette protectrice qu’elle lui offrait, et s’enfonça dans la terre meuble autant que possible. Peut-être que ça suffirait, le temps que passe la nuit. Peut-être que ça suffirait à le sauver.
Il fallait que ça suffise. Il n’avait, de toutes façons, plus assez de forces pour continuer.







L O V E
by QQ & EXORDIUM.

quand Barbie vit mal son régime:
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Tel est pris qui croyait prendre
Devlin & Roman

Cinq heures trente sept, c’est l’heure qui s’affiche sur l’écran de son téléphone qu’il sort du fond de sa poche à la seconde où son regard s’ouvre sur le monde qui l’entoure. Un monde silencieux, solitaire, dont le froid ambiant le fait frissonner. Une fenêtre est ouverte et la brise matinale s’y engouffre. Une ouverture qu’il n’a pas entendue grincer quand pourtant le système est loin de sa première jeunesse, par laquelle le devin s’est faufilé pour fuir la tanière de la bête sans que cette dernière n’ait pu saisir la scène. Il n’a pas su écouter ces pas porter le fugueur hors d’atteinte puis, plus tard, hors d’haleine. Le dernier souvenir remonte à cette cigarette qu’il a tentée de consumer, à priori sans y parvenir. S’ensuit le trou noir, durant quelques heures, le temps que l’alcool, plus long à être éliminé de son organisme que toutes ses substances illicites, laisse place à cet effet qui vous réveille sans prévenir et vous empêche ensuite de retourner près de Morphée. Ce contrecoup qui vous fait tourner, virer, chavirer, parfois malgré la migraine qui rend d’autant plus irritable et frustré et contraint le dormeur à sortir de sa transe avec trop de violence. Il ne faut que quelques secondes à son esprit pour se mettre à fonctionner à plein régime et le pousser à poser pieds au sol. Dans la précipitation il se lève, se cogne brutalement le tibia dans cette fichue table en chantier puis chemine avec un juron jusqu’à la chambre, d’avance persuadé qu’il n’y trouvera rien d’autre que le néant. Envolé l’oiseau captif, alors même que la liberté lui était promise dans les heures à venir. Echappé durant le sommeil du drogué, par cette satanée fenêtre qui le fait rapidement enfiler sa veste de cuir pour ne plus en subir la brise qui s’infiltre. Un nouveau juron fuse, contre lui-même plutôt que contre le mobilier cette fois-ci. Un bleu. Imbécile ! Deux imbéciles finalement. Le regard maintenant porté au dehors, rivé sur la forêt alentour que le soleil qui se lève éclaire à peine, il clenche la vitre dans un soupir. « La palme d'or de l'idiotie... ». Stupide Tarrare qui ne retrouverait jamais son chemin à travers les bois qu’il n’a traversés que de nuit, un peu dans les vapes, à l’arrière d’un taxi. Alors il en est ainsi ? Toute cette mascarade et ces faits accomplis avec plus ou moins de minutie pour le voir s’évaporer de la sorte ? Perdu, partout et nulle part à la fois, au sein des branchages, à la merci du froid, d’un territoire bien vaste et de n’importe quel wendigo sauvage, sans moyen de prévenir de potentiels secours ? Les massacres qui s’enchaînent depuis quelques temps lui viennent en mémoire, il les a lus tous ces journaux qui évoquent une boucherie et la recherche du barbare qu’ils qualifient de véritable serial killer; il ne s’agit d’aucune créature de sa communauté. C’est d’ailleurs un problème qu’il cherche à résoudre, pour que les yeux trop curieux et déjà soupçonneux des habitants d’Exeter ne se tournent pas d’avantage vers leur Foyer si mystérieux.

Roman a fait le tour des maisonnées, tapant aux portes des plus utiles pour réunir les meilleurs traqueurs. Une petite poignée de chasseurs chevronnés rapidement parés pour s’affairer à la recherche du stupide fuyard. Réunis de très bonne heure dans la cour de poussière devant leurs pavillons, les directives sont données. Elles sont simples, traquer la piste de l'invité qui s'est fait la malle, une tâche qui s'avère pour ces hommes d'expérience des plus aisées. Néanmoins le timing est serré, plus il s'écoule, plus les plausibles kilomètres parcourus par leur proie s'allongent et le Père abhorre perdre inutilement les minutes, précieuses, qui ne filent à son goût que trop vite. De mauvaise humeur, il grogne ses ordres plus qu'il ne les dicte, s'impatiente et piétine. De surcroît, le café n'a pas pu être avalé et le temps est plutôt frisquet, tout semble s'accoupler pour porter son irritation à son paroxysme. Un sale contre temps dont il se serait assurément passé, alors qu'un programme différent s'était déjà imposé, doit donc être fâcheusement décalé. Tout pour l'exaspérer. Tout hors de contrôle, quand il ne supporte guère de ne plus rien maîtriser. Un vilain défaut qui lui gonfle les nerfs, les écorche sous la pression; le grain de voix est énergique et autoritaire, à la limite de la méprise quand il se fait d'ordinaire si doux et courtois avec les membres de sa joyeuse bande de parias. Il faut que ça aille vite, dans l'instant, que ce soit du travail rapidement bouclé. Les choses étant dites et le ton donné, avec ses pairs sélectionnés, ils se mettent en marche, cavalent d'abord jusqu'à la fenêtre - point de départ du fugitif -, atteignent rapidement l'orée du bois et les premiers signes du passage de Tarrare qui sous l'effet de ses abus s'est révélé maladroit. La nature est labourée, craquelée, les traces de ses chaussures encore visibles pour les novices - à cette époque le sol est humide et capture avec aisance les empreintes de n'importe quelle créature - et le chemin emprunté au gré du hasard par l'animal apeuré est facilement traçable. En silence, les chasseurs foulent la terre à sa suite, sans le moindre mal, à vive allure, avec une assurance depuis longtemps acquise. Roman les précède, les pupilles à l'affût et les sens aiguisés, de plus en plus serein à chaque enjambée. A chaque distance parcourue qui le rapproche de son but. Objectif qu'ils accostent plus tôt que Drake ne l'aurait cru, il a sans doute surestimé le déserteur, qui s'est moins éloigné de la ferme que prévu - moins qu'il ne l'aurait sûrement espéré d'ailleurs. Le wendigo remercie donc ses enfants d'un geste de la main après les avoir gratifié d'un regard soulagé, fier de leur accomplissement, ravi de leur talent. Le trio disparaît sans bruit, s'en retournant vers son domaine, laissant à son leader la gérance de la découverte.

La silhouette recherchée se camoufle dans les racines d'un grand chêne, a tenté de se fondre dans ce que la nature avait à lui offrir pour se croire suffisamment hors d'atteinte. Hors de danger. Du danger... Mais quel danger, quand Roman n'avait jamais représenté le moindre péril pour son intégrité, pas encore, pas plus qu'en l'instant ? Peut-être y était-il allé un peu fort quand la fragilité de son divinateur ne lui permet pas de supporter un tel degré de menace. Trop sensible. Tel un enfant. Un chiot. Un lâche. Imbécile. En ces lieux, la plus grande insécurité découle de cette forêt où des prédateurs qu'il n'a pas encore soumis à son autorité rôdent et déchiquettent les chairs sous le joug de leur faim insatiable, ou pire par plaisir quand ils sont pourtant rassasiés, parce qu'ils en ont simplement le pouvoir. Sans parler des aléas du temps changeant et des températures en chute, quand le corps est déjà usé par toute une multitude de poisons volontairement consommés et les sens trop dépouillés pour raisonner avec l'instinct de survie. Imbécile. En ces lieux où personne n'est plus à l'abri, le devin n'a pu saisir ce fait si simplissime : Roman représente l'aile protectrice pour ceux qu'il a décidé de couver - par bienveillance ou intérêt peu importe-, pas le rapace prêt à fondre sur lui pour l'éviscérer. Puis, bien d'autres interrogations demeurent en suspens, qu'il compte bien élucider.

Installé au sol, les jambes repliées et les avant-bras posés nonchalamment sur les genoux, une cigarette en bouche dont il se délecte avec langueur, il s'est montré patient jusqu'au réveil de l'autre. A attendu qu'il sorte de sa cachette de fortune, dans un état plutôt vilain, pour lui annoncer la bonne surprise de sa présence indésirée. Un sourire en coin, toujours mi figue mi raisin, il accueille l'évadé sans daigner se lever. « La nuit a été bonne ? ». Le regard narquois le dévisage puis un ricanement s'échappe pendant que le tabac presque entièrement consumé est écrasé contre la boue. « Plutôt froide et salissante, sûrement stressante. Voilà ce qui arrive quand un lapin domestique pense être capable d'égaler un lièvre sauvage ». Devlin n'est pas beau à voir, égratigné, pâle, les vêtements déchirés par endroits et l'épiderme crasseuse. Il ferait presque peine à voir, s'il n'avait pas mérité son sort. Cette situation aurait pu être évitée s'il avait fait preuve d'un peu de bon sens; le portrait peint sous ses yeux, il l'avait réalisé lui-même cet hébété.

L'apaisement s'évapore en l'espace de quelques secondes, pour laisser surgir l'effervescence. Le monstre se relève avec hâte, accroche en un éclair la chemise trouée du voyant qu'il adosse avec rudesse contre l'écorce, le fusille de ses iris azurées furibondes. Les paroles sont crachées avec cette même agressivité. « Imbécile ! ». La véracité de ses pensées, plusieurs fois répétées, se manifeste maintenant bruyamment, puis se tranquillise. Les répliques s'évadent avec noirceur de ses lippes, avec une inquiétante sérénité. « Qu'est-ce qui t'as pris ? Je te pensais plus malin que ça ». Quoique... « Quelques heures... ». La prise se fait plus vive, toutefois sans qu'il ne bouscule la victime; la poigne est ferme et impérieuse. « Plus que quelques heures avant que je ne te ramène à ta misérable petite existence, c'était le deal. Alors pourquoi fuir de la sorte, au risque ne jamais sortir vivant de cette forêt ? ». Tel un père qui fait la moral à ses chérubins pris en flagrant délit d'une grosse bêtise les mettant en péril, voilà comment on pourrait qualifier l'attitude adoptée par l'homme en cuir. Un sermon. Une soufflante. « Tu ne sais rien de ce qui se cache dans ces bois Devlin ». Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n'y est pas, si le loup y était il nous mangerait, mais comme il n'y est pas, il nous mangera pas. Sauf que le devin n'a pas conscience que Roman n'est pas le seul carnassier présent alentour, la nature regorge de carnivores hors de contrôle, qu'ils traquent et mettent à mort au fur et à mesure, cependant certains leur échappent parfois. D'autres n'ont simplement jamais fait partie de la meute et restent pour l'heure sans visage, si ce ne sont ceux de leurs suppliciés en lambeaux. Il ne peut guère lui expliquer tout cela, seulement qu'il faut parfois savoir faire confiance à son bourreau. Quelle ironie. « Ici, d'autant plus à la nuit tombée, je suis ton seul cran de sûreté. As-tu à ce point peur de moi ? Je ne comptais ni te tuer, ni te torturer, sinon je l'aurais déjà fait. Stupide devin qui ne devine rien, qui n'a pas le moindre brin de jugeote et qui se retrouve maintenant dans un état plus que pitoyable. Pourquoi t'infliger ça, plutôt que de m'étouffer dans mon sommeil et fuir aux aurores quand tout le monde récupère de sa longue nuit et que la lumière puisse guider tes pas ? A ta place, c'est ce que j'aurais fait, achever définitivement mon calvaire ». La prise se relâche, un bras retombe le long du corps et l'autre dépose sa paume contre l'écorce, à quelques centimètres du visage du fuyard. Son faciès se rapproche du sien, son regard sombre s'impose à son oeillade de vagabond éreinté et les lèvres de la créature murmurent. « Imbécile. Pourquoi suis-je encore en vie ? ». Après tout, Roman s'était mis en danger cette nuit là, à se laisser happer par le néant du camé. Plus aucune défense. Le voyant avait tout le loisir de mettre un terme définitif à son existence de maître chanteur, par ce fait de préserver ceux qu'il aime en plus de sa propre vie et liberté. « Quelques heures » répète t-il blasé en s'éloignant, sans cesser de lui faire face. « Quelques heures et je t'aurais raccompagné, sans une seule égratignure ». C'est quand même fou d'être aussi sot non ? Il n'a jamais été question de le séquestrer, une promesse avait été faite et il compte, d'ailleurs, toujours l'honorer. Alors pourquoi se donner tant de mal, pour un résultat si misérable, qui aurait pu être bien pire ? Pourquoi prendre le risque de provoquer le courroux du wendigo, comme s'il n'allait jamais retrouver sa proie ? Il n'y a rien de plus à ajouter, son attitude totalement lassée exprime silencieusement ses pensées.

La colère gronde, demeure pourtant sourde. Pour l'anesthésier le Père allume une nouvelle cigarette, le regard toujours rivé sur l'humain lamentable, moins ténébreux mais pas encore assez décrispé. Il s'interroge, sincèrement, sur les raisons qui ont poussé le pétochard à ne pas tenter le tout pour le tout, plutôt que d'opter pour une fuite improvisée, dans état bien trop éloigné de la sobriété, au beau milieu de la nuit, surtout au beau milieu de nulle part sans un téléphone fonctionnel en poche. Le summum du crétinisme. « A l'avenir, épargne moi ce genre de stupidités et imprègne qu'aucun mal ne sera fait à qui que ce soit tant que tu sauras te montrer utile, et docile. Ca nous épargnera, à toi comme à moi, d'autres fichus désagréments et des pertes de temps inutiles ». Il a envie de libérer le courroux, de laisser libre cours à la rage provoquée par cet humain pathétique qui abuse dangereusement de sa patience, mais il s'abstient. Il ne peut pas se le permettre. Ne le doit pas. Une marche à suivre différente s'esquisse dans son esprit de marionnettiste. Il se contente de tirer des lattes de nicotine, puis de rebrousser chemin jusqu'au Foyer. « Suis-moi, j'ai une promesse à tenir ». D'abord jusqu'à la ferme pour grimper à bord de sa jeep, puis où le divinateur le décidera par la suite. Tu es libre, ou presque. La fête est finie.

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Devlin Tarrare
- madame irma vibes -
Devlin Tarrare
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Du mouvement, tout autour de lui. Des bruissements dans les feuilles mortes, l'écho lointain de voix. Une dissonance dans tout le foisonnement de vie qu'il avait perçu dans un semi-sommeil, quelques instants plus tôt. Aux pépiements d'oiseaux s'ajoutaient à présent les voix d'hommes, peut-être deux ou trois. Ce qui sembla plus que surprenant au devin, même du fond de son rêve. Les cerfs n'avaient pas une voix humaine, normalement. Pas plus que des sabots qui faisaient le même bruit que celui du craquement du cuir neuf. Dans un marmonnement, il se retourna dans son sommeil. Etreignit d'avantage la terre humide, fraîche mais protectrice, sentit une racine s'enfoncer dans son flanc. S'endormir avait été si délicat, avec la fraîcheur de la nuit. Même pour lui qui était acclimaté aux rudes chutes de température de son Canada natal. Ce ne fut qu'une fois définitivement mis à l'abri que Devlin avait fini par s'effondrer. Les événements récents, la panique et la course effrénée au beau milieu de la nuit, avaient fini par avoir raison de ses dernières forces. Ramassé sur lui-même, en boule dans la terre meuble, il n'y avait qu'ici qu'il se sentait vraiment en sécurité. Il n'y avait qu'ici qu'il avait fini par s'assoupir, ou plutôt s'évanouir, une dernière fois, avant les premières lueurs de l'aube.

Ce fut le froissement de feuilles mortes qui le poussa à ouvrir un oeil paresseux. La sensation qu'une bête plus grosse que nature et d'origine inconnu le fixait. Son instinct qui s'était aussitôt mis en alerte. S'il s'agissait d'un ours, ou d'un sanglier, il était dans la merde. Battements accentués du coeur, dans sa poitrine douloureuse de courbatures. Une paupière de plomb se souleva enfin sur une masse sombre d'abord informe. Puis sa jumelle suivit le mouvement alors que les grands yeux noirs s'écarquillèrent brutalement. Une paire d'iris azurés, abhorrés, le fixait intensément.
Un hurlement s'échappa de sa gorge alors que son corps tout entier se mit en mouvement. La panique accentua aussi sec la douleur des courbatures de Devlin, ajoutant à l'ankylose du froid. Un corps de bois, et une terreur bien trop réelle, bien trop brûlante, qui dévalait dans ses veines. Et Roman Drake, sagement accroupi devant lui, qui lui barrait tout accès au reste de la forêt. Prisonnier de son écrin protecteur. Un rictus en coin de lèvres, il écrasa une cigarette dont la fumée chatouilla les naseaux du Canadien, ses sens bien trop alertes sur le coup. Marmonna des bassesses que l'autre n'entendit qu'à peine, bien trop préoccupé par sa propre survie. Il était seul en tête à tête avec son bourreau, sans moyens de défense, dans un bois dont il ignorait tout. Ses membres étaient encore trop faibles pour riposter, encore engourdis par la brièveté de la nuit. Si l'autre souhaitait lui régler son compte, il ne ferait pas long feu. Le palpitant en alerte, il suivit Roman du regard alors qu'il se redressait. Marmonna un "mais ça s'arrête jamais..." qu'il espéra suffisamment bas pour ne pas être entendu. Evalua ses chances de survie s'il détalait à nouveau maintenant que l'autre s'était redressé.
Et comprit qu'il n'avait aucune idée de si Drake était venu seul ou accompagné.

Une seconde de réflexion en trop, une seconde perdue qui aurait pu lui être salutaire. Une serre empoigna la boutonnière de sa chemise et le tira hors de sa cachette, la violence du mouvement lui coupant le souffle sur l'instant. Œil de biche contre regard d'épervier. Des postillons plein le visage alors que l'autre se mettait à le sermonner, et ce nœud qui tordit les entrailles du devin. Devlin baissa aussitôt les yeux vers ses genoux écorchés. Si l'autre ne le tenait pas suffisamment pour le soulever au-dessus du sol, sa poigne était assez solide pour qu'il ne puisse pas lutter contre ses invectives. Des attaques ciblées, d'une froideur aussi glaciale que la bise matinale. Le patriarche qui beuglait sur son rejeton, l'alpha qui cherchait à se faire respecter d'un oméga lambda. Mais il ne faisait qu'aboyer, Roman Drake. Il montrait les crocs, il aboyait, et c'était suffisant pour que le divinateur sans talent finisse par abdiquer. Il courba l'échine. C'était la seule solution pour survivre, en l'état.

Quand l'autre le relâcha, Devlin prit conscience de la faiblesse de ses propres membres. Les jambes refusant de coopérer, il glissa le long du tronc d'arbre où l'autre l'avait poussé, tomba à genoux dans la terre humide, peinant à se rattraper de ses paumes écorchées. L'extrémité de ses doigts, couverte de terre et de sang séchés, lui faisait un mal de chien. Il hoqueta quelques instants, avala de grandes goulées d'air humide qui lui donnèrent l'envie soit de rendre, soit de tousser. Un mélange des deux, un argument supplémentaire pour rester au sol le temps que l'autre reprenne ses grands exposés sur la vie sauvage locale. De grands dangers hein ? Si ses poumons n'étaient pas en feu, peut-être le devin se serait-il hasardé à une question d'enfant teigneux. A part des ours et ta sale gueule, je ne risquais absolument rien. Une remarque qui se cala dans un coin de son esprit, sous ses mèches sales, alors qu'il cracha une nouvelle fois ses poumons.

Pourquoi ne pas l'avoir tué ? La réponse était évidente, même pour un esprit drogué. Seul élément inconnu dans une assemblée se comptant par dizaines, s'il avait décidé de mettre un point final à la vie de Drake, il ne serait jamais ressorti vivant de cette maudite ferme. S'il avait touché le moindre cheveu de ce foutu corbeau, en tant que rare représentant de la race humaine à avoir la peau mate dans la petite ville d'Exeter, il n'aurait pas été difficile à retrouver. Il n'avait pas anticipé la facilité avec laquelle l'autre le retrouverait. Mais il était plus que logique que les autres puissent en faire autant que lui. Le tuer était signer son arrêt de mort.
Et ce n'était pourtant pas l'envie qui lui en manquait, au pacifiste. Malgré son éducation. Malgré la morale judéo-chrétienne de son père, malgré les croyances sikhes dans lesquelles avait baigné sa mère. Tous deux agnostiques et Devlin le produit de tous ces mélanges à une seule finalité : toute vie, même la pire, se doit d'être préservée. Ce n'était pas qu'une question pratique, qu'une question de survie. C'était aussi une question morale qui, s'il n'était pas lui-même aussi hypocrite, régissait sa vie.
Peut-être qu'il était trop con, comme le lui suggérait Drake, le dépit plein la gorge. Peut-être qu'il était trop con, comme le lui avait fait comprendre Barbie quand il l'avait envoyé aux urgences. Peut-être était-il trop tendre, Devlin, que toutes les belles croyances dont il était issu avaient rendu son cuir trop souple. Ou peut-être qu'il était tout simplement trop lâche pour prendre une vie de lui-même.

Parce qu'il avait du sang sur les mains, maintenant. Les visages bien vivants de Jamie, de Carrie, peut-être d'autres dont il ignorait encore l'assassinat, s'imposa au tapis de feuilles mortes autour de ses mains. Un contrat qu'il avait signé sans en lire les annotations en bas de page, les yeux fermés, l'éthique bien derrière lui. Dont il réalisait à présent toute l'implication alors qu'il fixait les croûtes sur sa peau brune. Ecoutait d'une oreille distraite la nouvelle leçon de morale qu'apposait Drake à ses tourments. Des insultes, encore. L'indignation qui grimpait, encore. Bouillonnante dans ses veines, embrumant ses yeux noirs. Tranchant avec le froid glacial que la peur imprimait dans ses membres.
Un imbécile. Un con. Un idiot. Un lâche. L'extrémité de ses doigts effleura quelque chose de dur, recouvert d'une mousse poisseuse. Des nervures, assouplies par l'humidité matinale.

Froissement de feuilles, devant lui.
Drake qui s'éloignait, le sommant d'obéir à un énième caprice.
Y avait-il vraiment une voiture qui l'attendrait, ou était-il condamné à une vie de séquestration dans cette Ferme, parmi des fous qui vénéraient une connerie de Dieu Païen à la con ?
Il en avait vus, des tarés.
Il en avait connus, des connards comme Drake, dans ses vies passées.
Mais tout aussi impérieux qu'il ait été, l'enfoiré en cuir noir, il ne l'avait jamais blessé.
Il ne l'avait jamais blessé.
Mais Jamie, Carrie, eux, étaient résolument morts.
Tu as déjà du sang sur les mains, Tarrare.


Ses doigts s'enroulèrent autour de l'objet nervuré. D'un geste brutal, le Canadien tira une branche épaisse de sous le tapis de feuilles. Serra plus fort, fort à s'en péter les phalanges, fort à s'en briser l'âme. Et se précipita à la suite de Drake. Un hurlement du fond des tripes au coeur de la forêt. Il profita de l'élan pour lui asséner le coup le plus violent que possible sur le haut du crâne. La branche gémit sous la brutalité. Ne craqua pas.
Devlin non plus, ne craqua pas. Profitant que la silhouette sombre soit déstabilisée, il frappa.
Encore.
Et encore.
Et encore.
Le bois qui gémissait, et son sang qui pulsait contre sa tempe.
Ses hurlements qui se mêlèrent au bruit sourd, presque mat, de la branche humide contre le crâne de l'autre.
Gerbes de sang sur les feuilles mortes. Autant de gouttelettes éparses se mêlant à la rosée.
Et les coups qui devenaient automatiques, s'enchaînant encore et encore.
Jusqu'à ce que le bois craque.
Jusqu'à ce que la forêt et le devin arrêtent de retenir leur souffle.

J'en ai tué pour moins que ça, mon chéri.
La voix de Barbie en écho aux battements frénétiques de son coeur, de son sang, contre sa tempe. Un murmure acide qui lui coula le long des membres comme une traînée de frayeur. Debout derrière la silhouette de Drake qui s'éloignait à grands pas, et le poids du bâton tangible au bout de son bras. La nuque de l'autre, si claire, si bien dégagée, qu'il serait incroyablement facile de défoncer avec brutalité. Un rêve qu'il ne serait pas difficile de concrétiser, celui-là. Il suffirait de laisser la noirceur l'envahir. De se laisser happer par la violence, comme il l'avait vu faire, comme il l'avait subi. Porter par la douce mélodie du crâne qui cède sous le ballant du bâton, automatique, régulière.
Et pourtant, le bâton lui glissa de la main. S'effondra dans un bruit sourd à ses pieds, dans les feuilles. Parce qu'il n'était pas courageux, le lâche. Parce qu'il n'était pas violent, le pacifiste. Parce qu'il n'était pas malin, le con.

Il n'était rien de tout ça. Il n'était rien, tout court.

Les mâchoires claquantes, il finit par baisser la tête, l'humiliation lui rongeant les entrailles. Claudiqua à pas brefs derrière la silhouette massive de son tortionnaire, transi de honte. Le regard noir fixant en biais ce dos, alors qu'une pensée insidieuse s'imposait à présent dans son système.

Drake lui avait laissé la vie sauve.
Il avait besoin qu'il soit vivant.
Elle serait là, sa porte de sortie.

Elle viendrait plus tard, à terme de patience et de persévérance. Parce que si la violence n'était pas son maître-mot, la rancune, elle, était un tout aussi bon moteur pour Tarrare. Si ses mains étaient déjà sales, il achèverait de les noircir, d'ici à trouver la faille dans tout le système bien huilé de Roman Drake. Ce petit point de rupture qu'il allait devoir travailler au corps pour le rendre gouffre, et s'y tapir jusqu'à ce que vienne l'opportunité de frapper. Si la seule condition de sa survie était là, dans sa docilité, il serait le chien le plus docile du monde.
Jusqu'à ce qu'arrive le moment de mordre la main à celui qui le nourrissait.
Jusqu'à ce qu'arrive le moment de lui bouffer le visage et les entrailles.
Parce qu'il viendrait, ce moment. Il en trouverait un autre, de bâton, pour commettre l'irréparable.
Pour commettre le premier et le dernier homicide de toutes ses vies cumulées.






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