situation 7 ▬ i've got no strings

Falling down From high hopes to the ground, There's no way out. ☾☾☾ La respiration se coupe. Les poumons s’enflamment. A le cœur qui dégringole, Grace, se demande si elle n’aurait pas mieux fait de rester chez elle, plutôt que de s’essayer à cette pièce de théâtre. Alarmée, ses doigts agrippent le programme qu’elle feuillette, à la recherche d’une mention de pendaison. Peu probable, elle ne peut décemment pas y croire – aurait presque entendu les vertèbres de la masse sombre craquer, sous l’impulsion de la corde tendue. Rationnelle jusqu’au bout des ongles, pour ainsi dire, Rivers se démène avec ce qu’elle a vu, de ce qui se passerait probablement si quelqu’un venait à se suicider sur scène. Et personne ne hurle, personne ne semble être à l’agonie. La lumière envahit la salle dans l’instant, et plusieurs spectateurs autour d’elle se lèvent, les rafraîchissements en tête. Grace bat frénétiquement des paupières en relevant le nez du programme, les phalanges tremblantes – et elle-même, frémissante d’indignation.

Elle se lève, le strapontin rouge se redresse, bloqué contre l’arrière de ses cuisses, et laisse passer quelques personnes. Lorsque Grace se rassied, elle se décide enfin à ouvrir la bouche. Prie le monde, prie Dieu, d’être prise au sérieux. La psychologue se racle la gorge, et apostrophe le jeune homme, à sa droite, de sa voix la plus grave. Ne voudrait pas qu’il l’imagine incisive – ou complètement tarée. Peut-être qu’il n’aurait pas tort, dans l’fond, le silence derrière le rideau lui prouvant qu’il ne s’agissait peut-être que d’un jeu de scène hors-du-commun. « Est-ce que vous avez vu ça ? » Elle tente, après un court moment d’hésitation, où les mots semblaient la perdre en chemin. Prudence pour seul étendard, Grace se tourne légèrement vers l’homme, et le toise de ses yeux clairs – impérieux, presque, mais irrévocablement inquiets. Ne saurait dire pour quelle raison les poils sont dressés le long de ses avant-bras, ou pourquoi respirer lui semble être un travail si laborieux, elle qui, d'ordinaire, n'y accorde pas deux pensées. « On devrait peut-être aller voir dans les coulisses, si.. » Elle s’humecte les lèvres, et reprend, le ton s’affaissant, comme si elle lui susurrait un secret. « s’ils ont besoin d’aide. » Grace n’est pas médecin. En désespoir de cause qu’elle se baisse en avant, afin d’extirper son téléphone de son sac-à-main noir, prête à appeler une ambulance si ce qu’ils repèrent ne les rassure guère.

Parce qu’ainsi est la manière dont Grace souhaite appréhender les choses. Vérifier si ce n’était qu’un jeu, et se rassurer comme elle le peut. Forcer, peut-être, son cadet à l’accompagner, alors qu’il n’a rien demandé. Mais le cœur est ébranlé, et la cage thoracique est mise à mal. N’a pas le temps de réfléchir, Grace, pas le temps d’aligner la logique dans tout ce beau bordel – au contraire, elle se fait pressante. « Qu’est-ce que vous en dites ? Il faut y aller maintenant. » La cadence de sa verve s’accélère, presque à s’étrangler sous le souffle qu’elle ne parvient pas à maîtriser. Et, comme possédée, Grace se relève, téléphone à la main, prunelles bleutées irradiant la silhouette de l’homme qu’elle domine maintenant de toute sa taille. Son minois ne se froisse pas, garde l’aspect impeccable d’une hauteur constante. Port altier qu’elle se donne, devrait peut-être se manier l’cul à la réflexion. What do you say, cowboy ?

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Il se réveille de ce mauvais sommeil, confus, à fleur de conscience et où l'environnement sonore bien réel se confond mollement avec le songe, le fantasme, l'anxiété. Bo a senti la semonce quelques secondes avant l'entracte, dans l'agitation typique des spectateurs qui le sentent arriver et plus encore dans celle de sa sœur, assise juste à côté de lui. Le silence ne s'était pas encore fait, la silhouette n'était pas encore tombée dans le vide, l'esprit des spectateurs se cantonnait à un brouhaha de pensées convergentes. Alors, d’abord, Bo ne comprend pas. Il ne comprend ni tout à fait ce qu’il regarde ni tout à fait ce qu’il se passe. Puis il réalise qu'il se passe quelque chose. Pas besoin de pénétrer les crânes pour flairer la perplexité teintée de stupéfaction et une tension dramatique très à-propos. Ça chuinte, ça chuchote, ça se regarde de gauche et de droite et Bo sent la main de sa sœur sur son avant-bras. Pour l'y trainer sous le moindre prétexte, Juno connait beaucoup mieux le théâtre que lui et elle ne paraît pas apprécier l'incongruité de la performance. Bo tend spontanément son esprit, presque par réflexe de survie, mais se ravise aussitôt. Il y a tellement de monde, tellement de pensées et à trop d’endroits. Son autre voisine – une parfaite inconnue que Juno a malgré tout tenu à qualifier de jolie alors qu’ils s’installaient dans la lumière – s’est levée. Comme d’un adolescent rétif, ça le fait se redresser dans son siège. Il a vu, bien sûr qu’il a vu… mais, dans sa tête, ça fait encore partie de ces envolées bizarres et plutôt perturbantes propres au théâtre. Alors il ne répond pas tout de suite. « …aller voir dans les coulisses, continue l’inconnue d’un ton fiévreux qui le met mal à l’aise, si.. s’ils ont besoin d’aide. » « Vous croyez ? demande Juno avec une conviction tangible par-delà son frère. » « Arrête un peu, intervient-il à son tour, aussi condescendant qu’il est possible. » Sans pouvoir mettre aucun argument en renfort, Bo a la pesante impression que tout le monde surréagit autour de lui. Ce n’est pas vraiment – et même pas du tout – dans la nature de Juno et, malgré tout, elle semble répondre de toute son intuition à l’alarme de cette femme qu’ils ne connaissent même pas. Ailleurs, plusieurs culs se sont arrachés à leur siège. Peut-être que leurs propriétaires songent à quitter la salle, soufflés par le spectacle, plus ou moins dérangés, plus ou moins outrés au point de vouloir manquer le prochain acte. Quelques pognes vont néanmoins à la poche et au téléphone qui s’y trouve. Et pour appeler qui, se demande-t-il, la putain de police du bon goût en matière d’art du spectacle ? « Qu’est-ce que vous en dites ? » Il n’a pas le temps de réfléchir ; il déteste ça. « Il faut y aller maintenant. » « Il faut y aller, confirme Juno. » Bo est pris de court, et les pensées de sa sœur lui pressent le crâne, lui pèsent une tonne : « D’accord, d’accord, répond-il très vite en se levant. Toi, reste ici, il ajoute à l’adresse de Juno. » Quand ils auront l’air con avec leur allure de se prendre pour le SWAT et de vouloir sauver le monde, il n’y aura aucun besoin d’être trois. À moins que ce soit un autre genre d’intuition. « Vous êtes médecin ? Un truc du genre ? demande-t-il à la femme qu’il se met à suivre. » Parce qu’il ne voit pas bien ce qu’ils pourront faire. En ce qui le concerne, Bo est un peu plus susceptible de savoir nouer une corde que de réanimer quelqu'un.

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