Les derniers mois avaient été difficiles pour Susan. Elle aurait pu étendre la remarque à des années, les nerfs toujours à vif depuis l'accident de Marlon qui avait failli coûter la vie à la personne qui comptait le plus à ses yeux. Les pensées malvenues s'étaient bousculées depuis, des plans sans victoire aux rencontres qu'elle avait déjà oubliées. Et parmi ce brouhaha d'informations entre son bureau au tribunal et ses conflits avec les magistrats, il subsistait une instance invariable ; sa famille. Le foyer n'avait pas changé, lui, à l'exception de visages nouveaux et des aménagements ordonnés par Darius pour des raisons que lui seul avait besoin de connaître. L'aspect constant de la ferme avait quelque chose de réconfortant pour Susan, et elle se sentait bien lorsqu'elle y revenait après une mission, une journée de travail, ou des nuits passées avec son mari pour semer le trouble dans son naturel sceptique. Même après toutes ces années, elle n'avait pas abandonné ses habitudes citadines, marchait toujours avec ses talons hauts entre les sentiers rocheux, accordait une démarche chaloupait parmi les lopins de boue, et ne troquait son allure contre quelque chose de plus décontracté qu'une fois arrivée, et ses obligations derrière elle. Elle avait prévenu Vinnie de son retour le soir venu, sachant qu'elle avait passé assez de temps en ville pour que son mari ne pense pas qu'elle avait une double vie avec amant et enfant dans un quartier reculé. Elle pouvait rentrer dans son véritable habitat, et se mêler aux siens pour leur raconter sa semaine. L'air fatigué, la mine basse d'avoir tant d'heures de sommeil à rattraper dans les pattes entre son travail, sa mission et ses visites plus fréquentes à Marlon, elle s'était mise en route vers sa maison, ravie de pouvoir se reposer un peu avant de partir faire le tour des habitations pour converser avec ses frères et sœurs.
Lorsqu'elle arriva chez elle, qu'elle poussa la porte pour mettre une première majuscule à ce paragraphe qui s'écrirait de lui-même, les gestes las et l'intention de se dégourdir les muscles sous la douche, elle entendit un bip significatif émaner de son sac. La porte se refermant derrière elle, elle posa ses affaires sur la table, et s'installa sur une petite chaise à côté en retirant les quelques barettes qui retenaient fermement ses cheveux. Elle coinca ensuite deux doigts dans l'élatique noir et tira dessus pour défaire entièrement le chignon qui avait tiré son crâne toute la journée. Une main sur son cuir chevelu pour en masser la peau dans une grimace, elle plongea son autre main dans le fond de son sac pour en attraper son téléphone portable. Elle déposa ses accessoires de coiffure sur la table en bois, et soupira en lisant le message qu'elle venait de recevoir, les lèvres pincées en découvrant qu'il venait de Darius.
Il voulait la voir.
Les coudes posés sur le mobilier, elle plongea un instant son visage entre ses mains pour en libérer la fatigue, et partit vers la cuisine pour se servir un grand verre d'eau qui servirait à son teint. Elle le but d'une longue gorgée et ferma les yeux en essayant de réveiller son organisme. Elle reposa le verre et reprit la route de l'entrée, attrapant un outil de maquillage de la poche interne de son sac à main. Le visage devant le miroir du vestibule, elle remit du rouge sur ses lèvres, un ton assez doux, et étudia son reflet avant d'abandonner ses affaires, laissant tomber le bâton coloré dans le fond de son sac. Elle tenait toujours à avoir la plus belle mine possible lorsqu'elle partait retrouver son chef ; il ne méritait que le meilleur d'elle-même, et elle mettait tout en œuvre pour le rendre le plus fier possible. Elle se pinça légèrement les joues pour raviver le rose de ses joues, et quitta sa maison en étant sûre de ne pas avoir le même aspect cadavérique qu'à son arrivée chez elle.
Elle n'avait pas besoin de remettre son manteau, le froid de l'extérieur ne l'atteignant guère. Elle n'avait que de maigres pas à faire avant d'arriver chez le big boss, et elle n'avait pas besoin de se couvrir plus que de raison. Elle se dirigea vers le domicile qu'elle connaissait si bien pour y avoir fait tant de voyages, et s'arrêta devant la porte d'entrée pour y donner quelques coups vigoureux, annonçant ainsi sa présence. Elle tendit l'oreille et ouvrit la porte en entendant la voix de son chef lui demander d'entrer. Elle s'engouffra dans la maison, et referma derrière elle avant de faire quelques pas à l'intérieur, cherchant Darius du regard. Elle arqua un sourcil en le voyant ailleurs que dans son lit, et plissa les lèvres avant de demander : « — Oh, you're up? I thought you were supposed to rest. » Elle fit quelques pas dans sa direction et déposa un baiser sur sa joue, l'une de ses nombreuses manières de le saluer ; manières qui changeaient au gré de ses humeurs. « — I suppose you're fine then, which is excellent to see. » Elle fit semblant de s'en réjouir seulement maintenant, comme si elle n'avait pas déjà envoyé tant de messages à Vinnie ces derniers jours pour prendre des nouvelles. Elle s'était tant inquiétée pour lui après l'attaque, qu'elle avait l'impression de devoir le voir au lit encore des années avant d'avoir le droit de se lever. Elle savait pourtant que Darius était un battant, fait de fer, et qu'il se remettrait bien vite.
Elle fit un pas en arrière pour lui laisser son espace personnel, sachant que Darius entrerait de lui-même dans le sien s'il avait besoin d'approcher. Mais elle ne voulait pas l'étouffer d'elle-même, prenait grand soin de ses manières lorsqu'elle venait le visiter. L'atmosphère ne changeait qu'ensuite, selon l'humeur de Darius, selon ses envies, selon ses paroles, selon ce qu'il attendait d'elle. Elle croisa ses mains devant elle, et attendit sagement qu'il lui fasse part de la raison de sa présence ici. « — You desired to see me? » Elle réfléchit au pourquoi de sa venue, et essaya de ne pas s'arrêter sur une idée en particulier. Elle pouvait se tromper, elle avait tant de rôle à la ferme, il ne voulait peut-être pas lui parler spéficifiquement de cette mission-là. Elle reprit alors la parole pour évoquer ce qu'elle avait organisé pour les enfants le lendemain, se disant qu'il en avait forcément entendu parler. « — Don't worry about tomorrow; I'll handle everything. The activity has already been planned, and the children's equipment arrived the day before yesterday. » Elle était d'ailleurs assez fière de ce qu'ils entreprendraient le lendemain, ils avaient organisé à plusieurs mains et était toujours ravie de se montrer maître de ce genre d'activité avec les poussins. Elle attendit une réponse de la part de Darius, le regardant droit dans les yeux en essayant de comprendre ce qui pouvait bien lui traverser l'esprit, et à quelle sauce elle était sur le point d'être dévorée.
BABY YOU'RE MY FLAME
never know how much i love you. never know how much i care. when you put your arms around me, i get a fever that's so hard to bear.
S'il y avait une chose que Darius n'aimait pas, c'était d'être contraint. A l'immobilité, le temps de se remettre des blessures occasionnées par l'assaut, quelques temps plus tôt. A l'oisiveté, léchant ses blessures dans sa tanière comme l'animal blessé qu'il était. A la patience, la course aux informations étant devenue cruciale maintenant qu'il y avait un nom à écrire sur sa hit list. Mais si toutes ces étapes étaient cruciales, si l'homme était capable de comprendre à quel point elles devaient toutes s'aligner parfaitement comme les pièces d'un puzzle, il n'aimait pas cela. La contrainte. N'en parlait pas, n'en avait pas besoin. Des haussements de sourcils circonspects de James aux sourires en coin de Vinnie, chaque fois que le Père recommençait à faire les cent pas. Des longues diatribes aux faux-airs de monologue restaient nichées au creux de sa gorge, le Wendigo ne sachant que trop bien à quel point les mots ne suffiraient jamais à exprimer toute la frustration qui s'accumulait dans son système. N'en rien dire à personne, et tout le monde qui le ressentait parfaitement. Les petits manèges de Darius étaient de notoriété commune, avant l'accident. Commençaient à être redoutés, maintenant que la convalescence touchait vraiment à sa fin. D'aucuns savaient tout ce qu'il retenait. Tout ce qui menaçait d'exploser. Petites mains de l'ombre, à agir sur ses commandements. A préparer chacune des étapes de son retour, parce que c'était là l'unique point culminant qui pouvait naître de toute cette frustration. Oh, le Père Rouge allait revenir sur Exeter. Et quand il le ferait, ce serait avec la vengeance aux tripes et le goût du sang d'autrui sur les lèvres.
Il ne lui manquait qu'un seul nom. Celui de l'homme qui l'avait mis dans cet état. Aucun moyen de l'identifier dans la ruelle, et le lâche s'était enfui avant d'avoir pu finir le boulot. Mais Darius avait l'esprit prédateur. Il aimait la chasse pour tout ce qu'elle était, des préparatifs à l'action. Savait que l'heure de son agresseur viendrait, et qu'importait que ce soit plus tard que tôt. Il y avait tant d'autres pions à avancer, tant d'autres terrains à conquérir. Les Cyclops avaient profité du silence du Foyer pour reprendre du poil de la bête ; leurs rangs étaient plus fournis que jamais. Il n'avait eu aucune nouvelle d'Irish mais supposait que couper sa tête ne suffirait pas à calmer l'Hydre au crâne borgne. L'attaque devait être simultanée, s'il voulait éviter que du cou repoussent d'autres têtes. Et s'il avait aussi un oeil sur les actions de la Garde de l'Aurore, plus véhémente que d'ordinaire, il ne devait pas se concentrer que sur un seul groupuscule. C'était le fond de commerce du Foyer Rouge qui pâtissait de l'orgueil des Cyclops. C'étaient leurs dealeurs qui prenaient assaut sur assaut, c'était leurs chaînes de distribution qui étaient coupées. L'idée de semer quelques pions dans leurs rangs était venue d'une conversation lancée autour du banquet. D'une réflexion toute simple, une question d'une nouvelle recrue. Et si on les infiltrait ? Accueillie par un pouffement général, jusqu'à ce que le Père reprenne la parole, coupant net celle de tous les autres. Et pourquoi pas ? Présomptueux, de croire que l'ennemi ne saurait pas remarquer des Wendigo dans leurs rangs. Entraîné qu'il était, le crâne borgne, à haïr tout ce qu'il appelait des blood curses. Mais pas infaisable. En avaient témoigné certains de ses ouailles en proposant de s'y faire les dents. Les dernières nouvelles étaient douces, aux oreilles du chef. L'un des Cyclops, fraîchement débarqué de Boston, avait été mordu. Une excellente nouvelle, qui pouvait se transformer soit en prospect potentiel pour le Foyer soit... en une excellente diversion. Aucun scrupule à laisser la Faim du Dévoreur le rendre fou, celui-là. Il était déjà vicié dès le départ.
Et il y avait aussi la proposition que Susan lui avait faite, quelques temps auparavant. Un travail d'approche sur lequel elle s'était portée volontaire elle-même, prétextant la présence d'un Cyclops potentiel dans son entourage direct. Elle n'était pas entrée dans les détails, elle n'en avait pas eu besoin. Même sans sa proposition, la confiance de Darius lui était toute accordée. L'une des meilleures partisanes du Dévoreur, et elle continuait de le prouver, d'année en année. Une tête parfaitement vissée sur ses épaules, une intelligence rare sur laquelle il pouvait se reposer. Susan était capable, elle était digne, et elle était entièrement dévouée à la cause des Wendigo depuis qu'il l'avait transformée. Et si Darius lui avait plus d'une fois montré sa satisfaction, autant pour ses actes que pour sa personne, il savait qu'elle ne faillirait pas. C'était précisément pour cela que son silence l'étonnait, au Père. Tous les Enfants pouvaient lui parler, mais peu pouvaient le faire comme le faisait Susan Love. Elle qui d'ordinaire était si capable d'exprimer son ressenti autant que ses accomplissements n'avait rien dit de son avancée sur la mission qu'elle s'était attribuée. Un silence aussi surprenant qu'inquiétant, aux yeux du Père. Il aurait pu demander des nouvelles à Vinnie, mais respectait encore trop sa pupille pour lui faire cet affront. C'était tout du moins la position qu'il avait adoptée, les premiers temps. Puis les temps, justement, s'étaient métamorphosés. Progressivement, à coups de silence et de diversions. Des questions posées en l'air n'obtinrent que des banalités, des tentatives de l'aider s'achevèrent sur des refus. Un comportement auquel Susan ne l'avait jamais habitué, et cette distance qu'il avait respectée au nom de la compétence de Susan de se métamorphoser elle aussi. Parce que s'il y avait bien une chose que Darius n'aimait pas, c'était d'être contraint.
xx:xx - good evening, Susan xx:xx - I would greatly appreciate having a word with you, whenever you mean to come home xx:xx - my warmest regards to both you and your husband
Il ne lui laissait plus le choix. Ni de la fuite, ni de la diversion. Savait parfaitement où elle était et ce qu'elle faisait. Ce pourquoi elle le faisait. Assoupir la méfiance de Morgan était un élément essentiel afin de garantir sa couverture d'épouse digne et respectable. Il avait toujours fait attention de ne pas s'imposer dans cet espace déjà étroit dans laquelle évoluait la belle, quand elle était hors des murs de la Ferme. De ne le faire que quand les circonstances l'exigeaient. Hors c'était de ses exigeances à lui que découlaient les circonstances. Susan était assez fine pour le comprendre, le Père en était certain. Avait laissé le message en suspens, ne se préoccupant que peu qu'elle y réponde ou non. Elle savait ce qu'il signifiait vraiment.
*****
Courbé au-dessus de son bureau, un plan d'Exeter étalé devant ses yeux. Maintenant qu'il avait délimité tous les espaces conquis par les Cyclops, il voyait vraiment l'étendue des dégâts. N'avait pas mis longtemps avant de deviser son plan de reconquête, et tous ses pions commençaient à s'avancer doucement. Un travail de tous, Fils et Filles briefés sur ce qu'ils avaient tous à faire. James qui revenait régulièrement entre ses bras, soufflant parfois tant Darius y passait du temps. Quand la porte de ses quartiers s'ouvrit, il savait déjà que ce n'était pas sur son amant. Ne leva pas les yeux de son plan de conquête, sachant que James ne reviendrait pas avant le lendemain. L'odeur du parfum de Susan l'annonça avant qu'elle n'approche. Son accent britannique vint trancher le silence. Ses lèvres contre sa joue, elles, tranchèrent la concentration. Il passa une main sur ses yeux, prenant la distraction au vol. Quelle heure était-il ?
-You look equally as good. To be honest, I have been resting far too much, lately. I might postpone today's resting session a bit more, don't tell anyone. Especially James.
Les mains toujours à plat contre son bureau, il finit par relever la tête. Remarqua les deux pas en arrière que fit sa pupille, sa manière de se tenir toujours aussi droite en sa présence. L'impression de ne plus l'avoir vue depuis longtemps alors que ça ne faisait que quelques jours qu'elle était partie. Peut-être à cause de cette distance précautionneuse qu'elle venait d'instaurer entre eux. Ou peut-être à cause de la lassitude qui pesait sur ses propres épaules, d'avoir passé tant de temps à préparer son retour sur Exeter. Le Père hocha la tête à la question. Elle avait compris son message. Haussa toutefois un sourcil circonspect alors qu'elle rapportait ses activités. L'ombre d'un sourire creusa ses babines. Les activités du lendemain. Il était si focalisé sur ses préparatifs qu'il les avait complètement oubliées.
-Perfect, as usual. Their first time outside the walls could not have been in better hands.
Un compliment qu'il n'avait aucun de mal à donner, malgré les circonstances. Car il savait tout ce que la jeune femme était capable de donner pour le Foyer Rouge. Un énième rappel à cet étonnement qui le traversait depuis plusieurs jours. La différence de traitement entre cette activité et la mission qu'elle s'était donnée lui sautait d'autant plus au visage, maintenant qu'il avait Susan en face de lui. Il pressa le creux de ses yeux, au niveau de l'arrête de son nez. Soupira lourdement pour chasser la fatigue avant de se redresser complètement. Craquement de vertèbres. Il fit le tour de son bureau et s'installa dans un des fauteuils non loin de là, ouvrit une main en direction de l'autre pour l'inviter à briser cette attitude rigide et fermée qu'elle était en train de prendre. Qui lui déplaisait.
-Please, join me. There was an other subject that I meant to address, and I would rather you be seated for this one.
Un sujet qui n'allait certainement pas lui plaire. Parfaitement à l'aise dans son espace, tandis qu'il pouvait percevoir la tension dans la droiture de Susan. Elle le connaissait aussi bien qu'il la connaissait. Lui offrir le bénéfice du doute en adoptant une attitude détendue était la meilleure façon de lui faire comprendre qu'il était encore ouvert à la conversation. Pour l'instant. Suivant ses mouvements du regard, il se pencha finalement vers elle. Coudes sur les cuisses, et les mains jointes devant son visage. Ses iris d'encre sondèrent les traits fins de sa pupille. Maquillée, parfaite. Comme à chaque fois qu'ils se voyaient.
-Let's cut to the chase, Susan. How are things going with that Cyclops of yours ? You promised to keep me updated. Yet I have not seen nor heard any update on your part. This does not look like the Susan I know, keeping me in the dark like that.
Sans la lâcher des yeux, il déposa son menton sur ses mains jointes. L'y appuya en poursuivant, guettant, décortiquant, analysant chacune des réactions de la brune en face de lui. Aucune animosité dans son regard, pourtant. Juste une curiosité concernée. Il passa sa langue sur ses lèvres, une mimique empruntée inconsciemment à James. Poursuivit.
-Is something preventing you from going further with your investigation ? You know we can help you. I can help you. One word from you and this guy is off your hair.
Elle ne savait à quoi s'attendre en arrivant ainsi dans la demeure de son chef. La journée dans les pattes, elle avait rêvé de retrouver son lit, du moins le calme de son habitation. L'entrevue avec Darius avait beau gonfler son cœur de fierté, elle ne l'enchantait pas. Il lui était impossible de prédire ce qui pourrait s'y produire, la belle avait pourtant une idée du sujet que son supérieur comptait évoquer avec elle ; si tard, après pourtant tant d'essais. La juge avait fait en sorte de rester le plus vague possible concernant quelques points qu'il avait voulu éclaircir avec elle. Ces derniers temps, elle s'était senti prisonnière d'une situation qu'aucun n'aurait aimé connaître. La mission était importante, c'était pour cette raison qu'elle l'avait proposée, pour mettre un coup de pied dans la fourmilière. Sa forte estime d'elle-même lui avait fait penser qu'elle s'en sortirait, avec les honneurs, qu'elle parviendrait à arracher bien plus que quelques minimes informations au mortard. Elle s'était trompée, n'avait pas pris en compte le charme de ce dernier auquel elle pensait être immunisée. Il était impossible pour elle de partager ces derniers jours à Darius, ne pouvait se permettre de lui montrer qu'elle s'était laissé piéger par ses sentiments. Elle espérait, intérieurement, qu'il ne la fasse venir pour une autre raison, mais elle n'était pas assez naïve pour croire à ses propres prières. Il lui faudrait tôt ou tard accepter sa situation, et elle devrait le faire la tête haute, mais comment avouer un tel échec ? L'attitude lasse passant pour une grande fatigue – ce qui n'était pas faux – elle esquissa un léger sourire à la mention de ce repos qu'il avait, selon lui, trop pris. « — I won’t tell him anything; but he can read you like an open book. He's already moaning about how stubborn you are, wait till he finds out you’re not staying put. » Elle avait fini par s'habituer à la présence de la gorgone dans la ferme. Elle ne pouvait prétendre les raisons de Darius de ne pas le transformer, de l'autoriser à garder sa nature malgré les règles, elle n'y faisait presque plus allusion. Ils avaient bien d'autres chats à fouetter, inutile de relever des raisons de se plaindre sur ses alliés. James avait été d'un réel secours lors de l'attaque, avait su s'occuper de leur chef et rester à ses côtés pour les moments les plus difficiles de sa convalescence ; il avait mérité une trêve du côté de la juge.
Le visage de Susan se détendit imperceptiblement au compliment concernant les préparatifs mis en place pour l'accompagnement des enfants. Elle accepta le compliment sans bouger, toujours heureuse de savoir qu'il s'en remettait à elle ; elle savait qu'il lui faisait confiance, ce qui était aussi bon que mauvais en ces temps difficiles. Le regard de la jeune femme suivit le maître des lieux alors que ce dernier faisait le tour de son bureau, jusqu'à un fauteuil. Toujours droite comme un I, posture d'un soldat attendant qu'on lui autorise la fuite. La main tendue de Darius l'invita pourtant à prendre place à son tour, ce qu'elle fit en posant sagement ses mains sur ses cuisses. Le regard qu'il braquait sur elle était pesant, mais pas agressif. Elle sentait où il allait en venir, se savait déjà incapable de répliquer face à la prestence de celui qui lui faisait face. Elle connaissait assez Darius pour savoir qu'elle n'avait rien à craindre, qu'il ne la ferait pas venir de cette manière s'il avait l'intention de se montrer violent. Il lui laissait une chance de s'expliquer, et malgré le peu d'informations qu'elle se sentait en droit de lui offrir, elle comptait bien en dévoiler tout juste ce qu'il fallait pour le tenir satisfait.
Il lui était très difficile de lui cacher quoi que ce soit, toujours la première à venir en courant pour l'informer de l'avancée de ses projets. L'ambition de la jeune femme était également une preuve de son besoin d'appréciation, de savoir qu'elle faisait du bon travail et que les personnes qui comptaient étaient fières d'elle. C'était une des raisons pour lesquelles elle avait été si rassurée en entendant les paroles de Marlon, à l'hôpital. Il était toujours fier d'elle, n'avait pas changé d'opinion la concernant malgré toutes les révélations qui venaient de lui être faites. Elle en avait pourtant pleuré, beaucoup, le visage humide contre le cou de son frère. Ce soir, elle avait besoin de l'entendre des lèvres de Darius, sa fierté, mais ne pouvait lui donner exactement ce qu'il souhaitait.
How are things going with that Cyclops of yours ?
La question qu'elle redoutait le plus en venant jusqu'ici, se présenter face à son chef. Son visage resta impassible, écoutant dans l'intégralité ce qu'il avait à lui dire avant de chercher à lui répondre. « — I know, sorry for my silence. » Dans un besoin de mimétisme, elle posa à son tour ses coudes contre ses genoux, poings fermés en baissant les yeux sur ses doigts. Posture en miroir, elle essayait de ne pas se montrer sur la défensive, Darius comprendrait qu'elle avait quelque chose à cacher ; elle serait définitivement perdue. « — I wanted to have something important to bring you, rather than come up with a few crumbs. » Mattheson ne lui avait rien donné d'assez croustillant jusque là, rien qui serait susceptible d'apporter de l'eau à son moulin. Il était préférable de ne pas aller voir Darius, que d'y aller les mains vides. Elle replaça une mèche de cheveux derrière son oreille en levant un regard d'innocence sur son vis-à-vis. « — He’s in the hospital right now, apparently he was attacked at work. » Elle ne comptait pas préciser qu'il s'agissait certainement d'un mensonge, il devait déjà s'en douter, et cela relèverait une question plus problématique pour elle : pourquoi elle n'avait pas cherché à savoir d'où venaient ses blessures. Lorsque Don lui avait confié les raisons de son arrivée aux urgences, elle s'était contentée d'acquiescer sans trop poser de questions pour le laisser se reposer, ou pour ne pas partir sur un terrain si miné alors qu'ils avaient débuté une trêve.
Elle sentait qu'il en attendait d'avantage, malgré ses explications concernant son besoin d'en apprendre plus avant de lui faire un retour plus complet. Les mains se posèrent sur les accoudoirs alors qu'elle s'enfonçait un peu plus contre le dossier du siège, dans une posture plus à l'aise. Le regard levé au plafond, elle réfléchit un moment à ce qu'elle avait à lui offrir ; pas grand chose. Il lui revenait à l'esprit la conversation téléphonique qu'ils avaient eu concernant le motard, et la volonté de Darius de l'enlever pour prendre les informations de force. Elle déglutit, le regard revenant se poser sur lui. « — He is important to them, I don’t know his exact rank, but he’s high up. I keep track of people who come to visit him; they will be the subject of a subsequent inquiry by me. » Elle ouvrit la bouche pour en dire davantage, finit par lever les mains en l'air en reprenant la parole. « — Look, I know it’s not much, but I got something. He’s less suspicious of me, I spend time in the hospital and pretend to worry about him. He thinks I have feelings for him, he lets his guard down. » Un soupir, puis elle croisa ses mains sur ses cuisses en se penchant légèrement en avant. Elle ne pouvait s'épancher plus longtemps concernant ces sentiments, ne pas laisser entendre qu'elle mentait les concernant. Ils étaient bien réels. Elle n'avait pas fait attention, s'était laissée prendre à son propre jeu et ressentait réellement une attirance pour l'avocat, autre que physique. Lorsqu'elle lui avait tenu la main à l'hôpital, lorsqu'elle s'était assise près de lui pour discuter, ce n'était pas pour sa mission auprès du foyer, c'était sincère. La vérité l'effrayait, mais elle ne pouvait plus la nier après tout ce qu'elle avait ressenti dans cette chambre. Elle ne voulait pas que Darius ne s'en occupe, savait qu'il n'aurait pas les mêmes méthodes qu'elle et que cela conduirait le motard à sa fin. Elle ne pouvait laisser cela arriver ; essayait de se convaincre que c'était pour le bien de Marlon. « — I don’t need backup, let me handle it. » Elle pencha la tête sur le côté, haussa les épaules d'un air innocent, un nouveau sourire s'invitant sur ses jolies lèvres. « — You're skeptical of my charms? »
BABY YOU'RE MY FLAME
never know how much i love you. never know how much i care. when you put your arms around me, i get a fever that's so hard to bear.