Il n'avait suffi que d'un coup de fil. Un seul, un misérable coup de fil. Penché sur sa paillasse, lunettes de protection sur le nez, blouse blanche sur le dos. Occupé à ses recherches, d'autant plus concentré depuis sa rencontre fortuite avec la Juge Love. Son insistance sur l'affaire McCready, bien des mois plus tôt, avait paru suspecte au légiste. L'avait poussé à reprendre ses propres prélèvements et à les repasser sous l'oeil acéré de son microscope. Ils ne lui avaient pas paru naturels, incongrus, sur cette scène d'un crime d'apparence inexistant. Et si la belle n'avait ni infirmé, ni confirmé cette impression, son insistance avait aiguisé la curiosité du scientifique. La vieille bicoque des deux disparus était propre, presque trop propre, à pour la jeune femme. Qu'elle puisse douter de la capacité du coroner de relever le moindre élément suspect était, au sens d'Ari, suspect. Alors il avait envoyé un sms à Niran. Les prélèvements faits ce jour là avaient quitté leur enveloppe protectrice, tirés des tréfonds des affaires inconcluantes, pour être de nouveau examinés. Le repas était prêt pour quand Lenny reviendrait. Depuis leurs retrouvailles, les deux hommes avaient décidé de ne plus se quitter. Bien plus qu'un simple tiroir dans la commode, chez Ari. Petit à petit, chaque pièce de la petite maison s'imprégnait un peu plus de ses deux habitants. Un aménagement qui n'était pas encore total, mais Ari comptait bien le proposer officiellement. Avait mis les petits plats dans les grands, préparé le met préféré de son fiancé. Les lasagnes, dans le four, qui mijotaient à feu doux en attendant que Lenny ait fini sa journée. Une bouteille de champagne rangée dans la porte du frigo, prête à être ouverte pour célébrer l'officialisation. Un bouquet de roses rouges qu'il avait caché dans le laboratoire, pour que Lenny ne le voit pas avant sa surprise. Il n'avait aucun doute quant au fait que son amant accepte, au point qu'une enveloppe attendait sagement que Lenny l'ouvre, renfermant précieusement une étiquette avec leurs deux noms qui finirait fièrement sur la boite aux lettres. Il ne manquait plus que l'heureux élu. Ari avait fini plus tôt, pour préparer tout ça. Savait que Lenny ne tarderait probablement pas, avait même préparé le terrain de ce côté là. Un sms rapide au sergent, pour lui signaler qu'une surprise l'attendrait. Le sms n'avait reçu aucune réponse mais Ari ne s'en était pas formalisé. Les journées au commissariat d'Exeter étaient toujours très chargées. Et il n'était pas tard, Lenny lui répondra quand il le pourra. C'était avec cet état d'esprit que le légiste s'était remis à ses recherches.
Puis sa vie s'était arrêtée d'un simple coup de fil.
C'était un numéro privé. Celui d'une de ses anciennes stagiaires, Nina, restée sous son aile jusqu'à ce que ses études la rattrapent pour faire un internat aux urgences. Nina, dont la voix fluette était enrouée quand il lui avait demandé comment elle allait. Elle n'était pas passée par quatre chemins. Juste comme il le lui avait appris, quand elle était sa pupille. C'est votre fiancé, Lenny. Il s'est fait tirer dessus, on le fait entrer au bloc dans cinq minutes. Et le monde alentours avait cessé d'exister. Vision tunnel, chaque geste porté par les battements brutaux d'un coeur erratique. Vision floue en raccrochant, Nina ne pouvant en dire plus, et Ari étant incapable de l'entendre. L'échantillon était encore dans sa lamelle, sous le microscope allumé, qu'il était déjà parti en trombe en direction de l'Exeter General Hospital. Des appels de Dick, sur la route, qui échouèrent systématiquement sur sa messagerie. Qu'une seule idée en tête, rejoindre le blessé, alors qu'il prenait la direction qu'il avait toujours redoutée prendre. C'était un des risques que courait Lenny au quotidien. La criminalité d'Exeter était une constante dans leur vie commune, le genre de constante qu'on préfère laisser éloigner mais qui pourtant peut rattraper à tout moment. L'un de tous ces dangers pour lesquels ils avaient signé en rejoignant les forces de l'ordre. Mais il y avait une différence entre s'y attendre, et la voir frapper. Et Ari se croyait préparé. Il ne l'était pas.
Evoluant dans un brouillard constant, inconscient de ses propres gestes. Les pensées focalisées sur le seul et unique besoin d'être auprès de Lenny. Obligé de passer par la grande porte pour rejoindre la réception des urgences. Aux regards implorants qui se tournèrent vers lui dans les couloirs, Ari réalisa qu'il avait encore sa blouse blanche sur le dos. La retira, hagard, pour la caler en boule sous son bras le temps de rejoindre le bon service. Ils n'avaient pas fait de papiers pour officialiser leur relation, mais il était le contact d'urgence de Lenny, avec un peu de chance ils l'autoriseraient à rester à son chevet. Argumenterait tout ce qu'il faudrait si on lui refusait l'accès. Voir le visage familier de Nina apparaître dans le dos de la réceptionniste n'apaisa qu'à peine la terreur qui enserrait chacun de ses nerfs. La relation des deux hommes n'était un secret pour personne à la morgue, même quand elle était encore sa pupille. Qu'elle prenne les choses en main et l'invite à la suivre fut cette bouffée d'air frais dont il avait tant besoin, en apnée qu'il était depuis le coup de fil. Mais l'air ne tarda pas à recommencer à manquer, à mesure qu'ils progressaient dans les couloirs. L'opération s'est bien passée. Il a perdu beaucoup de sang. On le garde encore en observation. Autant d'informations essentielles qui se gravaient dans la matière grise, sans qu'il ne parvienne à répondre. Parce que s'il ouvrait la bouche, ce serait pour crier.
Arrivés devant la porte de la chambre, il n'entendit pas ni ne vit sa pupille se retirer. S'était entendu lui souffler un remerciement rauque, mais n'était pas même certain de l'avoir vraiment fait. Il entra aussitôt dans la chambre. Il était là, le but de tout ça. Ses cils recourbés fermés par l'inconscience, des tubes et des machines pour toute compagnie. Une vision qui fit monter les larmes aux yeux d'Ari. La blouse s'effondra sur le sol dans un bruit sourd. Son propriétaire, lui, n'attendit pas une seconde de plus pour tirer un siège au chevet du souffrant. S'asseoir, pour ne pas s'effondrer. Attraper la main de Lenny pour la serrer entre les siennes, capter sa chaleur, glisser ses lèvres au creux de sa paume. Les paroles de Nina retentirent en écho à ses oreilles. Tout s'était bien passé. Pas selon la panique. Pas alors que l'amour de sa vie était dans ce lit, dormant du sommeil artificiel de l'anesthésie. Les nerfs retombèrent en larmes amères. Au milieu du brouillard, un seul réconfort. Lenny était peut-être allongé devant lui, mais dans un lit aux urgences. Pas sur une table d'autopsie, recouvert d'une housse mortuaire, dans son propre bloc opératoire. Ecrasant ses larmes du revers de la main, il ne lâcha celle de son fiancé qu'une poignée de secondes, le temps d'attraper le dossier médical au pied du lit. Reprit sa main entre ses doigts, fourra sa joue au creux de sa paume pour se rasséréner en lisant distraitement tout ce qui s'y disait. Peu d'informations quant au contexte, mais la blessure était bénigne. Restait que le sergent avait perdu beaucoup de sang, trop, et que même si l'opération s'était bien passée, il n'était pas encore officiellement tiré d'affaire. Les lettres dansaient, devant ses yeux embrumés. Il ravala ses larmes d'une profonde inspiration. Lenny se sentirait coupable de le voir dans cet état, malgré qu'il soit celui qui était blessé. Serre les dents.
D'infimes tressautements parcoururent enfin les doigts de Lenny contre sa joue, au bout d'un bon moment. Tordu entre sa chaise et le lit, Ari s'était installé de manière à ce que sa tête repose à moitié contre les draps, à moitié contre son amant, du côté où il n'était pas blessé. Habitude prise à cause de son affliction, qu'il ne se voyait pas abandonner alors que l'état de Lenny justifiait plus que jamais qu'il surveille son état. Ari sortit immédiatement de la torpeur occasionnée par la chaleur de son amant, la retombée des nerfs et le bip régulier des machines. Attrapa sa main dans la sienne et la serra en se redressant, glissa un baiser au creux de sa paume avant de se pencher vers lui. Croisa enfin les grands yeux noirs de l'amour de sa vie, et sentit un poids s'envoler de ses propres épaules.
-Tout va bien, mon amour. Tu es en sécurité, on est à l'hôpital.
Il coula ses doigts libre contre le torse de Lenny, pressentant que ce dernier allait vouloir bouger. Dans l'état où il était, c'était plus que déconseillé. S'il avait voulu avoir l'air parfaitement neutre, c'était foutu, avec les larmes de soulagement qui lui montaient aux yeux. Il les retint comme il le put, poursuivant d'une voix douce :
-Comment tu te sens ?
En ce qui le concernait, il ne faisait pas vraiment fière figure. Mais comparé au soulagement que c'était d'apercevoir enfin un semblant de vie sur le visage de son amant, ce n'était pas grand chose. Pouvoir sentir ses doigts bouger ne serait-ce qu'un peu, pouvoir croiser son regard, pouvoir percevoir sa chaleur, était bien plus important que tout ce qu'il avait pu expérimenter ces dernières heures. Il pressa de nouveaux baisers dans la paume de Lenny. Un sanglot lui étranglait la gorge, mais il le ravala dans un sourire faible qu'il aurait certainement voulu plus fort.
-Tu m'as foutu une peur bleue, qu'est-ce qui s'est passé ?
Maintenant qu'il y pensait, c'était probablement pour cette raison que Dick avait tenté de le joindre. Mais son téléphone était resté sagement logé dans sa poche depuis qu'il était sorti de sa voiture, et ce jusqu'à ce que Lenny reprenne connaissance. Les seuls éléments qu'il avait était qu'un coup de feu avait failli lui voler l'amour de sa vie. C'était déjà beaucoup trop.
How do I make you love me? How do I make you fall for me? How do I make you want me
-- bloodflowft. @ari williams Le premier réflexe qu'il avait eu après le choc avait été de chercher Basil du regard pour s'assurer qu'il soit en sécurité. Lorsqu'une situation épineuse s'imposait face à lui, sa priorité était toujours de protéger les civils, de ne jamais les mettre en danger ; cela au péril de sa vie. Alors si le témoin qu'il interrogeait à ce moment-là allait bien, cela signifiait qu'il avait bien fait son travail. La douleur n'était arrivée qu'après quelques minutes, lorsque ses collègues s'étaient penchés au-dessus de lui pour voir s'il allait bien. Le souffle lui manquant, il avait été incapable de construire des phrases cohérentes ; ce n'était pas faute d'avoir essayé. Les échecs se succédant, il avait fini par baisser les armes, se contenter de répéter un unique prénom – celui à prévenir – que tout le monde connaissait : Ari. Il ne savait pas ce que donnerait la suite des événements, n'avait aucun moyen de savoir s'il serait capable de survivre à une telle attaque. Il refusait de quitter ce monde ainsi, sans avoir la certitude que son fiancé sache combien il l'aimait. Il devait lui parler, même si cela devait être la dernière chose qu'il ferait sur terre avant de disparaître.
Il avait espéré être entendu, écouté. Dick n'était pas à son bureau, elle serait pourtant prévenue immédiatement, comme lors de chaque attaque, de chaque blessure infligée à un membre de son équipe ; mais ce n'était pas elle qu'elle voulait retrouver près de lui, du moins, pas uniquement. L'affolement qu'il avait ressenti devait être maîtrisé, une voix lui réclamait de se calmer, de respirer, de leur faire confiance. Le temps s'accélérant, Lenny avait perdu connaissance après quelques minutes seulement, sans avoir revu le visage de l'être tant aimé. L'impuissance avait été étouffante, mais ce fut la douleur qui brouilla son regard, et ses forces qui lâchèrent avant son esprit. Il fut incapable de bouger, de répondre, jusqu'à son arrivée à l'hôpital.
La situation était sous contrôle ; c'était ce qu'il se répétait, les paupières toujours rabattues sur un regard vide. Les réminiscences se succédaient, ne laissaient aucune place aux souvenirs plus précis. Il s'efforçait, en vain, de remettre de l'ordre dans les événements, mais seules quelques images décousues s'offraient à sa perception. Basil était présent, sa compagnie se ressentant derrière lui. Il s'était caché derrière lui, comme il lui avait indiqué, mais alors comment la situation avait-elle pu dégénérer si rapidement ? Il revoyait l'arme au prolongement du bras de l'assaillant, se rappelait l'expression de son visage avant qu'il ne crispe ses doigts autour de la crosse. Il n'avait pas eu l'intention de tirer, pas de suite. Lenny avait été consciencieux, n'avait rien fait de potentiellement répréhensible ; mais ce n'était pas ce que disait l'éclat foudroyant, la lumière aveuglante et l'impact contre son abdomen. Il lui faudrait du temps avant de comprendre, avant de se refaire assez précisément le fil des événements pour mettre le doigt sur le fond du problème. Mais pour cela, il devait se réveiller, parvenir à relancer les pulsations dans ses veines, les battements dans son cœur. Battement qu'il eut l'impression de sentir dans la paume de sa main, comme une chaleur enveloppant l'intégralité de son corps avant qu'il ne puisse comprendre d'où elle venait. Il s'agrippa alors à cette sensation, s'y cramponna comme à son dernier souffle, persuadé qu'il s'agissait là de sa chance de revenir à la surface de l'eau et reprendre une grande bouffée d'air pour emplir ses poumons.
Il ouvrit alors les yeux, un hoquet douloureux secouant imperceptiblement son buste. Le souffle de vie qu'il devait garder en lui, ne surtout pas lui laisser filer entre les doigts. Il essaya de focaliser son attention quelque part, la vue toujours trop trouble pour fixer un point précis. Il y parvint enfin en entendant une voix près de lui, une voix qui l'aida à garder son calme, à se concentrer sur autre chose que la douleur qu'il ressentait encore trop puissamment. Tout va bien, mon amour. Il essaya de se relever, les membres tremblants, mais fut arrêté par les doigts de son fiancé contre son torse. Il s'installa alors plus confortablement contre son oreiller, les yeux tournés de l'autre côté du lit pour observer toutes les machines reliées les unes aux autres, puis à son propre corps. « — Je suis au paradis ? » Il offrit le plus grand sourire possible à Ari et ouvrit de nouveau la bouche pour essayer de poursuivre pour se faire comprendre, pour préciser qu'il s'était réveillé près d'un ange. Pourtant, il ne put ajouter un mot de plus, une douleur lui coupant le souffle alors qu'il tendait le bras pour lui caresser la joue. « — Ça paraît plus simple dans les films, ça fait un mal de chien ... » Il ferma les yeux un instant en reprenant sa respiration, ses doigts se crispant autour de ceux d'Ari pour ne pas se laisser aller à la dérive. Ari était sa bouée de secours, il avait l'impression de couler lorsqu'il n'avait pas sa main dans la sienne.
Lorsqu'il se sentit capable de bouger plus facilement, il ouvrit de nouveau les yeux et les posa sur son fiancé. Il semblait en piteux état, les cernes sous ses yeux témoignaient de larmes qu'il avait sûrement fait disparaître pour ne pas l'inquiéter. Il connaissait assez son amant pour savoir de quoi il était capable pour le protéger, savait à quoi s'attendre le concernant. Il leva alors la main qui tenait ses doigts jusque-là et caressa la joue du légiste en retrouvant un sourire pincé. « — Il s'est passé que j'ai pas géré la situation. J'ai merdé ... » Il ne savait pas où, il ne savait pas comment, mais il avait merdé quelque part. Lui qui pensait avoir la situation en main avait fait une erreur qui avait failli lui coûter la vie et blesser un civil. « — J'étais avec ... Basil, oh non, Basil va bien ? » Il essaya de nouveau de se redresser dans un élan de terreur, mais sentit sa tête tourner et l'empêcher d'aller au bout de son geste. Il avait l'esprit embrumé et avait besoin de repos ; c'était comme si son corps entier réclamait un carburant qu'il ne pouvait lui fournir en assez grande quantité, il se sentait capable de trépasser à tout moment. Il pouvait presque entendre le rythme anormalement lent de son cœur, couplé aux membres qu'il avait grand mal à bouger.
Il avait peur, ne savait rien de son état ; était-il sorti d'affaire ? Il avait envie de le savoir, de comprendre s'il pouvait souffler, si son état était stable ou s'il risquait de passer l'arme à gauche à tout moment. Il se sentait très faible, mais peut-être était-ce normal ? Les lèvres tremblantes à cause du contrecoup des événements, il avait avant de poser la question à Ari, de lui demander s'il pensait qu'il s'en sortirait ou non. Il ouvrit alors la bouche lentement, luttant pour que sa voix ne tremble pas trop ; mais les mots qui lui échappèrent ne furent pas ceux qu'il avait formés dans sa tête. Il avait peur pour lui-même, mais au fond, avait surtout peur pour l'homme qui se tenait courageusement près de lui. « — Je suis désolé de t'inquiéter, je veux pas- ça va aller, d'accord ? » Il n'aurait pas la réponse, mais ne pouvait réclamer la nouvelle de la part d'Ari, ne pouvait lui imposer cette torture. Il s'entretiendrait avec son infirmière, lui poserait les questions qui le taraudaient le moment venu. « — Comment tu vas, toi ? »
THE NIGHT'S ON FIRE
the promises we made were not enough. the prayers that we had prayed were like a drug. the secrets that we sold were never known.
Il y avait une différence entre voir la Mort tous les jours, et se retrouver confronté à la possibilité qu'elle frappe un être cher. Quelque chose qu'il ne cessait de répéter à ses élèves, quand il en avait. Qui ourlait ses lèvres comme un rappel, à chaque conférence qu'il donnait. La Mort méritait toute la déférence qui lui était échue, tout le respect qui lui convenait. Mais il y avait une différence majeure entre celle d'un être aimé, et celle de tous les jours. Et ça, même les légistes les plus aguerris n'étaient pas prêts à cette éventualité. Ari l'avait vécu, déjà. Sa propre mère, qu'il avait aidée dans toutes les étapes de son trépas. Mais il n'avait déjà pas été prêt, alors qu'il savait très bien ce qui allait se passer. Ne l'était pas quand Dick avait été acceptée à l'école de Police, sachant pertinemment que la Mort pouvait la toucher à n'importe quel moment. L'était encore moins alors qu'il s'agissait de Lenny, et s'en rendait d'autant plus compte maintenant qu'il était à son chevet. Il y avait un million de manières d'aborder la Mort, et, tout aussi légiste qu'il soit, il n'était pas sûr de savoir comment aborder celle potentielle de l'amour de sa vie. Le voir alité était cette décharge de plomb dans les ailes dont il avait cruellement besoin. A trop se dire qu'ils étaient capables de lutter contre l'impossible, il avait oublié cette éventualité bien trop réelle que le terrain happe le sergent à n'importe quel moment. Et qu'avec lui, ce soit toute sa vie qui s'écroule, purement et simplement. Parce qu'un monde sans Lenny était impossible à concevoir. Depuis les débuts de leur relation, malgré tous les embruns qu'ils avaient traversés tous les deux. L'alliance qui ornait leurs annulaires n'était rien de plus que la confirmation de cette vérité immuable. La vie sans Lenny n'avait pas de sens, quand ils étaient séparés. Et si le légiste n'avait plus peur de la Mort depuis des décennies, c'était de celle de Lenny qu'il était terrifié.
Je suis au paradis ? L'innocence de la question, couplée au soulagement de voir que celui qui la posait venait de se réveiller, arracha un léger rire à Ari. Raviva la montée de larmes dans ses yeux, mais il les retint, un sourire faible sur les lèvres. Les émotions à vif, les doigts pressés autour de ceux de son amant. Sa main libre toujours posée sur sa poitrine pour l'intimer à ne pas trop bouger, il le laissa poursuivre. Son coeur cognait, contre sa cage thoracique. De tous ces mots qui n'avaient pas leur place ici, pas pour le moment. De ces je t'aime qu'il avait crus perdus à jamais au fond de lui-même alors que Lenny était encore assoupi. Il suivit son regard sur les machines, le capta aussitôt qu'il fut de nouveau disponible. Si les conclusions de ses collègues étaient éloquentes sur le fait que les blessures de Lenny ne risquaient pas de le lui enlever, Ari ne comptait pas pour autant perdre la moindre seconde. Jaugea les traits de son amant, la pâleur sur ses joues. Mais les yeux de Lenny, malgré la douleur, malgré les traitements, happaient toujours autant toute la lumière de la pièce. Et c'était encore tout ce qui lui importait. L'amour de sa vie était bien vivant. C'était tout ce qui comptait. Il ferma à son tour les paupières, quand une main tremblante se posa contre sa joue. Lova cette dernière au creux de la paume, offrant son visage à Lenny pour lui prouver qu'il était bien là tout comme pour puiser dans le geste un soupçon de réconfort. La question qui devait tomber avait fini par le faire, et la réponse qui suivit n'en fut pas plus satisfaisante. Le légiste n'avait pas pris le temps d'interroger qui que ce soit, sitôt arrivé. Rejoindre son fiancé était sa priorité, et, maintenant qu'il y était, il n'y avait que Lenny pour remplir les blancs dans cette équation de l'horreur qui avait failli le lui enlever. J'ai merdé. Les lèvres du Néo-Zélandais se pincèrent, il secoua légèrement la tête. Quel que soit le crime que Lenny pensait avoir commis, il n'en était rien, à son propre sens. La réflexion qui suivit, elle, fronça les sourcils sombres.
Basil ? Le prénom gela le sang dans ses veines. Basil, c'était son autre vie. Les voir se heurter de la sorte, envoyant Lenny dans ce lit d'hôpital, était la dernière chose qu'il aurait voulu. Ce dernier, comme pris dans son souvenir, commença à s'agiter. Ari déposa de nouveau ses doigts sur le torse de son amant, un souffle filant longuement entre ses lèvres pour l'inciter à faire de même.
-Je ne l'ai pas vu et personne ne m'en a parlé depuis que je suis arrivé. C'est que tu as fait ce qu'il fallait, mon amour. Il va sûrement bien.
A vrai dire, il n'en avait aucune idée. Et une partie de lui espérait que s'il n'avait eu aucune nouvelles du croque-mort, c'était parce qu'il avait lui-même un pied dans la tombe. Avec tout ce qui pesait sur ses propres épaules, s'imaginer que Basil ait été avec Lenny alors qu'il s'était fait tirer était l'une des pires choses qui puisse arriver. Il savait de quoi le rouquin était capable. Un pressentiment mauvais grondait, au creux de son estomac. Il ne connaissait que trop bien l'énergie que Lenny consacrait à une enquête dans laquelle il avait lui-même sa part de responsabilités. Basil était le chef d'orchestre de cette tension qui pesait à chaque moment sur leur relation et il espérait, au fond, qu'il ne soit pas la raison pour laquelle Lenny était blessé. Un espoir bien futile, lui qui connaissait l'homme. On n'apprenait pas à un assassin à prendre soin d'autrui, encore moins alors qu'Ari avait vu l'état dans lequel était son épouse, le soir du drame. Il se retint d'en dire plus, ravala ses doutes et sa colère. Ce n'était pas de Basil qu'il s'agissait à présent. C'était de Lenny, de son bien-être, et de rien d'autre.
Lenny qui, s'étant calmé, s'inquiétait pour lui. Lenny qui, doux comme il l'était toujours, lui demandait comment il allait. Le cœur lourd, Ari esquissa un sourire qu'il voulait réconfortant. Se redressa pour se pencher au-dessus du souffrant, coula ses mains autour de ses joues pour prendre son visage en coupe.
-Ca va beaucoup mieux maintenant que tu es réveillé.
Et c'était la vérité, aussi simple, aussi pure qu'elle puisse l'être. Il se pencha davantage, rompant la distance pour embrasser tendrement le sergent. Un baiser qui en disait bien plus long que tous les mots qu'ils auraient pu échanger, qui traduisait ces je t'aime qui ne demandaient qu'à s'exclamer haut et fort. Clamer leur soulagement d'un baiser, tout cet amour qui ne cessait jamais de déborder de son cœur. Et peut-être que Lenny l'entendrait, tout ça. Peut-être qu'il saurait à quel point il n'était pas seul pour lutter contre ses blessures, qu'il n'avait plus jamais à être seul devant quoi que ce soit. Relâchant les lèvres de son amant, Ari recula sa tête pour déposer son front contre celui du sergent. Ses pouces caressant doucement les joues du plus jeune, souhaitant apporter un peu de paix dans tout son calvaire.
-Ca ne peut qu'aller maintenant.
Les yeux fermés, à répéter ces paroles comme pour mieux s'en imprégner. Il n'y aurait pas de Basil dans cette chambre, pas plus qu'il n'y aurait de pleurs. Pas plus qu'il n'y aurait de Mort. Lenny était vivant et l'amour se poursuivrait, envers et contre tout. Espoir et vie, main dans la main pour assurer la meilleure convalescence qui soit. Il se doutait bien que ce ne serait pas si simple, qu'il y aurait d'autres embruns contre lesquels lutter. Mais Lenny était vivant. Il était réveillé. Il pouvait sentir son souffle contre ses propres lèvres, et c'était bien tout ce qui suffisait. Laissant son front contre celui de son amant, il continua de caresser doucement ses joues. De longues secondes, comme pour capter sa chaleur, pour la laisser envahir progressivement ses propres membres. Il finit par se retirer, juste assez pour étirer une main vers le bouton permettant d'appeler une infirmière. Resta tout de même non loin de son amant, une main caressant toujours tendrement sa joue. Ses yeux s'abaissèrent vers son visage, captèrent de nouveau ses iris sombres. Fondirent à leur lumière comme neige au soleil, la certitude qu'ils étaient capables de déplacer des montagnes tous les deux maintenant qu'il les retrouvait enfin.
-J'ai lu ton dossier, pendant que tu dormais. Tu n'es plus en danger. La balle n'a fait que traverser et n'a rien touché de vital, mais tu as perdu beaucoup de sang le temps que les secours arrivent. La bonne nouvelle, c'est que l'opération a l'air de s'être très bien passée. La mauvaise, c'est qu'ils risquent de devoir te garder quelques jours le temps que tu reprennes suffisamment de forces pour pouvoir sortir.
C'étaient ses conclusions, pas celles des médecins. Il évaluait la durée du séjour de Lenny entre ces murs à plusieurs jours, une semaine à dix jours maximum. Mais il n'était pas le médecin qui allait devoir émettre les conclusions à son sujet. Au moins le pronostic vital n'était pas engagé. Et c'était bien tout ce qui comptait. Sa main libre retrouva les doigts du plus jeune, s'arrimèrent à eux comme à une bouée. Ce combat, Lenny n'aurait pas à le mener tout seul. La décision était déjà prise sous les boucles grises, à l'instant même où il avait découvert Lenny dans cette chambre d'hôpital.
-L'infirmière ne devrait pas tarder à passer, pour faire venir le docteur. Je ne suis pas sûr qu'il veuille que je sois là, quand il arrivera. Est-ce que tu as besoin de quelque chose d'ici là ? Tes désirs sont mes ordres.
Il profiterait du passage du médecin pour rappeler Dick. Son ex-femme avait tenté de l'appeler à plusieurs reprises pendant qu'il faisait la route jusqu'à l'hôpital, mais il n'avait pas encore pris la peine de regarder tous ses messages. En savoir plus sur l'état de Lenny la rassurerait certainement. Peut-être qu'elle saurait même lui en dire davantage sur ce qu'il s'était passé. Sur ce que Basil faisait avec lui. Basil. La question fila d'entre ses lèvres avant qu'il ne puisse la retenir :
-Basil... Qu'est-ce qu'il faisait avec toi ?
How do I make you love me? How do I make you fall for me? How do I make you want me
-- bloodflowft. @ari williams Il ne put s'empêcher de hocher la tête en entendant Ari essayer de le calmer, lui répétant qu'il avait fait ce qu'il fallait. Pourtant, il n'en savait rien, n'était pas présent au poste quand l'horreur s'y était invitée. Ari voulait seulement le rassurer, mais Lenny ne voulait que la vérité, aussi blessante qu'elle puisse être. Il déglutit péniblement et accepta son sort, hochant doucement la tête pour montrer qu'il le croyait, mais son fiancé savait bien que ce ne serait que de courte durée, que le sergent irait se renseigner auprès de ses collègues à la première occasion, peut-être même auprès de Basil à qui il devait des excuses. Pour l'heure, il avait mieux à faire, son attention entièrement au service de son amour. Il était le seul être important pour l'instant, le seul qui méritait ses inquiétudes ; les cernes sous ses yeux furent les premiers à lui pincer le cœur. Ca va beaucoup mieux maintenant que tu es réveillé. Il était toujours autant sur ses gardes, de peur qu'Ari se soit fait bien trop de soucis pour lui, mais décida de baisser les armes pour profiter de la proximité du légiste. Il plissa les yeux dans un sourire enfantin en sentant les mains contre ses joues. Les lèvres déjà prêtes à recevoir leurs paires, profitant de la chaleur de la bouche de son fiancé pour se raccrocher à la réalité. Il était bien vivant, et non dans un monde parallèle, un entre-deux terrifiant qui l'emmènerait bientôt jusqu'en enfer.
Il était bien ainsi lové contre son fiancé, il n'en demandait pas plus. Le temps pouvait s'arrêter, il passerait l'éternité dans cette position, cet homme contre lui ; le reste n'avait aucune importance, plus depuis bien longtemps. Alors lorsque Ari tendit le bras pour appeler l'infirmière, le blessé ne put s'empêcher de lâcher une plainte enfantine, comme si on venait de lui voler son goûter. « — Mais... » Il essaya de ne pas montrer sa frustration, mais tout se lisait sur son visage trop expressif. Il ne voulait pas que le personnel médical ne vienne le voir, il voulait Ari. Il n'avait besoin de rien de plus. Il soupira et l'écouta donner son avis concernant son dossier. Les lèvres pincées, il acquiesça à chaque information, sans trop savoir s'il comprenait ce que son fiancé lui disait. Il ne retenait qu'une chose : il ne pouvait pas sortir de suite. Nouvelle plainte : « — Mais... » Il savait que le combat était perdue d'avance, mais saurait créer le parfait champ de bataille pour plus tard. Il saurait peut-être activer les bons interrupteurs pour que son amant accepte de l'aider à rentrer chez lui, chez eux. Il secoua vivement la tête à sa question ; non il n'avait besoin de rien. Au fond, ce n'était pas seulement à cette interrogation qu'il répondait avec ce geste. Le mouvement, de droite à gauche, indiquait à l'autre homme qu'il n'était pas d'accord avec l'intégralité de ce qu'il venait de lui dire. Il ne voulait pas de docteur. Il ne voulait pas qu'il reste. Il ne voulait pas se retrouver seul avec des individus trop intelligents pour lui qui lui diraient des choses qu'il serait incapable de comprendre. Il eut soudain envie de pleurer, le trop-plein d'émotion faisant monter les larmes au seuil de ses yeux, sans pour autant les faire couler pour le moment. Le regard larmoyant, il regarda frénétiquement derrière Ari, attendant l'arrivée d'un docteur qu'il ne voulait pas voir.
Il finit par baisser la tête, la moue boudeuse, sentant qu'il manquait de force pour se battre contre le corps médical. Il ne pouvait pas non plus se battre contre Ari, pas encore. Il laissa donc passer, attendant de reprendre des forces pour se faire entendre. La tête tournée vers la petite table d'appoint près de la fenêtre, il chercha quelque chose du regard, sentant sa bouche désagréablement pâteuse. Il eut envie de s'humecter les lèvres, mais avait l'impression de ne plus avoir d'eau dans le corps, ni de salive dans la bouche. Il reporta son regard sur son fiancé, essayant de puiser dans ses dernières réserves pour ne pas parler trop bas, donner l'illusion d'aller déjà mieux. « — Je peux avoir de l'eau, s'il te plaît ? » La voix rauque, il se racla la gorge pour essayer de parler normalement. Il ne devait pas perdre son objectif de vue, devait paraître le plus réveillé possible, donner l'illusion d'être en pleine capacité de ses moyens pour pouvoir quitter cet endroit. Il fit donc preuve de concentration pour comprendre le sens de sa question.
Basil.
Les sourcils froncés, il chercha dans sa mémoire pourquoi ils se trouvaient au poste à ce moment-là. Le flou s'était posé sur ses souvenirs, comme s'il avait du mal à se concentrer assez longtemps pour recréer le décor des événements. Il se souvint alors de l'alarme, celle qui avait retenti à plusieurs reprises ; deux, peut-être trop. Il y avait aussi l'arme, celle qu'il avait emportée avec lui au cas où il aurait besoin d'ouvrir le feu. Où étaient-ils avant cela ? Il ferma les yeux quelques secondes, le temps d'essayer de raviver sa mémoire, finit par les rouvrir en jetant un regard perdu autour de lui. Finalement, il finit par en dire l'essentiel ; pas grand chose. « — Je... Je sais plus trop. On était dans la salle d'interrogatoire quand c'est arrivé, j'veux dire, quand l'alarme a retenti. On était là parce que... » Il déglutit de nouveau, faisant une légère pause avant de reprendre la parole. « — Il a été témoin sur une de mes affaires, il a été retrouvé près d'un corps fraîchement décédé alors ... j'étais en train de l'interroger. Je lui ai dit de rester derrière moi, parce qu'il faut toujours protéger les civils et j'te promets que j'ai fait de mon mieux pour qu'il ne lui arrive rien ! Il était derrière moi et d'un seul coup... Je sais pas, c'est flou. » Il était conscient que ce n'était en rien la question qu'il lui avait posée, que ces dernières informations étaient totalement superflues, mais il voulait que ce soit clair. Il fallait qu'Ari comprenne que le sergent avait fait de son mieux pour qu'il n'y ait aucun blessé, de peur qu'il se mette à croire qu'il avait voulu fuir, ou qu'il le voit comme un incompétent. La main tendue, il chercha à récupérer celle du légiste pour pouvoir s'y agripper de toutes ses forces, de peur de le voir partir. La concentration toujours à son paroxysme, il chercha d'autres informations à lui apporter, afin de lui donner une raison de rester pour écouter la réponse. Il ne savait pas comment enchaîner, mais il trouverait avant que l'infirmière n'arrive. Le regard braqué sur leurs mains, il finit par trouver une nouvelle interrogation, et non une réponse. « — Tu le connais ? » Il avait peur que ce soit une erreur de lui poser la question. Et s'il était censé savoir que les deux hommes se connaissaient, mais était seulement incapable de s'en souvenir à cause du brouillard qui s'étalait tout autour de lui ?
Il se rappela ensuite que Basil était médecin, que sa question était stupide, et changea rapidement de sujet pour éviter que sa stupidité ne se remarque. Rien ne lui vint à l'esprit, malgré l'effort qu'il mit à la tâche. Les doigts toujours serrés autour de ceux de son fiancé, il tira dessus pour lui faire signe de se rapprocher. Lorsqu'il fut assez près de lui, il le regarda droit dans les yeux, mettant toutes ses supplications dans son regard. « — Ari Williams je t'interdis de quitter cette chambre. Je vais bien, je veux rentrer chez nous ... et j'veux pas que tu partes sans moi... Me laisse pas seul avec le docteur, il va en profiter pour dire des mots compliqués, puis tu peux pas partir alors que je viens de me réveiller, tu sais que j'ai besoin d'attention au réveil. » Il lâcha sa main seulement pour essayer de se redresser une nouvelle fois : « — Si tu pars, je viens avec toi. » Il était terrifié à l'idée de se retrouver sans lui, d'avoir à tout affronter seul. Ari pouvait bien lui répéter qu'il était là, qu'il le soutiendrait jusqu'au bout, Lenny savait ce que c'était que de perdre l'homme qu'il aimait du jour au lendemain. Le visage un peu plus détendu, il reprit, pensant à Boaz à cette pensée : « — Boaz est au courant ? Il faut pas lui dire, j'veux pas qu'il s'inquiète pour moi... Nora ? Dev ? Ils savent ? Viens, on va leur dire. » Les mains contre les draps, il essaya une nouvelle fois de se redresser, comme s'il avait tant de choses à faire qu'il n'avait pas le droit de rester au lit malgré son état. Une fausse urgence dans le même but que le reste ; rester avec Ari.
THE NIGHT'S ON FIRE
the promises we made were not enough. the prayers that we had prayed were like a drug. the secrets that we sold were never known.